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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 24-01-2011 à 10:45:32

Vue sur le Grand Rex.

Le tumulte automobile s'est emparé de l'espace tracé sur ces très anciens jardins qui ponctuaient le poudroiement de boudoirs en forme de mini-palais où venaient s'encanailler de futiles princes désoeuvrés. Là le labeur paysan, ici la mort annoncée dans le culte du plaisir. Et puis le temps a fabriqué de nouveaux rapports entre les hommes. On échange, commerce :  la civilité utile.
Fourrures et agences de voyage, papeterie (à l'ancienne) et épiceries kabyles.
La rue tiendra son nom du passage quotidien des cargaisons de poissons, venues de Boulogne sur Mer, allant vers les Halles toutes proches. Ainsi se fait la ville sur des vocations qui changent, des foules qui se déplacent, et l'on aura oublié dans les parages le trop fameux dépôt des Menus Plaisirs, où l'on entassait les décors trop encombrants des opéras qui se donnaient au palais des Tuileries et les  meubles somptueux que nécessitaient les réceptions diplomatiques. Un trait sur une carte et l'on en conserve quelques bâtiments où de jeunes exaltés récitent du Shakespeare, et des filles de bonnes familles apprennent l'amour dans Racine.
On découvre une salle toujours fermée où Lizst aurait donné un concert et une église à la façon de l'ingénieur Eiffel, affinée jusque dans son clocher qui égrène les heures sur un registre grêle. Derrière  une haute porte cochère encadrée par des colonnes à l'antique, se déploie une cour où les carrosses déversaient leurs lots de seigneurs outrageusement poudrés, venus rendre hommage aux hanches d'une belle coquette donnée au roi à la suite de complexes tractation où figurait l'érection d'une manière de palais qui subsiste, et l'on devine de verdoyants jardins dans des arrières qui côtoient des cours prolétaires. Un passé somptueux et un présent laborieux font bon ménage après les tumultes de la Révolution.
Des anonymes traversent la rue hors des clous, le danger est nul et la galanterie excuse de brusques changements de trottoir. On croisera Henri Heine qui a rendez vous avec Nerval, ils vont se rendre dans le minuscule appartement  où la poésie change de langue en chantant toujours les mêmes rêves. Et puis Kafka est descendu à l'Hôtel (il existe toujours), qui va visiter Paris avec l'application d'un touriste moyen, non sans faire une halte sur le boulevard de Bonne Nouvelle pour acheter des brochures à un étal (c'est lui qui le dit).  Passant, fantôme, Lautréamont venu en voisin, il remonte vers la gare du Nord d'où descend André Bretron aux bras de Nadja. Imaginez la rencontre, quel orage !  La rue est toujours un itinéraire amoureux pour celui qui sait lire les enseignes, marchant avec le calme de celui qui musarde.
Entre les immeubles jaillit, d'un seul élan, le minaret du Grand Rex, couronné de lumières de carnaval. Des mots chutent sur la façade comme quelque cascade sauvage. La poésie aura conquis les murs comme l'annonçaient Cendrars et Léger. Ce sont les nouvelles du soir. Elles parlent d'aventures sous les tropiques et d'un chanteur venu de très loin. Déjà les amateurs se pressent sur les trottoirs. On s'achète des rêves de fin de semaine.


 

Commentaires

saintsonge le 24-01-2011 à 15:04:12
Dans la grisaille , oui, mais finement , comme de chez "madame Lambert" ; si vous pouviez me le faire savoir avant le 21 février, j'en serai enchanté , car alors j'irai voir... Grand merci... Ai sollicité Hachette, n'ai plus de réponse alors qu'il me la prévoyait pour Jeudi !
sorel le 24-01-2011 à 14:16:10
Je n'ai pas en tête le nom de cet hôtel (il est à coté de chez moi) mais lorsque j'irai à Paris (ce qui devient rare) j'irai le noter. Bonne journée dans la grisaille.
saintsonge le 24-01-2011 à 13:17:16
Ah donc, voici le Grand Rex évoqué avec ma Fée Poppins !... Nadja venait de Lille, non ?.. Et, quel nom a l'hôtel où Kafka descendit, j'irais bien y voir, d'ici un mois.... Bien à vos pérégrinations mélancoliques, à cela qu'elles en font surgir le regret d'une époque révolue dont j'apprécierai toujours les cartes postales, nostalgique moi-même, voyez, nous sommes du même temps, pourrait-on dire...

PS/ Je n'ai pas voulu délibéremment placer un "brouillon", mais l'aspect d'un rendu d' "aménagement" du romanesque, en mien billet l'autre jour..

Grisaille flanelle, j'y vois presque les dessous du ciel !