posté le 08-07-2010 à 11:10:07
Poussin intrigue.
Devenu simple trace, quoiqu'ayant été gravé dans la pierre, le mot s'auréole de ce quelque chose d'indéfinissable qui lui vaut d'être respectueusement quêté. On va à lui avec le pas du pèlerin. Certains, avec celui de l'archéologue. Parce que le temps lui a prêté un nouveau visage, une nouvelle allure, l'a fait glisser dans cet espace où flottent souvenirs et regrets, et s'amorce l'espace de l'approximation, des erreurs, des suppositions. Des spéculations. Le mot détaché de son actualité, de la mission strictement informative qu'il avait, à l'instant de son inscription, devient un lambeau flottant dans le temps. Le paradoxe veut qu'une inscription mortuaire, le libellé d'un nom sur une tombe qui a pour mission de perpétuer la mémoire de celui qui y repose, définit moins son temps qu'elle fait surgir dans une autre tranche temporelle, le balbutiement de ce qui fut un discours complet.
Ainsi, un nom réapparaît sur une pierre à demi effacée, peut-être les dates qui l'accompagnent. Mais que sait-on de plus du personnage ? C'est l'imagination du récipiendaire qui se substitue à l'information absente (l'espace compris -comprimé- entre deux dates). Elle se glisse dans des données sommaires et compose un portrait. Le mot trace ainsi, dans l'espace temporel, une sorte de survie en pointillé. De même en est-il des inscriptions sensées perpétuer des valeurs morales, une sagesse. D'où la stèle.
La peinture, longtemps attentive au spectacle de la réalité, aspirant parfois à la défier, mais, le plus souvent, déjà apte à en traduire l'essentiel, les points forts, le meilleur, a, elle aussi, préservé le cheminement du mot. Ne fut-ce qu'en ces temps (pas si lointains) de la figuration, quand la photographie n'était pas encore venue perturber la conception que l'on pouvait avoir de la peinture, et où dans la représentation de la réalité le mot intervenait, tantôt lié au sujet, tantôt en commentaire, en supplément, comme les prédelles dans les peintures religieuses d'autrefois. N'y voit-on pas les origines de la bande dessinée !
Les "ruinistes" bien sûr, plus que tout autres, eurent l'occasion d'introduire dans la toile le mot qui se trouvait justement inscrit dans la pierre. Ecriture publique, exemplaire, destinée à perpétuer les forces vives de la pensée humaine.
Le plus passionnant exemple de cette introduction littéraire, dans un espace moins anecdotique que d'une théâtralité grandiose est, sans conteste possible, le tableau que Nicolas Poussin peignit en 1640, des "Bergers d'Arcadie" dont il avait fait une première version en 1629. Elle aussi dotée d'une inscription mais différente. C'était "et in Arcadie Ego" (moi aussi en Arcadie), quand, sur la seconde le "la felicità sogetta alla morte" (le bonheur soumis à la mort) offre moins d'ambiguïté d'interprétation. On sait combien cette oeuvre intrigue les chercheurs qui y voient un message codé. Les spéculations vont bon train, il suffit d'aller se promener du côté des chroniqueurs de Rennes-le-Château...
Elégiaque, le tableau n'en est pas moins emprunt d'une tenace nostalgie. Le tombeau est le support d'une pensée nécessairement grave.
Peintres d'arcs de triomphe, de palais aux frontons bavards, mais souvent rendus énigmatiques par leur fragmentaire destruction, les ruinistes vont ainsi nourrir la peinture de phrases lapidaires qui surgissent dans notre temps (présent) chargées d'un pouvoir étrange et dont il est impossible de se départir.
Un souvenir pour finir. C'était chez un grand père amoureux de vieilles pierres (il avait acheté un bout de village en ruine pour établir sa maison ) il y avait, perdue dans les épaisseurs d'un bosquet sauvage, une grande et belle pierre tombale, sans doute destinée au tombeau d'un citoyen allemand, l'inscription longue étant dans la langue de Goethe. Un poème m'intriguait que je ne pouvais traduire, il était signé Henri Heine. De charmantes petites fleurettes étaient sculptées dans la pierre qui donnaient à cette étrange stèle un caractère joliment champêtre.
Commentaires
Intrigue-t-il pour avoir répété les mêmes sujets, souvent, à moins que ce ne soient les oppositions à Michel-Ange par ses sérénités Raphaéliques ? Tous ses thèmes mythologico-bibliques supputent sans nul doute les thèmes "moraux", autres formes de "prédelles" sous nos autels corrompus (fond de tableaux troubles des affaires de l'argent et de la politique, qui "intriguent" bien plus autrement...)