Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 11-03-2011 à 11:41:31
Antonio Saura, figures d'anathèmes.
A mi parcours de la rue de Seine, qui descend vers le fleuve, les vitrines de la galerie Stadler flamboyaient quand elles présentaient des oeuvres de Saura, le peintre espagnol (frère de Carlos le cinéaste). C'était là, plaqué comme une insulte, une injure, un blasphème, face au passant qui levait la tête, interpellé par la chose, une figure dressée, hirsute, grimaçante, provocante qui vous figeait sur place.
Alors, partagé entre le crainte et la fascination, on entrait dans la galerie et le chahut se poursuivait, comme sur une scène de théâtre animée par Antonin Artaud, ou Arrabal qui fut un ami et un défenseur du peintre. Car l'oeuvre, si forte en sa détermination et si voyante en son expression, choquait, heurtait, scandalisait. A moins, qu'entrant dans ce jeu, on se familiarise avec ce monde de protestation, d'anathèmes.
On aura situé Saura dans le voisinage des abstraits lyriques parce qu'il jetait son dessin, d'un jet brûlant, sur le papier, évoquant aussi à son propos Bacon, qu'il admirait beaucoup. Parce que, lui aussi, dressait des corps suppliciés, des visages hurlants, une humanité en souffrance. De fait, il avait donné au dessin toute sa liberté, sa sauvagerie, son urgence, par quoi il était voisin des lyriques sans abandonner pour autant une certaine "figuration".
Espagnol dans la sang et par sa culture, il pouvait revendiquer l'héritage de Vélasquez et de Goya. A juste titre. Portant leur monde déjà tourmenté aux extrêmes de sa puissance, de sa véhémence. Les aînés étaient encore policés, tenus par leurs mécènes (le roi d'Espagne) et pratiquaient une sorte d'autocensure à laquelle échappe Saura, déchaîné, orgiaque, se lançant dans un ballet graphique infernal et sans aucune contrainte ni pudeur.