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Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 18-06-2010 à 11:12:35

Lecture intime.

Lecture intime.

Des habitudes prises pour rythmer l'évolution d'une amitié, la progression d'une reconnaissance mutuelle, d'une rencontre émerveillante, il y a celle de la lecture. A haute voix. Julien se souvient (il en a une reproduction) du tableau de Cézanne. Il est médiocre mais on sent, sous la pâte, le frémissement d'une impatience qui le touche. On y voit Paul Alexis faisant la lecture à Zola. Celui-ci est mollement assis sur un tas de coussins. Accoudé et pensif. Le cadre est sobre, sévère. On y partage une saine pauvreté. Mais le verbe a, un instant, occupé l'espace, empli la pièce de sa musique, les mots ont fait leur corbeille multicolore. Ce sont d'immenses bouquets suspendus au plafond tandis que la lumière du modeste logis s'épuise. Les amis communient dans cette fête verbale.
Et comment ne pas évoquer les séances amicales, plus goguenardes, plus rocailleuses, plus forcées dans le ton et le timbre, de Flaubert réunissant autour de lui, Maxime du Camp et le fidèle Bouilhet, pour lire la première version de "La Tentation de Saint Antoine". Echec. Les amis vont remettre l'auteur dans le droit chemin. Tristesse. La communion s'est brisée sur la critique. Il faut, d'un revers de la main, effacer une erreur, oser l'aventure sur un autre rythme, avec une autre ligne d'horizon.
Julien n'a, pour auditoire, que Charlotte. Mais il en apprécie la pensive attention, la tendre complicité quand tout est en place. La fête des mots les unit, ils se fondent, complices, dans la lente avancée de l'histoire que Julien invente pour lui plaire.
Il ne l'invente pas vraiment, il brode autour de l'histoire de Marat. Un choix moins futile ou gratuit qu'il peut y paraître. Il n'est pas historien, il n'apportera rien à ceux qui compulsent fiévreusement des archives. Il a choisi de vivre, pourtant, là où son héros a vécu. Là où il est mort. Se disant que des échos de cette mort subsistent, que l'air est saturé de l'Histoire qu'il enveloppe tendrement de ses effets, de ses nuances.
Le choix de Marat c'est celui d'une aventure immense et fracassante, portant un homme doté d'une âme hors mesure, depuis les solitudes d'une enfance bercée de romantisme, jusqu'aux clameurs monstrueuses de la Révolution. Il s'est brisé, pensait-il, dans l'action, dans le verbe qui la porte, la suscite, la justifie.
Manieur du verbe il est, telles les pythies des temples antiques, le souffleur du bruit et de la clameur, de la tempête qui passe sur la tête des hommes et les précipite vers la mort.
La vie de Julien allait être une lente agonie, et il ne le savait pas encore. Charlotte, telle la mère nourricière, la soeur complice, l'amante attendrie, allait l'aider à parfaire son destin. Elle ne le savait pas encore.

Extrait de Maratmort.

 

Commentaires

saintsonge le 19-06-2010 à 04:46:08
Il est tôt, lire : pour miel , bien sûr, tôt et j'écris dans le noir, à la lumière de l'ordi seul !!! Voyez que je suis un ours !!! Caverne de ma chambr'océan !!!
saintsonge le 19-06-2010 à 04:42:46
walser est des miens, vous le savez ; j'ai Vie de Poète idem, venez ici , nous serons deux ours, Littérature pour miem !.. Cocteau : "La France a toujours tué ses Poètes..." Nous sommes fix&s : - Venez chère Grande âme : vous voilà Rimbaud ! Ne boudez pas ce luxe de l'amitié réelle, nous serons deux à Kantiétiser ou Hegéliser ce monde si immonde, venez ; je me meurs seul aussi, je sature au Pays où la sardine

n'est plus reine, non plus ! Venez ! Deux ours unis valent plus que leurs forces isolées ! Venez, ou... j'arrive !
sorel le 18-06-2010 à 16:20:22
Je suis devenu un ours (genre Walser) et envisage même une fiction où l'auteur s'enferme avec son ordinateur dans un lieu secret et loin de tout pour décrire son expérience.
saintsonge le 18-06-2010 à 12:01:12
Je me souviens bien de cet épisode de déception de Flaubert , comme de la séance "lecture" de Boule de suif, qui remporta l'honneur (puis la gloire) de Maupassant, et, j'eusse aimé vous faire lecture de mes romans, non sans être alexis ni vous Zola, mais pour mieux concrétiser cette amitié qui ne nous est que virtuelle, comprenez-vous ?.. Et puis, nous résisterions ensemble (j'insiste, il est vrai, mais cette fois, c'est le bon jour !)... De plus, l'aval d'un pair , c'est ce dont j'espère depuis longtemps... Bon, ranger les soupirs !