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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 30-11-2010 à 09:48:07

Maurice Barrès en procès.

Les années 20 seront celles où l'on va assister à la tumultueuse métamorphose de dada en surréalisme. Celui-ci gardera de dada le ton d'invective, la saine insolence, et la plupart de ses artisans qui se regroupent autour d'André Breton dont le souci sera alors de codifier cette énergie, de lui donner une sorte de label de garantie.
Dada était, par sa définition même, un mouvement de crises successives, d'adhésions enthousiastes, de conflits internes.
Il y aura les fameux tracts qui participent grandement au renouveau de la typographie qui s'y fait inventive, les expositions qui mêlent hardiment poésie et arts plastiques (c'est le début de la mise en contestation de la toile et de la peinture comme seul support), et des manifestations assez largement suivies par un public qui aime s'y faire chahuter.
Cela tenait de la conférence et du monôme d'étudiant, avec son mélange d'approximation, de provocation et un enthousiasme qui vaut par lui-même parce qu'il remet sainement en question des problèmes, des réputations, des idées fausses.
S'en prendre aux gloires du moment est toujours suivi du scandale qu'on y cherche, et de la remise en question des idées que l'on y conteste.
Le choix de Barrès est significatif.
Barrès n'était point le grand homme incontesté dont la mise en accusation eût entraîné dans l'opinion un tollé général rapporte Michel Sanouillet le meilleur spécialiste du mouvement. On lui reprochait son "jusqu'au-boutisme" aveugle,  son patriotisme qui avait si fortement pesé sur l'opinion, même la droite (teintée de catholicisme) lui reprochait ses débuts d'esthète dandy.
Un "tribunal" est constitué. André Breton en assume la présidence flanqué de deux assesseurs venus de son entourage amical, dont Théodore Fraenkel (un ami de collège). Ribemont-Dessaignes est l'accusateur public, et Aragon le défenseur (ce qui le met dans une position délicate mais qui est bien dans l'ambiguïté de  certaines de ses positions futures). Viennent les "témoins", le bloc des amis sympathisants, dadaïstes et futurs surréalistes : Tzara, Jacques Rigaut, Benjamin Péret (qui fait une retentissante apparition en se grimant en soldat allemand), Marguerite Buffet-Picabia, Pierre Drieu la Rochelle. Mais encore, dans un désordre qui trahit l'adhésion spontanée, peut-être le souci de se "brancher" sur l'événement,  on voit apparaître Renée Dunan (romacière prolifique, une sorte de Colette des bas-fonds), Louis de Gonzague-Frick, et singulièrement Rachilde (l'épouse du patron du Mercure de France Alfred Valette).
En fait, le public qui chahute la manifestation et même la presse du moment ne voient pas la portée réelle de l'entreprise.  On la confond avec une sorte de facétie qui aura tourné court, et confondu plus volontiers avec un spectacle d'humour. On était loin des ambitions de Breton et de ses amis qui voulaient établir un catalogue de procès pour clarifier la pensée de l'époque. L'échec probant met fin à un des projets les plus ambitieux de ceux qui allaient retrouver une cohésion sous l'étiquette surréaliste.