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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 30-09-2009 à 14:41:46

Proust au château de Réveillon.

Marcel Proust y venait, du temps qu'il fréquentait le salon de Madeleine Lemaire et c'est dans les allées du parc qu'il découvre son amour pour Reynaldo Hahn. Il s'en souviendra quand il écrira Jean Santeuil (une première version de la Recherche du temps perdu). Souvenir si tenace qu'il créera un personnage qui porte le nom de Réveillon.
Un jour d'un printemps encore timide nous y allions Jean Pierre Biondi, A... et moi-même, se risquant dans un parc qui avait des allures de terrain vague avec le château en fond comme sur une scène de théâtre. Il était alors habité par un délicieux couple de vieillards qui faisant visiter les lieux, dans un état de délabrement inquiétant, annonçait un chantier de restauration qu'il ne mettra jamais en route. J'ai appris (par google) que la propriété a été reprise par un couple entreprenant qui a pu sauver la bâtisse alors voguant vers sa chute finale.
Pathétique était l'endroit, ouvert à tous les vents, et les boiseries de la chapelle de Versailles (qui se trouvaient là sans qu'on sache comment) exposées aux intempéries. J'ai encore le souvenir fixé comme une photographie de ce qui avait été (et devait redevenir) une bibliothèque. Le ciel et ses menaces faisant courir ses nuages et donnant une sorte de version tragique de la bibliothèque à ciel ouvert qui est le comble de la désolation.
C'était une sorte d'image frémissante de la menace qui pèse sur un projet qui fut grandiose et une mémoire qui allait disparaître si les mots d'un livre n'en garantissaient par la survivance.
Devenu un lieu de visite (avec ses horaires, ses tarifs et sans doute ses produits dérivés) il a chassé le souvenir de Proust.
Jeanine Huas dans son étude (fort séduisante) sur "Proust et les femmes" de relater ces heures si délicieuses pour l'écrivain.
"Hahn raconte qu'en 1894, venant d'arriver à Réveillon il se promenait dans le parc et discutait avec Marcel. Soudain ils passèrent devant une bordure de rosiers rouges du Bengale. Proust s'arrêta, considéra les fleurs et se mit à rêver. Au bout d'un moment il demanda de sa voix douce : Est-ce que ça ne vous fâcherait pas   que je reste un  peu en arrière ? Reynaldo reprit sa marche. Il revient mais Marcel ne l'entendit pas. Il repartit à nouveau. Proust sortit alors de sa médiation et le rejoignit en courant, les yeux brillants. Les jeunes gens continuèrent leur promenade comme s'il ne s'était rien passé. L'incident est repris dans Jean Santeuil. Jean admire des gueules-de-loup...."