posté le 13-07-2010 à 14:24:26
L'autre est à mont.
L'AUTRE EST A MONT (1).
L'autre est à mont. Autre solitude. Celle-là dédaigneuse. Volontiers sujette à foucades, à colères, à gestes mal interprétés dans son entourage, ou perçus comme de la provocation. C'en est une. Encore qu'il y ait, chez lui, plus de réserve qu'il en montre. Et, surtout, un dégoût d'autrui qui est déjà une maladie.
Aux sommets il aime s'attacher. Non pour le bon air, mais cette manière généreuse d'englober dans un seul regard, la totalité de la ville. Il en connaît bien les tranchées, les pentes, les creusets, les chutes, les cavernes, les sillons tracés à vif dans la nuit, devinant que l'horreur a ses racines dans le val (la terre n'est-elle pas qu'une vallée de larmes ?), aux approches de l'eau qui y fait son lit d'infection.
De toujours cohabiter avec l'air qui va et vient, fait des siennes avec le vent qui chante, et fait tourner les têtes faute de ne plus faire tourner les moulins, il s'enivre de chimères.
Il est dressé comme un menhir face au vent marin, il ne voit que de sa hauteur. Il n'est pas ambitieux, simplement distrait. D'autant que, pour garder ses distances, il ne sort que la nuit. Il a pour compagnes les ombres. Elles ne le dérangent pas, elles sont froides, elles glissent parmi les monuments comme des souvenirs qui auraient pris corps. Il leur trouve un air de famille pour autant qu'il est maître de leur destin. Oubliant alors qu'il les invente. Et c'est ainsi que, s'oubliant, il se risquera à des errances dans les zones basses de la ville.
Comment converser avec des fantômes. C'est son secret. C'est son art. Leurs méfaits sont étranges et il sera difficile d'en desceller les raisons. C'est leur protection.
Soyez un criminel avec un mobile absurde, et vous serez couvert. Ce sont les mobiles bien agencés, c'est à dire logiques, qui vous perdent.
S'il s'est donné un nom, il ne l'a pas déposé. Ses adresses sont de hasard. Ce qui le coupe du monde, en fait un éternel absent lors des recensements, des listes, des appels, des mises en rang. On lui aurait demandé son identité, sans rire il vous aurait dit : je suis celui d'en haut, du mont.
Pour le trouver, comme le Minotaure, au plus secret de son labyrinthe (mais n'est-il, pas plutôt Thésée), le chemin était secret : un porche à vif, mais au sommet en arcade, dans un immeuble-falaise, noir de la tête aux pieds, une allée qui s'amorce parmi des poubelles, mais bientôt se pare de lilas, de seringas, d'acacias reconduits de bosquet en bosquet derrière des grilles rouillées qui dessinent des jardins grotesques dans leur appellation tant leur taille est plutôt celui de terrasses. A même le sol l'arbre pouvait y croître du fait d'une bonne et vraie terre, même si l'espace qui lui était alloué était réduit.
Quelques marches, allez savoir pourquoi, il n'y avait pas de caves et l'on pénétrait dans le genre pavillon quatre pièces, avec couloir central, escalier qui fait un coude brusque et accède à un premier étage mansardé. Le vent y gémit les soir d'hiver. De maison en maison, dans les environs, courent des bordures de céramique aux chatoiements bleuâtres et roses, dans une atmosphère de campagne ouvrière.
C'est bien simple : il habitait un point de vue. Il regardait Paris comme le marin, depuis le pont, regard la mer, le départ des hauts et sombres navires, et la cohorte des petites embarcations qui se balancent au gré des courants et des vagues. Ca clignote, ça tournoie, ce sont les grands phares qui protègent les aéroplanes trop hardis qui se seraient égarés sur le toit tranquille de la cité où ne marchent pas les colombes.
De fait, d'un logis planté dans l'espace, aux espaces d'errance qu'il se choisissait, il n'y a pas tant de différence, parce que la quasi solitude d'en haut avait ses échos en bas. C'est ainsi que je vois la déambulation nocturne de Lautréamont. (à suivre)
Commentaires
De sorte qu'il eût dû se prénommer SIMON (la cime, et le mont) - comme mon fils, du reste !...
Lourde charge. Mais bon...
Vous avez tout à fait raison, par contre, sur la logique des "mobiles bien agencés qui nous perdent", car ce fut une preuve d'amour hyper-cadrée qui me fit venir sur Douarnenez, il ne me reste plus qu'à planifier un alibi (de criminel ? Quitter l'endroit d'Ys) de Méharée (traverser ainsi mon désert du vivre pour un lieu lointain fort inconnu.. sans mobile apparent qu'un saut dans l'absurde, non ?..
Puissé-je enfin vous suggérer la Hune plus que le pont, et la Vigie plus que le simple marin, qui porte ainsi encore plus haut votre ami l'errant-sans-visage ?