posté le 26-10-2009 à 15:13:31
Les prisons de Piranèse, un décor pour Sade.
D'une Rome en déconfiture, ayant abandonné ses ruines antiques aux bergers qui y font paître leurs troupeaux, avec ses temples livrés aux intempéries et ses arcs de triomphe dépecés pour leur antiques que l'on retrouve chez les antiquaires, Piranèse a fait un monde-théâtre qui joue sur toute la gamme des sentiments, depuis le charme agreste d'une arcadie en décomposition, jusqu'à une force cachée dans la pierre qui affiche son orgueil conquérant, parle à la fois de victoire et de supplice. Une pierre mobilisée par la politique sociale, une soif de grandeur et de puissance qui s'accorde rarement avec le bonheur domestique.
Construire ne serait-il pas, dans ce contexte, l'exhibition de sa force et jamais la recherche de la sérénité. Une pierre au service du despotisme (un rêve que reprendra Hitler à travers les travaux gigantesques de son architecte Alfred Speer) et qui contient en elle-même un ferment de souffrance.
Jamais Piranèse n'a été plus inspiré que par les prisons. Il les conçoit majestueuses (magnifiques ?) et disproportionnées à leur fonction. Elles témoignent plus d'un rêve de domination que d'une vocation d'enfermement.
Curieusement, pour gommer la clarté que supposerait leur vaste développement, il embrouille les pistes, jetant des ponts, des passages, des montées abruptes, des descentes vertigineuses, lançant le visiteur, l'homme réduit à sa plus petite dimension possible (celle d'un insecte), dans un espace qui ne répond plus à ce pour quoi on l'invoquait mais une sorte de mise en vertige qui retrouve celui du mental. Ce sont des prisons rêvées. Par un concepteur fou. L'homme n'y a pas sa place. Que nié. D'ailleurs on rejoint là les rêves de château d'orgie que Sade avait inventé pour les 120 Journées de Sodome. Le corps n'y est point en repos. Il y est en danger.