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lettres de la campagne

posté le 10-05-2009 à 14:31:14

Pessoa dans la jungle des mots.

La nature même du manuscrit d'un poème dépendrait-elle du mode de vie qui l'a inspiré? Pessoa, ce voyageur immobile, rature, biffe, triture ses manuscrits traduisant un état différent de celui qui emprunte toutes les routes du monde, de l'homme pressé qui suppose une écriture immédiate, spontanée. Encore qu'il ne soit pas exclus que l'écriture qui prolonge le voyage, ou s'en est inspiré, puisse aussi traduire cette inquiétude du mot juste, et s'offre ainsi à la vue comme un territoire de longue recherche.
L'écriture suit-elle notre mode de vie ? S'il est vrai que l'on écrit comme on est, et qu'elle est un peu notre portrait, elle peut aussi traduire les rythmes de notre vie.
La rature est un signe de vie qui s'interroge, se met en doute, se cherche. Elle est cette machette que l'explorateur utilise pour se frayer un chemin dans la brousse. Ici dans la brousse des mots. C'est une brousse pleine de pièges, de danger. La poésie n'est pas un chemin facile et sans risque.

 


 
 
posté le 10-05-2009 à 12:01:15

Le voyage immobile de Pessoa

Se placer d'abord sous le signe de Pessoa. Plusieurs raisons à cela.
Le jeu du nom qui devient, en français, personne. Et de là à se dire que, le sachant, Pessoa a modelé son comportement (si étrange) et fixé le contenu même de son oeuvre. Certain que le nom vous façonne, vous donne une orientation, peut déterminer votre destin.
Et de deux : l'étonnante force suggestive du titre, évoquant à la fois le voyage et son contraire l'immobilité. Mais on sait que nombre poètes condamnés à l'immobilité (pour diverses raisons) savent s'échapper, et d'abord d'eux-même. Tous les poètes n'ont pas, comme Rimbaud, des semelles de vent. J'en connais qui firent leur monde dans le retrait voir la position couchée (Joé Bousquet par exemple).
L'idée de la déambulation (surtout citadine) compense le voyage, en est un. Comme la pratique Pessoa mais aussi Léon Paul Fargue, Joyce, André Breton, Aragon, les surréalistes en général,  Jacques Réda, et bien avant eux,  Restif de la Bretonne, Louis Sebastien Mercier n'implique pas que l'on soit de grands voyageurs. Au contraire. On s'empare d'une ville faute d'aller au bout du monde.  Et c'est de cette approche du détail urbain, d'une lumière, d'une couleur qui s'obstine, que l'on conçoit une oeuvre d'une richesse intériorisée.
Voyageur au long cours, Blaise Cendrars propose un monde en fanfare, Fargue, piéton de Paris, propose des miniatures urbaines savoureuses, et produit d'une tendre mélancolie.

 


 
 
posté le 09-05-2009 à 11:30:59

L'office de la nuit.

Le titre est  trompeur. Tel, il distingue ce type d'ouvrages qu'on prenait avec soi lors des offices religieux, on le pressait contre son coeur avec un air pieux et je targue que celui qui l'avait entre les mains décollait du réel pour atteindre ces zones sanctifiées où il se réservait une place pour le futur.
Plus pervers, et dans le jeu consistant à faire dévier le titre, et la vocation de l'ouvrage qu'il désigne, on peut l'imaginer annoncer quelque cérémonie d'un genre plus clandestin, voire honteux (car il y a souvent de la honte à donner libre cours à ses instincts les plus inconscients - les plus essentiels ?). Donc, la nuit offerte à d'étranges et perverses cérémonies comme on en lit dans des ouvrages échappant à la censure, entre messe noire et orgie ritualisée.
Car, par son caractère solennel annoncé, et parce le mot office en dit long, cette orgie sera encadrée par tout un rituel, un décor et des références qui iront sans doute de Sade à Georges Bataille, de Sacher Masoch à Klossowski. Ce dernier, avec son allure de prélat échappé du séminaire, aura inventé de bien curieuses scènes que des bourgeois pris par le démon de midi, restituent en des grottes souterraines, tapissées de velours , en des lieux chèrement tarifés.
Klossowki défiait la religion par l'agression du sexe. Ceux qui l'imitent le font par désoeuvrement. L'office de la  nuit est celui d'un échec.

 


Commentaires

 

1. dadoune  le 09-05-2009 à 12:35:35  (site)

coucou je passe te souhaiter un trés bon samedi , qui j 'espere chez toi est aussi ensoleillé que chez moi , je t'envoie une envolée de bisous d'amitié
bisou =dadoune

 
 
 
posté le 08-05-2009 à 10:59:56

Autour de vieux livres.

 Trouvé au fond d'un carton, sous sa couverture jaune,  il est défraîchi, son éditeur tenait boutique rue Palatine. Immédiatement on se souvient de l'ombre pesante du clocher de Saint Sulpice sur la vitrine qui propose aujourd'hui encore des ouvrages un peu confidentiels. L'auteur (Jules Lemaître) est de l'Académie Française, ce qui le classe d'emblée dans un perspective qui peut nous rebuter. Son titre avait retenue mon attention : "En marge des vieux livres". Et un cartouche annonce le contenu : de courts textes "en marge" de l'Odyssée, de l'Iliade (car ils font la paire), de l'Enéide, des Evangiles et de La légende dorée.
On entre dans l'espace des grands thèmes, des mythes éternels. Le procédé est simple, astucieux. A partir d'un personnage sorti du grand texte évoqué, l'auteur invente une petite histoire qui ne trahit pas fondamentalement  l'esprit de la référence sur laquelle il s'appuie avec un ton familier qui est celui des contes. Ce sont des divertissements de lettré qui aura feuilleté ces ouvrages (les vieux livres) que l'on trouvait autrefois dans toutes les demeures bourgeoises et qui ouvraient les jeunes esprits à l'univers chatoyant des légendes antiques.
Comment ne pas penser aux nombreuses allusions faites par des écrivains évoquant leurs souvenirs. Une maison de campagne, un après-midi d'ennui, une errance distraite parmi ces choses qui appartiennent au passé, car une maison est souvent le musée d'une famille et de son histoire. Et dans une bibliothèque on découvre des ouvrages abandonnés, souvent de grands classiques, ces livres incontournables que possèdent même ceux qui ne se targuent pas d'être des lecteurs immodérés.

 


 
 
posté le 07-05-2009 à 10:22:50

Rêver devant des livres.

Rêver devant les livres.

C'est d'abord une sorte d'approche enthousiaste des rayonnages où l'on voit de nombreux livres présentés, et  déjà on se demande dans quel ordre. Alphabétique, par thème, par langue ?
Il y a quelqu' indiscrétion à se précipiter sur la bibliothèque d'une personne chez qui on est en visite, et pourtant la tentation est grande.
La familiarité acquise dans le quotidien de la librairie (bouquinerie) que fut le Soleil dans la tête m'a donné le plaisir extrême de déchiffrer à travers les bibliothèques le caractère de celui qui l'a composée. Car l'on compose une bibliothèque comme un espace à sa mesure. Elle est à la fois notre mémoire et notre histoire.
Elle peut-être faite de livres dont on a hérité (alors le choix est faussé car il peut ne pas répondre totalement à nos goûts, mais on aura pu procéder à une sélection des livres reçus) mais surtout des livres que l'on achète au fur et à mesure de nos déplacement, de nos recherches, et sans doute de nos rencontres.
La bibliothèque alors résume nos rapports avec la chose écrite et peut être déterminée par l'opinion, l'information donnée par les médias, l'entourage.
Elle peut aussi résulter d'une succession de hasards.
J'ai fait l'expérience de composer une bibliothèque uniquement avec des livres "trouvés" dans les brocantes (le vide grenier de province). Chaque livre est alors chargé d'une petite histoire. Celle de sa découverte. Il n'en a que plus de prix.
On a la mentalité de l'archéologue qui fouille les entrailles de la vie des gens, recueille ce qu'ils abandonné. Et plus émouvante encore la découverte, égarées au milieu des pages, de ces menues choses qui servent de signet. Parfois des commentaires ajoutés, dans les marges, des phrases soulignées qui dénoncent des préoccupations personnelles.
La bibliothèque se fait lentement, progressivement, au hasard des virées dans des villages où l'on est tout surpris de découvrir parmi des "séries noires",  des romans "à l'eau de rose", des ouvrages d'un lectorat plus confidentiel : Raymond Roussel ou Xavier Forneret, et des plaquettes de poésie pourtant souvent destinées à rester prisonnières du cercle étroit de l'auteur.
voir www.bouquinerie-gaspari.com

 


Commentaires

 

1. titeshistoires  le 07-05-2009 à 11:17:43  (site)

j'adore ta façon d eprésenter les choses...et suis en tous point d'accord avec toi!!!

 
 
 
posté le 07-05-2009 à 09:27:16

L'enfer du livre.

Suivons Sorel (un don Juan décavé, un Léautaud pop).
Après une vie sociale un peu décousue, futile, il s'est réfugié (retiré) dans une maison (son blockhaus) entourée de son jardin (ce sera son unique contact avec le réel) à l'écoute des saisons, et consacrant ses journées à la lecture. Il s'est constitué une bibliothèque de plus de 30.000 livres, une manière de lever un mur entre la stupidité (c'est son point de vue) des autres et sa douleur de n'avoir pas trouvé âme enrobée d'un corps qui puisse partager ses caprices littéraires, ses foucades, ses ambitions car il écrit aussi mais répugne à publier, laissant cela à une lointaine descendance qui n'aura peut-être pas d'égard pour ces monceaux de papier griffonnés et souvent peu lisibles. Il entasse des liasses de romans inachevés, des cahiers de sentences dans des malles.



Il avait été fasciné par l'aventure du portugais Pessoa dont 27.000 manuscrits se trouvaient consignés dans une malle, que l'on peut voir encore dans la reconstitution de sa chambre-bureau dans un  quartier éloigné du centre de Lisbonne ( ce qui est un comble pour un piéton obstiné qui faisait de la ville son territoire de chasse poétique) ou encore par les vantardises de Blaise Cendrars qui prétendait avoir des oeuvres non publiées dans des coffres des sous-sols d'une banque Suisse (double distance créée entre l'oeuvre et d'éventuels lecteurs).



D'autres, encore, histoires de redécouvertes post-mortem. La malle en osier que Raymond Roussel avait confié au garde meuble, et qui fut découverte un demi siècle après. Elle contenait, ouvre des éditions originales de l'auteur, des inédits qu'il n'avait pas jugé, de son vivant, utile de publier
C'est l'étrange et périlleuse destinée des oeuvres inachevées, dédaignées par celui qui ne s'y retrouvait pas dans l'exacte mesure de son émotion, de sa vérité.
Certains éditeurs se font une spécialité de publier ce genre de texte, non sans risque de trahir. Mais l'abandon de l'auteur peut aussi être un geste de dépit. De n'avoir pas rencontré d'audience, ou simplement une modeste attention dans son entourage peut le conduire à rejeter l'enfant non désiré.
L'abandon d'un texte ou plutôt sa mise en situation d'être un jour redécouvert, c'est aussi l'expression d'une solitude. Celle de Sorel rappelle celle de Lautréamont dont l'oeuvre n'existe que par la ténacité de l'auteur et le recours, humiliant au "compte d'auteur", seule manière de défier l'indifférence qui l'entoure, celle-ci d'ailleurs reconduite, si souvent, dans la mévente des textes ainsi révélés.
Le "Journal" de Virgnia Woolf (à la fois crispant et parfois pathétique) traduit bien cette angoisse devant la chose publiée ou en voie de l'être. Encore qu'elle bénéficie d'un entourage bienveillant et s'édite elle-même, en partie, grâce à la Hogarth Press, (qui lui appartient, ainsi qu'à son mari Léonard Wioolf)  dans un mouvement naturel de l'écriture vers la réalisation technique d'un livre.
Comment ne pas penser à Restif de la Bretonne qui "compose" lui-même ses multiples et volumineux ouvrages, ouvrant la perspective d'une écriture qui se fait directement sur l'instrument de sa diffusion, retrouvant là, l'excitation
de l'artiste devant la pierre lithographique.



L'écriture au sein de l'Histoire, et dans les temps forts de la douleur qui l'inspire. C'est l'expérience de Yannis Ritsos (Temps Pierreux Makronissiotiques). Une série de poèmes écrits à Makronissos en 1949 "dans toute l'horreur" du camp. On nous précise que "ces poèmes sont restés enterrés sur place dans des bouteilles scellées, et déterrés en julllet 1950" pour être enfin publiés".
Au thème de la malle, si fréquent, se substituant à son caractère vaguement domestique, la bouteille appelle aussitôt la mer, l'élément liquide, porteur de ce fragile esquif qui donne sa chance à un message d'aboutir à un destin heureux.
Le même éditeur (Ypfilon) s'est attaché à la révélation de textes de Pier Paolo Pasolini. On revient à la malle, au cahier retrouvé (en 1976) parmi d'autres inédits. Des poèmes écrits dans une langue au-delà des langues.
Quand l'écriture libérée retrouve l'énigmatique suggestion des signes, les mots se sont glissés dans une langue qui se cherche.

La langue, instrument d'une énigme, clef d'un savoir. Il n'est pas que dans les pommes d'un Paradis perdu mais dans les vieux manuscrits que d'éminents savant s'efforcent de déchiffrer. Voici, immobile et avec la vénérable dignité des statues, le scripteur médiéval qui s'immerge dans le fouillis des manuscrits.

Voici les manuscrits retrouvés, balafrés et comme blessés par quelque combat singulier. Image de la difficulté de la création, des risques encourus à s'y vouer.





Mais se pose alors le problème essentiel ( de base ?) Pourquoi écrire et que dire par les mots dont on veut dompter le pouvoir. Ne sont-ils pas, eux, les monstres qui nous assaillent et nous dominent ,
Ecrire pour se dire ( souvent avec impudence) n'est pas un but qui se suffit à lui-même. Chacun peut le faire et l'intérêt de la chose ne dépasse pas le cercle étroit (plus qu'étroit) de ceux qui peuvent partager la vie du scribouilleur qui se sera penché sur ses problèmes. "A bas

" l'ego excessif. Tout au plus peut-il donner sa couleur à la prose qui en découle.
Le rêve (souvent difficile à atteindre), serait d'inventer un monde dans lequel on se glisse, s'engouffre pour se fondre dans une matière vivante, ardente, qui est la vie.

Sorel risque de se figer sur lui-même. Ceux qui dénoncent l'abus de lecture et le retrait de la vrai vie n'ignorent pas que toute lecture est une fuite.



Vient alors l'histoire de Lautréamont qui est celle d'une solitude.
Ecrire ne serait-ce pas aussi, et finalement, la réponse à une solitude autrement insupportable.

Alors, pour aller à la rencontre de l'énigme du poète, fouiller dans sa solitude créatrice et chercher le sens des mots que sécrète la solitude (ne pas oublier que Lautréamont écrivait -mais peut-être est-ce une légende, à laquelle Philippe Soupault était très attaché-) on va flâner du côté des Grands boulevards, du faubourg Montmartre, sur les traces de Lautréamont.

En préparation :

LA SOLITUDE DE LAUTREAMONT.







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voir le site cuisery.livre.free


Retour sur la boulimie de la lecture. Elle s'accompagne quand elle est solitaire de ce besoin, mécanique, de noter, de poursuivre sur la virginale blancheur d'un feuillet, la magie des mots, l'étincelle d'une idée, la beauté surprenante d'une définition.
Le plus banal des romans, l'intrigue la plus convenue peuvent, à la lumière d'un esprit curieux, fournir de rejets d'intrigues (comme une plante, dans sa généreuse vitalité se déploie en plusieurs ramifications, se dédouble à l'infini, et la forêt à de semblables lois de la nature, devient cette masse compacte où se perdre et qu'il faut déchiffrer). On trouve pâture dans les mots où qu'ils nichent.

C'est alors l'initiation souvent évoquée, des enfants solitaire affrontant une bibliothèque dont ils dévorent, sans ordre, sans méthode, mais avec la passion de la découverte, les enseignements qui peuvent être d'ordre très divers.

En figure d'exemple, avec la grâce qui était la sienne, un certain petit Gérard Labrunie, entre les taillis des forêts du Valois dont il tirera son nom de plume (qui est un nom de gloire), dévorant les volumes d'une bibliothèque d'un "savant" de province. Et pouvait naître alors Gérard de Nerval.























































 


 
 
posté le 06-05-2009 à 14:31:44

Katy Acker, une écriture de feu.

Avant d'écrire (et l'écriture sera le résultat de ses expériences)  Katy Acker dévore la vie en brisant les tabous, provoquant l'opinion en travaillant comme stripteaseuse et même actrice porno. Son caractère androgyne est une figure visible de sa recherche d'identité qui est conduite sous le signe de la poésie beatnick. Elle subira les influences conjugées de Burroughs, des poètes de San Fransisco et du mouvement français Fluxus. Se posant d'ailleurs au carrefour des différents modes de création.
Elle pratique la performence, (impliquant le corps mis en spectacle) s'attaque aussi au cinématographe et son écriture brasse toutes les techniques de l'époque dont le cut-up inventé par Burroughs, "laquelle consiste à couper des passages ou des phrases et à la réagencer de façon aléatoire pour un résultat autre" (Blaise Cendrars avait composé des poèmes en partant de phrases arrachées aux traités pratiques de son ami Gustave Le Rouge).
Elle n'hésite pas non plus à pratiquer le plagiat (comme Lautréamont) aussi bien de Proust que du marquis de Sade, ou encore Marc Twain. Elle s'appuie sur des textes de référence jusqu'à s'introduire dans le monde de Pasolini ou de Toulouse-Lautrec. Enfin elle filme sa relation amoureuse avec le poète Alan Sondeheim et cela donne "The Blue Tape".
La technique de Katy Acker est moins singulière que dépendante d'une culture "dada", sa prose est secouée par divers apports étrangers ou complémentaires, comme des poèmes, des dessins, attirant le lecteur dans une sorte de dynamisme éclaté et vibrant, traduisant les sensations, un appétit de vie fulgurant et peut-être fanatique. On parlera, évoquant cette violence, d'une impudeur monstrueuse, un narcissisme désespéré.
A la fois critiquée et adulée par la presse elle fait figure d'icône  de la transgression dans le climat des mouvements de la jeunesse qui scandent toute la décennie 1970.
Quelques un de ses textes sont traduits en français : Don Quichotte qui était un rêve, La Vie enfantine de la Tarentule noire (sous le pseudonyme de la Tarentule noire), Sang et stupre au lycée, et encore Grandes espérances.
Elle meurt des suites d'un cancer du sein en 1997.

 


 
 
posté le 04-05-2009 à 12:13:21

La stratégie du vide grenier.

Il faut d'abord s'arrêter au terme.  Le vide grenier est un acte fondateur, il est aussi une chute annoncée de ce qui, relevant de notre quotidien, a perdu sa fonction, son charme et son attrait.
Le grenier fait rêver (se souvenir des admirables pages de Gaston Bachelard sur ce thème). Enfant on y découvre le monde, certaines des plus belles pages de la littérature lui sont consacrées. De ce bric-à-brac qu'on aura déversé sur le trottoir (autre perspective qui réveille l'inconscient !) les objets sont promis à une nouvelle vie. Ils font le trottoir, mais leur destin est plutôt dynamique. Celui qui les choisira leur donnera une manière de renaissance.
D'abondance ce sont les vêtements qui s'y font la belle. Robes défraîchies, mais sur le corps juvénile d'une charmante adolescente, ils retrouvent une certaine beauté (et c'est dans l'ordre des choses, et une mode chaque fois reconduite qui entraîne les jeunes à se vêtîr avec les oripeaux d'une ancêtre). Chaque vêtement proposé à la vente souligne une étape d'une vie passée (des premières robes du bébé à la mantille de l'aïeul, en passant par la robe de bal) récupéré par des mains nouvelles et souvent ravies, il devient l'instrument d'un jeu de séduction.
Les jouets d'enfant ( avec l'âge ils perdent leur raison d'être)) sont à l'avant-scène de cette parade parfois impudique. Souvent celui qui les cède semble s'en excuser et donne des explications sur ce passage en d'autres mains. Vendant les jouets ne vend-t-on pas des années heureuses !
Reste enfin les livres. Souvent entassés, négligemment, au fond d'un carton. Il faut fouiller, se risquer dans les épaisseurs de papier jaunis pour trouver la  perle, l'ouvrage qui peut même être rare et on se demande par quel biais il aura abouti dans ce qui n'est souvent qu'un ramassis d'ouvrages disparates, encore que tout tas de livres ainsi livrés à la curiosité du chaland en dit long sur celui qui les propose, comme une bibliothèque est toujours le portrait de son propriétaire.

 


 
 
posté le 30-04-2009 à 14:16:57

Vanessa Bell, une femme libre.

D'être la soeur de Virginia Woolf la classe dans cette coterie distinguée et subtile qui entoure l'auteur d'Orlando. Le groupe de Bloomsbury est bien un foyer d'agitation sexuelle quand les oeuvres qui en surgissent et le distinguent ne sont pas autrement choquantes et, contrairement au mouvement dada qui est l'explosion de la littérature, il souligne une production littéraire et picturale de caractère bourgeois. Même Virginia Woolf qui en est la figure la plus éclatante. Son oeuvre est bien le produit d'une classe qui s'interroge avec passion et un brin de narcissisme sur elle-même. Sinon que Virginia Woolf porte aux confins de ce que les mots peuvent dirent, cette introspection parfois douloureuse, toujours pudique (?) , quand les moeurs dont se prévalent ses amis sont autrement audacieuses et à l'époque scandaleuses. Vanesse, la première, et alors que sa peinture reste conventionnelle et dans la droite ligne de ce que l'école et la fréquentation des peintres de son époque lui donne en exemple, manifeste dans sa vie privée une liberté de ton un va-et-vient sexuel que sa peinture ne traduit pas. Elle met son audace dans sa vie et non dans son oeuvre. Son mariage avec Cliff Bell, ses liaisons masculines et féminines, l'influence de Duncan Grant  (avec lequel elle est finalement liée) en font une figure romanesque et surtout celle d'une femme libre et qui affiche sa liberté avec une franchise exemplaire.

 


 
 
posté le 30-04-2009 à 10:02:18

Paris scandales, Paris-Babylone.

C'est tout un art, c'est une mission sociale, c'est aussi le trou de serrure à travers lequel le voyeur se satisfait des turpitudes que sous prétexte de dénoncer on avance sur la scène. La journalisme (surtout au XIX° siècle) aura été abondant, virulent, savoureux en la matière. Jean Lorrain y fait ses gammes, y fait scandale, s'y fait une réputation. Même son oeuvre littéraire en est tout imprégnée. Elle s'alimente en eaux troubles. Paris-Babylone, le terme plaît et fait fureur.
Pourquoi la vie sexuelle des gens célèbres retient-elle avec avidité l'attention du public. Parce qu'il s'y projette ? La turpitude par personne interposée en somme.

 


 
 
posté le 29-04-2009 à 14:19:08

Bertini artisan du livre.

Comme bien des artistes de sa génération Gianni Bertini a illustré les livres de ses amis poètes. Il y a apporté une imagination prodigieuse, se posant comme précurseur du mouvement "pop" français et dans l'esprit de la Figuration narrative dont il est l'un des piliers. Avec la "Stèle pour Adam de la Halle" (traité en sérigraphie) il introduit la bande dessinée dans le poème, joue d'une typographie totalement réinventée et conserve toute la force de son graphisme énergique propre à sa peinture, qui brasse des images, les met en situation, dans une sorte de théâtre typographique d'une constante invention.
Le livre de peintre (puisque tel il faut le nommer) suit de près les courants de la peinture contemporaine, faisant écho tout à la fois à la poésie qui s'alimente des forces de la peinture tout en l'exaltant, et apporte de nouvelles et fortes solutions à l'occupation de l'espace pictural, même réduit aux dimensions du livre. Elle y trouve le terrain d'une expérience, d'une mise à l'épreuve de ses recherches, de ses avancées. Bertini s'est imposé comme un pilote dans ce courant. "Stèle pour Adam de la Halle" a été imprimé à Anduze, sur les bords du Gardon, dans une maison louée à cet effet par le mécène Parizel qui est à l'origine de l'ouvrage.


 


 
 
posté le 28-04-2009 à 12:44:25

Virginia Woolf compose Orlando

Le livre de Christine Duhon repose sur un pari risqué : restituer une année amoureuse de la vie de Virginia Woolf en s'appuyant sur le Journal et la correspondance de cette dernière avec Vita Sakville-West, une extravagante fille de grande famille, épouse d'un homosexuel, avec lequel elle aura une liaison orageuse qui lui inspirera "Orlando", un de ses plus étranges romans.
En se glissant dans la peau de Virginia, Christine Duhon restitue la psychologie complexe (et complexée) de l'écrivain qui assume mal sa passion et sa situation d'infériorité sociale face à une femme qui affiche son homosexualité féminine, multipliant les liaisons (en particulier avec la non moins excentrique Violet Trefusis). Une liaison où la chair n'est pas seule en jeu mais l'extrême sensibilité de l'écrivain qui analyse avec obstination (et un curieux masochisme) le déséquilibre qui s'instaure, ne serait-ce qu'au stade de la fortune. Virginia Woolf en est pathétique, mesurant sa "pauvreté" devant une femme qui s'inscrit dans les sphères de la "haute société" de son  temps. On  pénètre mieux dans son intimité, ses affres de créatrice, ses rapports difficiles avec l'écriture.

 


 
 
posté le 28-04-2009 à 12:37:03

Une année dans la vie de Virginia Woolf.

C'est l'affrontement de deux dames de feu. Vita flamboyante parce que forte de ses origines aristocratiques, de sa souplesse sociale de grande mondaine, Virginia empêtrée dans ses problèmes d'écriture, pauvre et un rien sauvage.
Virginia Woolf est tour à tour irritée et éblouie par Vita Sackville West, romancière amateur mais rencontrant un grand succès et Vita fascinée par une femme qui décortique avec une subtilité rare et inquiétante les rapports entre les êtres, et le sens du quotidien.
L'amour est au coeur de leurs relations. Fougueux, à la fois charnel et distancié par la délicatesse de l'une, l'emphase de l'autre. Il en sortira Orlando, le plus curieux des romans de Virginia Woolf qui s'appuie sur le personnage de Vita, ambiguë, folâtrant au milieu d'une cour raffinée et parfois futile. Traçant avec dynamisme et une subtile analyse des coeurs Christine Duhon une année de cette relation tumultueuse donne un portrait double et captivant de deux femmes d'exception.
Tout cela dans une atmosphère feutrée entre l'heure du thé et ses confidences sexuelles, et le monde qui s'ouvre à la violence des rencontres amoureuses, des dérapages sensuels, où l'une est en son monde, l'autre s'y épuise.

 


 
 
posté le 27-04-2009 à 10:36:18

Répétitions : Eluard fraternise avec Max Ernst.

Comme Tristan Tzara, Paul Eluard a été largement (et, magnifiquement) illustré par les peintres surréalistes les plus inventifs. Max Ernst est l'un d'eux. Du collage qu'il pratiquera avec efficacité, au dessin en passant par le frottage, l'imagerie de Max Ernst s'invente des combinaisons, des émergences, des incursions qui sont toujours surprenantes, source d'émerveillement, d'interrogation, de stupeur. Non que la poésie d' Eluard soit de ce registre, elle est plutôt proche des mots dont elle fait usage et n 'en transgresse pas trop le sens premier.  C'est plutôt dans le rythme, la couleur qu'elle suggère que la poésie d' Eluard sort de l'ordinaire, des conventions. S'il fit un passage furtif dans l'action de "dada" Eluard trouve rapidement son registre, ses thèmes et son style. La rencontre avec Max Ernst est plutôt celle de l'amitié. Elle s'appuie sur des connivences, des références communes. "Répétitions" intrigue, le mot (au pluriel) ouvre une porte immense sur cette complicité fraternelle où mots et images s'imbriquent, se répondent, font écho l'un à l'autre.


 


 
 
posté le 24-04-2009 à 10:59:08

Youki, une muse de Montparnasse.

La grâce du corps était l'arme suprême, celle qui permettait de se glisser dans le milieu turbulent des artistes qui célébraient ces jeunes femmes objet de désir et source d'inspiration. Femme et muse, elle n'avait d'autre rôle à jouer que celui d'être belle. Youki le fut.  Foujita capta d'un crayon acéré sa sensualité tranquille, son impudeur qu'aucune fausse morale n'aurait pu censurer. Avant d'être la compagne du poète Robert Desnos, à qui elle inspira ses plus beaux poèmes, Youki vivra les heures chaudes de Montparnasse avec Foujita, chef d'orchestre de fêtes qui sont passées dans la légende. Youki en fut l'une des reines, l'une des actrices, son rôle étant toujours extérieur, de surface, et propre à engendrer l'onde calme du désir.


 


 
 
posté le 23-04-2009 à 15:14:42

Lytton Strachey, l'esprit de Bloomsbury

Lytton Strachey est au coeur d'un imbroglio sentimental et sexuel qui caractérise l'esprit du groupe de Bloomsbury (dominé par la figure majeure de Virginia Woolf).
Les faits : Lytton Strachey fait la connaissance de Léonard Woolf à l'université, puis de Dora Carrington chez lady Ottoline Morrell (qui traverse son époque comme mécène, fédérant les talents de D.H.Lawrence à David Garnett). Celle-ci, mariée à Ralph Partridge qui travaille à la Hogarth Press (la maison d'édition de Léonard et Virginia Woolf) tombe amoureuse de Lytton  Strachey, homosexuel, et plus attiré par Partridge. D'un commun accord ils vivent tous les trois dans une maison qu'ils achètent à cet effet.
Lytton Strachey s'impose comme une des figures majeures du groupe de Bloomsbury. Il est critique d'art et biographe, donnant à son écriture toute la modernité de ton qui en fait un élément déterminent dans la littérature de son temps.
Les membres du groupe de Bloomsbury sont très liés (et souvent par des alliances sexuelles ou matrimoniales : Vanessa, la soeur de Virginia Woolf, est la femme de Clive Bill). Leur point commun : "s'insurger contre l'esprit de la période victorienne, l'extrême rigidité des moeurs et des conventions religieuses et artistiques."
Lytton Strachey est un personnage complexe et attachant, subtil, déroutant et significatif de cet éveil à la modernité qui va secouer l'Angleterre à la charnière des XIX° et XX° siècles.
Le film de Christofer Hampton "Carrington" s'appuie sur cette histoire.

 


Commentaires

 

1. J-F Sterell  le 12-05-2011 à 15:19:47  (site)

Bonjour,
Je viens de faire paraître un essai « Les machines de René Daumal » mais en autoédition, d'où cette page, discrète j'espère, de publicité :
http://www.thebookedition.com/les-machines-de-rene-daumal-de-jean-francois-sterell-p-57970.html

 
 
 
posté le 23-04-2009 à 11:03:42

René Daumal, le jeu de la vie et de la mort.

Le voilà à la croisée des chemins, poète, philosophe, et boudé ici et là par ceux qui ont charge de classer,  codifier, décoder le monde des idées et de la création.
Son oeuvre (mis à part quelques textes publiés à la va-vite) sont posthumes. Avec le "Mont Analogue" il s'est engagé dans l'aventure du "roman" (mais en est-ce vraiment un, et de surcroît, comme le "Château" de Kafka, inachevé) cette sorte d'itinéraire spirituel, cette quête du Graal que Daumal poursuit dans sa vie même, se mettant en danger dans les multiples expériences qui provoquent le corps au prétexte d'y quêter l'âme. C'est un peu à la lumière du dérèglement de tous les sens invoqué par Rimbaud (il est né tout près de Charleville, et sera un inconditionnel du poète aux semelles de vent), que René Daumal va détruire sa vie par l'usage frénétique de la drogue, une pauvreté assumée, l'expérience de la spiritualité et de l'ésotérisme sous l'égide du redoutable Gurdjieff (qui sera aussi responsable de la mort de Katherine Mansfield). Comme Gérard de Nerval, au delà du réel Daumal aura franchi les portes de l'irréel. Il aura percé, "sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible"
Il va, dans le compagnonnage de Roger Gilbert-Lecomte et quelques autres élèves d'un lycée de Reims, où il poursuit ses études, créer la revue le "Grand Jeu" qui n'aura que peu de lecteurs et s'essoufflera au bout de 3 numéros.
Motivée par la recherche de l'essentiel, afin que naisse "une espérance sanglante et sans pitié. Le simplisme était un angélisme. Comme tel il avait créé l'état de grâce, unique moyen d'approcher un plan supérieur" (H.J. Maxwell). Une avancée dans le monde des idées qui va l'opposer (avec violence) à André Breton qui voit en lui un redoutable adversaire dans la stratégie culturelle dont il entendait garder la maîtrise avec les revues surréalistes.
Maudit René Daumal ?
Marginalisé, tant son message est complexe (dangereux ?)

 


 
 
posté le 22-04-2009 à 15:49:31

Henri Pollès chez lui.

Il y avait quelque chose des goûts d'une cocotte chez cet homme au port altier, à la carrure imposante (un physique de marin ce qui est bien le moindre pour ce breton fils de capitaine de vaisseau) et pourtant dans sa manie de l'accumulation, cette folie décorative hors normes, cette profusion de bibelots, on retrouvait l'atmosphère des alcôves chères aux demi-mondaines du XIX° siècle, siècle qu'il adorait pour ses excès, ses foucades, son maniérisme qui nous vaut des Jean Lorrain, des Hugues Rebell, des Huysmans, des Robert de Montesquiou. Une littérature pourtant bien éloignée de ce qu'il écrivait lui-même et qui le classait parmi les écrivains populistes.


 


 
 
posté le 22-04-2009 à 15:28:51

Henri Pollès dans un décor baroque.

On le voyait souvent, au Soleil dans la tête, on le rencontrait aussi, dans les petites rues de Saint Germain des Près, là où nichent des librairies confidentielles mais que fréquentent assidûment des écrivains (croisé ainsi, rue Gozlin, Georges Bataille dans un grand manteau noir, comme sorti du cinéma expressionniste des années 20, chargé de livres dans une hâte de fuite !). C'est Henri Pollès. Il chevauchait une bicyclette d'un autre âge, avec des sacoches bourrées de livre, car il se livrait aux activités artisanales et parfois exotiques du courtage :  vendant ici, achetant là, furetant et se constituant ainsi l'une des plus étranges (et aujourd'hui légendaires) bibliothèque. Ce breton navigant dans Paris avait trouvé un refuge à Brunoy, sur les bords de l'Yerre dans un paysage tranquille de banlieue déjà campagnarde avec le charme de ses vieilles maisons et ses pavillons petits bourgeois auquel l'âge donne un air de charme et parfois même, grâce à quelques petites touches de son propriétaire, une séduisant singularité.
C'était bien le cas du 56 rue des Vallées à Brunoy  où Henri Pollès avait accumulé tous ses trésors. On en parlait comme du Graal ou quelque chose d'insensé, hors norme. Chaque pièce dédiée à un thème littéraire, avec force références en bibelots, portraits, et ces fameuses reliures qui contenaient toutes des éditions de premier choix, et même ses manuscrits. Plus effet de passion que souci logique de pédagogie et même d'Histoire. Elle soulignait des partis pris, des choix, un art de lire. Un art de vivre.

 


 
 
posté le 22-04-2009 à 12:13:33

Masson enfant des mythes.

Plus que tout autre, encore que son entourage est surtout fait d'intellectuels, (Georges Bataille, André Breton, Michel Leiris, Philippe Soupault,  André Malraux, Tristan Tzara),  André Masson est un peintre particulièrement cultivé. D'une culture qui plonge encore ses racines dans les domaines de la Rome antique et de la Grèce des philosophes dont il connaissait admirablement les oeuvres. Elles étaient comme un bréviaire de sa démarche qui redonne vie et force aux mythes antiques et les dépoussière de toute approche conventionnelle. Il va au coeur des forces naturelles qu'ils concrétisent, parcourant le formidable catalogue de ses thèmes les plus audacieux, les plus érotisés, tant la mythologie explique et figure les grandes forces naturelles.
Son dessin a la violence des déflagrations qui sculptent la terre, la netteté de la blessure qui annonce la naissance et la mort dans un va et vient entre ces pôles qui enserrent la vie de chacun. 


 


 
 
posté le 22-04-2009 à 11:49:39

Marie Laurencin la singulière.

Parce qu'elle fut la muse d'Apollinaire, Marie Laurencin a gagné les galons d'une célébrité dont elle fait un usage pratique et capricieux. Ayant trouvé un genre ( une "feinte" maladresse ?) elle séduit ceux qui attendent de la peinture autre chose qu'une réplique du réel, mais une avancée dans le monde de l'imaginaire, du rêve, voire de la folie. Elle se repose sur le rêve pour donner, de ceux dont elle fait le portrait (elle fait beaucoup de portraits et surtout des gens du monde), une image aussi fausse que flatteuse. Une manière de satisfaire une clientèle qui a l'habitude d'être gâtée par ceux qui vivent de leurs prébendes.
Ce n'est pas chose aisée que d'être un peintre mondain. Marie Laurencin s'en tire plutôt bien car elle sait jouer d'une certaine grâce, d'une exquise irréalité qu'elle pratique dans la vie. Il suffit de lire les étonnantes confidences de René Gimpel pour s'en convaincre.
Etrange femme en effet, à en croire ces pages arrachées au quotidien d'un homme qui la fréquentait avec une certaine fidélité, irritante et touchante tout à la fois. Singulière dans sa vie, ses rapports avec le réel. N'aurait-ce pas été le fond réel de son talent ?

 


 
 
posté le 21-04-2009 à 12:07:42

Le cas Cahn.

A en croire l'histoire de l'art, et même si elle n'y tient pas une place de premier plan, Marcelle Cahn est classée peintre "abstrait géométrique". Sa représentation dans les musées (elle n'y échappe pas et y a droit) souligne cette appartenance et l'illustre avec un certain éclat. C'est pourtant mal connaître cette femme qui fut douce, discrète, secrète, que de la voir sous cet angle de stricte  réflexion picturale et rigueur graphique. Elle maîtrise fort bien l'espace géométrique qu'explorèrent dans les années 30-60, les artistes abstraits. Elle figure aux côtés de Vasarely, Deyrolle, Mondrian, et cette pléiade d'artistes qui firent les beaux jours de la galerie Denise René à Paris et pourtant on l'a connu dans le secret de son atelier, se laissant aller à des recherches graphiques d'une nonchalante rêverie. Collant, découpant (comme Sophie Taubert-Arp), faisant couler d'un crayon aux teintes douces un graphisme aux confins de l'écriture et comme un prolongement de celle-ci. Comme si, le caractère ostentatoire, figé, de la géométrie entravait un élan lyrique qu'elle avait en elle et qu'elle exprime sur le registre du secret.

 


 
 
posté le 20-04-2009 à 14:41:22

Apollinaire au théâtre.

"Les Mamelles de Tirésias ".
Guillaume Apollinaire n'est pas à une blague près. Son théâtre relève de la pure provocation. Il est dans l'esprit de "dada", et la représentation des Mamelles de Tirésias fut orageuse avant de devenir légendaire. Jacques Vaché, alors en séjour à Paris, s'y distingue par une agitation que devait, si André Breton ne l'en avait pas empêché, se terminer en carnage, alors qu'il exhibait un revolver, l'esprit militaire étant à la mode et Vaché aimant être à la mode.
Apollinaire est ici chapeauté par l'obligeant Pierre Albert Birot qui met sa revue SIC à la disposition de l'événement. Il en sera récompensé. Il y partage le prestige d'Apollinaire et sa dimension légendaire. SIC était une revue littéraire qui voulait être à l'écoute de l'actualité poétique de l'époque. Elle participe étroitement à sa reconnaissance et annonce les revues surréalistes, même si le surréalisme s'obstina à bouder le poète qui en était l'âme vive.

 


 
 
posté le 20-04-2009 à 14:18:17

Léautaud en lambeaux.

Graphomane à sa manière (mais n'est-ce pas la propre des solitaires !) Léautaud a laissé quantité de papier, résultat de sa rage à écrire, noter, se souvenir. Il est alors la proie des spécialistes qui se chargent de donner une vie publique à ce qui était peut-être destiné à demeurer secret.
L'attrait de ce qu'écrivait Léautaud, outre ce regard impitoyable sur le monde, ses contemporains, et celui de son style, c'est qu'il reste toujours profondément original, sachant être méchant en étant juste. Le titre choisi porte en lui un étonnant pouvoir de suggestion et force l'attention. On a brusquement cette frénésie quasi enfantine, quand on nous invitait à dénicher un "trésor" caché. Accéder au texte relève d'une quête. C'est le propre des éditeurs "marginaux" qui travaillent sans un objectif de pure rentabilité, d'offrir des textes, des lambeaux d'oeuvre en devenir, dont le prestige tient surtout à celui qu'ainsi on les découvre sous un jour non conventionnel. Toute oeuvre restée dans les marges est une confidence.

 


 
 
posté le 20-04-2009 à 10:17:05

Auguste Lepère sous la lampe.

La pratique de la gravure (en particulier sur bois) suit de près l'évolution de l'imprimerie et scande l'histoire de l'édition de belles réalisations qui circulent parmi un milieu très fermé, celui des bibliophiles.
Auguste Lepère aura largement contribué à son développement à la charnière des XIX° et XX° siècle, abordant le monde des mots avec un scrupule qui n'entrave en rien l'essor de son imagination. Il s'attachera tout spécialement à une série d'ouvrages ayant Paris pour sujet. Ce seront, successivement : Paysages parisiens (texte d'Emile Goudeau), Paris au hasard (texte de Montorgueil), Paris-Almanach (texte de Charles Morice), Dimanches parisiens (texte de Louis Morin), Paysages et coins de rues (texte de Jean Richepin). A propos de Paris au hasard :
"dès la première page c'est une échappée sur la capitale telle qu'elle apparaît du haut de la tour Saint Jacques. Il semble qu'on y soit. Les centaines de marches de la vis obscure étant gravies, tout aussitôt c'est l'éblouissement de la grande lumière : l'oeil vite remis s'émerveille de la trouée du fleuve qui s'écoule vers l'ouest, entre le double rempart des quais bordés de palais ; il suit ses eaux qui reflètent le glissement des nuages vers une gloire ensoleillée ; il se fatigue à vouloir démêler l'inextricable écheveau des avenues, des rues, des ruelles".
Et voilà Paris à nos pieds, dans sa splendeur et son réalisme total. D'ailleurs Auguste Lepère poursuit son voyage à la terrasse des cafés, du côté de la porte Saint Denis, aux environs des théâtres, au café concert.....
Le voici, sous la lampe, stylet en main, l'oeil gourmand de curiosité. Il nous invite à le suivre dans ses propres rêves.

 


 
 
posté le 19-04-2009 à 10:28:47

Pollock rue du Dragon.

Les charmes de la rue du Dragon.

Le tracé de la rue du Dragon, depuis le carrefour Croix Rouge jusqu'au boulevard Saint Germain, a adopté quelque chose de nonchalant qui lui convient bien et lui confère une convivialité il est vrai largement partagée en ses environs. Le faubourg Saint Germain nous évoque, même si nous ne sommes par des lecteurs de Proust, une dignité compassée, un snobisme étroit et fantasmatique qui n'est pas d'usage en un territoire plutôt consacré à l'art. Il suffit de faire quelques pas, au delà du carrefour Sèvres Babylone pour rencontrer la gentry qui passe de duchesses déjantées en salonnards qui évoquent les dandys du XIX° siècle.
La rue du Dragon se donne, elle, des allures débonnaires. On y rencontrait Man Ray cherchant un restaurant, Edouard Glissant léchant les vitrines des galeries, Jean Paul Sartre de retour du café de Flore, et les ombres s'y pressent comme celle du pathétique Jacques Prével, "fou d'Artaud", qui traînait là son désenchantement.
J'y fréquentais une cartomancienne de haut vol, qui avait été des muses du don Juan Roger Vailland et n'hésitait pas à vous annoncer tous les malheurs du monde. J'admirais sa manière de naviguer parmi les étoiles pour lire dans votre destin. Et c'est presque à ses pieds, dans ce qui était alors le Centre Culturel Américain, qu'on découvrait alors les folles excursions stellaires de Jackson Pollock. Un choc dans les années 55-60, dans un Paris tout entier voué à la célébration d'une peinture de raison et de réflexion. Voici un art d'expansion et de délire, un graphisme qui dépasse les limites qu'on lui accorde. Il nous entraîne dans son délire. Dessin de vertige.

 


 
 
posté le 18-04-2009 à 14:47:45

Proposition pour un jardin.

En marge de "Propositions pour un jardin".

Depuis la table de travail (on en devine un reflet dans la vitre) c'est, sur le jardin, l'exubérance du printemps qui s'annonce. Des plantes sauvages, abandonnées à leur sort (c'est la politique ici, de laisser la nature inventer ses propres séductions), nul monsieur Le Notre venant dresser les allées et dessiner un parterre de festin.
L'art du jardin c'est aussi la complicité avec la nature qui s'exprime. On respecte un arbre comme un être humain. Même si on n'est pas capable de comprendre son langage. Parfois (mais ce sont souvent des femmes) des amoureux de la nature y parviennent. On doit accorder à la plume de Katherine Mansfield de savoir donner un sens à une approche sensible avec le monde de la sève qui est tout à la fois celui de la turbulence et de la ténacité.
Le jardin en est à ses premiers frémissements. C'est toute une musique des couleurs qui va jouer sur le fond sonore des verts, l'arbre étant comme une partition musicale sur laquelle se posent les notes allègres des fleurs.
Le peintre Monet en savait bien quelque chose qui plantait ses parterres de telle sorte que la floraison y soit constante, chaque fleur jouant sa partition au cours des saisons.


 


 
 
posté le 18-04-2009 à 11:15:38

Chagall l'horloge des poètes.

Il (L'Hommage à Apollinaire) accompagne et donne le ton d'une exposition qui fut saluée par André Breton dans les années 45-50 alors que la vie artistique retrouvait son rythme, ses rituels, et offrait à une génération coupée de la vie par les années noires de l'Occupation le sens de l'art et ses exemples les plus péremptoires.
"L'Hommage à Apollinaire", peint par Chagall lors de ses débuts parisiens (peut-être alors qu'il était à La Ruche), menant une vie misérable mais magnifiée par le génie et des amitiés uniques (avec Apollinaire justement, ou Blaise Cendrars, qui furent ses complices et ses inspirateurs) s'offre comme une horloge imaginaire où s'inscrivent, rythmant le temps, ces figures emblématiques qui lui donnent à la fois son sens et l'immortalise. Chagall se cherche encore mais il donne là quelques unes des facettes les plus séduisantes de son imagerie.

 


 
 
posté le 17-04-2009 à 12:00:18

Le Louvre et ses fantômes.

De simple fortification (comme la Bastille) le Louvre est devenu, avec le temps, la demeure de la monarchie (son symbole jusqu'à Louis XIV) et un musée. Une croissance sur un lieu stable et d'une forte portée symbolique. Il se développe d'Est en Ouest en suivant le sens du fleuve et comme un axe central de la croissance urbaine de Paris.
Pour donner plus de majesté à son architecture qui bute sur le plus vieux Paris du côté Est on va créer les Tuileries, son prolongement les Champs Elysées et la perspective de la Défense. Si bien qu'il est l'image même de la dynamique de la ville qui se tend vers une mer encore lointaine, un horizon largement ouvert.
En ses murs, sans cesse repris par des règnes successifs, des ambitions qui s'additionnent, des foucades de prince, une vie nouvelle s'est installée. Donnant à voir l'excellence de la pensée humaine, des rêves qui se multiplient sur toile et se cherchent une écriture toujours au plus près de l'émotion.
On ne doit pas oublier les fantômes qui errent entre ces murs de marbre, ces salles sonores qui furent faites pour des foules, des cérémonies compliquées, tout ce théâtre de la grandeur dont elles sont le cadre naturel.
On avait, dans les années 50, évoqué Belphégore et ses malédictions. La nuit, lanterne à la main qui écrit son faisceau de lumière sur les marbres immobiles et pensifs, des vigiles surveillent les lieux. Dans le grand silence qui succède aux rumeurs des foules journalières, l'imaginaire peut recréer tout un monde de fantasmes et de terreurs. Tout comme pour l'histoire des poupées qui, la nuit venue, mènent leur aventure, les statues venues de la nuit du temps, assoupies devant les regards béats des foules, risquent de frémir, le temps si bref d'un silence qui se fait complice de toutes les mémoires qui se sont accumulées en elles.
Le musée donnerait-il vie à l'immobilité du passé. Il n'en est pas que la mémoire.

 


 
 
posté le 16-04-2009 à 14:20:42

Promenade rue de l'Odéon.

Un itinéraire ciblé depuis la station de métro Odéon en direction du Soleil dans la tête 10, rue de Vaugirard, entre le Boul'Mich et le Luxembourg.
On saluait d'abord Danton, impérieux sur son socle et le bras tendu, en un geste de menace. Les historiens disent que la statue est érigée à l'endroit exact de son immeuble et qu'il est en quelque sorte dans sa salle à manger.
On aborde la rue de l'Odéon. Droite, discrète, avec à son terme (et elle l'encadre à la perfection) le théâtre de l'Odéon avec sa façade néoclassique. Il y a là des cafés, des salons de coiffure, des librairies et le souvenir surtout de deux librairies de légende : celle d'Adrienne Monnier qu'avait repris Jean François Chabrun, dans les années 50 après l'aventure de La Main à Plume, et, en face, celle de Sylvia Beach : "Shakespeare and Company". Elle doit sa gloire a avoir été celle qui donna à James Joyce la chance d'être connu du public français.
Ce sont les libraires, souvent, qui font la réputation des écrivains.


 


 
 
 

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