posté le 12-04-2010 à 09:47:21
Léautaud artisan de la solitude.
Il avait pratiqué la solitude, il voulait disparaître seul, dans la plus grande discrétion, mais il venait d'acquérir la célébrité, non qu'il l'ai recherchée. Elle est venue à lui, en raison des Entretiens (si savoureux) avec Robert Mallet. Un écrivain hors normes venait de mourir.
Jean Selz, lui aussi discret dans la vie, et auteur de quelques essais sur l'art assez raffinés, donne en un article des Lettres nouvelles, une analyse fort opportune sur le solitaire de Fontenay aux Roses. Il n'aurait été que l'auteur d'un assez savoureux ouvrage (Le petit ami) sorte de dérive piétonnière et mémorielle dans son enfance du côté de la rue des Martyrs, qu'on l'aurait aujourd'hui oublié s'il n'avait entrepris la rédaction d'un monumental Journal fourmillant de ragots, de considérations d'égotisme tempéré mais qui donne la juste mesure des problèmes d'un homme écrivant avec une oeuvre virtuelle. Véritable manuel de réflexion sur le paradoxe de l'écrivain.
On l'imagine dans sa solitude presque campagnarde, au milieu de ses chats, jouissant à écrire : "Le grincement de ma plume d'oie sur la papier ; un délice". Peut-il dire de même lorsqu'il fait l'amour avec la "panthère", cette maîtresse égoïste et exigeante qui empoisonne sa vie de petit commis aux écritures au Mercure de France où il entre en 1908.
"Il fait avoir vu au Mercure, dans cet ancien hôtel de Beaumarchais, rue de Condé, le petit bureau du premier étage où travaillait Léautaud, ses murs couleur de fourneau de pipe, ses tristes fichiers de bois noir, sa lumière de commissariat de police, pour s'étonner que, plutôt que d'y vivre, on ne préfère pas se jeter dans la Seine. " Mais, précise Jean Selz, "c'était une bonne place, c'est à dire obscure".
Comme d'autres (de ses contemporains) écrivaient dans leur bureau du ministère (comme J.K.Huysmans), lui écrivait à l'ombre d'une maison qui voyait défiler le tout Paris littéraire, dont il était comme une sorte de confesseur narquois et vaguement inquiétant. Au risque de se retrouver épinglé dans son Journal comme un papillon dont les ailes auraient perdues de leurs couleurs.
Moraliste à sa manière et terrible témoin de ses contemporains. Le Journal est une mine où s'entassent, se mêlent, se confondent, s'engluent, des figures d'une sorte d'enfer froid : celui des lettres.
Commentaires
Lire : rez-de-chaussée
Rassurez-vous, j'adore le côté "rustique" de votre blog, l'âge baroque et la musique de gambe qui s'en dégage... Je le précise en répons à votre généreux soutien de mon poème "verlainien" sans l'avoir fait exprès !.. Léau-temps, tôt, j'ai lu le journal (mon ex m'a tout pris ! Une tigresse à sa façon...) Un bon gros petit volume blanc cassé, si j'ai bonne mémoire, et, j'ai connu le rez-de-chaussé des Editions Mercure, le bureau des accueils tout au fond d'une pièce oblongue... En simple visiteur, vu, tous ces manuscrits entassés, en file indienne, sur un radiateur !!!.. Est-ce toujours Madame Gallimard qui en est responsable ?.. Sa solitude me fait penser à celle de Salinger !.. Qu'en dites-vous ?..