Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 18-12-2010 à 15:05:08
Mery Laurent un personnage de Proust.
C'était bien dans l'esprit (pervers) du temps, il avait suffit à Mery Laurent (nom acquit d'un premier mariage alors qu'elle est mineure, et sous la protection du maréchal Canrobert, avec un épicier dont rapidement elle se sépare) d'apparaître nue sur la scène du théâtre des Variétés pour devenir célèbre et attirer à elle l'attention de quelques riches protecteurs. De fait, le théâtre aura été, à cette époque, le tremplin de pratiquement toutes les carrières galantes.
Anne Rose Suzanne Louviot (son véritable nom) était née en 1849 à Nancy, d'une mère lingère d'origine paysanne, elle même fille naturelle. Le processus se poursuit de génération en génération, avec, à la clef, un père protecteur mais souvent pour des raisons inavouables.
Anne Rose (qui deviendra Mery en hommage à celle qui l'avait judicieusement instruite et formée à une culture qu'elle développera par elle-même) fait son chemin dans le Paris des Arts et des Lettres. On lui attribue un grand nombre d'amants et des plus considérables par la portée sociale, le niveau culturel et l'emprise qu'ils purent, successivement, avoir sur elle. Après François Coppée elle devient la maîtresse de Théodore de Banville, allant même jusqu'à lui attribuer Victor Hugo ("grand chasseur de femelles").
Finalement pensionnée par le docteur Evans (attaché à la cour) et non sans être passée par le prince de Metternich, elle rencontre (pour sa plus grande gloire posthume) Edouard Manet qui entretient avec elle des relations intimes, respectueuses et chargées de tendresse. Manet mort c'est Mallarmé qui prend le relais avec la même dose de subtilité qui conduit Mery Laurent à pénétrer sans complexe dans le domaine d'une culture non seulement plus distinguée mais ayant toute la finesse et l'audace de la nouveauté.
D'ordinaire les "cocottes" se contentent d'une culture convenue, d'essence bourgeoise, même pour Valtesse de la Bigne, qui passe pour être férue de culture, le niveau reste celui de la commune mesure (la peinture "pompier" lui convient très bien).
Mery Laurent entre dans le cercle étroit de ceux qui font la modernité et son physique alors appréciée (mais répondant aux critères de l'époque qui favorisait la "rondeur") en constitue une sorte d'ultime icône.
Même Robert de Montesquiou, pourtant langue de vipère, vante son charme.
Elle était grande, avec une abondante chevelure rousse entourant un visage plein et rond, aux traits réguliers, avec des sourcils haut placés, des yeux d'un bleu intense, un teint rose clair et une expression presque enfantine d'étonnement qui entrait pour beaucoup dans son charme au delà de sa plastique attrayante.
Son "intérieur" de la rue de Rome qui fut un haut lieu de la vie mondaine succédant ainsi opportunément aux excès d'une vie galante, était très représentatif d'un mauvais goût de l'époque. C'était la profusion de passementeries et de pompons, de fourrures et de coussins, de tapis d'Orient, de poufs, de consoles trop dorées, et d'une multitude bibelots. Proust s'en inspirera pour créer le décor pour madame Swann, et le personnage entre dans la composition d'Odette.