VEF Blog

Titre du blog : lettres de la campagne
Auteur : sorel
Date de création : 17-05-2008
 
posté le 21-06-2010 à 15:01:16

Femme au piano.

Plus que tout autre, le XIX° siècle cultive les vertus bourgeoises. Elles décident de l'éducation des filles et de la formation de la future femme qui sera condamnée au foyer. Hors de celui-ci, il n'y a d'autre issue que la galanterie. D'où ce partage systématique entre courtisanes et femmes d'intérieur, accordées au rytme de la vie domestique sans pour autant y déchoir. Si, sous l'impulsion du naturalisme, on y dénonce la condition de la femme prisonnière d'un système qui l'écrase et la nie, elle règne aussi, mais dans une minorité, sur le foyer en lui apportant toute la grâce que l'on attend d'elle, qu'elle incarne par sa présence même.
L'Impressionnisme, ce baromètre de la vie sociale de l'époque, s'était volontiers attardé sur cette femme d'accompagnement et de délectation, de sérénité et d'équilibre qui est au coeur de la vie d'intérieure.
Au foyer, la femme règne au salon, à la table, dans les exercice paisibles de la vie sociale. Au piano, elle acquière un statut d'exception. Souvent elle est encore jeune, et "promise".
Toute jeune fille au piano semble destinée  à quelque avenir placé sous le signe du bonheur, où l'homme interviendra. Qui est le spectateur, le prétendant. Gants blancs et fleur à la boutonnière.
Renoir, le peintre de la séduction féminine, assemble autour du piano, dans la, douce complicité familiale, de jeunes femmes qui s'appliquent à déchiffrer la partition. Il suppose un climat de quiétude tranquille, de douceur partagée, d'un luxe aimablement bourgeois. S'il entre dans les rites d'une classe, s'il traduit la qualité d'une éducation, l'art du piano, et sa pratique, entrent aussi pour beaucoup dans l'art de la séduction qu'exerce une femme dans la qualité de ses rapports intimes avec les arts. Musicienne on lui prête une âme élevée et un coeur ardent. La séduction n'est pas sexualisée si elle est féminisée, à tel point qu'il se créé une musique tout exprès conçue pour les rapprochements studieux, les duos amoureux, les tendres rêveries sur le clavier.
Même le rugueux Van Gogh, débarquant comme un vagabond dans la famille du paisible docteur Gaschet, peint avec une tendresse patiente et presque appliquée la fille de la maison à son  piano, jouant une romance.
C'est à Marthe, tout récemment entrée dans sa vie que Maurice Denis dédie cet hommage de la femme au piano, offrant un portrait aussi attendri qu'apaisé, et
et sortant de la pratique audacieuse de son art pour se glisser dans une facture intimiste, moins énigmatique que réfléchie et imprégnée de cette conception idéaliste de l'amour. L'homme des images de piété sait trouver le ton pour donner une dimension sacrée à une scène domestique.
Le bourgeois provincial qu'est  Cézanne use de la même pudeur imprégnée de sentimentalité pour décrire la scène typée où s'inscrit tout le confort bourgeois et l'espèce de rigueur pincée qui l'accompagne.

Extrait de "Maurice Denis le peintre de l'âme" éditions ACR.