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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 06-12-2009 à 12:02:19

Kafka, la nuit.

C'est une très vieille histoire, de celles qui façonnent une âme d'enfant, où le hasard joue souvent la part dominante. Il y avait,  dans la bibliothèque familiale (plutôt bien pourvue), sous une belle reliure de Mario Prassinos, un texte dont l'attrait (pour un esprit jeune) tenait dans le titre : "Le Château". De là à s'imaginer quelque flamboyante histoire de rapt, de combats, d'amour impossible, il n'en faut pas plus pour exciter un esprit encore vierge (et peut-être un peu naïf). D'autant que j'avais, dans le même temps, dévoré ces romans gothiques dont la littérature anglaise offre de si extraordinaires exemples. On les avait baptisé "romans terrifiants". L'étiquette valait tous les arguments. D'Ann Radcliffe à Monk Lewis tout y  était passé. D'autant que "Mathurin" (de Monk Lewis)  avait été traduit de l'anglais (au XIX° siècle) par une lointaine ancêtre et que je n'étais pas peu fière de sa prestation.
"Le Château" donc, entrouvert dans le silence de la nuit, et les étranges frissons qui passent sur toutes choses quand tout dort autour de soi et qu'on est comme un veilleur sur le bord d'un précipice. Grande est la surprise de s'engager dans un texte infiniment plus prenant que tous les romans évoqués et qu'on s'englue dans une pesanteur secouée par de brefs rires sardoniques (le fameux humour de Kafka). Bien sûr, la ville inaccessible et son château c'était Prague. Bien longtemps après je pouvais le vérifier, en des promenades nocturnes, sur les traces de Kafka, en compagnie de l'ami si délicat qu'était Jean Jacques Lerrant (un critique d'art lyonnais, fort réputé en sa profession). Tout y fut, de la maison familiale au château dans son impérieuse affirmation de pierre, comme une falaise sur la mer qui le défie. Et Kafka dans tout ça. Une lecture qui vous tire, vous retient, vous fascine jusque dans sa volontaire monotonie. Un océan où se noyer. La nuit était à Kafka.  Voyageurs égarés nous butions sur de ténébreux vigiles qui nous interdisaient l'accès au jardin d'Eden. Les tampons qui validaient nos visas avaient des allures de sceaux, baignés dans un sang fade. L'enfer était à la dimension des sordides bureaux où l'on nous consignait. Sortirons nous de ce cauchemar ?

 

Commentaires

LN-LA le 08-12-2009 à 11:37:01
Marcher sur les pas d'un auteur nous ouvre-t-il les portes de son univers ? Est-ce que cela nous donne des clefs ? La clef ?
saintsonge le 06-12-2009 à 12:16:16
Un auteur qui rejoignit mes douleurs d'enfance quand , plus tard, je dis : oui, comme kafka, j'irai seul, j'irai où?..

Mon "Château" (d'If ?) semble être en Ys (douarnenez où Perros vécut qui voyait en Kafka son auteur favori aussi, tout se recoupe donc..) L'Europe est Kafkaïenne : que veut-elle ?..