posté le 28-07-2009 à 12:06:34
De Montmartre au Quartier Latin.
De Montmartre au Quartier Latin.
De Montmartre au
Quartier Latin était l'itinéraire presqu'obligatoire de ceux qui, au
début du XX° siècle, aspiraient à la gloire. Picasso avait montré le
chemin. C'est que la Butte Montmartre avait déjà un riche passé.
Toulouse-Lautrec, côté bastringues, Renoir côté jardins avaient planté
leur chevalet parmi les moulins et Van Gogh y fait un séjour fulgurant.
On souffre et s'amuse entre Bateau lavoir ici pour la misère, Moulin
Rouge là pour les filles et la musique. En invité d'honneur le bon
douanier Rousseau y sort son violon pour faire danser la société
choisie que Picasso avait convié pour le fêter, de Marie Laurencin et
Apollinaire à André Salmon qui lui, montparno , faisait le lien entre
le passé et le futur. Toute cette joyeuse équipée va en effet quitter
la rive droite pour occuper la rive gauche, Montparnasse pour les
peintres, le Quartier Latin pour les écrivains. C'est l'histoire d'une
migration de l'esprit et de la fantaisie, avec ses cortèges de filles
ici modèles, là muses, et toujours dans l'esprit le plus inventif.
Bientôt la légende va s'emparer de cette histoire. Mais Roland Dorgelès
et Francis Carco sont des témoins de premier main, acteurs même de
cette histoire. Ils la content avec verve et un sentiment parfois de
mélancolie. La Butte Montmartre ce fut leur jeunesse, le Quartier Latin
l'entrée dans la vie publique, et même pour l'un comme pour l'autre la
reconnaissance de leur talent. Pourtant Carco aime encore évoquer des
souvenirs plus tendres où passe parmi tant d'autres ombres, celle de
Verlaine, le piéton d'un Paris de plaisir et de souffrance.
posté le 28-07-2009 à 10:52:03
Artaud raconte Le Moine.
Prudemment il est annoncé que le Moine (oeuvre légendaire de Monk Lewis dont la traduction avait été confiée à Antonin Artaud) est, de fait, "raconté".
Moins traduction selon les lois en usage que repris à son compte, et selon ses propres fantasmes, par un Artaud qui trouve là matière à donner libre cours à sa fougue verbale, son déchaînement imaginatif.
Un texte brûlant et confinant à la folie, qui témoigne bien de cette vague (typiquement anglaise) du "roman terrifiant" où se distingue aussi la romancière Anne Radcliffe.
Le texte, pour significatif qu'il soit, n'est pas essentiel pour la compréhension de la pensée d'Artaud, encore qu'il entre incidemment dans la constitution de sa légende accordée aux excès gestuels de ses théories scéniques (largement imitées depuis) et à ceux du verbe qui va chercher, au coeur des mots, dans la coulée furieuse des phrases, une sorte de vérité intérieure, physiquement vécue, propre à réveiller les instincts du corps écrasé par les conventions sociales, occulté par la civilisation occidentale que toute agression, surtout fantasmée, doit nous faire éprouver pour en retrouver l'énergie primitive.
posté le 28-07-2009 à 10:43:45
Martinique la charmeuse. (Breton-Masson).
Fuyant l'occupant Breton et André Masson voguent vers l'Amérique, terre d'exil lors de la dernière guerre. Ils font escale à la Martinique et découvrent un univers qui entre totalement dans leur vision de la réalité foisonnante, émerveillée, porteuse de riches échos mémoriels et sensuels. Par le dessin d'André Masson, plus que tout autre à la démesure de cette épopée lyrique de la nature, et un dialogue poétique avec André Breton, se conçoit, spontanément, un livre assez singulier, et pourtant dans la logique de deux complices qui trouvent un sujet, un climat, dans la pérennité de leur démarche, de leurs appels.
On a une sorte de poème repris, comme poussé par les lois du désir, scandé comme un chant rituel, le dessin foisonnant autour et entre les mots, retrouvant tout le lyrisme du douanier Rousseau ce grand rêveur de tropiques inventées.
Il est dédié au poète qui incarne le mieux cette fièvre exotique : Aimé Césaire. Il créera un relais martiniquais du surréalisme et de sa ferveur.
posté le 27-07-2009 à 11:12:53
Photo souvenir.
posté le 27-07-2009 à 11:09:16
Jacques Rigaut théorie du suicide.
Dandy oui, et le suicide pour destin. C'est l'histoire de Jacques
Rigaut, personnage emblématique de la mythologie surréaliste. Il a peu
écrit, mais intensément, dans l'absolue nécessité de "se dire" (mais
aussi de manifester une dose d'humour exemplaire). C'est toute la
question de l'écriture. Elle ne peut se résumer à se raconter quand
c'est dans la banalité de ce que vit toute personne qui n'a que son
destin en main et une mesure banale de la vie.
Elle
peut toutefois sortir celui qui la pratique de ses angoisses. Celui qui
écrit brise la glace qui l'enserre dit, quelque part Kafka, pour se
trouver. Il faut que l'écriture de l'intime soit aussi celle de
l'exceptionnel et d'une qualité qui est aussi celle de l'art. Une
écriture qui colle à la vie de celui qui en fait un usage comme s'il
s'agissait d'une arme. On le sait, l'écriture peut être une arme, elle
est aussi un destin.
Pour en savoir plus sur Rigaut, aller à
: rigaut.blogspot.com dont est extrait la photo montrant Rigaut
en compagnie de Tristan Tzara et André Breton.
posté le 27-07-2009 à 09:53:39
Vostell au coeur de la cité.
Vostell au coeur de la cité. Ajouter une photo / un podcast
C'est
par l'intermédiaire de François Dufrène que Wolf Vostell est venu rue
de Vaugirard avec un carton plein de "décollages" c'est à dire des
compositions basées sur des emprunts les plus divers (au mur, aux
magazines, des photographies arrachées, décomposées sous l'effet des
acides), bref toute une "cuisine" graphique qui n'était peut-être pas
totalement originale parce que la méthode était "dans l'air" :
palissades de Villéglé, Hains, photos projetées dans la peintre de
Bertini, tout un appareillage destiné à inclure la réalité dans la
peinture. mais Vostell y intégrait l'événement, sa violence.
On
était alors aux heures triomphantes du pop-art et dans le sillage de la
Figuration narrative (on en reparlera), un front commun contre
l'académisme de l'abstraction ou se qui passait pour tel. Mais Vostell
va s'emparer de la réalité dans ses formes les plus quotidiennes, dans
une appropriation immédiate de l'objet, sortant des limites de la
toile, abandonnant ce qui relevait encore de la peinture de chevalet,
pour aborder le domaine de l'installation. On y reviendra.
posté le 27-07-2009 à 09:39:33
Mandiargues et ses masques.
Mandiargues et ses masques.
C'était un personnage mystérieux et vaguement inquiétant.
Pour
Eric Losfeld qui préparait l'édition de son livre Astyanax, j'étais
allé chez lui, dans le Marais, dans ce bel et sombre appartement qui
voisinait celui de Léonor Fini ; d'ailleurs une toile de cette dernière
se devinait dans l'atmosphère veloutée et frileuse du bureau d'où
Mandiargues avait vue, directe, sur le charmant petit square du Musée
Carnavalet dédié à la mémoire de Julien Cain . Il était peuplé
d'animaux sculptés provenant des hauteurs de quelques églises
parisiennes en restauration ( à moins que ce fut la Tour Saint Jacques,
ce haut lieu de l'ésotérisme parisien). Mandiargues venait souvent au
Soleil dans la tête et écrira un poème-préface pour Unica Zurn quand
elle y fit son exposition. On y aimait ses livres et on les
recommandait volontiers pour lui trouver de nouveaux lecteurs. C'est
ainsi que se forment des familles autour d'écrivains. Une communauté et
une complicité enrichissantes.
posté le 26-07-2009 à 12:43:41
Nerval "timbré"
Nerval timbré.
Etre choisi pour orner un timbre a plus
de prix, et de signification qu'on le pense souvent. Une figure sur
timbre a une valeur d'icône. Elle a, de surcroît, l'avantage d'être le
véhicule des mots qu'elle marque de son empreinte. Aux chefs de guerre
et autres célébrités que retient l'Histoire, on peut préférer les
silhouettes des poètes, ces meneurs de mots, ces troubadours toujours
en voyage. Surtout Gérard de Nerval, un SDF hanté par les couleurs et
les brillances de l'Orient. Un courrier timbré Gérard de Nerval ne peut
être quelconque et surtout pas vulgaire. Il fait déjà rêver alors qu'on
a pas encore déchiré l'enveloppe qu'il orne. Il faut bien choisir les
timbres de nos envois postaux. Ils sont nos ambassadeurs, ils sont le
signe secret de nos alliances, de nos complicités, de nos songes.
posté le 26-07-2009 à 12:30:08
Nasser Assar et le nuagisme.
Allons dans les nuages.
A propos de Boudin qu'il voyait peindre sur les plages normandes Baudelaire saluait les merveilleux nuages.
Le
prenant aux mots, toute une génération de peintres, dans les années 60,
se livrent à une véritable investigation du ciel, ouvrant la toile aux
élans d'une main légère qui écrit les nuages, suggère la légèreté de
l'air et jusqu'à son parfum. Ce fut un formidable élan dont on suivait
de près les étapes à travers les oeuvres de visiteurs amis comme
Benrath, Duvillier, René Laubiès, Nasser Assar, Graziani, qui avaient,
pour défenseur auprès de l'opinion, le discret, subtil et énigmatique
Julien Alvard. Ca et là, à propos d'une exposition, autour de la revue
Sens Plastique qui prend leur défense et s'attache à leurs découvertes,
les peintres baptisés "nuagistes" vont influencer de plus jeunes
encore, des débutants, avec la perte inévitable en chemin de promesses
non tenues, de carrières brisées. Mais c'est une belle et tumultueuse
histoire. On en trouvera ici, des échos. Aujourd'hui tout cela est
passé dans l'Histoire, entre les mains des théoriciens. Pourquoi pas
?
posté le 26-07-2009 à 12:14:15
Marcel Béalu l'oeil de la nuit.
Marcel Béalu l'oeil de la nuit.
Avec
Béalu on aborde le domaine du fantastique. Sobre et angoissant, dans la
ligne du Kafka du Château avec Mémoires de l'ombre, dans la tradition
du genre, et voisin parfois d'André Pieyre de Mandiargues, avec
L'Araignée d'eau.
Un
registre large mais dominé par une relation étroite et savante avec la
peinture qu'il pratique d'ailleurs lui-même, avec, toutefois, une
modestie qui freine la reconnaissance de cet aspect curieux de sa
démarche. Moins peintre que dessinateur comme les poètes qui abordent
cette discipline, la peinture supposant l'affrontement de certains
problèmes techniques qui ne l'intéressent pas alors que le dessin se
prête bien à la liberté de la main, sa volubilité. Béalu développe des
retombées de corps qui s'enlacent, se cherchent, se chevauchent avec
une douceur sensuelle, une volupté distinguée.
Il
est lui-même, en libraire, fort attentif à la littérature érotique qui,
dans les années 50-60, tombait encore sous le coups de l'interdit qu'il
enfreignait avec une vigoureuse audace.
Le
voici au coeur d'un espace qui échappe aux modes, rassemble au delà des
siècles de multiples personnalités et des auteurs qui pour être du
second rayon sont aujourd'hui des classiques. Guillaume Apollinaire
n'est pas étranger à cette réhabilitation.
posté le 26-07-2009 à 11:55:05
La fête d'Avril.
La fête d'Avril.Il
a d'abord un nom qui porte à faire travailler l'imaginaire : Armand
Avril. On l'avait déniché chez un étonnant découvreur de talents
lyonnais, relieur, qui tenait boutique dans le vieux Lyon sous le sigle
Le Lutrin. Dans le désordre des livres, festoyait l'art à la fois
cocasse, narquois, insolite ( et insolent) d'un ancien maçon passé à la
peinture et qui s'était essayé à la peinture de chevalet à travers ce
qu'il voyait autour de lui, dont Fusaro, artiste lyonnais alors connu
(il l'est peut-être encore et son travail est de plus intéressants).
Mais Avril avait brûlé les étapes et s'était lancé dans l'art de la
récupération, de la remise en vie des déchets du quotidien. On est là
dans une des voies majeures de l'art contemporain, mais il sait lui
donner un sens nouveau, un esprit, une couleur qui ne sont qu'à lui.
Vieux bois, pinces à linge ( beaucoup de pinces à linges qui font des
silhouettes si drôles de petits personnages), bouchons (il devait
beaucoup boire ! ) et une passion pour les arts primitifs. Cela donne
quelque chose de nouveau, spirituel, parfois inquiétant, toujours
excitant, et dans le voisinage du grand et énigmatique Louis Pons. On
avait d'ailleurs, au début, pensé qu'il l'imitait, pour découvrir enfin
qu'il volait de ses propres ailes, jouait de ses propres mains qui
faisaient des miracles. Il est aujourd'hui assez répandu et bien
reconnu. Mais il s'est envolé depuis Le Soleil dans la tête dans les
années 7O.
posté le 26-07-2009 à 11:21:04
André Miguel le Solaire.
André Miguel
La
vie (et l'oeuvre) d'André Miguel est indissociable de celle de son
épouse (disparue) Cécile. Au dire de Jean Rousselot, cet unique et
précieux témoin de la vie poétique de l'après-guerre : "il pose
le poème sur l'orbite à la fois mystérieuse et familière de l'amour.
Oeuvre difficile, qu'il serait illusoire de vouloir expliquer au sens
étroit du terme, car elle ne s'explique pas elle-même, elle est un
perpétuel appel à l'étonnement, un désir fou de découverte".
De
lui on peut livre Onoo éditions Io, Toisons, chez Gallimard, Fables de
nuit, chez Oswald, Fleuve-Forêt, aux éditions Fagnes et Boule
Androgyne, éditions Saint Germain des Près qui aura en 1972 le prix
Antonin Artaud.
Comme Cécile il dessine et expose ses graphismes
souples et sensuels au Soleil dans la tête et orne la revue Sens
Plastique. Il a l'accent fraternel de ceux qui mettent la poésie au
coeur de leur vie.
posté le 26-07-2009 à 10:48:22
Robert Ganzo poète au Soleil.
Dans
ce souci de toujours aller vers l'esprit du lieu, d'en mieux connaître
l'essence profonde et par conséquent son histoire, doit-on rappeler que
le Soleil dans la tête fut, bien avant que Jean Jacques Pauvert en est
fait le centre névralgique de ses éditions "Palimugre", une bouquinerie
tenue par le poète Robert Ganzo, auteur de quelques rares mais superbes
livres dont Lespugue, Langage, Rivière, Domaine, Orénoque, illustrés
par quelques grands peintres comme Jacques Villon ou Fautrier.
Des
ouvrages de bibliophilie, support d'une langue qui cherche sa
perfection formelle en marge de tout effet de modernité.
Archéologue-amateur (il est l'auteur de plusieurs ouvrages d'ordre
historique) il cisèle le mot dans la tradition instaurée par Mallarmé
et Valéry.
"Tout commence ici. Pas de routes
Mais - tiré d'un os de quel mort ?-
un chant comme premier remords,
s'élève du fond de ces soutes."
posté le 26-07-2009 à 10:40:16
André Malartre et la revue I0
André
Malartre, habitant de Domfront (Orne) créé une revue de poésie sous le
sigle dédié à IO, fille du fleuve Inachos séduite par Jupiter qui, pour
tromper la terrible Junon, s'était transformé en nuée. S'en suit une
histoire compliquée comme l'aime la mythologie greco-latine qui fait
passer là les moeurs et les problèmes des hommes-terriens.
Io,
revue de poésie, aura une belle vie, placée sous le signe solaire donné
par des auteurs comme René Char, André Miguel, Edmond Humeau, Michel
Manoll, André Verdet, Gaston Puel, Jean Breton, Claude Roy, Jean
Rousselot, Frédérick Tristan.
De
la rue de Vaugirard, comme au sommet d'un phare dominant la mer, on
pouvait imaginer Domfront, citée médiévale qu'ornent plusieurs
monuments qui font le charme des villages appuyés sur leur riche passé.
La poésie germe aussi à l'ombre des vieilles pierres.
posté le 24-07-2009 à 21:50:43
Gengenbach, une imposture ?
Le Surréalisme, mais surtout Breton, était friand des cas sociaux, de ceux qui refusaient de suivre des traces préparées pour eux, ou conformes aux usages. Ernest de Gengenbach répondait au mieux à ces exigences intellectuelles. Car rien, dans sa démarche, ne pouvait apporter au surréalisme qu'une poignée de soufre, un zeste de cette fantaisie de potache attardé, quand sa vie n'est qu'une longue suite de provocations gratuites, d'aménagement avec les modes, et un à-propos qu'autour d'André Breton on ne se privait pas de dénoncer.
"L'expérience démoniaque" se résume à un rapport sulfureux avec la religion. Sorti du séminaire (par la porte des cuisines) Gengenbach va jouer de cette situation pour exhiber les attributs du prêtre sans en assumer les fonctions.
Se montrer aux terrasses des café de Montparnasse en soutane et galante compagnie consisterait-il ce pur geste surréaliste préconisé par Breton ?
Gengengbach exploite littérairement ses déboires, ses foucades et ses frasques. Sa reconnaissance par Breton repose, tout au plus, sur une équivoque.
posté le 24-07-2009 à 14:12:03
Du côté de chez Proust.
Paris au plus près, au ras des talus (Jacques Réda) dans le sillage des virées nocturnes avec Brassai (Léon Paul Fargue), nous est familier jusqu'à l'usage des mots qui sont ceux de l'émotion immédiate, du pittoresque quotidien (vu aussi par Doisneau). Avec André de Fouquières et Maurice de Waleffe, on pénètre dans les salons. Ce serait l'univers de Proust au stade de la simple énumération des noms, des lignages, des relations plus ou moins brillantes qui donnent du poids à un carnet d'adresses. Point d'émotion mais un état des lieux qui vaut pour ce qu'il permet de situer dans le Paris que nous sillonnons pour notre plaisir, de repérer des présences au passé. C'est un défilé d'ombres (femmes vêtues par Worth et hommes sortis des romans de Maupassant ou de Paul Bourget).
Paris était une fête nous est-il assuré. L'était-il pour une société qui avait ses rites, ses préjugés, ses grandeurs et ses faiblesses avec quoi l'on fait une civilisation, dont celle d'une classe qui a sa culture, ses pouvoirs et ses fatuités.
Pour un lecteur d'aujourd'hui, c'est un peu au niveau des rubriques mondaines de Stephane Bern dans le "Figaro madame". Un rien suranné. D'où un certain charme.
posté le 24-07-2009 à 12:44:45
Lautréamont ou Nadja
C'est un itinéraire quotidien, rituel, depuis les grands boulevards jusqu'au faubourg Montmartre. On bute alors sur l'immeuble dont le rez- de- chaussée est occupé par la maison Fichet (coffre-fort, porte blindée, sécurité garantie). Ce fut l'une des adresses de Lautréamont lors de son cours séjour parisien. Avant d'aller au 7 du même faubourg, (restaurant Chartier). Il y est mort. Quasiment seul, et enterré presque clandestinement.
La suite des passages peut enchanter le regard du curieux, ils sont aussi la caverne aux trésors des chineurs (de bons libraires, dont le délicieux "Farfouille" qui vend des livres sur l'extérieur à des prix raisonnables).
Lautréamont dans cet univers ! L'amateur d'étrangeté devait y trouver pâture à bien des délires oniriques. Point de bête fabuleuses cependant. Il aura ses premiers textes imprimés "à compte d'auteur" présentés là parmi des occasions (déjà) et dans le tohu-bohu des promeneurs. Il y a beaucoup de solitaires. On pourrait imaginer que c'est une promenade d'amoureux. On y voit surtout des touristes, et, sans doute des riverains qui viennent là prendre l'air et furtivement se griser de rencontres impossibles. Curieux que Nadja n'ait pas été roder là quand elle prenait le bras d'André Breton, sillonnant le quartier. Y fut-elle, anonyme ?
posté le 22-07-2009 à 16:37:08
Rimbaud, le passant considérable.
Comment ne pas parler de Rimbaud ? D'ailleurs s'il hante
tous les lieux voués à la poésie il est aussi passé par ici. C'est "le
passant considérable" évoqué par André Breton. Il m'en avait parlé
lui-même lors d'une visite au Soleil dans la tête.
-Savez vous disait-il que Rimbaud est venu ici, entre deux frasques.
D'ailleurs
tout le quartier est marqué par son souvenir et celui, plus pathétique,
de son amant Verlaine. Ce dernier avait fait un séjour dans un hôtel
qui est quasi voisin du 1O de la rue de Vaugirard. Au temps de sa
terrible chute aux enfers. Mais Rimbaud vint ici dans la triomphe de sa
jeunesse insolente.
Allez vers celui qui a entrepris de reprendre tous ses manuscrits. C'est une aventure étonnante et fort séduisante.
posté le 22-07-2009 à 14:42:15
Jean Bouhier maître d'école.
Le maître d'école.
Ce
sont les événements qui décident de l'orientation de la poésie durant
l'occupation. Les surréalistes tentent la résistance "de l'intérieur"
et sont fixés à Paris autour de "La Main à Plume" de Noél Arnaud
; en province, et surtout à Nantes, c'est autour de Jean Bouhier
que vont se rassembler les poètes qui refusent à la fois la
collaboration et l'allégeance à Vichy.
Jean
Bouhier a une formation de pharmacien et tient officine à Rochefort sur
Loire d'où le nom donné depuis à ce regroupement de poètes où se
distingue bientôt René Guy Cadou.
Il
y a là, Michel Manoll, Luc Bérimont, Marcel Béalu, Jean Rousselot,
Yanette Deletéang-Tardiff, Gabriel Audisio. La publication des "Cahiers
de Rochefort" va drainer toute une génération de Guillevic à Jean
Follain et Maurice Fombeure . Son oeuvre personnelle (Vis, Dompter le
fleuve, Toiles de fond, De mille endroits), est marquée par un sens
profond de la dimension humaine. Ce sont des vers amples et bien
rythmés, sans coquetterie de style avec une pointe de gravité, une
volonté de convaincre et donner un sens à la vie. On parlera à son
propos d'une mystique de l'unité, il faut comprendre : "de l'amitié".
posté le 22-07-2009 à 14:15:56
Jean l'Anselme aux pieds du mur.
Jean l'Anselme.
Souvent
il sera question de ce ludion de la poésie, entre la gaucherie calculée
de Jean Dubuffet et la verdeur populaire de Gaston Chaissac. Il
publiait des poèmes aux accents populistes, côté frites et accordéon.
Mais au delà de la verve malicieuse il y avait un véritable souci de
donner le ton d'une réalité encore marquée par la magie de l'enfance.
Il dessinait autant qu'il écrivait, en se souvenant de la magie des
graffitis et de la poésie des murs. Les murs parlent et donnent à voir
toute la malice et la souffrance du monde. Lui transporte dans les mots
et dans le silence du livre ce poids et cette ardeur de la condition
humaine. De la philosophie sans en avoir l'air
posté le 22-07-2009 à 12:58:40
Michel Tyszblat, l'enfant de la ville.
Michel Tyszblat le poème de la ville.
Plus enfant
de Fernand Léger que de Bazaine et chantre des villes objet de son
attention, non comme facteur de pittoresque mais comme synthèse de la
condition de l'homme aujourd'hui. S'il a interrogé, comme tous les
peintres de sa génération, ses aînés immédiats, il s'est forgé son
propre langage au prix d'un énorme travail d'introspection, de retour
sur soi. Ce qui n'est pas en contradiction avec le regard qu'il porte
sur la réalité contemporaine. Il dépasse (outrepasse) la dilemme
figuration abstraction, cherchant une synthèse qui est spécialement
plus littéraire que plastique, plus pensée que la simple organisation
de formes quand on s'est libéré de souci de représenter le visible. Il
charge la forme d'une formidable tension et de présence des choses de
notre environnement, sans tomber dans l'énumération, ni le simple
constat, mais en fusionnant choses et forces qui les animent. Ce qui
donne à sa peinture ce délié ample, cette diversité formelle et un
effet de choc où se croisent plaisir de voir et inquiétude de
comprendre. En dépit d'une palette allègre, il porte toute la pesanteur
du monde ( qui parle du "poids du monde" ?) et sa connaissance profonde
du jazz (la musique de la modernité urbaine) qu'il pratique (c'est son
"violon d'Ingres"), lui permet de relever le défi. On évoquait Fernand
Léger, c'était la modernité vue au début du siècle (une pesanteur
démonstrative), Tyszblat évoque la modernité en crise.
posté le 21-07-2009 à 15:06:12
Robert Sabatier, maître es-poésie.
Robert Sabatier, maître es-poésie.
Romancier
célèbre et populaire, Robert Sabatier n'est pas que cela. On lui doit
une suite impressionnante de romans savoureux inspirés par son enfance
montmartoise, mais son attention s'est aussi portée sur la poésie d'où
l'énorme étude qu'il a conduit, portant sur la poésie française depuis
ses origines jusqu'aujourd'hui (9 volumes) qui sont la contribution la
plus exhaustive aujourd'hui sur le sujet.
C'est Michel Ragon qui
nous l'avait fait connaître en l'entraînant au "Soleil dans la tête"
(n'a-t-il pas justement rassemblé ses poèmes sous le titre "Les fêtes
solaires" ?). Il y a une certaine complicité entre les deux hommes. Un
goût partagé pour "les gens de peu" comme disait Pierre Sansot
(l'éminent sociologue), ceux qui ne sont pas aux postes de décision et
que l'on n'écoute guère. Non qu'il fasse de la littérature populiste
mais largement inspirée par une masse humaine traversée par des cas
personnels, des drames de famille, des émois d'enfant, toute la gamme
sensible qui façonne un homme et lui donne sa véritable dimension. D'où
l'intérêt de cette oeuvre romanesque qui tourne le dos aux recherches
expérimentales de la littérature, et perpétue des traditions
nécessaires pour maintenir l'intérêt d'un large lectorat.
posté le 21-07-2009 à 14:46:37
Les lettres de Rodes d'Antonin Artaud.
Les lettres de Rodez.
Henri
Parisot, directeur littéraire chez Flammarion (un voisin), venait
longuement, au Soleil dans la tête, parler avec douceur et un rien de
moqueur (dans le regard) des poètes qu'il aimait (c'est le grand
spécialiste de Lewis Caroll).
Il était le destinataire des
fameuses "Lettres de Rodez" qu'avait publié GLM et je ne pouvais
m'empêcher, alors qu'il m'en parlait, de me propulser mentalement dans
cette grise mais prenante ville dont j'imaginais le poids qu'elle
pouvait exercer sur Artaud, prisonnier alors de sa folie et errant dans
la ville, cahier dans le poche et crayon pour y noter, comme il le
faisait continûment, un bout de poème, une pensée, le plus souvent un
cri.
Regardons l'édition de ce modeste livre tiré avec tout le
soin et la ferveur que Guy Lewis Mano mettait à l'édition de ses
ouvragres.
Singulier qu'une telle angoisse, une telle fureur, une
telle souffrance tiennent en un si modeste volume qui a, de surcroît,
l'audace d'être élégant.
posté le 21-07-2009 à 12:32:22
Katherine Mansfield intime.
Les voici, cote à cote, dans un intérieur sobre et d'intellectuels assagis, un rien bourgeois (ils le sont malgré eux) et pourtant, derrière cette dignité distinguée c'est le drame de l'amour qui s'agite. Il est au coeur de l'oeuvre de Katherine Mansfield, il est analysé par Middleton Murry dont les souvenirs sur Katherine Mansfield épousent avec ferveur les divagations d'un coeur errant . L'amour serait il le seul argument pour lire Katherine Mansfield ce serait diminuer son talent, voire son génie propre. Qui s'appuie sur l'expression des sentiments pour développer les forces d'une sensibilité apte à capter tous les indices de la vie frémissante qui s'accorde aux oscillations de l'humeur, tantôt chagrine, tantôt juvénilement enthousiaste. Qu'il est difficile de vivre au quotidien cette intensité, cette force d'adhésion avec sa sensibilité, et de s'y voir condamné à la solitude. On vivra les signes extérieurs de l'amour, on demeurera lové dans les plis secrets de ses angoisses. Le texte de Middleton Murry vaut pas l'intimisme qu'il exprime, et sans doute, l'espèce de fascination qu'exerce Katherine en dépit de ses caprices, de ses exigences, de son mal à vivre.
Une confidence enfin. La vie et l'oeuvre de Katherine Mansfield font parti de ma propre existence depuis l'enfance. Ses livres figuraient dans la bibliothéque familiale il est vrai marquée par la mode de la littérature anglo-saxonne qui flambait dans les années 30 où l'on célébrait Aldous Huxley, D.H.Lawrence, Charles Morgan. Comment ne pas avoir été imbibé de cette culture qui amenait dans le ciel français les brumes de Londres, et celles du coeur.
posté le 21-07-2009 à 11:47:20
Staudacher la fougue du dessin.
Staudacher, la fougue du dessin.
Il venait de
Vienne (Autriche) le pays de la Secession de Sigmund Freud et de
Strauss. Il portait en lui une énergie qui se déployait par une
constante prise de position de l'espace du papier qu'il avait toujours,
vierge, à ses côtés.Un dessin proche de l'écriture et qui avait sa
force, son énergie et ses frémissements. Bien sûr on pensait à
l'américain Pollock bien que ce ne soit pas lui qui ait inventé le
"dripping", cette façon de peindre en se plaçant au dessus de la toile
et en dansant autour d'elle, un pinceau chargé de couleur à la main.
Avant guerre, dans les années 3O, le peintre français André Masson
avait déjà pratiqué cette forme d'écriture en projetant du sable sur
une toile enduite de couleurs. Il mettait ainsi toute la plage sur la
surface peinte. Staudacher enfant de l'un et de l'autre, jouait aussi
la frénésie, la jubilation graphique.
posté le 20-07-2009 à 16:03:17
A la gloire du bouquiniste.
18h41 - A la gloire du bouquiniste.
-
Général
Sur le librairie, limité à l'exploitation des "nouveautés", le
bouquiniste a l'avantage d'avoir des rapports plus intenses, plus
aventureux ( hasardeux mais féconds pour des "découvertes") avec le
livre. De surcroît il a des rapports plus intimes avec lui. Parce qu'il
est ancien, parfois en mauvais état, il doit le restaurer, le couvrir,
avoir à son égard des liens de sollicitudes que le libraire ne peut
réserver en raison d' un passage rapide des livres qu'il diffuse. Le
bouquiniste est un lecteur toujours à l'affût de l'inconnu, il est en
mesure de dénicher des "trésors" dans la circulation des livres qui se
fait par à-coups, hasard. Il a quelque chose du chasseur. Il faut le
voir, ayant acquit une bibliothèque, extraire des cartons des livres
dont parfois il ignore tout et qu'il "découvre". Il y a de l'expert en
lui. Il a, forcément, de la littérature une connaissance plus large.
Souvent il est autodidacte, d'où sa soif inextinguible de connaissance
et son absence de tout préjugé.
Large
et pittoresque la gamme des bouquinistes, depuis celui qui n'est pas
éloigné du chiffonnier, jusqu'à celui qui a gagné une sorte
d'aristocratie du livre, traitant les ouvrages dans la rareté, la
valeur historique, bibliophilique et même affective : rôle de la
dédicace, du propriétaire d'origine donnant au volume un prix
sentimental.
L'édition de catalogue mettant la pointe finale à cet
art d'une suprême élégance qui confère, à chaque livre négocié, le prix
d'une véritable histoire, dont chaque livre est le porteur.
posté le 20-07-2009 à 15:56:43
Ubu avec le temps (reprise d'un vieil article paru sur Orange)
De retour de Laval, où il avait été chercher le soutien
de sa soeur, Alfred Jarry revient à Paris le 7 octobre (nous sommes en
1907). Il s'installe dans sa "chasublerie" du 7 de la rue
Casette. Il ne sort plus de sa chambre (un hibou empaillé veille la
couche) il agonise, épuisé d'alcool. Alfred Valette, son éditeur au
Mercure de France et le docteur Saltas, avec lequel il avait entrepris
la rédaction de "La papesse Jeanne" (un personnage sur lequel il faudra
revenir) doivent faire défoncer la porte pour le recueillir, à demi
mort. On le transporte à l'hôpital de la Charité. Ce sont ses derniers
jours.
On peut déplorer que les instances culturelles n'aient pas
cru opportun de célébrer le souvenir de cet instant qui marque la fin
d'une vie mémorable et d'honorer aussi, comme c'est l'usage pour un
centenaire, la carrière d'un de nos écrivains les plus singuliers et
sans doute un de ceux qui a le plus catégoriquement annoncé l'émergence
de la littérature moderne.
Souvenons-nous d'Ubu, pierre angulaire de cette oeuvre à nulle autre semblable.
posté le 20-07-2009 à 15:49:59
Nora Mitrani impudique et secrète.
Nora Mitrani.
Un
mystère l'entoure, une légende s'est forgée autour d'elle,
assimilant secret, beauté, érotisme et cette fulgurance dans l'énoncé
d'une morale hors des normes ou associable. Elle fait partie de cette
cohorte de femmes d'exception dont s'est nourri le surréalisme et qu'il
a transformé en muses, en figures d'icônes.
A côté de Nadja, Gala,
Meret Oppenheim, Claude Cahun, Gisèle Prassinos, Unica Zurn.
D'ailleurs, comme cette dernière, Nora Mitrani fut la compagne de Hans
Bellmer, figure marginale de l'art contemporain et sulfureuse qui a
entretenu autour de son oeuvre une réputation de scandale. Bellmer (on
y viendra) qui, tout comme Nora Mitrani (et Unica Zurn), avait une
passion pour les anagrammes et autres jeux de mots, sachant bien qu'en
eux se cache tous les mystères du monde.
On ne peut passer sous les
fenêtres de cet bel immeuble faisant le coin de la rue de Vaugirard et
de la rue Saint Sulpice, sans songer à cette belle femme égérie de tant
d'écrivains, dont Julien Gracq. L'été, par une fenêtre ouverte, on voit
un rideau de gaze voleter sous la brise légère portant tous les parfums
du jardin du Luxembourg tout proche. Nora Mitrani fut là, rêveuse de
l'impossible. Condamnée à la violence d'une mort de passion.
posté le 20-07-2009 à 15:40:28
Jean Louis Depierris et le palais de Dioclétien.
15h28 - Jean-Louis Depierris et le palais de Dioclétien.
-
Général
Jean Louis Depierris.
Jean-Louis Depierris
a été un navigateur au long cours dans les eaux tumultueuses de la
poésie contemporaine. Son rôle de directeur de centres culturels à
l'étranger (Yougoslavie, Islande, Maroc) l'a placé au meilleur poste
d'observation pour dénicher les talents et les rassembler dans des
anthologies diverses (voir son site sur google). Il fut l'un des
animateurs de la revue Sens Plastique pour laquelle il avait conçu un
riche numéro d'étude sur la situation de la poésie aujourd'hui (c'était
dans les années 6O). Au coeur de son oeuvre poétique il faut retenir
"Bas Empire" inspiré par le palais de Dioclétien à Split dont il
connaissait les recoins les plus secrets. Il avait été fasciné par la
figure de cet empereur fastueux et haut stratège placé en figure de
proue sur un Empire à la dérive. Je fus moi-même longtemps hanté par ce
lieu d'autant plus singulier qu'une ville s'est créée à l'intérieur
même de l'enceinte du palais, recueillant des lambeaux de sa splendeur
passée, faisant sourdre par endroit la magie des rites et des
célébrations dont il fut le cadre.
En illustration : palais de Dioclétien consulter : fuaj.org/
posté le 20-07-2009 à 15:32:53
Flamboyant Christoforou.
Flamboyant Christoforou.
D'origine
grecque mais citoyen britannique, il a participé activement à la
dernière guerre (dans l'aviation), sa vie s'inscrit dans le sens de
l'Histoire et la conscience de sa tragédie. Son oeuvre picturale
s'ancre dans son expérience humaine. Il ne peint pas par délectation
mais protestation. Il ne descend par d'un Bonnard mais du Picasso de
Guernica. Violence et flamboiement de la couleur, posée en longues
coulées comme une lave brûlante et saccageuse. Il ne flatte pas l'oeil
mais l'agresse, impose des masques puissants et terribles, créant un
théâtre d'ombres et de menace. Il traverse aussi bien l'univers de
Kafka que celui de Jarry, entre terreur et sombre farce. Derrière
l'apparence tranquille d'un homme au parlé discret, au regard tendre,
il y a un feu qui couve et parfois jaillit comme d'un volcan. Il a
souvent exposé, tant en France qu'à l'étranger, et suscité une riche
littérature critique encore que son oeuvre peut effrayer le non initié,
celui qui cherche dans l'art le seul plaisir des sens. Christoforou
parle aussi à sa conscience.
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