Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 20-11-2010 à 11:43:07
Flippeur.
Et voici la danse des billes de métal dans les fins couloirs de plexiglas, et le hoquet des filles qui sourient bêtement, échassières de haut vol, sur l'écran dressé du flipper, le ciel du lit. Jambes effilées, cuir en atour, sexe à l'avenant. Leurs sourires font la pose dans une onde de lumière sur la nappe luisante des vitrines où se plaquent, en rythme processionnaire, les automobiles encombrant la rue toute entière absorbée par ces jeux en reflets de vitres et de miroirs.
On est dans un espace ludique où les mondes se mélangent.
La femme n'est qu'un objet dans les buts ; la bille d'acier, agile, est l'image du désir, de la violence de l'impact. Cliquetis du métal et soubresauts du corps du joueur qui épouse la danse d'acier. Le but est de gagner le nombre de points suffisant pour faire clignoter le chiffre magique en sa fenêtre.
Subtilement dévoilée, grimée, costumée, fardée, provocante en ses vêtements, la femme est toujours une image emblématique, western ou Mac Do, faisant appel aux objets concentrant les fantasmes masculins, de violence, de force, de virilité comme les motocyclettes ou les voitures de course. Descendue des affiches publicitaires, voisine des slogans dans les magazines vantant les produits de consommation. Elle est l'objet de consommation qui mène le monde des vivants. La fuir c'est se condamner, être dépossédé du pouvoir d'échanger, de participer, d'être au coeur du monde.
Elle influe sur la pratique de l'amour autant que sur des critères de séduction qui le préparent ou y invitent. A travers elle une société construit un code de beauté, un catalogue de désirs, une anthologie de ses divinités.`
Femme d'acier et de pacotille, elle règne sur les rumeurs persistantes et désordonnées du café. Donnée à tous, promise et dérobée.
A l'image de ces filles à vendre, derrière leurs vitrines qui tricotent ou écoutent, en caressant une peluche, des chansons sirupeuses en attendant le client qui la contemple dans son irréalité d'icône, retrouvant la ferveur avide des pèlerins traversant des contrés par tous les temps, pour venir faire leurs dévotions devant l'image d'une sainte dans sa niche, dans la profondeur ombrée des églises.
Contrairement à celle qui est condamnée au trottoir, et piétine devant une porte cochère, trop vite offerte, exposée aux injures autant qu'aux intempéries, la fille publique réfugiée derrière sa vitrine, est protégée autant qu'exposée. Promise mais dotée encore du pouvoir de surseoir dans ce que le client attend d'elle. Le petit rideau quelle tire lorsqu'elle est à l'ouvrage peut l'être en un moment de détente. Il joue pour beaucoup dans la ressemblance avec un autel, ainsi que les lumières savamment étudiées qui tiennent tout à la fois de l'intimité du boudoir et de la mise en vitrine d'un objet à vendre.
Entre la figurine du flipper et la fille en vitrine il y a des liens secrets et confraternels qui augurent d'une société où l'on consommera le sexe par symboles interposés comme on consommait de la piété par des statues et objets divers mis à la disposition des foules.
Commentaires
PS/ Voyez, je suis "repassé" par ici, bien esseulé plus qu'un autre soir, j'y aurais été "passant" de quelques soucis...bénins..., passant-client...
L'architricline n'est pas ici, qui eût fait dire à ces conciliatrices de volontés l'aveu de Lemercier de Neuville : "Ce sont nos petits bénéfices , à nous, pauvres filles...Madame nous prend tout et ne nous donne rien..."
Ça me fait curieusement penser à votre article sur le déjeuner sur l'herbe, motif qui fit tant "flipper" Picasso jusqu'à le reprendre en de multiples pâles répliques plus sexualisées les unes que les autres.. ! Ces dames, derrière les "toiles" en forme de vitrines lasses, devenant les modèles affranchies, admirées, saisies au choix, puis prises par "morceaux" pour chacun des passants-clients qui en deviennent leurs peintres - c'est du pur Cul-bisme post-Cézannien, ça, non ?... Biaiser la baise, en somme...