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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 04-06-2011 à 11:51:42

Quarante-huit heures à Lariboisière

Il se présente noblement. Large façade avec, aux deux extrémités, des retours à angle droit, le tout relié par une colonnade recouvrant une galerie (souvent utilisée dans des séries de télévision, la manne pour programmer des restaurations ici et là nécessaires). C'est la vision qu'avait, de l'hôpital, le XIX° siècle qui découvrait la médecine sociale et le progrès pour lutter contre la mort.
L'Hôpital Lariboisière est planté dans ses terres dans le voisinage immédiat des voies ferroviaires de la Gare du Nord. La nuit, quand tout est calme alentours, on entend mieux le bruit métalliques des trains en partance et les annonces des lointaines destinations.
Aux arrières de cette architecture qui fait illusion,  est installé le service des urgences. La noble pierre de prestige est ici remplacée par la brique semblable à celle qui ceinture Paris par ses logements à loyers modérés, implantés sur le parcours des anciennes fortification de monsieur Thiers par la politique socialisante des années 30. Une brique terreuse, que l'on dirait plus lourde que celle, lumineuse, dont on fait les murets décoratifs des villas balnéaires.
Là s'engouffre à grand bruit l'ambulance qui amène un Valentin mal en point et repêché de justesse alors qu'il s'enlisait dans sa propre poitrine écrasée de douleurs.
Le service des urgences est installé dans une sorte de long couloir dont chaque côté est segmenté en des sortes de petites cellules isolées par un semblant de porte légère, coulissante, à la mode japonaise, le seul élément un peu plaisant dans un climat de gémissement et de fébrilité formulée dans toutes les langues.
Valentin, sortant de son hypnose sensorielle, découvre ses voisins. Un vieillard si silencieux, recroquevillé sur lui-même, qu'on le dirait  presque mort, et  par un effet de contraste digne du meilleur metteur en scène, dans la cellule adjacente un lascar portant beau un torse nu qu'il a sculpté des muscles du lutteur de foire et vitupérant, apostrophant de si énergique manière que des infirmiers appelés en secours le maîtrisent sur son brancard avec de larges lanières (on est passé d'un hôpital à un asile psychiatrique). Voisine, une petite dame couronnée de cheveux blancs avec des coquetteries de bleu qui passe en vagues douces comme un troupeau de nuages. Elle a le calme dans l'attente de celle qui aura connue les queues interminables pendant la guerre pour acheter sa part d'alimentation avec tickets de rationnement. Puis un gamin hilare qui danse sur son brancard et doit confondre hôpital et stade de sport. Un autre (comme la nature est variée) tout en pleurs et que famille et infirmières attroupées s'efforcent de calmer.
Valentin dénombre dans les lointaines d'autres présences plus difficilement identifiables, mais vers lesquelles se dirige en procession quelques éminents personnages du service. J'ai nommé le médecin et son associée (une femme future docteresse). Arrivé à la hauteur de Valentin, ce dernier peut l'examiner avec toute l'intense curiosité qu'il lui inspire. Sa blouse blanche largement ouverte sur son costume civile (c'est le privilège des chefs que de ne pas montrer l'exemple quand le personnel doit porter la blouse serrée au corps) révèle une excentricité vestimentaire qui doit en dire long sur le personnage. Il exhibe un frétillant noeud papillon d'un rouge éclatant sur une chemise, à carreaux noirs et blancs d'un curieux effet. Dans un visage avenant, d'une rondeur rassurante, deux grands yeux rieurs qui ont la particularité de s'animer en suivant un large cercle à l'intérieur de l'orbite si bien que c'est le blanc de l'oeil qui proémine subitement, offrant une insolite interrogation. Voit-il son interlocuteur ou se parle-t-il à lui-même. Décrivant dans un langage clair et direct son diagnostic. Celui de Valentin n'est pas du meilleur cru. Et d'apprendre qu'on va le retenir (comme un mauvais élève à la sortie du cours) pour des examens plus poussés. Et de là, voituré jusqu'à une autre salle sortie tout droit d'un concours d'architecture des années 30, dans un grand déploiement de courbes et de lignes droites qui s'emmêlent et ne savent plus où s'arrêter. On a pourtant contenu le tout dans une vaste salle demi circulaire qui tient plus de la salle des vente avec son haut comptoir central derrière lequel s'agite toute une troupe d'infirmières affairées sur des écrans d'ordinateur plus nombreux que les malades.
Là aussi, dans un souci d'économie de place, un agencement léger sur le pourtour de la salle, sa partie incurvée qui aligne les patients. A quoi s'ajoute pour créer un semblant d'intimité, de très légers paravents sur roulette (un tissu blanc tendu sur un cadre de métal)  que l'on  dispose devant chaque lit pour l'isoler.
La place voisine de Valentin fut longtemps sans occupant, et tard dans la soirée, dans un doux chuintement de roues caoutchoutée, un brancard livre un ultime patient. Qui se trouve être une femme que l'on dispose avec soin dans le champ visuel de Valentin qui n'en demandait pas tant. Pourtant le personnage ne manquait ni d'attrait, ni d'originalité, surtout dans ce contexte hospitalier.
Assise, fière, sur sa couche, c'était une femme à la peau d'ébène, au port altier, le torse saisi dans une extravagante veste tricotée avec un souci évident de faire jouer le maximum de couleurs. Quelque chose comme la parure d'un royauté lointaine (à moins qu'elle ne se soit échappée des pays lointains imaginés par Rimbaud).
Le regard intense de cette patiente insolite se portait ostensiblement vers Valentin
qui en fut presque gêné, quoique à la fois flatté et intrigué. Mais d'une main précautionneuse, un infirmier roula délicatement un paravent qui isolera la belle alors que, Valentin en avait acquit l'illusion, quelque chose devait les lier qui releverait d'une belle rencontre.
Valentin, assez volontiers porté à la dérision, surtout de lui-même, nota quand même l'incongruité de l'incident. Une simple feuille de paravent vous coupe d'un avenir virtuel.
La nuit venue tout change, et les bruits s'adoucissent quand des ronflements incongrus brisent ce qui pouvait devenir une harmonie.
Débarrassés de leurs contraintes les infirmières se regroupent autour d'un café et se livrent à d'innocents jeux de tendresse gestuelle tandis que la gente masculine s'agite autour des ordinateurs livrés aux recherches des jeux les plus incongrus.
On sent la ville frémir derrière les hauts vitrages, une rumeur de voyages et des sifflements annonçant de prompts départs.
A terme d'un périple nonchalant Valentin se retrouve, au petit matin, rendu à ses liberté d'homme ayant recouvré ses forces naturelles. Franchissant le seuil du service des urgences il croise, fier sur son brancard, cigarette à la  bouche, et hurlant des mots sans suite, un magnifique clochard recouvert d'une couverture de survie, dont le jaune d'or répondait comme dans un dialogue amorcé pour une belle journée avec le soleil levant. Le malheur entrait à l'Hôpital sur l'air de la dérision.


 

Commentaires

katherine le 04-06-2011 à 12:25:55
ah que les hommes sont coquins, même quand ils sont dans les plus mauvaises postures !
Saintsonge le 04-06-2011 à 12:01:40
Ca sent le vécu....

Et, j'ai comme idée subtile que le Val-en-Teint pâle pour le coup, c'est vous.

Bien aise de vous savoir de nouveau parmi nous. M'enfin, la mémoire poético-picturale accompagnait vos synapses !...

Et...des rêves de femme, face à vous.

Le ciel vous tienne en meilleure disposition !