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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 12-07-2010 à 15:06:42

Une histoire de poupée.

Une histoire de poupées

Acte 1.
Elle est la soeur de Marcel Duchamp, et la femme du peintre Jean Crotti. Ils habitent Neuilly. Oubli, expérience, banalité du quotidien ? Un livre est à l'extérieur exposé aux intempéries, derrière la fenêtre protectrice. Pluie, vent, temps en ses caprices moulent le papier, l'imprègnent, le momifient, le sculptent. Devant l'incident, à la question posée par la soeur à son sagace frère, que faire (de ce qui devient un déchet).
- Une oeuvre d'art affirme celui qui n'en est pas à sa première expérience dans le genre récupération. Et d'ajouter
- Elle traduit le souffle de la vie sur l'objet inanimé qui a bien une âme.

Acte 2.
Pierre Reverdy loge sur Cortot au sommet de la Butte Montmartre, dans l'intimité de ses caprices de terrain qui a conservé quelque chose de sa nature champêtre. Des rues en pente douce, qui tiennent du chemin forestier.
A sa fenêtre Pierre Reverdy pend une poupée.
De ces poupées en chiffon que les petites filles cajolent, enveloppent d'amour et de caresses. Préfiguration de leur destin de femme complaisante.
Elles acquièrent à ce contact intime, quotidien ( nocturne ?) un aspect crasseux, des singularités anatomiques où sont marqués les mouvements d'humeur qui accompagnent des relations excessives, où se jouent, simultanément la tendresse et la rage. Un corps à sa merci. Modelé par ses caprices. Inerte mais à force de l'être, prenant cet aspect fantastique d'une victime.
Il en sortira un poème.

Acte 3.
Bellmer découvre dans le grenier de la maison familiale (quelque part au fin fond de la Prusse) une malle emplie de ces poupées que l'on donnait alors (avant 1914 qui est une frontière culturelle) aux petites filles pour leur inculquer  les rapports qu'elles auront, devenues grandes et mères, avec leur bébé.
Le corps et offert nu (comme à la naissance) et le jeu consiste à l'habiller.  Le déguiser.
En faire un personnage à sa mesure. A sa ressemblance. (Quelle mère ne désire pas retrouver en sa progéniture  un idéal, une image magnifiée de ses propres rêves).
Il en résulte, le plus souvent, le temps du jeu dépassé, des corps avachis, pas loin d'être désarticulés.
Bellmer pousse plus loin encore le désastre. Chaque élément du corps est rattaché à son voisin par un cordon. Il suffit de le rompre et l'on a une anatomie décomposée.
Une sorte de poupée en kit.
Déjà préoccupé d'anatomie revisitée, Bellmer méprise l'ordre convenu, l'harmonie supposée, l'ordre "de nature divine" qui a conçu l'homme dans sa logique anatomique et les conventions de son esthétique.
Et voilà un corps qui n'a plus ses membres là où on les attend. Distribués dans une sorte de défi à la logique, et comme l'écriture d'un désastre. Il atteint la chair. L'idée que l'on s'en fait et que la poupée était sensée traduire.
C'est le résultat d'un viol. C'est du Bellmer.