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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 10-07-2010 à 16:27:52

Lautréamont sur le Boulevard.

Bâtard magnifique ou parce qu'il se pensait tel, Lautréamont s'est encadré dans la haute porte de son domaine (fait de pierres cyclopéennes, de fer forgé aux origines les plus lointaines) et s'est, un temps très court, redressé (il se tenait souvent le dos voûté) avant que de s'engager sur le boulevard.
La horde multiple, bavarde, caquetante, horripilante des touristes s'engage sous le porche du numéro 7 du faubourg Montmartre, dans le but d'atteindre la grande salle  décoré 1900 du restaurant Chartier. Rien n'a changé depuis sa création (1896), les glaces serties dans les volutes boisées (ou peut-être en stuc), les garçons avec leur tablier si long, étalé sur leur ventre, qui les grandit et les fait ressembler à quelque statue asyrienne, dans le déplacement plein de cérémonie pour apporter des étalages périlleux de hors d'oeuvres à petit prix. Ce sont des agapes  de petits bourgeois servis par des Ganymèdes de Music Hall.
Lautréamont s'est engagé sur le trottoir si large qu'il peut accueillir en bonne entente, le yougoslave sans papier avec la seule amitié de son chien, et le motard venu d'un département voisin, qui fait claquer tout ses aciers et son cuir sur le pavé.
Des filles aux mines aguichantes se déploient en large éventail, comme un bouquet de jeunes fleurs à peine écloses et qui brillent de cet éclat particulier aux avances du plaisir qu'elles vont quêter.  Et toujours en bande. A se demander s'il se prend aussi dans un tumulte partagé comme le suggèrent des films de qualité nulle, déroulant leur pellicule dans de minuscules cinémas presque honteux,, nichés dans des rues qui tiennent de la ruelle et grimpent alertes les molles pentes de cette colline faite des détritus de l'ancienne muraille abattue pour la création d'une voie à vocation populaire, quand domine, à peine perdue dans le tissus serré des immeubles qui l'entourent,  l'église de Bonne Nouvelle aux accents de mercerie pour le Bonheur des Dames.
Les terrasses sont notablement garnies comme des étals de produits promis à la consommation et mises à portée de chacun, que d'un regard lointain (il est perdu sur les océans) morne d'aspect, Lautréamont contemple comme le piètre défilé de toutes les vilenies du monde qu'il veut fuir.
A-t-il un but ? Sa démarche est lente quoique régulière et comme somnambulique. On devine le piéton dont l'esprit est ailleurs, s'est détaché d'une activité purement mécanique de son corps. Il est le robot de lui-même.
La machinerie qui fonctionne dans les intérieurs tumultueux de sa personne ne laisse rien paraître de ce qui s'y fomente. Folle énergie contenue dans les circonvolutions complexes du corps. L' anatomie est en réduction les vastes espaces interstellaires, car Lautréamont est tout un continent en marche.
Où va-t-il ?
A le suivre on ne fait que suivre le plus banal des promeneurs. Il s'arrêtera un temps au Café de Madrid "simple débit de limonade du boulevard Montmartre nous dit Dreyfous (où) s'abouchaient les plus rudes combats contre l'Empire" On se souvenait d'y avoir vu Baudelaire, toujours grave et habillé de noir flanqué de son ami Charles Asselineau, ou Daumier dont la face aux arêtes précises était entourée d'une mentonnière de favoris et couronnée d'une belle chevelure grise.
Mais reprenant son périple il s'arrêtera net devant l'église de la Madeleine.
Là, venant des intérieurs froidement antiques de l'édifice, les volutes graves et doucement reconduites comme les anneaux en cercle d'un frisson sur l'étal de l'eau quand on y jette une pierre, d'une musique qui se veut religieuse mais conserve (et se risque à des coquetteries) quelque chose de cette saveur opulente de la musique d'opéra.
C'est ainsi que Lautréamont la perçoit, et le passant d'aujourd'hui qui se sera glissa dans ses pas.
Et d'imaginer de fabuleux effets de la machinerie qui fonctionne dans les coulisses de ce rite qui n'est que l'exagération (la trahison) de ce qu'il voulait dire.
On s'est arrogé tous les luxes de la parodie. Lautréamont s'y attarde, il sait de quoi il parlera, déjà il conçoit une machinerie d'épouvante qui se calquerait sur les génuflexions, élévations et jeux de manchettes s'adressant à un Dieu qui a absenté les lieux.


 

Commentaires

sorel le 11-07-2010 à 16:44:12
si on connaît maintenant son visage. Grâce à J.Lefevre un spécialiste qui a écrit plusieurs ouvrages sur Lautréamont. Bonne journée.
saintsonge le 10-07-2010 à 17:39:08
Lire : non plus voir se concrétiser (le poulpe agit sur moi, qui m'avale, voyez!)
saintsonge le 10-07-2010 à 17:37:51
Dire qu'on ne connaît même pas le visage de ce grand promeneur, il aura passé tel un spectre, un Hamlet moderne, tout droit venu de Montevidéo (avant Montparnasse ?), et "tout mince, le teint pâle" tel son Maldoror (mal d'aurore=d'horreur ?), lequel est né d'Eugène Sue, ainsi que vous savez... Et dire qu'il avait prédit la Révolte sans même non plus se concrétiser La Commune !.. Heurtant soliloque , le bestiaire est Bachelardien ! Sera-ce la vouivre du vouloir-vivre sans être vu, que son souci ? Le pou (l'époux ?) devient immense ("il serait capable d'écraser les hommes comme des épis"), le pou, avant le poulpe, comme su, et de bien entendu...