Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 26-07-2011 à 09:35:27
Lettre aux Amazones.
Lettre aux amazones.
On va dire que je me nomme Valentin. Ce n'est pas mon vrai nom mais j'avance masqué. Tout le contraire de ce que demande au roman André Breton (dans Nadja) qui refuse les clefs et veut que les portes soient ouvertes.
Ici tout est, caché, cadenassé, codé. Celui (ou celle) qui viendra devra faire preuve de patiente, de bonne volonté, et piqué par la curiosité, aboutira au but recherché : savoir qui se cache derrière Valentin.
Le modèle de cette histoire (il y en aura plusieurs et de nombreux personnages) est "Le Songe de Poliphyle", cette étonnante histoire d'un jeune amoureux qui affronte de multiples épreuves pour atteindre celle qu'il aime (et qui l'attend). C'est une version de" la Belle au bois dormant". C'est dans le sommeil que l'on traverse les contrées innombrables de l'imaginaire. Alors il y a deux traversées qui se croisent, celle de l'amant qui prend tous les risques pour approcher sa promise, et celle-ci, dans l'immobilité du sommeil, qui nage en eaux profondes à la recherche de son promis.
Valentin je suis (je serai) et voici d'où je viens. Ma famille est antique comme on disait dans le théâtre du Grand Siècle. On se cherche des ancêtres jusque dans la mythologie, ou, pour les plus modestes, dans les premiers efforts d'une société qui s'organise pour donner sens à la vie des masses, nourriture à tous, bonheur au nom du Christ puisque sur cette terre d'Europe c'est lui qui sert de référence.
Un ancêtre donc, disons vers l'an mil, de laboureur qu'il était, et parce que sur un champ de bataille (du champ de blé à celui des morts il n'y a pas de frontières), s'était montré hardi et brave, reçoit des mains de son roi (un Capétien à l'époque) une contrée dont il devient le seigneur avec mission de l'assagir, de la faire fructifier et de rendre hommage au roi généreux.
Ainsi naquit la famille dont je suis l'un des derniers héritiers.
Il y a eu entre ce laboureur-seigneur (de Crécy) et moi une succession de capitaines, de chapelains, de financiers, d'homme de loi et d'honneur, et naturellement quelques chenapans.
C'est de la branche de ces derniers que je suis issu. Enfance dans les bosquets d'un château délabré, ridodon et ridondelle dans les près, et, avenantes, les petites bergères qui délaissaient les troupeaux pour me divertir. Tout manant que j'étais seigneur je restais. Ou plutôt "fils du seigneur" ce qui est bien pire.
Comme dans la bourgeoisie du XIX° siècle (voir "l'Enfance d'un chef" de Jean Paul Sartre) le fils de la maison est celui qui lutine la bonne quand le père, hautain et digne, faire régner la terreur sur sa domesticité. A l'un l'ordre à l'autre le désordre des draps.
Je ne pouvais rester, les années passant, lié aux plaisirs simples et naturels des champs et des alcôves d'herbe tendre. Vint un jour, où quémandé par mon père dans la Haute Salle du château (dont l'usage supposait quelque solennité du moment), il me fut sommé de déclarer ce que je comptais faire de mes dix doigts et de mes deux pieds, sinon que la tête encore un peu vide fonctionnait plutôt bien.
-La magistrature, l'armée, le commerce (pouah), la diplomatie (et quoi encore je ne parle aucune langue étrangère et n'aime pas les voyages). Alors ? un long silence.
J'entendais le croassement des corbeaux nichés dans les créneaux tout proches. Mauvais signe me disais-je. Tout ce noir en mouvement c'est Hitchkook ou Van Gogh sur un champ de blé, rien de bon à en attendre.
Subitement, allez savoir comment la chose me passe à travers ma pauvre tête, je déclare, ménageant mes effets.
- Je veux être typographe.
Bien que fort cultivé mon père apparemment ne situait pas très bien un personnage qualifié d'aussi étrange façon.
La typo, d'accord, l'agencement des lettres, du plomb plein les mains.
Voulant faire de l'humour (qu'il avait facile et plutôt dans le genre commis voyageur) mon père de dire alors, fort satisfait de sa trouvaille :
- A défaut de l'avoir dans la tête tu auras le plomb dans les mains.
-Oui père, mais quelle aventure, donner forme à ce qui est informe, sens à ce qui n'est que matière molle en ses métamorphoses.
J'étais parti. Coutumier de mes travers père y mis le hola comme on siffle la fin de la récréation.
-Typographe ? Si tu y tiens.
Ainsi se scellait mon destin.
Grâce à ses multiples relations (on lui demandait d'être le député du coin, pour un manant cela allait de pair ) mon père me trouva une place (modeste) dans le journal local qui tirait mollement les dix mille exemplaires quotidiens et donnait surtout dans les mariages et enterrement, inauguration de routes et écoles et loto pour le troisième âge.
Mais j'avais le plaisir de jouer avec les lettres, (on était encore à l'époque où l'on faisait les titres à la main sur un composteur). Je me prenais pour Restif de la Bretonne.
Bref rappel : Restif (de la Bretonne parce qu'il adopte le nom d'un champ de la ferme paternel pour se donner quelque lustre) est en apprentissage à Auxerre dans une imprimerie locale et tout en composant les ouvrages de commande de son patron, il se met à écrire directement en assemblant les lettres une à une, écrivant ainsi comme on distille un bon alcool. Il y a plus, il y a mieux, il séduit la femme de son patron. Sans suite, et on lui montre le chemin de Paris oubliant que c'est celui de tous les vices.
A Paris Restif, devenu Restif de la Bretonne (ça chante bien) oeuvre toujours dans les imprimeries. Elles sont à l'époque (1750) ainsi que les librairies, assemblées autour de l'église Saint Séverin et dans la montée, subite ici, de la rue Saint Jacques. Commence alors l'étonnante épopée de Restif, typographe et galant.
Valentin je suis, et Restif n'est qu'une ombre qui passe dans ma vie, parmi
beaucoup d'autres (on fera connaissance avec elles, peu à peu).
La seule similitude c'est que je séduit la fille du patron (16 ans, des cheveux d'or, une bouche déjà gourmande, des jambes de gazelle et un culot monstre) ce qui n'a pas l'air de lui plaire vraiment (au père).
Prière m'est faite d'aller porter mes talents de typographe en d'autres lieux et sous d'autres cieux.
Paris donc, le destin de tout provincial qui veut aller quelque part.
Chambrette rue Saint Séverin et le train train dans une imprimerie spécialisée dans les affiches de spectacle (music hall, festivals et autres réjouissances temporaires).
La clientèle est à l'image de son métier. Pittoresque, capricieuse, généreuse de ses sentiments et les portant hauts et forts. Il y a du "chéri" dans l'air.
Ce qui devait arrivait arriva, et des filles pleins les bras. Elles sont plus hardies quand elles vont par paire. Alors, juste conséquence, on se retrouve à trois. C'est une manière de voir les choses, elles ne me déplaisaient pas.
Que pensez vous qu'il arrive. C'est toute la question.
J'avais de vagues (oh très vagues) velléittés de sainteté. Savoir se détacher des piètres plaisirs qu'offrait le monde pour élever mon âme vers de plus riches promesses.
C'était passer du stupre à la méditation, de la caresse à la prière, du coït à la génuflexion. Et ça marche.
Songez à toutes ces catins qui traînaient leurs jupons (sales ) dans la cour du roi, passaient dans son lit et finissaient au couvent. Curieux ce mélange de cuisse et d'encens. J'y allais de mon train tranquille, c'est à dire en visitant d'abord les églises. A Paris on a le choix. Et on se forme une jolie culture spécialisée dans les vieilles pierres. Cela s'appelle le Patrimoine (la majuscule obligatoire).
L'idée m'est alors venue de mettre à profit mes connaissances croissantes en adoptant un autre métier qui me sortait un peu de l'atelier (le plomb fondu faisait parti des manières polies d'arracher la vérité des prisonniers au moyen-âge) et regagner le grand air qui avait été le charme de mon enfance.
Guide alors je serai. Guide je fus. On me voyait suivi d'une horde de russes bavards et bruyants, d'allemands méthodiques et méticuleux, de japonais triturant leur appareils photo à mille euros pour rapporter la vue des tours de Notre Dame et l'arc triomphant de la place du général de Gaulle.
Entre une messe basse et des après midi au plein soleil des autobus de touristes je me fabriquais une vie qui avait toutes les apparences de l'ordre et de la sérénité.
C'est mal compter avec les caprices du hasard et sa malignité.
Ce fut à propos d'une jeune italienne que tout bascula. Encadrée par des parents qu'on eut dit inventés par un caricaturiste, elle offrait toute la grâce des vierges de la Renaissance, sinon que son regard se posa sur moi avec une insistance qui me donnait une hardiesse que l'on dira contraire à des voeux sus-nommés.
J'obtins cependant, grâce à la complaisance du voiturier de l'hôtel où la donzelle logeait, son adresse italienne. En mon for intérieur je décidais que je profiterai de mes futures vacances pour aller à sa recherche. (on peut imaginer une suite !)
IIlustration : Le Songe de Poliphile.