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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 03-05-2010 à 10:55:42

Artaud et les Cenci.

Dès le mois de février 1933 Artaud songe à donner une suite scénique à sa théorie du Théâtre de la Cruauté. Bernard Steele, l'associé de Robert Denoêl, tente de trouver des fonds, mais sans succès, ce qui amène Artaud à renoncer au projet. Il en parle à Anaïs Nin. En 1934 Gallimard envisage de publier "Le Théâtre et son double" (il ne le sera en fait qu'en 1938). Mais dès 1935 Artaud travaille sur une pièce inspirée à la fois de Shelley et de Stendhal. Le décorateur sera Balthus. Afin de trouver des subsides Artaud en fait une lecture chez son ami Jean Marie Conty. Il y a là des fidèles comme le couple Allendy, Denoël et Steele, et surtout Lady Iya Avdy fille du comte de Bradford qui s'intéresse à la pièce au point de s'y engager financièrement mais à la condition d'y avoir un rôle. Elle sera Béatrice. Cecile Denoël est également sollicitée, elle sera Lucretia. Artaud s'enthousiasme pour son rôle : "physiquement vous êtes le personnage, vous l'êtes aussi spirituellement". Et de préciser : "je ne veux plus d'acteurs, mais des êtres vivants. Si vous consentez à vivre c'est à dire à sortir la vie effervescente qui est en vous, vous jouerez ce rôle de manière grandiose". La première a lieu le 7 mai 1935 aux Folies Wagram, une salle convenant assez peu à ce spectacle, mais Artaud n'en trouve pas d'autres. La presse ne voit que Lady Iya Adby, moins pour vanter son talent que sa beauté. Qui est lumineuse. Pourtant on sent un mouvement d'hostilité que résume assez bien l'épouvantable compte rendu du critique de Comoedia (on a oublié son nom). Le ton est grinçant agressif, avec une pointe de calomnie. "Tout ce que Paris compte de snobs, de métèques, d'invertis, d'ennemis de notre clarté française, d'anarchistes de la pensée, de détraqués, de morphinomanes, cocaïnomanes, éthéromanes, faux esthètes, pseudo-nordiques, saphiques, décompositeurs de musique, Français d'importation, servants de petites chapelles et de formules obscures, écrivains de gauche et d'extrême gauche, cubistes, essayistes et autres navrants produits du gâchis international... se trouvait dans la salle" La pièce est un échec et cesse le 17 mai. Conscient de l'engagement qu'avait pris Cécile Denoël dans cette aventure Artraud lui écrit " ..seule, de toutes les actrices  des Cenci vous êtes demeurée sans dévier de la ligne de votre rôle, ne descendant pas un instant et à aucune des quinze représentations au dessous du diapason"
Les Cenci représente à la fois l'apogée et la fin de la carrière théâtrale d'Artaud. Durement éprouvé par cet échec il fait un pas fatal vers l'abus des drogues et bientôt les signes avant-coureurs de la folie se multiplient.

 

Commentaires

Saintsonge le 05-05-2010 à 07:29:21
Je constate que, même pour les plus illustres lettrés, être "durement éprouvé par (un) échec", on peut en perdre sa voix, donc sa confiance en soi, donc sa valeur, etc, en boule de neige... Plus la force que vous mettez dans un projet est somptueusement grande, plus dure sera la chute... J'eusse placé ce bel article le ..7 mai , justement, en Vendredi, jour de Vénus !..