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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 14-06-2010 à 22:26:46

Man Ray, un dessin sur la poussière.

Man Ray en passant considérable.
En culottes courtes Valentin H.. l'alla voir en son antre de la rue Férou. Une amitié a lié l'homme alors presque oublié de tous et un adolescent qui frémissait rien qu'à l'évocation du nom de Rimbaud. Dans l'atelier que le temps avait scellé dans la grisaille de la poussière, parfois une belle visiteuse s'aventurait.
Celle-ci avait ôté ses gants avec cette lenteur qui fait la femme exquise quand elle se penche sur elle-même, comme une fleur qui s'enivre de son  propre parfum.
Me venait à l'esprit l'image tout de fulgurance et de défi de Rita Hayworth jouant de ces gants qui gainent l'avant-bras comme une cuissarde le fait pour une jambe et lui confère une majesté équivoque et troublante.
Plus nue que nue, elle, s'avançait dans l'atelier encombré de choses qu'elle, bouscule parfois par maladresse, le plus souvent contourne avec des soins d'animal se frayant un passage dans un épais fourré, ou dans les abords touffus de roseaux plantés aux rivages d'eaux dormantes.
Man Ray, l'appareil photographique à la main, et déjà l'oeil dans l'objectif en pensée, la suivait de son gros oeil malicieux. Il l'avait convoquée. Ou plutôt, elle l'avait sollicité pour qu'il "tire son portrait". Elle avait énoncé de cette manière un peu vulgaire et un rien stupide son désir et Man Ray s'était dit que c'était bien dire, en fait, les choses. Car il savait être cruel autant que lascif. Celle-là, modèle d'occasion, venue des salons où l'on s'étouffe les jours de réception, avait plutôt flairé la bonne idée de se voir à travers le regard du fantasque américain dont tout Montparnasse se vantait de l'avoir accueilli dans ses méandres de soupers fins et d'Amer Picon dégustés à  la terrasse du Dôme ou du Sélect, et dans ce va-et-vient de vagues qui suit le rythme de la marée, poussant des femmes vers des divans et des peintres à leur chevalet dans cet échange fructueux du désir et du talent où l'art trouve son compte.
La voilà en pleine lumière, ou, plutôt, dans un rayon comme celui qui, dans une église, vient frôler la tête penchée d'une Vierge à l'enfant et a subitement saisi dans sa trajectoire la silhouette ambiguë de la femme qui, surprise, cligne des yeux, ce qui lui donne cet air égaré des oiseaux de nuit brusquement affrontés aux violences d'un phare d'automobile.
Man Ray a porté l'appareil à sa joue. Il dit qu'il le caresse tandis qu'il appuie sur le déclic. D'un seul coup, comme l'on tire, d'une baguette magique, l'ouverture d'une boîte à merveille. Un jour il commente  - Comme le chasseur appuie sur la gâchette pour tuer.
La séance est terminée. Un seul coup d'oeil aura suffit. On rebrousse chemin.
C'est alors que Man Ray remarque que, d'un doigt distrait, son modèle aura laissé une marque discrète sur "l'élevage de poussière" qu'il entretenait sur Le Grand Verre de Marcel Duchamp.
Loin de s'en affliger, il la regardait avec tendresse. C'était un dessin hasardeux, créé avec la douce mollesse d'un doigt étourdi. Man Ray en fait une photographie et décida qu'était là le vrai portrait de sa visiteuse. 


 

Commentaires

saintsonge le 15-06-2010 à 08:12:55
"La très chère était nue";....

elle n'avait gardé que ses gants sensuels, si nous avions à paraphraser qui vous savez !

Hayworth est de mes aimées, à tel point que j'en avais pensé placer quelques photos sur mon blog, ...