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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 27-06-2008 à 15:43:56

Les cahiers d'Artaud, l'esprit en déroute.

Il faut revenir aux "cahiers" d'Artaud. Car ils s'imposent dans notre monde de la pensée à vif, de la douleur, de la protestation, comme des exemples majeurs.
D'ordinaire, le cahier de l'écrivain est plus tempéré, il reste une plage ouverte à toutes les investigations dans l'attente de l'acte même de l'écriture. Celui qui engage définitivement celui qui l'entreprend.
S'il joue le rôle du Journal il a même des aspects qui sont ceux de la civilité (pour soi-même). On peut les comptabiliser sans effroi, et l'esthétique même de l'objet est parfois recherchée.
Rien de tel avec Artaud. On l'a dit, répété. Ceux qui furent les témoins de ses dernières années s'en souviennent. Il les enfouissait dans ses poches. Les ressortait à tout moment. Ecrivait (généralement avec un tout petit crayon, de ceux que l'on suce comme un bonbon comme pour chercher l'inspiration) dans les moments les moins propices à cet exercice : sur ses genoux, sur le coin de la cheminée de sa chambre à Ivry, dans la tumulte des voyages en métro (il quittait le Boul'Mich à la station Saint Michel, descente Mairie d'Ivry).
Et pourtant, on regarde ces cahiers comme des reliques. En déchiffrer le contenu est pénible. Il fallait la ténacité, la patience, l'amour qu'elle y mettait, pour que Paule Thévenin en vint à bout.
L'attrait de ces cahiers ne relève-t-il pas de leur cas si particulier, qui joue pour leur aspect négligé mais traduit bien la présence constante de l'auteur. Ils adhérent étroitement à son errance parisienne des années 45-48 quand ayant recouvert la liberté il affrontait le regard critique de ceux qu'il croisait  (hormis la poignée des fidèles, autour de Marcel Bisiaux, d'Adamov, de Colette et Henri  Thomas). Quoi, un poète ce clochard marmonnant, éructant, avec sa face marquée par la douleur, ses pardessus trop grands et tachés ? Un clochard magnifique diront ceux qui l'aimaient. Et les cahiers sont l'épopée de cette errance pathétique et aujourd'hui légendaire.