posté le 10-12-2009 à 11:11:40
Le passeport de Kafka.
Le passeport de Kafka.
Encore un souvenir lié à Kafka. Nous étions M.C. et moi, aux frontières de cet empire de l'ombre qu'était l'Europe de l'Est en ces années d'avant la chute du Mur.
L'approche prudente de cette zone qu'annonçaient maints panneaux écrits en plusieurs langues (dont le français) et précisant que l'on pénétrait dans une zone interdire. Nous bravions la consigne, un grand silence entourait une forêt sauvagement civilisée, avec des entailles brutales dans les futaies. A une distance raisonnable c'était le poste de douane. Barrière baissée, barbelé en buissons ardents et, bien planté sur ses bottes, un altier militaire que notre audace raidit dans une dignité de censeur. Nous n'avions ni titre, ni visa pour aller au delà. Et pourquoi faire, sinon jouer au touriste fouineur. L'attente fut longue avant que nos cartes d'identité nous fussent rendues et injonction, sans discussion, de faire marche arrière.
L'incident (qui, nous fut-il assuré après qu'on racontait l'histoire, pouvait nous entraîner dans une sale histoire comme d'être soupçonné d'espionnage) me ramenait à Kafka car, inconsciemment, c'est l'attrait de l'air qu'il avait respiré qui m'avait au fond incité à forcer le destin. En vain.
Pour autant que toute photographie d'un créateur prend l'aspect d'une icône, celle du passeport de Kafka avait une valeur symbolique qui ne m'avait pas échappée.
Victime d'un monde dominé par la loi des tampons, cachets et autres marques qui accompagnent l'établissement des frontières, des limites, des interdits qui limitent nos déplacements, nous enferment dans l'espace d'où nous voulions échapper.
L'enfer de la bureaucratie est la version moderne de celui promis à l'homme chassé du paradis ?