posté le 11-09-2009 à 15:10:02
Les autoportraits de Santos Silva.
Parce qu'ils ont l'air ancien ils inspirent une espèce de respect. Ils posent une distance entre eux et le spectateur d'abord subjugué par tant d'ampleur. Celle du temps lointain supposé de leur naissance et cette sorte de panache qui n'est ni la verve flamande, ni l'opulence espagnole, mais tient des deux, dans la tradition d'une mise en spectacle.
Ils sont les visages qui se donnent en spectacle. C'est alors qu'on apprend leur création récente. Certains sont encore frais. Et l'auteur, on s'en aperçoit alors, leur ressemble. Curieux retour des choses. C'est le peintre qui ressemble à son oeuvre plutôt que le contraire. On aura, toutefois avancé d'un cran quand on aura compris que ces portraits qui se ressemblent sont plutôt des masques que le peintre a posé sur son visage.
La véritable ressemblance du peintre avec ses autoportraits est cachée. Dans les masques qui, eux seuls, ont droit d'exister. De parader.
Certains, en si grande évidence, qu'ils ont ce blanc un peu froid des masques de théâtre japonais et qu'on porte devant son visage, en le tenant à la main par une simple baguette. Seule, cette baguette manque, le masque est posé devant le visage. Il le gonfle un peu, ou l'affine jusqu'à l'inquiétante minceur des figures cadavériques. Figées dans l'immobilité de l'éternité qui nous regarde encore. Car tous nous regardent. Nous interrogent. Ils nous dérangent.
On aime qu'un portrait résume celui qu'il représente et étale tout le bien qu'il pense de lui. C'est l'identité sociale voulue : celle pour laquelle le modèle a vécu, vaincu des obstacles. S'est forgé un masque pour s'inscrire dans la mémoire de ses descendants. Quelques peintres ont perturbé le système, ont manqué aux usages, faisant de la peinture, au lieu d'en faire un portrait social. Et ils ont imaginé ceux qu'ils regardaient bien au delà souvent de ce qu'ils peuvent offrir. A moins que, les déshabillant jusqu'à l'indécence, le peintre n'ait définitivement fâché le modèle avec son image. C'est le gain de la peinture sur les usages, plus outrageant que brillant.
Lisa Santos Silva a peut-être regardé de ce côté là, vers un Goya plus cruel que malin, plus sincère qu'habile, plus outrageant que brillant.
Mais nul parrainage, si évident soit-il, n'est un frein pour qui sait aller où doit le mener l'art qu'il pratique. Car s'il revient si obstinément sur un sujet, ou si exclusivement, c'est qu'il doit bien y avoir une raison essentielle, vitale.
Répéter n'est pas limiter, c'est approfondir. C'est aussi conjurer.
Extrait d'une préface pour l'exposition à la galerie Isy Brachot (Bruxelles) en février 1986.