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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 03-11-2010 à 09:45:14

Vénus de bazar.

D'abord le terrible portrait de l'atroce Jeanne Duval peint par Manet. C'est l'inspiratrice de Baudelaire, sa plaie vive. Des îles elle apportait le parfum capiteux, les mystérieux silences, les voluptés cachées.   Paris l'a blessée, vieillie avant l'âge et elle n'est plus qu'une sorte de poupée lascive, affalée sur un siège dans un désordre de mousselines, visage blafard, rongé. La mort peint sur elle ses stigmates. Elle a le regard vide de ceux qui, déjà, abordent les vertiges intérieurs. Droguée, la chronique renchérie sur les supplices qu'elle inflige au poète par sa veulerie, ses maladies qui n'en finissent pas. Son alcôve n'est plus celle du plaisir, enivrée des parfums de la volupté savante, mais étouffée de médicamentations.
Le court chemin de l'alcôve au lit d'hôpital est une constance de cette "fin de siècle" énervée de fièvres malignes, de pulsions vicieuses, d'évanouissements suspects. On prépare l'itinéraire initiatique de la Dame aux Camélias.
L'amour serait-il infailliblement puni par un Dieu qu'il offense. Comme Eve chassée du Paradis en raison d'une trop vive curiosité, la femme du XIX° siècle est chassée des plaisirs de l'amour par la maladie et la mort.
Si le paradis est dans l'alcôve, l'enfer est à l'hôpital.
Même dans sa fugitive splendeur Jeanne n'a jamais été qu'une Vénus de bazar. Aimée par Baudelaire comme un objet de plaisir, de curiosité. L'attrait des pays lointains, de l'Orient, de l'exotisme (pour tout dire d'un ailleurs) entraîne  ceux qui en on la possibilité, à exhiber comme des colifichets, esclaves soumises aux caresses professionnelles, ces perles rares des îles qui parent les salons de la bizarrerie de leur allure, de leur couleur, de leur odeur même qui a ces profondeurs troublantes que chante Baudelaire.
Gauguin, lors d'un passage à Paris, aura sa Vénus exotique que l'on dirait sortie d'un de ses tableaux (elle y entre en fait), Pierre Louys ornera son salon d'une dulcinée aux silences expressifs, aux sourires ambigus, à la flexibilité suggestive, propre à passer en ombres canailles dans ses livres du second rayon.