Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 26-10-2010 à 16:59:07
Degas et les feux de la rampe.
Les feux de la rampe.
Elle est vêtue de rouge et se détache, comme dans l'ardeur d'un bûcher, sur fond d'une vive lumière qui est celle de la scène sur laquelle elle est plantée en figure de proue. Main tendue vers le public alors qu'elle chante, avec cette gouaille qu'elle exprime dans cette attitude provocante, l'autre main sur la hanche, et parce que l'on sait bien que dans ce genre d'endroit, où tout Paris vient s'encanailler toutes classes confondues, les chansons sont vertes et acides, et les visages blafards.
Sur la scène encore, légèrement en retrait, mais en pleine lumière aussi, d'autres personnages vivement exposés dans un fouillis de couleurs où les visages se confondent avec les éventails qui à demi les camouflent.
La scène, vue de biais, est limitée par deux hautes colonnes entre lesquelles l'extrémité d'une branche d'arbre se balance (mais on est dans un jardin), ainsi que, dans le fond, une guirlande de ces globes lumineux qui font, dans la nuit opaque et lourde, des points scintillants.
On ne voit que des chapeaux, dont ceux des femmes avec leur décoration florale, et un haut de forme, mais c'est celui d'un musicien dans la fosse d'où jaillit aussi la hanche fièrement dressée d'un violoncelle. C'est d'Edgar Degas : Le Café concert aux Ambassadeurs, 1875.
L'époque est riche en notations arrachées à la vie quotidienne, au raz du trottoir, dans un Paris chaloupé par le plaisir et la goguenardise d'une bourgeoisie qui, quand elle s'encanaille, va au plus vulgaire, au plus crapuleux, comme une revanche sur des moeurs exigeantes, une morale hypocrite, un vernis sclérosant .
Alors que la peinture académique compose laborieusement des visions idylliques d'une Olympe de pacotille, qui empreinte à la photographie d'art ses recettes et parfois ses modèles potelés qu'un simple glissement vers le vulgaire rendrait pornographique, l'art d'audace et aventureux qu'est l'Impressionnisme et ses alentours, fouille la réalité du moment.
Comme on braque un appareil photographique, et bientôt la caméra, le peintre cadre des figures, des scènes, des moments, où la femme donnée en pâture à l'appétit des hommes, est fouettée par le jeu des lumières, la vivacité du trait qui les transpose sur la toile dans une fougue moins amoureuse que lucide, et un souci de vérité qui choque plus que la manière.
Aux chanteuses réalistes de Degas succèdent les danseuses de Franch Cancan telles que Toulouse-Lautrec les voit, dans un climat d'ivresse visuelle qui est aussi l'ivresse de la musique et celle des sens chatouillés par ce papillotement, cette jovialité de surface, cette écume mouvementée et ardente qui camoufle mal la désespérance qui lui est concomitante.
Extrait de "La femme flambée de la Sainte-Vierge à Brigitte Lahaie".
Commentaires
Degas, pour moi, c'est la danse...
Degas, pour moi, c'est la danse...