posté le 16-07-2009 à 11:18:22
Les gisants d'Olivier Brice.
Olivier Brice et le complexe de Pompéi.
Il avait
fait un départ fulgurant dans les années 75-80, les galeries se
disputaient son oeuvre et des publications nombreuses en révélaient les
facettes secrètes, les références. Cette obsession de la mort, cette
douceur des gisants, cette relecture des grands chefs d'oeuvre de la
sculpture antique. Un travail mené avec méticulosité qui aura été
brutalement interrompu par la mort de l'artiste. Bizarrement, on trouve
à peine ses traces sur google, ce répertoire de toute la création. On
vient pourtant d'ériger l'une de ses sculptures place du Caire à Paris.
Mais que sont devenues les innombrables sculptures qu'il avait conçues
à partir des moulages du Louvre ? Un silence inquiétant pour une oeuvre
qui méritait de survivre à son auteur. Mais les lois du marché de l'art
sont si cruelles que, sans galerie pour le soutenir, perpétuer sa
mémoire, l'artiste disparaît du paysage artistique. Il aura été à
l'origine d'un petit ouvrage "Le Complexe de Pompéi" (éditions Pierre
Horay) qui le situe dans le contexte de l'art d'aujourd'hui, entre
Arman et César.
posté le 16-07-2009 à 10:39:07
Le Latin mystique.
D'un livre mythique.
Certains livres sont précédés
d'une légende, attirent la convoitise des collectionneurs, inspirent
des amateurs, suscitent des vocations, et d'objet de culture deviennent
fétiche d'un étrange culte.
Ainsi en est-il du livre de Remy de
Gourmont : Le Latin mystique. Il eut, pour lecteur privilégié, Georges
Bataille, Blaise Cendrars, Henry Miller entre autres.
L'objet livre
se présente comme un volume de 400 pages, édité par le Mercure de
France en I892. Les catalogues de libraires qui le proposent évoquent
la série du "tirage de tête" (ces exemplaires tirés sur papier
différents et numérotés). Il y a 1 wathman, 1 hollande van Gelder, 1
vergé des Vosges, 7 japon pourpre cardinalice, 9 japon violet-évêque,
10 hollande, 190 papier teinté. J.K.Huysmans donne une préface et
Filiger une illustration pour la couverture.
Il y aura une nouvelle éditions chez Crès en 1913 avec un frontispice de Maurice Denis.
Dans
ses souvenirs Blaise Cendrars en parle avec une sorte de dévotion. Il
le découvre à la Bibliothèque Nationale. Il "prend rendez-vous" avec
lui et c'est le début d'une lecture magique. De ces lectures dont on
conserve la mémoire.
posté le 15-07-2009 à 16:03:08
Karskaya dans l'atelier.
Ida Karskaya.
C'était un
"tout petit bout de femme" au visage éclairé par un immense sourire et
la chevelure en désordre, qu'on aurait dit descendue d'une scène de ce
théâtre russe riche en personnages pathétiques et torturés. Des agrès
de gymnastique jetaient dans son vaste appartement-atelier de la rue
Saint Jacques une note insolite.
On avait évoqué le souvenir du
"Roman de la rose" qui fut écrit dans le voisinage Blaise Cendrars qui
passa par là le mentionne. Curieusement, c'est Francis Carco (plutôt
porté vers les artistes "montmartrois") qui, le premier, cautionne son
oeuvre par une préface. Les écrivains seront nombreux à lui faire
cortège. Venue du "réalisme" son oeuvre se développe dans l'absorption
d'éléments hétéroclites, de la matière brute. Elle se trouve ainsi à la
croisée de ceux qui récupèrent les déchets (les Nouveaux Réalistes") et
de la "matériologie" invoquée par Dubuffet. Ce qui l'entraîne vers des
recherches de plus en plus intimistes sous le titre générique du "gris
quotidien". Paulhan (entre autres) s'attache à son oeuvre ainsi que
Ponge. Comme tant d'autres artistes "singuliers" elle devient la proie
des artisans du mot.
posté le 15-07-2009 à 15:54:52
Giai Miniet
Giai-Miniet
Il ne
faut pas se fier à la bonhomie naturelle de Giai-Miniet, la barbe ne
fait pas le prophète mais elle signifie peut-être le rapin qui perdure
en dépit d'un nouveau type d'artiste plus proche du monde branché quand
lui, natif de Trappes (dans les Yvelines) et y vivant toujours,
travaille dans une relative discrétion. Plus attaché aux rapports avec
d'autres peintres qu'à l'éclat des modes. Il construit une oeuvre
serrée, dense, profonde, méditée avec des moyens techniques classiques,
une fréquentation assidue des poètes dont son travail illustre souvent
les propos.
Il miniaturise volontiers une réalité recréée, forte en
suggestions et porteuse des forces de l'imaginaire qui l'aura nourrie.
C'est une oeuvre murmurée, à découvrir dans les secret qu'elle
entretient et qui fait sa force et sa séduction. On peut trouver des
traces de son travail sur google.
posté le 15-07-2009 à 15:40:16
Pierre Bettencourt, l'homme de la presse à bras.
Pierre Bettencourt.
Retiré
(né en Normandie, mort en Bourgogne) il avait d'abord, sur une presse à
bras, édité les textes de ses amis : Henri Michaux (Je vous écrit d'un
pays lointain 1942, Arriver à se réveiller 1950), mais aussi des
recueils de Ponge, Artaud, Dubuffet, Béalu, Malcom de Chazal, Marcel
Jouhandeau, et toute une famille de poètes dont l'oeuvre participe du
même esprit. Ecrivant lui-même et créant d'étranges et agressifs
reliefs (à base de coquilles d'oeufs, d'objets au rebut).
C'est tout
un univers grimaçant, grinçant, chahutant, gouailleur et inquiétant.
Sortes de totems, de figures d'un culte inconnu et certainement
sulfureux.
Il est défini comme "poète, conteur et fabuliste" sa
démarche échappe à toute classification, à toute référence, à moins
qu'on ne suggère qu'il est une sorte d'Arcimboldo de la décharge. Il
invente une mythologie, il la créée
avec les résidus de sa poubelle.
posté le 15-07-2009 à 15:05:40
Braque l'oiseleur.
Parmi les thèmes qu'il a abordé, Braque sera particulièrement fidèle à
celui de l'oiseau. Monumental quand il orne les plafonds du Louvre,
ailes déployés en figure de victoire, en expression de joie, de
vitalité sereine. Il lui confère un pouvoir de suggestion qui se résume
à quelques lignes simples (
essentielles), la maîtrise totale de l'espace qu'il occupe, qu'il
justifie. Braque l'oiseleur n'a pas enfermé l'oiseau dans sa cage
(celle-là dont parlait Kafka) mais l'a délivré, comme un sublime
musicien de l'espace.
posté le 15-07-2009 à 14:46:13
Le clan des amis.
Il se créé une singulière chaîne de solidarité entre peintres et poètes
et une vision commune, une complicité. On aura trouvé Fautrier en
compagnie de Paulhan qui est son complice dans des beaux livres faits
en commun. On retrouvera Paulhan à propos de Braque, et dans la
compagnie de Ponge
CQFD
posté le 15-07-2009 à 14:39:04
Braque en majesté.
Braque en majesté.
Il
est souvent sous le feu croisé des mots que lui dédient Ponge et
Paulhan, mais d'autres aussi car il est de ces peintres qui inspirent
les poètes. On l'a souvent confronté à Picasso, parce que lui-même s'y
est essayé et s'est imposé comme lui en figure exemplaire de l'art de
son siècle. Picasso dans la remise en question permanente de son art,
Braque, héritier d'une tradition française plus attaché à parfaire son
art dans l'intériorisation, l'espace de la réflexion (plus que du rêve)
et une volonté d'artisan. Ce qui ne pouvait que plaire à Ponge et
Paulhan eux-mêmes "ouvriers" du verbe, plus attachés à la lenteur qu'à
l'éclat, pariant moins sur l'audace qu'un travail obstiné sur les
vertus du langage dont ils disposent. Ils ne sont pas les artisans
d'une révolte mais d'une réflexion sur l'héritage qu'ils assument.
posté le 15-07-2009 à 14:28:22
Paulhan en figure de sphinx.
Jean Paulhan en figure de sphinx.
Leurs deux
bureaux ( de notaire) se faisaient face au siège de la NRF chez
Gallimard, d'où l'on avait vue sur les jardins, avec, au fond, le
pavillon où Dubuffet avait exposé dans les années 45-5O.
Arland avec
un minuscule crayon notait des manuscrits et Paulhan, le torse
avantageux, le regard sombre, le timbre de voix étrangement aigrelet,
lançait des aphorismes, des mots qui seraient rapportés dans les salons
parisiens. Il impressionnait. Sa connaissance de la peinture (celle
d'Arland était tout aussi avertie) le portait vers des individualités
plutôt que des "écoles" et c'est ce que j'aimais en lui. En fait ce
sera le propre des écrivains qui s'attachent plus à des peintres qu'à
des principes, des théories et des mouvements.
On le voyait donner
des commentaires, tisser le trame des mots, en marge de Braque, de
Karskaya (on la retrouvera bientôt) de Janine Arland, de Dubuffet, de
Fautrier. Ce qui faisait une sorte de famille d'esprit. J'y faisais mes
classes il en restera quelque chose et la conviction qu'ils sont dans
le vrai. La peinture n'est pas un instrument du progrès mais
l'exploration d'un monde personnel. Vive l'individualité.
posté le 15-07-2009 à 14:12:26
Artaud sous le signe de Jarry.
Gaston-Louis Roux (qui n'est pas à sa place dans l'histoire de la peinture contemporaine et que les institutions négligent d'une manière scandaleuse) m'avait donné l'affiche qu'il avait conçue pour la théâtre Alfred Jarry qu'avait créé son ami Antonin Artaud. On retrouve sa reproduction dans l'ouvrage consacré à Artaud édité chez Veryrier.
Affiche d'une étonnante impétuosité, traduisant tout à la fois "l'esprit tragique" d'Artaud et la malice fanfaronne et bouffonne de Jarry pour l'aventure d'un théâtre qui fut brève et malheureuse. Le jeu d'Artaud y était singulièrement agressif et provocant et la maîtrise du verbe qui était à la base de ses théories n'y trouvant pas le débouché qu'il pouvait en attendre.
Gaston Louis Roux est alors au stade d'une profonde mutation de son style. Ce qui lui vaut d'être rejeté de sa galerie prestigieuse (Kahnweiler) et de connaître l'errance des peintres dépourvus de ces attaches matérielles qui leur permettent de trouver leur public.
On le voyait dans son atelier (et dans la nature qu'il scrutait avec l'oeil d'un entomologiste) retrouvant la fascination du réel non sans être passé par l'exemple de Giacometti, son ami alors.
posté le 11-07-2009 à 15:14:28
Vulliamy dans les marges.
L'homme des marges.
Alors
qu'il est le gendre de Paul Eluard, l'ami d'André Breton, Gérard
Vulliamy restera toujours en marge des événements qui jalonnent
l'histoire du surréalisme. Il n'en est d'ailleurs pas un des plus
strict représentant. Ni dans sa participation aux expositions, ni dans
son style qui se cherchera à travers plusieurs "écoles" et
s'épanouissant, au final, dans une sorte d'extase naturaliste bien
éloignée des préceptes édictés par les tenants de l'orthodoxie
surréaliste. Sa rencontre avec Francis Ponge se fait au nom de la
poésie. Il donne à l'un des livres majeurs de ce dernier une série de
burins. C'est "La crevette dans tous ses états". On est au lendemain de
l'occupation. Gérard Vulliamy a milité dans le cadre du groupe de "La
Main à Plume" et participé à une action de résistance en usant de ses
armes : la peinture. On le voit aussi bien aux marges de Cobra, dans
l'espace de l'abstraction géométrique ( groupe Cercle et Carré), de
fait toujours libre et indépendant. Ce qui ne pouvait que freiner sa
"carrière" mais le livrer à l'attention des poètes. Une autre
gloire
posté le 11-07-2009 à 14:48:39
Fanfare pour Hélion.
Ponge et le peinture
Fanfare pour Jean Hélion.
Titre
approprié quand le poète si proche des objets rend hommage au peintre
qui défiant la "logique" de l'Histoire de l'art et venant de
l'abstraction la plus radicale, s'attache à l'observation intense des
objets. Des fruits (comme Francis Ponge) dont il creuse la présence
anecdotique pour révéler leur vérité profonde. Travail mental avant
qu'il ne guide la main du peintre et lui donne l'assurance qui rend si
évidente une présence. L'aventure de Jean Hélion est exceptionnelle et
singulière quand on le voit militant pour l'abstraction la plus
radicale (groupe Cercle et Carré) revenir à la figuration la plus
"ordinaire". Volontairement, il a choisi des sujets de la plus grande
banalité, mais les traite d'une manière qui n'est qu'à lui. "Ecrivant",
sur la réalité, sa vision de la peinture. Comme Ponge il va vers le
banal, l'objet du commun. Il en sort chez l'un une sorte de
philosophie, chez l'autre un autre regard. A nous ouvrir les yeux sur
notre environnement.
posté le 11-07-2009 à 14:32:22
Fautrier l'enragé.
Fautrier l'enragé.
L'expression n'est pas de
Ponge mais de Paulhan et aurait pu très bien être trouvée par celui qui
considère le peintre comme le plus important de son siècle.
"Chacun
de ses tableaux s'ajoute à la réalité avec vivacité, résolution,
naturel" écrit il dans un de ces nombreux textes qu'il lui consacre. Il
est, avec Dubuffet, le chantre de la matière traitée pour elle-même, en
pâte ardente et puissante qui ne traduit pas la réalité mais en donne
une sorte d'équivalence. En toute logique, partant d'une réalité "drue"
(où l'on peut voir l'influence de Courbet), Fautrier passe à cette
"matériologie" qui ne cherche pas à plaire ni à conter le monde, mais
lui donne un écho retravaillé par la mémoire, la force intérieure qui
conduit le peintre à s'exprimer, en fait le justifie. Fautrier est bien
au coeur de cet acquit de la modernité (dénoncée par Baudelaire à
propos de Manet) où peindre c'est dire la profondeur du monde et non
son aspect et ses anecdotes.
posté le 11-07-2009 à 14:24:32
Fautrier vu par Ponge.
Fautrier bis.
L'approche
de la peinture ne se fait pas chez le poète selon les critères de
lisibilité immédiate et convenue qu'exige le journalisme mais par un
travail sur l'écriture même qui conjugue à la fois la raison d'être de
la peinture et celle de l'écrivain lui-même. D'où une difficulté,
parfois, de compréhension. Elle exige du lecteur qu'il fasse un effort
pour aborder dans le même temps l'esprit de l'un et de l'autre. C'est
dans la force de cette conjugaison que peut naître la révélation. On
reprochera à Apollinaire une critique un peu superficielle ( même si
elle est souvent prémonitoire et subtile). Il écrit dans le contexte du
journal. Francis Ponge écrit dans l'espace du livre qui est souvent
celui d'une rencontre avec l'artiste. Le lecteur en est exclu s'il n'a
pas les clefs.
Combien fine mais apparemment "difficile" une
notation comme celle ci : "Nous savons bien que le nu est aussi une
architecture, mais nous connaissons le moment où l'orgue intérieur
faisant tressaillir les piliers, et se bander les arcatures, les ogives
s'entrouvrent, par où s'écoule le flot nuptial".
posté le 10-07-2009 à 16:54:05
L'état des lieux de Dubuffet à Ponge.
15h03 - Le génie du lieu.
-
Général
Ponge en ses lieux.
Grande et la tentation d'emprunter le site : http///remue.net/IMG/jpg/RuelLH-DH.jpg.
Il
nous entraîne vers l'immeuble où Ponge écrivait ( et qui fut, avant
lui, le logis de Jean Dubuffet). Quand l'errance parisienne, renouant
avec la grande tradition des piétons observateurs (Restif de la
Bretonne par exemple), nous offre à site ouvert les lieux où souffle
l'esprit.
posté le 10-07-2009 à 16:46:30
Ponge un jour de pluie.
C'était un jour de pluie
(tenace et la rue de Vaugirard chuintait avec allégresse). Dans
l'encadrement de la porte il se tient, immobile comme dans une attente,
un étonnement. Je le reconnais. C'est Francis Ponge. Le Soleil dans la
tête est sur son chemin quand il rejoint son logis de la Montagne
Sainte Geneviève (un appartement trouvé grâce à son ami Jean Dubuffet
me semble-t-il). Il découvre avec une surprise agréable et un sourire
furtif, dans les rayonnages, quelques uns de ses livres en éditions
précieuses : "Le soleil placée en abîme", avec les belles illustrations
de Jacques Hérold, "Paroles à propos des nus de Fautrier" avec une
lithographie de Fautrier, et un ravissant petit volume tiré sur la
presse à bras de Pierre Bettencourt. Outre ses poèmes, dont j'aimais la
concision et la force de suggestion, Ponge m'attirait pour son intérêt
très vif pour la peinture : Braque, Karskaya, Vulliamy, Eugène de
Kermadec, Léonor Fini, Pierre Charbonnier, Olivier Debré, On allait
deviser d'art autant que de poésie. Cette jonction qui était au coeur
de notre raison d'avoir ouvert "boutique" sur une rue en pente et
chargée d'Histoire.
posté le 10-07-2009 à 16:37:17
Ponge et la peinture.
Ponge et la peinture 1.
Nombreux sont les poètes
qui se sont engagés pour la défense des peintres qu'ils estiment et
avec lesquels, souvent, ils sont amenés à travailler, leur confiant
l'illustration de leurs ouvrages. Francis Ponge est l'un des plus
entièrement engagé dans cette aventure qui solidifie des complicités.
De beaux ouvrages relevant de la bibliophilie concrétisent cette
attitude. Les mots et l'aventure plastique se donnent rendez vous dans
les pages d'un livre. Hautement significatifs sont les essais de Ponge
qui pratique tout à la fois le commentaire et le dialogue. On aura
ainsi le loisir de visiter les domaines de la création autour de
Braque, Dubuffet, Hérold, Fautrier, Charbonnier et d'autres encore. A
chacun sa victoire.
posté le 10-07-2009 à 16:30:04
Ponge et Dubuffet.
Ponge et le peinture.2.
Dubuffet est le plus
audacieux, le plus contesté et son aventure est la plus radicale de sa
génération. Abordant le portrait (Paul Léautaud, Jean Paulhan, Antonin
Artaud, André Dhotel, George Limbour, Henri Michaux, Henri Calet ou
Francis Ponge) il est dans la logique de sa démarche. Abordant la
matière à sa force première, sa "présence", à l'état brut. Il croise un
Ponge qui évoque la rage de l'expression. On est loin des usages du
"bon goût" qui accompagne l'exercice du portrait plutôt domestiqué par
les conventions sociales, et flatteur, sinon opportuniste. Bizarrement,
les modèles finissent par ressembler à leur portrait comme la peinture
de Dubuffet ressemble si bien à la prose rude, sans concession d'un
Ponge acharné à sortir l'objet de sa réalité. Un regard sans
complaisance mais dynamisé par une sorte d'insistance qui annonce les
plans fixes du Nouveau Roman.
posté le 10-07-2009 à 16:00:45
Michel Ragon sur les quais.
Pour parler de Michel Ragon il faudra partir des quais
de la Seine où il fut bouquiniste (voir robertgiraud.blog.le
monde.fr/.../robert-delpire/.
La vie des livres sur les quais a une
longue histoire, des personnages de légende. On les rencontrera comme
tous ceux qui errent dans un Paris insolite et prodigieux. Ragon, venu
de Vendée, (dont il se fera le chantre à travers une belle série de
livres qui sont aujourd'hui très connus), va aborder de front le roman
et la critique d'art. Chantre de la peinture abstraite qu'il connaît
mieux que personne, ami des principaux artistes qui, aujourd'hui, sont
des "classiques". On l'avait rencontré pour la première fois dans
l'arrière salle d'un café du Boul Mich où il fêtait la sortie d'un très
séduisant recueil intitulé Cosmopolites. J'en avais aimé le ton si
proche du plus grand Cendrars, un style éblouissant, enlevé, chatoyant
et profondément "humain". Il aura fait ses classes à l'Ecole de
Rochefort, dans le voisinage de René Guy Cadou, Michel Manoll, Jean
Bouhier. On le verra ensuite, devenu parisien, proche des piétons
flamboyants de la nuit, enfants de Pierre Mac Orlan, comme Jean-Paul
Clébert ou Robert Giraud. Que de monde à rencontrer encore !
posté le 10-07-2009 à 15:54:41
Jean Follain, piéton de Paris.
Jean
Follain en imposait. Une stature impérieuse (il était magistrat) un
verbe sonore et flamboyant. Le regard à la fois lourd et malicieux. Il
était un piéton impénitent de Paris. Non de ceux qui cherchent les
beaux morceaux de son histoire mais flânent pour observer l'instant.
Ces petits "riens" qui font le quotidien émerveillé (émerveillant). Un
Paris qui parfois fait penser à celui de Robert Doisneau mais où la
présence humaine n'est pas l'objet principal de son propos.
Il
serait plus attentif aux objets, au petit décalage qui rend l'instant
insolite, inimitable, unique et merveilleux. André Breton, si sensible
aux mystères de la rue, l'a apparemment négligé et pourtant c'est dans
cette approche du réel que l'insolite s'installe. Peut-être Breton
était-il plus attaché au "fantastique" et pétri d'ésotérisme. Ce qui
nest pas forcement la meilleure chose pour aborder la rue parisienne
même si elle est fortement connotée par des forces obscures ( surtout
autour de La Tour Saint Jacques à en croire les spécialistes, on les
consultera un jour, dont le pittoresque Serge Hutin !) Le charme de
Jean Follain c'est le naturel, un regard franc, direct, sensible sur la
vie qui se fait, se défait devant nous et l'émergence, dans le même
temps des forces de la mémoire.
Son livre sur Paris vient d'être réédité par Phébus.
posté le 10-07-2009 à 15:46:57
Gianni Bertini et la modernité.
Bertini, la force de la modernité.
On
croyait encore, dans les années 6O, aux forces de la modernité. Fasciné
que nous étions par les rythmes nerveux de la poésie de Blaise
Cendrars, celle d'Apollinaire empreinte de tendresse et de mélancolie ;
nous admirions la modernité clinquante de Fernand Léger, les
expériences audacieuses de la poésie depuis Ezra Pound jusqu'aux
recherches du son pur des lettristes ou d'un Henri Chopin. On était des
héritiers aveuglés par l'éclat d'une turbulence qui annonçait des
lendemains triomphants. Dans ce climat l'émergence de Gianni Bertini
fut célébré comme une aubaine. Il était inventif, remuant,
entreprenant, mobile à l'excès et très maître de la peinture si bien
qu'il pouvait en faire ce qu'il voulait, même la défier.
On aura
suivi avec une attention admirative cette oeuvre qui va traverser les
années 60-90 en se renouvelant sans cesse, en inventant de nouvelles
techniques, en abordant le mixage peinture et photographie ( un pas
important sur lequel il faudra revenir). L'oeuvre est forte, abondante,
jalonnée de nombreuses expérimentations dans le monde du livre ( sa
carrière d'illustrateur est considérable); bref on a pas fini de le
rencontrer sur cet écran.
posté le 10-07-2009 à 15:38:38
L'humour noir a son prix.
L'humour noir a son prix.
On
doit encore à André Breton la notion d'humour noir. "Une forme
particulière du comique, un mécanisme de défense, une composante
essentielle de la modernité."
C'est, en fait, une révolte supérieure de l'esprit.
Dans
un ouvrage essentiel Breton offre une anthologie de ceux qui peuvent
par leur oeuvre, leur comportement, leur prestige dans notre esprit,
revendiquer cette forme supérieur de sagesse. Un prix, se référant à
cet prestigieux rappel, a été créé en 1954 par le poète et journaliste
dijonnais Tristan Maya. Il se décompose en plusieurs références dont
justement celle à Xavier Forneret, dijonnais lui-même et qui tant dans
sa vie que son oeuvre en offre une parfaite illustration.
Parmi ceux
qui l'obtiennent au fil des années : René de Obaldia, Léo Malet,
Jacques Sternberg, André Ruellan, André Blavier, Marcel Bisiaux, Hugo
Claus eet Jean Pierre Verheggen.
posté le 10-07-2009 à 15:28:50
Forneret dans sa tour.
Avec son visage triste, ses yeux langoureux ( quel
romantique !) il est aussi un fieffé manipulateur de l'esprit. La
légende veux qu'il écrive la nuit, dans une tour meublée d'extravagante
manière, entouré de hiboux, et jouant du violon (Lautréamont, dans sa
chambre d'hôtel de la rue Montmartre jouait sur son piano des marches
militaires, ce qui avait pour effet d'irriter ses voisins...) et
portant des vêtements de nécrophage. On dirait aujourd'hui qu'il est
"gothic". Simple défense devant une difficulté à vivre. L'humour est
ainsi une manière de se couper d'une réalité que l'on ne peut
supporter. On peut lire ses aphorismes à petite dose, ce sont des
petits bijoux de l'esprit. Un esprit navré et sulfureux. On entretient
autour de lui une sorte de culte secret. C'est du ressort de ces
écrivains hors des normes que de susciter des admirations parfois
puériles mais sincères.
Eriic Losfeld, éditeurs de tant de trésors
de la littérature la plus clandestine, la plus rare, avait, dans les
années 5O, offert une magnifique anthologie de ses textes. Aujourd'hui
la littérature de Forneret suscite de nombreuses rééditions.
posté le 10-07-2009 à 12:41:22
Secrets de Cour.
Avec son bonnet de
dentelles, madame Campan, au "soir de sa vie", après avoir vécu les
fastes de la monarchie jusqu'à son déclin, incarne bien le type de
femme qui, au XIX° siècle, prépare la nouvelle condition de la femme en
s'appuyant sur l'éducation. Elle l'exerce d'abord à Saint Germain en
Laye puis à Ecouen et devient, grâce à la protection de Napoléon (qui
lui avait confié l'éducation des enfants de Joséphine de Beauharnais et
de ses deux soeurs Caroline et Pauline), la directrice de
l'établissement de la Légion d'Honneur (aujourd'hui à Saint Denis).
Entrée
comme simple lectrice des filles de Louis XV, elle accède au poste
envié de femme de chambre de Marie Antoinette et devient le témoin
privilégié de la vie de cette dernière, depuis les grâces du Petit
Trianon jusqu'aux tragédies de la Révolution.
Le livre de Inès
de Kertanguy, qui lui est consacré, a le mérite d'offrir des
renseignements nombreux sur la vie de cette bourgeoise côtoyant les
"grands" à Versailles ( mais n'est pas Saint Simon qui veut, et ses
mémoires sont plus proches de considérations mignardes que d'une
observations aiguë de la société de Cour) et créant, à la chute de la
monarchie, un type d'enseignement où elle se montre particulièrement
novatrice.
Inès de Kertanguy n'échappe pas à un sensiblerie un peu
naïve et son écriture est souvent relâchée, mais on apprend beaucoup de
choses à la lire.
posté le 10-07-2009 à 12:31:25
L'Affaire du Collier de la Reine.
On ne peut pas aborder la
vie intime de Marie Antoinette, comme le fait madame Campan, sans
aborder l'histoire du Collier de la Reine ( un fougueux roman
d'Alexandre Dumas en reconstitue le déroulement).
Un détour du
côté de cette bande d'aventuriers, dans le voisinage du benêt cardinal
de Rohan, du sulfureux Cagliostro, et de la ravageuse Jeanne de Valois
mariée à un La Motte, descendante (bâtarde) d'Henri II et le faisant
bien savoir, ne vivant que pour retrouver un mode de vie auquel elle
prétendait avoir droit du fait de ses origines. Une histoire de
faussaires, de voleurs et d'arnaqueurs. Elle va jeter la "première
pierre" de suspicion qui va perdre la monarchie. Pour les hiistoriens
les plus sérieux elle annonce la Révolution. Dans le rythme
haletant de cette histoire, l'avancée de la prostituée Oliva, dénichée
dans les bosquets du Palais Royal, et qui va être le personnage clef de
la nuit du Bosquet de Venus dans le parc de Versailles. Un histoire qui
fait le bonheur des chroniqueurs de la petite histoire et des
scénaristes de cinéma.
posté le 10-07-2009 à 12:13:56
Armel Guerne, le sphinx.
Dans
ce que j'avais appelé "le fauteuil d'Emannuelle" (voir l'hommage à
Andrré de Richaud dans la revue Europe n° de juin-juillet 2OO7), Armel
Guerne aimait bien se reposer. De longues heures de rêverie et
d'observation. Il suivait, d'un oeil faussement absent, les allées et
venues, les interventions des visiteurs, se réservant de commenter
ensuite et de donner des conseils que je respectais, lui ayant reconnu
un qualité exceptionnelle de compréhension des êtres (des plus modestes
en particulier). Il avait une opinion très tranchée sur le comportement
à tenir devant les mendiants (très nombreux) qui franchissaient le
seuil de la librairie pour obtenir quelques miettes de notre pauvreté
endémique les affaires n'étant pas bonne et la caisse souvent vide. Il
m'avait semblé que Guerne, amusé, avait choisi ce poste d'observation
tout en abordant (avec beaucoup de pudeur et de réserves) des propos
que nous avions à coeur de tenir en sa compagnie, appréciant tout
spécialement son oeuvre de poète. Sa connaissance prodigieuse des
langues me fascinait et il ne répugnait pas d'aborder le domaine des
science occultes que l'on cultivait autour de la revue La Tour Saint
Jacques. Elle apparaîtra un jour dans notre paysage.
se reporter à l'excellent blog des amis d'Armel Guerne -photo-.
posté le 10-07-2009 à 12:02:34
Paul Chaulot "trop humain"
Qu'est-ce qu'est un poète humain ? Jean Rousselot,
sagace commentateur, dit qu'il est "hanté par les misères, les
souffrances, les tortures qu'une minorité inflige à la majorité". Ses
poèmes "sont des lieux de communion". Pour être efficace une poésie
menée par cette ambition se doit d'être simple, avec un bagage verbal
clair, compréhensible et peu porté aux bizarreries ou aux fantaisies de
la recherche.
Elle est nue, c'est à dire sans recherche qui la
dépasse, elle s'attache à la réalité la plus banale, ce qui n'est pas
un mince pari ni une facilité tant le simplicité peut conduire à la
banalité. C'est donc grâce à la part d'âme qu'il y met qu'un poète
comme Paul Chaulot peut sortir du commun tout en l'exaltant, lui
donnant une portée exemplaire.
"J'écris sur les pavés pour dire
Aux enfants qu'ils auront à vivre
jusqu'au sang les mots de leurs fables.
J'écris à la pointe des crimes
que le soir glisse dans les mains
comme des médailles bénites".
posté le 10-07-2009 à 11:46:52
Théodore Koenig, la verve belge.
Théodore Koenig avait été, avec Joseph Noiret et Marcel
Havrenne, le fondateur de la revue Phantomas, l'un des fleurons de la
poésie belge qui s'est imposée entre l'héritage du surréalisme,
l'émergence de Cobra et l'avant garde italienne. D'ailleurs ici poésie
et peinture font "bon ménage". Théodore Koenig va créer une liaison
entre les belges et les italiens, Jean Raine (dont on parlera
longuement le moment venu), et quelqu'un comme Scanavino, directement
engagé dans une collaboration étroite avec les poètes de sa génération.
Théodore Koenig apportait avec lui cette truculence bruxelloise,
entre la fumée du tabac et le frissonnement de la bière, aimant traîner
dans les bistrots du "boul mich" sa verve largement partagée par
les poètes dont il aimait s'entourer.
On appréciait ses "Acrocités
antiques" ou son "Jardin Zoologique" poèmes calembours et salutaire
irrévérence comme un art de vivre.
posté le 10-07-2009 à 11:39:00
Jane Graverol, enfant de Magritte.
Deux
expositions de Jane Graverol, au Soleil dans la tête, affichaient la
reconnaissance d'une oeuvre qui s'est délibérément placée dans
l'héritage de Magritte, figure incontournable de l'art surréaliste
belge et fédérant autour de lui une poignée de peintres et de poètes
soucieux d'interroger le sens de la réalité, de creuser le mur des
apparences, affrontant moins la peinture comme exercice plastique que
"mise en image" d'une idée, d'une question, d'un mystère.
Jane
Graverol va connaître un certain renom au delà des frontières de son
pays et apporter une contribution nullement négligeable à l'édition de
poèmes dont elle aimait, un pinceau à la main, creuser le sens premier.
Débusquant l'insolite dans la réalité la plus banale. A voir d'un oeil
sans préjugé.
posté le 10-07-2009 à 11:28:02
La fougue de Jean Raine.
L'aventure
de Jean Raine traverse à la fois le surréalisme et le cinématographe.
Le Soleil dans la tête lui consacre une exposition en1972 (préface de
José Pierre et René Deroudille) qui marque un retour dans l'actualité
d'un artiste qui par la fougue même de sa nature s'inscrivait
difficilement dans les rites de la vie quotidienne. Peintre des forces
de l'instinct il pratique le "dripping" (inventé par André Masson,
systématisé par Pollock) qui libère la peinture de toute volonté
de représenter, exaltant le geste naturel, ouvrant de vastes espaces à
l'imaginaire. Il frôla le groupe Cobra, mais finalement oeuvre dans une
relative solitude. Son oeuvre est au coeur du problème, souvent évoqué
ici, des liens entre poésie et peinture. Le signe, le geste pictural ne
sont-ils pas des conséquences du mot, son échappée. On aura de
nombreuses relations de ce problème dans l'art contemporain où se
retrouvent aussi bien Mathieu que Henri Michaux, Novelli que Jan Voss.
On les rencontrera.
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