Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 07-05-2009 à 09:27:16
L'enfer du livre.
Suivons Sorel (un don Juan décavé, un Léautaud pop).
Après une vie sociale un peu décousue, futile, il s'est réfugié (retiré) dans une maison (son blockhaus) entourée de son jardin (ce sera son unique contact avec le réel) à l'écoute des saisons, et consacrant ses journées à la lecture. Il s'est constitué une bibliothèque de plus de 30.000 livres, une manière de lever un mur entre la stupidité (c'est son point de vue) des autres et sa douleur de n'avoir pas trouvé âme enrobée d'un corps qui puisse partager ses caprices littéraires, ses foucades, ses ambitions car il écrit aussi mais répugne à publier, laissant cela à une lointaine descendance qui n'aura peut-être pas d'égard pour ces monceaux de papier griffonnés et souvent peu lisibles. Il entasse des liasses de romans inachevés, des cahiers de sentences dans des malles.
Il avait été fasciné par l'aventure du portugais Pessoa dont 27.000 manuscrits se trouvaient consignés dans une malle, que l'on peut voir encore dans la reconstitution de sa chambre-bureau dans un quartier éloigné du centre de Lisbonne ( ce qui est un comble pour un piéton obstiné qui faisait de la ville son territoire de chasse poétique) ou encore par les vantardises de Blaise Cendrars qui prétendait avoir des oeuvres non publiées dans des coffres des sous-sols d'une banque Suisse (double distance créée entre l'oeuvre et d'éventuels lecteurs).
D'autres, encore, histoires de redécouvertes post-mortem. La malle en osier que Raymond Roussel avait confié au garde meuble, et qui fut découverte un demi siècle après. Elle contenait, ouvre des éditions originales de l'auteur, des inédits qu'il n'avait pas jugé, de son vivant, utile de publier
C'est l'étrange et périlleuse destinée des oeuvres inachevées, dédaignées par celui qui ne s'y retrouvait pas dans l'exacte mesure de son émotion, de sa vérité.
Certains éditeurs se font une spécialité de publier ce genre de texte, non sans risque de trahir. Mais l'abandon de l'auteur peut aussi être un geste de dépit. De n'avoir pas rencontré d'audience, ou simplement une modeste attention dans son entourage peut le conduire à rejeter l'enfant non désiré.
L'abandon d'un texte ou plutôt sa mise en situation d'être un jour redécouvert, c'est aussi l'expression d'une solitude. Celle de Sorel rappelle celle de Lautréamont dont l'oeuvre n'existe que par la ténacité de l'auteur et le recours, humiliant au "compte d'auteur", seule manière de défier l'indifférence qui l'entoure, celle-ci d'ailleurs reconduite, si souvent, dans la mévente des textes ainsi révélés.
Le "Journal" de Virgnia Woolf (à la fois crispant et parfois pathétique) traduit bien cette angoisse devant la chose publiée ou en voie de l'être. Encore qu'elle bénéficie d'un entourage bienveillant et s'édite elle-même, en partie, grâce à la Hogarth Press, (qui lui appartient, ainsi qu'à son mari Léonard Wioolf) dans un mouvement naturel de l'écriture vers la réalisation technique d'un livre.
Comment ne pas penser à Restif de la Bretonne qui "compose" lui-même ses multiples et volumineux ouvrages, ouvrant la perspective d'une écriture qui se fait directement sur l'instrument de sa diffusion, retrouvant là, l'excitation
de l'artiste devant la pierre lithographique.
L'écriture au sein de l'Histoire, et dans les temps forts de la douleur qui l'inspire. C'est l'expérience de Yannis Ritsos (Temps Pierreux Makronissiotiques). Une série de poèmes écrits à Makronissos en 1949 "dans toute l'horreur" du camp. On nous précise que "ces poèmes sont restés enterrés sur place dans des bouteilles scellées, et déterrés en julllet 1950" pour être enfin publiés".
Au thème de la malle, si fréquent, se substituant à son caractère vaguement domestique, la bouteille appelle aussitôt la mer, l'élément liquide, porteur de ce fragile esquif qui donne sa chance à un message d'aboutir à un destin heureux.
Le même éditeur (Ypfilon) s'est attaché à la révélation de textes de Pier Paolo Pasolini. On revient à la malle, au cahier retrouvé (en 1976) parmi d'autres inédits. Des poèmes écrits dans une langue au-delà des langues.
Quand l'écriture libérée retrouve l'énigmatique suggestion des signes, les mots se sont glissés dans une langue qui se cherche.
La langue, instrument d'une énigme, clef d'un savoir. Il n'est pas que dans les pommes d'un Paradis perdu mais dans les vieux manuscrits que d'éminents savant s'efforcent de déchiffrer. Voici, immobile et avec la vénérable dignité des statues, le scripteur médiéval qui s'immerge dans le fouillis des manuscrits.
Voici les manuscrits retrouvés, balafrés et comme blessés par quelque combat singulier. Image de la difficulté de la création, des risques encourus à s'y vouer.
Mais se pose alors le problème essentiel ( de base ?) Pourquoi écrire et que dire par les mots dont on veut dompter le pouvoir. Ne sont-ils pas, eux, les monstres qui nous assaillent et nous dominent ,
Ecrire pour se dire ( souvent avec impudence) n'est pas un but qui se suffit à lui-même. Chacun peut le faire et l'intérêt de la chose ne dépasse pas le cercle étroit (plus qu'étroit) de ceux qui peuvent partager la vie du scribouilleur qui se sera penché sur ses problèmes. "A bas " l'ego excessif. Tout au plus peut-il donner sa couleur à la prose qui en découle.
Le rêve (souvent difficile à atteindre), serait d'inventer un monde dans lequel on se glisse, s'engouffre pour se fondre dans une matière vivante, ardente, qui est la vie.
Sorel risque de se figer sur lui-même. Ceux qui dénoncent l'abus de lecture et le retrait de la vrai vie n'ignorent pas que toute lecture est une fuite.
Vient alors l'histoire de Lautréamont qui est celle d'une solitude.
Ecrire ne serait-ce pas aussi, et finalement, la réponse à une solitude autrement insupportable.
Alors, pour aller à la rencontre de l'énigme du poète, fouiller dans sa solitude créatrice et chercher le sens des mots que sécrète la solitude (ne pas oublier que Lautréamont écrivait -mais peut-être est-ce une légende, à laquelle Philippe Soupault était très attaché-) on va flâner du côté des Grands boulevards, du faubourg Montmartre, sur les traces de Lautréamont.
En préparation :
LA SOLITUDE DE LAUTREAMONT.
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voir le site cuisery.livre.free
Retour sur la boulimie de la lecture. Elle s'accompagne quand elle est solitaire de ce besoin, mécanique, de noter, de poursuivre sur la virginale blancheur d'un feuillet, la magie des mots, l'étincelle d'une idée, la beauté surprenante d'une définition.
Le plus banal des romans, l'intrigue la plus convenue peuvent, à la lumière d'un esprit curieux, fournir de rejets d'intrigues (comme une plante, dans sa généreuse vitalité se déploie en plusieurs ramifications, se dédouble à l'infini, et la forêt à de semblables lois de la nature, devient cette masse compacte où se perdre et qu'il faut déchiffrer). On trouve pâture dans les mots où qu'ils nichent.
C'est alors l'initiation souvent évoquée, des enfants solitaire affrontant une bibliothèque dont ils dévorent, sans ordre, sans méthode, mais avec la passion de la découverte, les enseignements qui peuvent être d'ordre très divers.
En figure d'exemple, avec la grâce qui était la sienne, un certain petit Gérard Labrunie, entre les taillis des forêts du Valois dont il tirera son nom de plume (qui est un nom de gloire), dévorant les volumes d'une bibliothèque d'un "savant" de province. Et pouvait naître alors Gérard de Nerval.