Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
posté le 15-06-2010 à 13:55:34
Dans les jardins du Prince Louis.
Ici l'eau se divise en de multiples canaux au parallélisme nonchalant, enfermant des carrés d'herbe sauvage où se posent, après de longs encerclements de leur vol planant, des oiseaux migrateurs.
En des temps de splendeur, on a voulu canaliser cette richesse aquatique, construit des murs avec leurs balustres ouvragées, esquissé des pontons, des perrons, des points de vue, des zones d'embarquement pour de coquines Cythères, l'usage du lieu se confondant avec un canotage pompeux et le goût des promenades en lourdes barques richement ornées où les dames posaient un pied effrayé de sa propre audace, avant de se caler, toutes crinolines étalées qui leur faisait des sortes de nids douillets où s'égaraient des mains finement baguées mais impertinentes, de galants à la charge de jouer les nautoniers.
Je parle là d'un temps où l'olifant, dont on entend en écho lointain le son doucement voilé, trace dans l'épaisseur des forêts environnantes, le chemin des cavaliers forçant cerf ou loup. On chassait la bête malfaisante, et les paysans s'assemblaient sur le chemin pour, d'un bâton énergique, fracasser le crâne de l'animal apeuré, se vengeant sans remords de la mort de brebis retrouvées éventrées dans les champs de pâquerettes. C'était au grand mécontentement des pages qui encadraient la marche galopée de leur maître furieux d'être privé du plaisir d'aller plonger un élégant poignard à manche d'argent, dans la gorge de l'animal vaincu. Bientôt, après le retour en fanfare, ce serait la rencontre tant attendue du chasseur fourbu, mais le pied léger, avec des belles qui portent, jusque dans leur démarche, le souvenir du bercement de la barque dont on les arrache dans une grande envolée de soie tissée de fils d'or.
Un souvenir donné : la fête s'est achevée dans un massacre, aurait dit l'histoire locale. Une bande de malfrats, rudement armés, surgissant, alors qu'on attaquait un menuet. Sur un trône dominant la salle toute en verdure au pied de son château, le seigneur sera le premier frappé. D'un coup bien ajusté sur la nuque. Il se sera affaissé d'un seul coup, comme l'arbre qu'on abat, sur le sol qu'ornaient de somptueux tapis. Ils furent gâchés quand le sang mousseux ira en rigoles redessiner les fleurs de fantaisies qui en faisaient l'ornement.
Le soir vient en douceur, fermant, dans une ombre tremblante, des pans entiers du jardin portant nom d'un prince d'antan dont on vantait le luxe et la frivolité, et qui fit ici séjour de tous les plaisirs au milieu de la misère du peuple fait de pêcheurs en eau douce et de bûcherons.
Rendu aujourd'hui au citoyen en ses ultimes beautés qui sont celles de la ruine quand elle entaille dans les murailles des brèches où dorment les oiseaux de nuit, et dépouille les pelouses de leur héros de marbre rendus aux frissons du lierre qui les enserre.
Une indication certifiée par la signature des élus locaux, précise la réglementation du jardin où il est seulement interdit de cueillir les fleurs plantées en terre-pleins encadrés de buis taillé au carré, et de circuler à bicyclette, mais on peut y promener son chien.
Nous nous y sommes risqués, après la longue coulée d'asphalte d'une voie de grande circulation, séduits par l'appel du nom du lieu et son encadrement de ruines qui, curieusement, conservent quelque chose de la grâce des ciselures médiévales annonçant la Renaissance. Des fleurs et des animaux taillés dans la pierre s'enrobent de mousse, et le ruissellement tranquille des eaux donne à l'endroit une atmosphère de bonheur nostalgique. On y vient comme dans un salon dépouillé de son luxe d'origine mais ayant conservé quelque chose de ce qui fit sa beauté.
J'allais, obtempérant à l'invitation d'aller dîner en quelque auberge de l'endroit, préalablement repérée en raison de ses tonnelles et ses jardinières encadrant une aire réservée au plaisir des clients quand, venait vers moi, sur le chemin gravillonné, une haute silhouette dont il me paru, quand je la croisais, que le haut manteau qui l'enveloppait la situait dans un autre temps.
J'ai toujours aimé le décalage des modes, regrettant que le style vestimentaire impose des règles propres à uniformiser l'aspect de ceux qui les suivaient. Repérant avec sympathie dans une foule celui ou celle qui y déroge. Imposant sa manière propre d'être. Et de se montrer.
C'était une femme dont on devinait à peine le visage tant était haut son col et la lumière déclinante effaçant l'éclat de ses traits. Je la voulais belle. Elle ne pouvait que l'être à en juger par sa démarche à la fois déterminée et légèrement hautaine.
Après qu'elle m'eut croisé, elle emprunta brusquement une allée transversale et alla s'appuyer avec une nonchalance étudiée sur un parapet contre lequel l'eau coulait avec un très doux bruit qui dénonçait l'idée qu'elle devait être claire, translucide et heureuse. Il en est des eaux comme des êtres. On en rencontre de toutes natures. Des sombres et tourmentées, des agiles et souriantes, des impétueuses et narquoises, des fines et caressantes.
Est-ce l'insolite de l'heure tardive ou cette manière de se pencher presque pour l'admirer, et semble-t-il tendre l'oreille à sa musicale allégresse, la femme mystérieuse semblait attendre.
Intrigué, je me suis arrêté. Ce fut, un court instant, deux silhouettes immobiles qui semblaient se surveiller, comme les personnages dans les coulisses du théâtre attendant leur tour d'entrer en scène.
Fallait-il qu'il y eut une pièce à jouer ?
Après avoir hésité je renonçais au rôle qui pouvait m'échoir n'ayant pas une vue suffisante de ce qu'il pouvait être.
Au sortir du jardin je croisais deux garnements suivant un chien à qui ils étaient sensés faire faire sa promenade hygiénique du soir. C'est ainsi qu'on qualifierait leur démarche à supposer qu'il y ait reconstitution de l'événement dans le regard scrupuleux, mais convenu qui est celui de la police lors d'une enquête.
Sans bien savoir ce qui pouvait susciter une telle décision, je rebroussais chemin et, de loin, suivais les promeneurs qui se déplaçaient avec vélocité et comme habitués des lieux.
Ils menèrent à travers les circuits quadrillés des allées, jouant avec le parcours géométrique des eaux, jusqu'à la femme toujours à sa place et comme une statue immobile et qui bientôt se confondait avec l'ombre qui l'enveloppait.
A cet instant j'entendis au loin, la sirène d'une ambulance qui devait s'engager dans les rues tortueuses du village. Les deux promeneurs encadraient la femme sans qu'elle manifeste le moindre signe de crainte ou de refus. Elle écartait son manteau. L'un après l'autre, il était facile de l'imaginer à leurs gestes, l'empoignaient avec toute la force saccageuse du désir et la laissèrent pantelante après un long orgasme qu'elle manifestait par un cri modulé comme celui d'une bête qu'on égorge. Puis les promeneurs s'enfoncèrent dans la nuit avant que j'eusse pu prendre une décision, et je fus bientôt bousculé par deux infirmiers dont la blouse blanche faisait dans l'ombre le dessin presque comique d'un sismographe affolé. Ils allaient vers la femme agrippée au muret et la trouvèrent pantelante, entre l'extase de la jouissance et les premiers spasmes de l'agonie. Outre le viol auquel il semblait qu'elle fut consentante, ses agresseurs avaient planté un couteau de cuisine en son flanc ensanglanté qui ruisselait sur la peau à nue sous le lourd manteau...
Je m'égare, c'était l'ombre portée d'une histoire que j'avais lue, relatant un incident survenu en l'endroit en l'an de grâce 1461, alors que Charles VII régnait sur une France en morceau.
En sortant du jardin j'ai vu qu'il y avait un hôtel arborant le nom du souverain comme une enseigne. J'y ai passé une nuit agitée. Il y avait un bal dans la salle commune. On me dit que c'était pour le mariage de la fille de la maison. Son promis était le jardinier du parc public que dominent, en silhouette agressive et zébrée comme par la chute de la foudre, les restes d'une tour médiévale que l'on peut visiter de 14h à 18h tous les jours, pour la modeste somme de 15 francs, gratuit pour les enfants.
Quand je disais que je pratiquais le tourisme culturel !
Commentaires
émerveillée, intriguée jusqu'au bout, m'identifiant naturellement à cette longue silhouette hasardeuse, nue et sanglante sous son manteau, soufflant douleur et plaisir en un même râle. Le temps ne passe pas, il ne fait que se déplacer
Eh bien, encore un sacré bug informatique, je ne découvre votre superbe long texte qu'en médiathèque de douarnenez... Une bien belle promenade...!