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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 13-11-2010 à 16:14:01

Le Déjeuner sur l'herbe.

Si les versions qu'en donnent Manet et Monet sont les mieux connues,  la pratique du déjeuner sur l'herbe est une des constantes de la vie sociale d'une époque qui découvrait les nuisances de la vie citadine et promotionnait la campagne comme espace de plaisir.
L'Impressionnisme est totalement dominé par cette mode au succès de laquelle il n'est pas pour rien. Manet y fait passer un caractère sulfureux, parce que sa toile a une volonté de démystifier  le sujet trop longtemps confondu avec quelque divertissement mythologique. Il a rejeté les dieux et regardé ses contemporains, des hommes et des femmes avec lesquels il a des rapports humains et sentimentaux. Il peint autant un moment que des relations entre des individus "qui se laissent aller" devant nous. La femme y est piquante par l'audace de sa nudité tranquille face à des hommes habillés en tenue de ville.
Un modèle sans doute si proche de la courtisane alors, et toujours femme de plaisir. Cet écart vestimentaire souligne le rôle qu'elle joue dans l'assemblée. Donnée, sans nuance, au plaisir des hommes.
C'est la même que l'on retrouvera sur son divan, attendant le client, et Olympia n'est plus la déesse d'un Olympe lointain, mais la putain la plus ordinaire dans l'exercice de son métier.
Le déjeuner sur l'herbe vu pas Monet est plus familial. Et petit bourgeois. Il confère à la femme un rôle plus complexe, même si l'idée du plaisir n'en est pas absent.
Mais il s'étiole dans la badinage.
On est là dans le voisinage de l'Embarquement pour Cythère. Entre gens conversant, flirtant, laissant à la femme sa liberté de propos, d'une attitude qui n'est plus celle, exclusive, de la prostituée, mais d'une proche en un moment de plaisir partagé, plus aimable que sulfureux.
Le déjeuner sur l'herbe est une parenthèse dans la vie d'un monde de travailleurs.
La société citadine est cadrée dans des rites où les moments de détente ont leurs usages. Le succès croissant des bords de la Seine (et de la Marne), la multiplication  des guinguettes, restaurants, et lieux de plaisir associés aux sports nautiques et à la danse, entraîne toute une société à se réunir dans ce climat admirablement cerné et immortalisé par Guy de Maupassant (et les films de Jean Renoir).
Il devient le cadre d'intrigues sentimentales, comme le salon dans l'univers proustien, et comme l'était le parc quand Watteau ou Lancret en  étaient les chroniqueurs.
De la proximité suave d'une nature ordinaire la femme perd quelque chose de son prestige et de son mystère, elle y gagne en fraternité, charme et convivialité.
Contrairement à la nature de fiction des scènes mythologiques, celle des impressionnistes est si franche, si réaliste, que la femme ne peut être une déesse, le cadre lui manquant.
Elle est ce personnage quotidien, familier, qui entretient une vision de l'amour vidé de toute culpabilité. Parce qu'il est un amour sans péché, un amour sans atours ni  théâtralité, dans la continuité de la vie quotidienne.

extrait de "La femme flambée de la Sainte Vierge à Brigitte Lahaie"

 

Commentaires

Saintsonge le 16-11-2010 à 15:39:14
Je songeais au "social" de l' assommoir , et ce fléau de l' alcool , Apollinaire pas loin... L'art prend de la "bouteille", aussi, façon de parler.

Le côté "sympa" est plus que sûr, n'ai pu goûter à ces plaisirs-là... Je pense qu'on choisit ses convives , en ce cas, non ?..
sorel le 15-11-2010 à 10:56:53
Peut-être trop savant pour moi cette vision et ses références. C'est sympa un déjeuner sur l'herbe, cela dépend des convives. Mais je n'y cherche pas, à travers les bouteilles vides, un regard social.
Saintsonge le 13-11-2010 à 16:26:41
De ces "fauves" , plus impressionnants dans leurs violences qu'impressionnistes (symbole du journaliste qui en inventa le terme à la vue d' un "couchant"), ils couchaient leurs vices sur les toiles, à mon avis, jouant les Hylas et les nymphes de John William Waterhouse, d' une autre forme de Narcisse pour l'amant noyé d'Hercule par lesdites séduisantes nues !.. De Matisse et l'esprit de révolte contre méthode et système, à ces "déjeuners", les Natures mortes avec bouteilles y découlent-elles directement, d'après vous ?