Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 12-10-2010 à 16:59:10
Le clinquant des bracelets chez Gustave Moreau.
Les corps, chez Gustave Moreau, sont androgynes. La parure, seule, distingue les sexes, encore que de jeunes hommes aiment à orner leur torse avantageusement bombé ou pétri dans la douceur de chairs admirables, des fanfreluches qui font les princesses et les distinguent de leurs servantes.
Au poids de l'ornement s'accuse la perversité du modèle. Comme si le bijou était la décoration du mal. Il s'allie au corps, l'entoure, le contourne, l'enferme, l'épouse comme les tissus luxueux qui s'effilochent, s'entrouvrent, pour mettre en scène la gestuelle qui situe géographiquement, historiquement, la page contée d'un pinceau aussi minutieux que celui d'un orfèvre et de celui-ci tenant le goût du détail, la minutie des liens qui composent un ensemble aussi complexe qu'irréaliste.
L'offre de la nudité brute n'est qu'un regard fruste et vulgaire de la femme dont Courbet se fera éventuellement le maître, alors que Moreau met la sensualité dans l'ornement, la magnifie dans les ensembles et suggère toujours d'étranges rapports entre les personnages qu'il dispose dans un monde de fastes et d'outrances architecturales. Une nature de catastrophe, venue des fonds de la peinture primitive (montagnes brumeuses, silhouettes de villes accrochées aux faîtes des sommets) mais électrisée par une fièvre qui parcourt toute la scène.
Tout y est mouvements, danse, avancée sur l'espace du spectacle qu'investissent les figures d'une sorte de Crazy Horse à l'antique, aux couleurs byzantines.
Salomé domine ce monde de provocation corporelle, de déhanchements lascifs, de poses effrontées. Faisant glisser le désir de l'homme dans la macabre machination d'un pari pour provoquer la mort (Saint Jean Baptiste).
Sexualité et mort dessinent le carré d'un spectacle crépusculaire que les peintres "fin de siècle" vont peupler de créatures capiteuses, démoniaques et perdues.
C'est "la déité symbolique de l'indestructible luxure, la déesse de l'immortelle hystérie, la Beauté maudite" affirme J.K.Huysmans, grand connaisseur des choses du sexe au voisinage du bénitier.
Car la diabolisation de la femme est bien la conséquence du discours violemment castrateur que tient une Eglise effarouchée par la plus timide cheville qui surgit de dessous les frous-frous des crinolines.
On passe rapidement de la sacristie et de ses crucifixions démonstratives (tant aimées par Huysmans) aux boudoirs sulfureux où dominent des Sphinges enveloppées de fourrures, au visage fermé, au regard lointain, comme les rêve le peintre Stuck. Une divinité couchée conserve-t-elle la dignité de son rang ou n'invite-t-elle pas déjà le servant au péché.
C'est le thème récurrent de "La Tentation de Saint Antoine" sur lequel Gustave
Flaubert a peiné toute sa vie durant. La femme est l'enjeu du drame vécu par le saint. Elle est la figure descendue des hauteurs confuses de l'imaginaire pour troubler une figure suppliante qui ne vénère plus une vierge en majesté mais une femme secouée par la luxure. Félicien Rops en tire des scènes gaillardes, d'un humour qui tient de la Salle de Garde mais conduit le bal qui tourne les têtes de l'époque.
Commentaires
quelques difficultés à "atteindre" mon blog d'où une absence momentanée, mon incompétence en informatique me bloque; mais je vais tenter plusieurs chemins dont celui-ci qui m'a conduit jusqu'à votre commentaire.
Bienheureux d'être placé entre l'androgynie de l'androgénie des G. Moreau et "bâtardise" violentée de V. Leduc , des "parents" plus subtils que "terribles"...Tout de suite, l'ayant vue, j'ai adoré le symbolisme de l' Apparition, l'avant "Cri" du Munch...
Ce fut bien l'été, ce jour-ci , trop chaud pour Octobre... "Le monde est une foret de signes"...(Rilke)