Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 13-06-2011 à 16:16:56
La Promenade de Lautréamont.
Il aimait la rue de Rivoli et son ballet nocturne où des silhouettes entr'aperçues se glissent entre les lourdes arcades avec des allures de poissons qui flottent dans des eaux troubles d'une nuit océane. Le jardin des Tuileries et ses lourdes algues s'est calé dans sa masse sombre, encore qu'on la devine toute bruissante de souffles et de furtifs déplacements.
Il ne s'y risque guère, craignant l'assaut des bêtes qui somnolent dans les bosquets. Il le sait, en plein jour, figées dans le bronze verdâtre, offrant leur dos rond aux enfants qui s'y vautrent comme sur quelque fabuleuse montagne miniature. Le lion et le rhinocéros qui veillent aux entrées du jardin, discrètement, la nuit, se lèvent, quittent leur socle de pilier, s'étirent silencieusement, et se mêlent aux promeneurs égarés qui font parfois les frais de leur curiosité et de leur imprudence.
Trouvez-vous, une nuit, face à la rue de Castiglione, à travers les grilles vous devriez les voir sur la terrasse, à cette heure déserte. Le hasard, la chance, votre ténacité, vous feront témoin. Soyez sûr alors qu'ils gambadent sur le sol tendre du jardin, y laissant la marque de leurs lourdes pattes. On on a vu aller jusqu'à la Seine, se faufilant parmi les rares voitures qui empruntent à cette heure tardive la voie de berge.
Animaux de bronze, ils bornent comme pour une parade pittoresque, les longues marches usées, où Louis XVI, fuyant son palais en furie, et venant chercher abri au Manège, butât là, tant de fatigue qu'envahi par une rêverie étrange qui l'assaillait. Il voyait déjà, comme une ombre divinatoire, sa tête brandie par une main vigoureuse et peu soucieuse de l'étiquette, protégée dans son forfait par la tornade des tambours battant avec énergie et une double rangée de cavaliers qui tentaient de maintenir leurs chevaux anormalement énervés. Au loin, indistincte, confuse, mais mouvante, une foule hilare, stupéfaite, assistait là à un spectacle inouï. Le massacre de ses idoles.
Quand les idoles sont mortelles on est perdu, mais on ne le sait pas.
Il fut, en quelques sortes, agressé par l'image de lui-même, et du sang qui dégoulinait de cette poche absurde, là où la décollation avait libéré le flux d'ardeur qui l'habitait, tout ce sang sacré. Il en frissonna et perdit l'équilibre. Il faillit s'effondrer sur ces marches où, aujourd'hui, des enfants traînent, effondrés de fatigue, leur tricycle pour regagner leur appartement confortable de la rue de Rivoli où un valet de pied stylé, ouvrant cérémonieusement la porte, demande si "monsieur a passé une bonne après-midi"
Les animaux donc, qu'on aura par chance ou hasard, mais à ses risques et périls, croisés dans la nuit, venus sous les allées du jardin, vont entrer dans l'espace alerté de toutes parts par les menaces de Maldoror.
Une légende veut que, le jour où l'on érigea les deux statues dues au sculpteur Auguste Cain, qui représentent respectivement "Le Lion et la Lionne se disputant un sanglier, et "Rhinocéros attaqué par les tigres" on constata la disparition à part égale d'un couple de lion, d'un sanglier, de trois tigres et d'un Rhinocéros du jardin des Plantes. Des recherches furent immédiatement entreprises qui n'apportèrent aucun résultat. L'effroi fut grand dans la population que la presse mis en garde. Des témoignages commencèrent à affluer, de noctambules, et l'on nota quelques disparitions mystérieuses de jeunes vierges.
Un témoin déclarant avoir croisé le couple de lion benoîtement couché aux pieds de l'art de triomphe du Carrousel et s'attardant à quelques câlineries silencieuses.
Le Rhinocéros fut aperçu sous les arcades de la rue de Rivoli. Le témoin oculaire l'aura remarqué d'assez loin, marchant tranquillement dans la galerie. Le temps mis pour être totalement convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un mirage mais d'une réalité aussi étrange que désagréable et périlleuse, le promeneur s'approchant de l'animal, de constater, contrairement à toute logique, que c'est ce dernier qui semblait manifester quelque effroi.
D'ailleurs il abandonna sa promenade, traversa la rue, regagnât le jardin pour se coucher sur le socle où on peut le voir aujourd'hui. Vert du bronze dans lequel l'artiste l'a coulé
Commentaires
Voilà un autre "itinéraire"...à faire "des brèches énormes dans la muraille" des rues visitées !
"La seine entraîne un corps humain" vers d'autres amitiés masculines du Chant Troisième....
La bruine du soir défait ici la pelote des mailles nuageuses de Pente-côte(s)....! eh, c'est un petit air d'automne qui se laisse entrevoir, percevoir, écouter..., ce soir....