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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 10-08-2011 à 10:57:54

Un enfant de Valery Larbaud : Bernard Delvaille.

La tenue d'un Journal m'a toujours parue suspecte et quelque peu narcissique.
Quelle vie, quelle oeuvre mérite une telle attention soutenue, souvent quotidienne, pour ajouter aux mots d'un livre que l'on veut faire, les mots en marge qui tournent autour des questions, les creusent, les contournent, les fuient en fait.
Il y a de la complaisance  à s'analyser ainsi, user les mots pour polir son portrait mental.
Parfois (une exception ?) un Journal permet d'entrer plus lucidement dans l'oeuvre qu'il accompagne. Gide par exemple. Mais Gide est un professionnel des lettres. Un des rares à qui l'on peut pardonner l'usage un peu grotesque du terme : "homme de lettres". Il y a bien sûr les journaux qui sont l'oeuvre elle-même, comme la pathétique et crispante Marie Bashkirtsheff dont l'oeuvre la plus intéressante est son tombeau au cimetière de Passy ou celui, monumental, de Charles Du Bos qui parle moins de lui que de ses lectures, et ses analyses sont d'une rare pénétration.
Entrer dans le Journal (3 tomes)  de quelqu'un que l'on a connu, dont on a suivi les étapes d'une vie qui fut de raffinement et de culture aiguë est un exercice périlleux parce qu'au lieu de conforter l'idée que l'on s'en fait, elle distille un flou qui étonne et ouvre des horizons que l'on ne soupçonnait pas.
C'est Bernard Delvaille qui fut, dans les années 70, une figure en vue de la vie littéraire (il dirigeait chez Seghers la collection Poètes d'aujourd'hui), dont l'homosexualité reconnue, assumée, orientait ses choix de vie qui, à en  croire ses confidences, ne lui apportèrent pas le bonheur.
Des constantes en revanche qui soulignent bien le caractère délicat d'un tempérament porté à la littérature la plus rare (Valery Larbaud, Paul Morand, les Symbolistes), la musique ( Chopin, Brahms), et une perception particulièrement aiguë des odeurs végétale qui étonne chez ce citadin très "piéton de Paris".
Quelques tics, non d'écriture mais de mondain qui semble fasciné par les particules (souvent de fantaisie ou rappelant celles dont on faisait usage dans les romans bourgeois du XIX° siècle), le  frôlement des célébrités, une manière, presque naïve de montrer que l'on voyage beaucoup (NewYork - de belles descriptions -, Amsterdam, Vienne, les lacs italiens) comme un personnage de roman de Paul Morand. Moins homme pressé qu'homme avisé qui découvre les poètes baroques dans le train, et l'oeuvre de Taine au bord de l'Hudson.
De trop s'apitoyer sur soi-même rend une démarche suspecte. Un Journal trop intime est un exercice qui ressemble à l'édification du socle de la statue que l'on veut laisser pour la postérité. Le Journal de Bernard Delvaille échappe à cette faiblesse. Jusque dans ses défauts il a quelque chose de touchant. On y lit à livre ouvert la vie d'un homme trop sensible pour ne pas tenter de fuir dans la culture.
Au final il n'y a pas d'oeuvre mais un aveu émouvant.


 

Commentaires

saintsonge le 10-08-2011 à 12:22:05
Le Journal, dont j'ai tenu moi-même deux trois livrets, il ne demande pas à être tenu au jour le jour (on peut y revenir, s'y échapper donc), il est forcément autant "narcissique" que l'est l'homosexualité ; de mon côté, j'y plaçais moins du bêta : acheté ce matin saucisson, truc chose, façon page de Duras "la mouche était morte"..., ai lu de bonnes choses dans celui de Peter Handke , sans oublier votre favori, le journal de Kafka...(mieux que gazette Praguoise)...

Le Journal, je le tenais justement pour prendre une distance avec La Poésie (dite "la parole fleurie") et Les Roman-conte-nouvelle-pièce de théâtre de mes Jeunesses (au surligné du pluriel) ; puis Gide est alors l'homme de l'être...

J'irai peut-être découvrir celui de B.D (même initiale que moi, tiens...)

Le ciel vous tienne en bonne page , écoutez la parole des nuages....