Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 06-08-2011 à 12:01:39
Lettre à Franz K.
Longtemps, bien longtemps avant de vous lire je vous connaissais. Je connaissais les titres de vos livres, et cela me suffisait. J'en aimais le caractère énigmatique (pour moi). Ils nourrissaient mes rêveries. Je pense que le pouvoir des mots passe par le flou de leur définition, et parce qu'ils sont ouverts à tous les possibles.
Le lieu de cette découverte progressive, de cette délectation, c'était la bibliothèque dans la maison de mes parents. Une pièce qui méritait cette appellation parce qu'elle était effectivement dédiée aux livres, les murs en étaient couverts, et à l'âge où on lit des contes de fées (j'aimais beaucoup leurs illustrations) l'approche des livres que lisent les "grands" reste timide, ou plutôt capricieuse. On connaît les aveux tardifs de ceux qui, pubères, dénichaient dans la bibliothèque familiale des livres "interdits" ( généralement rangés dans les rayons les plus élevés) dont ils se délectaient sans trop comprendre toujours le contenu.
Je me contentais de parcourir les titres, dont me suffisait souvent la formulation qui pouvait avoir des échos profonds en moi. On plonge dans un titre, on s'égare, on a refait le livre qu'il recouvrait.
Vous avouerais-je que la lecture de certains livres dont les titres m'avaient éblouis (je ne parle pas, là, des vôtres ) me décevait.
C'est peut-être du fait qu'avant de constituer les quelques livres essentiels dont est faite votre oeuvre, parfois un rassemblement de "nouvelles", celles-ci étaient publiées à part et souvent dans des éditions séduisantes d'aspect, avec un caractère confidentiel qui entrait sans doute dans le prestige qui les entourait.
Je ne m'éternise pas sur "La Métamorphose", car bien souvent j'ai l'impression que pour un large public votre oeuvre se résume à cette histoire terrifiante. Encore que le titre a de quoi retenir votre attention et susciter une intense curiosité.
De fait, je m'étais attardé sur "Le Terrier", "Joséphine la Cantatrice", "Un divertissement", "La muraille de Chine", "Recherche d'un chien", "La Colonie pénitentiaire", "Description d'un combat", "Le gardien du tombeau", "Préparatifs d'une noce à la campagne", "Au bagne", "Un médecin de campagne", "Le soutier", "L'invité des morts".
Tentez d'imaginer ce que chacun de ces titres peut éveiller dans l'imaginaire de celui qui les découvre, les scrute, tourne autour comme autour d'une énigme, fait son trou dans l'agencement des mots qui le constituent et sont aussi une manière d'indication pour aller en une direction. C'est un fléchage d''une histoire potentielle. Disons que je m'engageais dans un territoire avec une carte sommaire, et que je devais inventer le paysage que j'y découvrais.
Une histoire étrange pour finir.
Lucien Coutaud, qui était l'un de vos grands admirateurs, venant passer un week-end chez mes parents se croyait obliger d'apporter un cadeau. C'était une gravure. Ma mère ouvrant le paquet qui la contenait pâlit en la découvrant. Je m'approche : elle représente un enfant se débattant avec un étrange insecte et je suis pris de vertige quand j'y vois mon portrait. C'était une coïncidence Coutaud alors ne me connaissait pas et il annonçait comme surpris qu'on ne l'ait pas compris : - c'est un portrait de Kafka enfant.
Commentaires
ah oui, vous êtes (resté) à Prague !..
Dites, il se peut alors que le billet suivant soit dédié à.... Milan Kundera , qu'en pensez-vous ?..On continuerait le cheminement logique (à ce propos, cet auteur de "la vie est ailleurs" à professer sur Rennes les Littératures viennoises comparées, son ami Dominique Fernandez l'ayant fait venir....avec sa femme, Vera je crois).... Bien à votre ciel Lutècien. Ici, grisaille et pluie, suis sorti voir mon bouquiniste aux prix excessifs (mais que voulez-vous, l'amour de l'art, dirait Flaubert, il n'y a que ça !), blouson d'automne-hiver sur ma petite chemise d'été (absent) : une plaisanterie du temps ?