posté le 29-06-2008 à 10:38:16
Poèmes de la guerre d'Algérie.
Ce n'était qu'un modeste cahier ronéoté sur les presses du bureau militaire où j'assumais un secrétariat volontiers porté à favoriser les sorties de copains ayant à disposition le matériel pour le faire, mais, dans le même temps, expérimentant les secrets de la dactylographie que j'ai pratiqué constamment depuis.
Poèmes écrits à la craie est-il dit parce qu'alors j'étais fasciné par les graffitis et autres manifestations spontanées dont le terrain de prédilection était les pissoirs publics, les WC des cafés "bas de gamme" ou "à soldat".
André Pieyre de Mandiargues à qui j'en avais alors parlé, m'avait montré un minuscule carnet relié en skaï qu'il tenait au plus secret de ses poches pour l'utiliser en notant dans les urinoirs les phrases les plus frappantes. Souvent d'une beauté déchirante dans leur simplicité, leur brutalité.
On n'est pas loin de la guerre et de ses horreurs. Je demandais à mes amis de donner leur opinion sur la chose. On n'en fit pas une théorie, simplement un constat qui alimentait notre soif de poésie.
Avec le temps l'art du graffiti est devenu la logorrhée graphique qui a envahi les murs des villes. Il a perdu une partie de son sens même s'il pérpétue la volonté de s'affirmer dans une spontanéité parfois rude et agressive. Il est le chant viril du graffiti qui lui en est le murmure.
posté le 28-06-2008 à 13:51:15
Chez Vieira da Silva.
Chez Vieira da Silva.
Outre sa jolie maison de Yevres-le-chatel (l'un des plus beaux villages de France nous dit la publicité) dans le Loiret, Vieira da Silva (avec son époux Arpad Szenes) a un atelier à Paris au fin fond du XV° arrondissement dans une rue au calme provincial. En fait, une maison (moderne) sur la rue, et séparé par un minuscule jardin vaguement japonisant, l'atelier et ses toiles en gestation, car le travail de la peinture se fait dans la lenteur, l'exquise lenteur de la rêverie sur la couleur qui glisse comme une eau précieuse le long de forme déchiquetées qui créent des espaces labyrinthiques.
Lors de ses absences elle confiait son atelier au plus charmant des couples d'artistes venus du Portugal qui tentaient alors la conquête de Paris : Lourdes Castro et René Bertholo. On faisait des fêtes de l'esprit allant jusqu'à esquisser des projets pour leur revue KWY qui sera l'un des jalons forts de la vie artistique des années 60.
Nous voici dans l'atelier haut d'Arpad Szenes. René Bertholo s'aventure sur une
feuille posée à l'horizontal, en un dessin dont il a le secret. Fait de circonvolutions tendres, parfois narquoises, prêtes à engendrer des présences, des formes inspirées de la réalité, et Lourdès qui alignait ses invités face à un mur, créait une projection de leur silhouette qu'elle retenait d'un crayon souple et fraternel car elle donnait à ces curieux portraits d'empreinte, une chaleur qui démentait la rigueur un peu froide du procédé.
Chez Vieira da Silva un atelier improvisé où soufflait l'esprit et crépitait l'humour.
posté le 28-06-2008 à 11:24:11
Le Paris de Germain Nouveau.
Le Paris de Germain Nouveau.
Tout comme Baudelaire ou Gérard de Nerval, Germain Nouveau est un errant sur le pavé parisien. Sans domicile fixe que ceux que lui offrent le hasard, les rencontres, les amitiés. Tour à tour : 16, rue de Vaugirard, 11, rue Auber, 233, rue Saint Jacques, 24, rue Bonaparte, 34, rue des Boulangers, 49, rue Pigalle, 238 rue Saint Jacques, 80, boulevard Saint Germain, 19 boulevard Rochechouart, 135 boulevard Montparnasse, 6, rue de l'Arrivée, 130 ter boulevard de Clichy, 104 rue d'Amsterdam, 19, rue Nicole, 7 rue Durantin, 45, rue Mouffetard, 5, rue de Varenne, 3, rue Chomel, 66 rue de Grenelle.
Une emprise du paysage parisien qui, sans doute, le marque, laisse des traces dans sa poésie, encore que rien n'y soit directement transmissible. Les rapports d'un poète avec son environnement ne relèvent pas de l'inventaire ou de la description au premier degré. Ils alimentent sa sensibilité, son inconscient, et ne réaparaissent que furtivement à l'angle d'un texte, ou sous la texture même d'une phrase. Ils alimentent moins un recueil d'images, que des sensations secrètes, une mémoire d'autant plus aigue qu'elle sous-tend le poème sans se révéler dans une unicité descriptive. Ce qui différencie le poète du chroniqueur ou de l'historien.
posté le 28-06-2008 à 11:01:49
La promenade à Berzy.
Dans le triangle Laon, Soissons, Château-Thierry fourmillent les souvenirs du passé, les traces d'aventures humaines fantastiques et de l'Histoire qui y a déployé quelques unes de ses pages les plus dramatiques.
Berzy-le-Sec est un modeste village où la vie se déroule un peu à la manière de celle que l'incomparable Chaston Chaissac se plaît à raconter dans ses lettres savoureuses. Peu de faits majeurs, un quotidien pittoresque à la mesure des acteurs, ces gens simples, complexes plus qu'il n'y paraît et qui font la force et la faiblesse (tout à la fois) des horizons campagnards.
Mais le joyau de ces villages est souvent une ruine vénérable, quelques pans de mur qui l'ornent et marquent avec magnificence une "entrée", preuve, s'il en faut encore, que le franchissement du seuil était autrefois (et d'ailleurs tarifé avec l'octroi) avec les fermetures nocturnes, des "temps" marquants pour aborder la cité vaillamment défendue. Tout déplacement ayant alors l'aspect d'une quête et nombreuses sont, dans les contes, les allusions au rite de la pénétration d'un lieu, de sa conquête. Ruines vénérables, avec une pointe de majesté, un luxe tranquille, celui de la force militaire.
posté le 27-06-2008 à 15:43:56
Les cahiers d'Artaud, l'esprit en déroute.
Il faut revenir aux "cahiers" d'Artaud. Car ils s'imposent dans notre monde de la pensée à vif, de la douleur, de la protestation, comme des exemples majeurs.
D'ordinaire, le cahier de l'écrivain est plus tempéré, il reste une plage ouverte à toutes les investigations dans l'attente de l'acte même de l'écriture. Celui qui engage définitivement celui qui l'entreprend.
S'il joue le rôle du Journal il a même des aspects qui sont ceux de la civilité (pour soi-même). On peut les comptabiliser sans effroi, et l'esthétique même de l'objet est parfois recherchée.
Rien de tel avec Artaud. On l'a dit, répété. Ceux qui furent les témoins de ses dernières années s'en souviennent. Il les enfouissait dans ses poches. Les ressortait à tout moment. Ecrivait (généralement avec un tout petit crayon, de ceux que l'on suce comme un bonbon comme pour chercher l'inspiration) dans les moments les moins propices à cet exercice : sur ses genoux, sur le coin de la cheminée de sa chambre à Ivry, dans la tumulte des voyages en métro (il quittait le Boul'Mich à la station Saint Michel, descente Mairie d'Ivry).
Et pourtant, on regarde ces cahiers comme des reliques. En déchiffrer le contenu est pénible. Il fallait la ténacité, la patience, l'amour qu'elle y mettait, pour que Paule Thévenin en vint à bout.
L'attrait de ces cahiers ne relève-t-il pas de leur cas si particulier, qui joue pour leur aspect négligé mais traduit bien la présence constante de l'auteur. Ils adhérent étroitement à son errance parisienne des années 45-48 quand ayant recouvert la liberté il affrontait le regard critique de ceux qu'il croisait (hormis la poignée des fidèles, autour de Marcel Bisiaux, d'Adamov, de Colette et Henri Thomas). Quoi, un poète ce clochard marmonnant, éructant, avec sa face marquée par la douleur, ses pardessus trop grands et tachés ? Un clochard magnifique diront ceux qui l'aimaient. Et les cahiers sont l'épopée de cette errance pathétique et aujourd'hui légendaire.
posté le 26-06-2008 à 16:19:30
Promenade parmi les ruines 2.
Les velléités paternelles nous ramenaient toujours dans ce terrain en friche (il ne l'est plus) sur lequel était plantée cette magnifique tour reste de ce qui fut, à en croire la littérature historique locale, la retraite campagnarde des évêques de Soissons.
Déjà, en famille, on rêvait de la manière la plus convenable de s'organiser dans cet espace peu fait pour une résidence rationnelle et "bourgeoise". La rêve avait la grandeur capable de nous motiver mais la réalité nous repoussait, et les caprices de l'intéressé qui, ici comme en maintes autres occasions, avait tergiversé tant que l'occasion d'en être propriétaire s'envola. C'est devenu une propriété communale assortie d'une heureuse restauration de l'espace verdoyant qui entourait ce vénérable monument. On y retournait au nom de la nostalgie. Les visiteurs dominicaux avaient droit à une visite commentée et affligée. C'est qu'on aimait le moyen-âge en famille. Je me consolais de ne pouvoir dormir sous les meneaux de la tour de rêve en rêvant sur les belles gravures de Gustave Doré. Ceci découlant de cela, à moins que par une logique imperturbable, Doré entrait dans l'espace de nos rêves familiaux.
Un incident, pourtant, qui manqua d'être tragique. Un dimanche avec M.. et notre fille Laurence on se promenait dans le jardin encore sauvage. L'enfant sautillant à quelques mètres de nous. Soudain je constante que nous passons à proximité de trous camouflées dans les hautes herbes et, me penchant, j'y vois l'eau saumâtre de ce qui devaient être les anciennes douves. Un univers glauque et terrifiant où il était si facile de chuter. J'en fais encore, parfois, des cauchemars.
posté le 26-06-2008 à 15:40:43
Le village et son château.
Un village sans son château ( haut perché, murs crénelés, et une végétation sauvage pour lui donner un aspect plus aimable) perd beaucoup de son attrait. L'assurance d'une vielle forteresse domine souvent la montée tranquille des maisons qui l'entourent et dont elle assurait la protection. On y parvient pas un chemin tournoyant, malaisé (oh ! La Fontaine), semé de pierres et fraternel pour les petits flirts locaux. Le café de la place (l'unique mais gentiment bruyant) propose des cartes postales qui montrent sous toutes ses faces une architecture chargée d'Histoire mais mise à mal par le temps, les aléas politiques qui sont liés à son aventure, parce qu'elle n'en est pas qu'un témoin, mais, souvent un acteur principal.
Mérimée est passé par là avec ses complices, amateurs de "vieilles pierres", dont le charmant et prolixe Charles Nodier. Grâce à eux, ce qui pouvait être sauvé l'aura été (et Viollet-le-Duc entre dans la danse, à qui l'on doit Carcassonne et Pierrefonds).
Restent les irréductibles, dont les murailles étaient trop délabrées pour renaître et retrouver leur forme initiale. Mais grâce à elles, le romantisme s'est développé, et perdure dans nos âmes éprises de ces grands corps malades qui portent avec grandeur et fierté leurs plaies.
posté le 26-06-2008 à 15:19:46
Ruines crépusculaires.
Temps crépusculaire.
C'avait été un journée de promenade (le train depuis Munich). Une excursion dans les Alpes bavaroises entre clochettes pittoresques et gastaus où se caler les fesses dans un banc de bois clair pour déguster des framboises. Une longue marche à pied dans la montagne. M'est venu après, en consultant les cartes, que c'était le site du fameux refuge de Hitler, lieu stratégique de son horrible régime, paré des fastes de Wagner et marqué du sceau de l'infamie. J'ai retrouvé les cartes postales qui d'une part exaltent le charme bavarois de la grande maison du chef et celle qui, dans un superbe effet de proue, souligne l'état de désastre qui s'en suivi. Contrairement aux ruines antiques qui portent mémoire des palais de tyrans locaux, et dressent d'admirables alignements de colonnes exaltant les forces mâles d'un régime pourtant cruel, celles du Berghof dénoncent un lieu maudit. Même le ciel s'est accordé à l'esprit fatal et tragique du lieu. C'est une lumière crépusculaire.
Je me disais qu'à l'heure même où s'opérait cette transformation ayant force d'exemple au regard de l'Histoire, j'apprenais celle-ci, dans des manuels désuets, à l'ombre d'un aimable château de la région parisienne ( Santeny). On y apprenait le grec en regardant par les fenêtres des moutons paître tranquillement dans les pâtures qui nous servaient d'espace de détente.
posté le 24-06-2008 à 14:34:48
Promenade parmi les ruines.
Ma passion pour Hubert Robert date de ma fréquentation assidue du Louvre quand j'y faisais des études un peu distraites (résultat, un abandon d'un enseignement pourtant prestigieux). Le temps fut venu où l'occasion m'était donnée de pouvoir me livrer totalement à l'admiration profonde que j'éprouve pour cet artiste, et dans la logique d'une recherche qui m'avait conduit à écrire un essai sur Piranèse, je fus invité à m'exercer sur Hubert Robert (une étude sur des dessins). Retour au Louvre, dont il fut l'un des conservateurs lors de sa création. Et méditation sur le problème des ruines dont il avait avec une étonnante acuité envisagé l'état de ruine. L'architecte d'Hitler (Albert Speer) reprendra la formule : une architecture est belle quand elle peut faire de belles ruines. Imaginer le Louvre avec sa grande galerie à "ciel ouvert" et livrée à la végétation, est un acte poétique qui m'a toujours fasciné. Et les ruines d'Hubert Robert ne sont jamais tragiques. Il y flotte un parfum de fantaisie, une grâce particulière (on est au siècle de Fragonard), la vie s'y poursuit ( comme chez Piranèse pourtant nettement plus solennel).
posté le 23-06-2008 à 15:45:41
Promenade parmi les ruines. 1.
Si puissamment fixée en ma mémoire qu'elle fait partie de ma plus intime mythologie. Mon enfance a été bercée à sa contemplation nocturne, d'une fenêtre du dortoir où je me languissais. Il m'en était venue l'idée d'écrire un vaste roman de cape et d'épée (j'étais alors fanatique d'Alexandre Dumas). J'ai le souvenir, très précis, d'un petit carnet à couverture bleue (ce qui était peu approprié à la rédaction d'un aussi ambitieux projet littéraire), mais il avait été choisi parce qu'il me permettait d'y écrire pendant les cours, ayant pour ceux-ci une attention fort capricieuse sauf quand il s'agissait des cours d'Histoire (j'y étais incollable).
Peu conscient de mes contradictions, visant à rivaliser avec Alexandre Dumas je rêvais, en solitaire, devenir une sorte de Proust de ma génération. L'homme d'un seul livre, étroitement lié à ma vie, découlant d'elle, la justifiant.
Rêve depuis abandonné, non sans douleur, mais la conception que j'en garderai de la littérature m'a condamné à réduire le champ de mes investigations, rejetant le roman purement descriptif (et même psychologique) au profit d'une culture de la littérature comme champ d'expérimentation. En fait, travailler sur les mots pour en tirer une musique bien personnelle, flirtant au besoin avec l'anecdote, mais n'ayant celle-ci que comme prétexte et surtout pas finalité.
Ne pas écrire pour raconter (on s'éloigne de Dumas) mais percer le secret des mots, l'espace de la sensation. Peut-être, dans le domaine du verbe, ce que firent les impressionnistes vis à vis du réel.
posté le 20-06-2008 à 14:49:20
Promenade parmi les ruines.
On peut imaginer Jean Jacques Rousseau, dans l'espace verdoyant du parc d'Ermenonville, herborisant et s'attardant, le temps d'une rêverie, sur les marches du temple de la philosophie.
Le climat des ruines incite à des retours sur soi, une sorte de parenthèse dans la dynamique de la vie. C'est une parenthèse dédiée au bonheur de se souvenir, au gouffre de la réflexion. Quand le peintre organise des ruines c'est pour orchestrer une vie simple, pastorale, non dénuée de tendresse et portée parfois à la mélancolie (elle a son charme).
posté le 20-06-2008 à 14:09:51
Promenade parmi les ruines.
Est-ce le goût de mon grand-père pour les ruines qui perdure à travers celui que je manifeste également avec une belle constance, l'ayant récemment noté en rangeant livres et documents où je trouve une trace permanente de cet intérêt qui n'a rien de morbide.
Il fut à l'origine du petit essai "Le Complexe de Pompéi" qui n'a pas eu de grande carrière parce que, sans doute, le public a été désorienté par la couverture qui portait le nom de Pompéi et représentait des ruines du Forum Romain. Simple erreur de maquette. Le texte fait le tour de ce qui fut un courant de l'art dans les années 80 où entre Boltanski et OIlivier Brice, les Poirier et Vostell, bref une génération qui s'inspire de la mémoire et d'une certaine géographie héritée de la dernière guerre s'exprimait le souci de s'interroger sur soi même. La ruine étant le support de la mémoire.
Les ruines qui me fascinent relèvent moins d'un désastre historique que du simple travail du temps qui ravage l'effort de l'architecte, en bouleverse l'ordre, marque les matériaux de son empreinte où l'on peut voir aussi l'ouverture à une certaine sagesse. C'est celle des amateurs de jardin qui, au XVIII° siècle, ornaient l'espace de fausses ruines (Méreville, désert de Retz, Ermenonville, parc Monceau),
La peinture de l'époque en fait la cadre parfois gracieux de pastorales, de scènes familières (Panini, Hubert Robert et pourquoi pas Piranèse).
J'aimerais faire un jour une série de promenades (à la manière de Jean-Jacques Rousseau) d'un rêveur parmi les ruines. Ce serait une suite de séquences autour de châteaux, abbayes et autres temples antiques mêlant à la saveur d'une observation des lieux (à la manière d'un guide) des souvenirs et, pourquoi pas, des lambeaux de fictions inspirées par les légendes locales. Ce qui permettrait de recomposer ce que furent les lieux au temps de leur splendeur.
posté le 20-06-2008 à 11:12:41
A propos d'arbres.
C'est un rêve d'enfant. Que l'on se souvienne des histoires de jeux de piste, dans l'épaisseur des forêts, et qu'on imagine, même en réduction, cet espace à la fois mystérieux et enveloppant, où le frissonnement des branches lourdement chargées suggère quelque vie qui nous accompagne, nous protège car il ne peut y avoir que complicité tendre dans un espace aussi vénérable et protecteur.
Un jardin n'est pas que la fiction de la forêt, il n'atteindra jamais ses immensités où craquent les branchages que l'on devine (en le craignant confusément) le glissement de l'animal à la recherche de sa proie. Déserté par la faune que la forêt protège, le jardin vibre d'autant plus fort aux marques multiples de notre présence. Il est attentif à notre approche, on peut dialoguer avec lui.
Parler aux arbres n'est pas plus sot qu'entretenir une conversation animée avec un animal familier. S'il ne manifeste qu'une immobilité en proportion de sa taille et de son ampleur, il n'en est pas moins attentif à notre amitié.
En dépit des efforts paternels (docteur en botanique) je n'ai jamais su identifier les arbres que je rencontrais. Nullement signe d'indifférence mais inculture dont il ne semble pas qu'ils m'aient tenu rigueur.
Le mouvement tendre et distrait de la branche que chatouille l'oiseau en transit suffit pour donner tout son sens à l'espace qu'il occupe et diversifie
posté le 19-06-2008 à 16:07:51
Janine Béraud (Arland) au jardin.
Elle fut présente au Soleil dans la tête, dans les différentes expositions inspirées par l'idée du jardin. C'est Jeanine Béraud (l'épouse de Marcel Arland). Jean Paulhan avait orné de mots savants une invitation de son exposition personnelle. C'est dire qu'encadrée par des gourous de la littérature fomentée sous la houlette de la NRF (une de ses oeuvres, magnifique, ornait le bureau de la revue à côté d'un fougueux dessin d'André Masson), elle pouvait passer pour un peintre littéraire. Ce qu'elle n'était pas. Encore qu'elle pratiquait une peinture qui suscite des commentaires poétiques, loin du bavardage philosophique alors à la mode et qui brouillait la vision que l'on pouvait avoir de la peinture.
Importe plus la manière supposée (à la vue d'une oeuvre) d'aborder son sujet. J'imagine que Janine Beraud se plaçait au coeur de l'espace qu'elle appréhendait, au centre d'un tumulte végétal dont elle traduisait les courant contraires, les envolées, les entremêlements véhéments, écrivant l'ardeur végétale d'une main tendre et souple, complice de cette vie organique où l'oeil se perd, s'enchante des coulées de sève, des crépitements de la lumière, des poches d'ombre qui se juxtaposent, se superposent, se confondent enfin dans une masse frémissante et chaleureuse.
posté le 19-06-2008 à 12:01:07
Mirobolant Miro.
Miro mirobolant.
Dans le cadre d'une série d'Entretiens pour ce qui était alors l'ORTF, après avoir rencontré quelques veuves : abusives (comme Madame Kandinsky), cancanières (comme Madame Sonia Delaunay, au demeurant peintre majeur), débonnaires et fort charmantes (comme Madame Gabrielle Buffet-Picabia), mélancoliques (comme Madame Alice Halicka, autre peintre attachant qui fut l'épouse de Marcoussis et l'amie de tout ce qui comptait dans les années 20), perdue dans son passé (comme Madame André Derain, survivant dans la belle demeure du peintre à Chambourcy, et comme une sorte de princesse en son château endormi), et quelques uns de ceux qui l'ont connu (comme D.H.Kanhweiler, Papazoff, Roland Dorgelès, Man Ray (il faudra revenir à lui, "l'unique en sa demeure") Joan Miro apportait un ton particulier. Fait de fraîcheur et de grâce dansante, à l'image de ce qu'il peignait alors dans son bel atelier de Palma de Majorque.
Le voici dans l'immensité de l'espace occupé par des oeuvres en cours, il va de l'une à l'autre, mène un étrange ballet parmi les papiers étalés ça et là, et offerts à l'improvisation d'un pinceau vagabond, sautant de taches en balafres, de boucles en frissons de l'encre, où la couleur s'esclaffe, et chauffe une histoire qui échappe aux mots, un poème qui transcrit l'émotion recueillie l'instant d'avant, ou quand le matin le peintre va, sur la plage, à la recherche de galets qui l'inspirent. On les retrouve, alignés sagement le long des murs de l'atelier. Ils font un drôle de chemin espiègle et trépident. Miro raconte sa promenade avec des couleurs et des formes venues de la nature. Il s'est inventé tout un paysage faramineux autour des chevalets posés un peu au hasard, comme des obstacles sur un parcours, à moins qu'ils ne soient des relais.
posté le 19-06-2008 à 11:46:11
Clémenceau succcède à Robert de Montesquiou.
Enfant, et quasiment en voisin, j'avais visité l'appartement de Clémenceau dans la tranquille rue Franklin, presque'à l'ombre de Trocadéro. Le guide, qui était l'ancien valet de chambre de l'illustre homme politique, assurait la visite et ne manquait pas de souligner que la pendule ornant la cheminée de la chambre s'était arrêtée à l'heure même de la mort de son maître. On admirait ensuite l'étonnant bureau en fer à cheval, excessivement orné, qui supportait quelques uns de ces objets que tout écrivain aime avoir "autour" de lui pour l'aider à l'inspiration. Il y avait là les traces d'un homme cultivé, appréciant les arts et curieux de civilisations lointaines.
Le jardin auquel on accédait par un petit perron et ses douces marches un peu usées, avait pour plus bel ornement des massifs opulents de rosiers, Clémenceau, nous disait-on, aimait les soigner lui-même.
Bien longtemps après, je devais apprendre que l'endroit fut aussi habité par le fat, curieux, extravagant Robert de Montesquiou, l'homme à la canne impétueuse (elle devait l'aider, dit la rumeur publique, à se frayer un passage parmi les dames affolées qui fuyaient le bazar de la charité alors livré aux flammes, on connaît l'histoire de ce drame effroyable qui dissémina l'aristocratie de l'époque comme la bataille d'Azincourt avait touché ses ancêtres). On sait aussi que Proust, tout en l'admirant, ne se privera pas d'en faire le modèle de son abominable Charlus, ce qui suscita quelques cris d'horreur de la part de la victime ainsi désignée.
Il nous reste le portrait si distingué de Boldini pour immortaliser le personnage. On notera que le hiératisme voulu pour les portraits mondains (surtout ayant pour sujet de nobles personnes) s'infléchit ici au nom d'une grâce exquise, équivoque et surtout affectée, qui annonce le personnage et ses prestations mondaines.
posté le 19-06-2008 à 11:23:22
Encore Gaston Chaissac.
Puisqu'il est question de "lettres" dirais-je assez combien j'ai regretté de n'avoir jamais rencontré Gaston Chaissac. Une rencontre ratée (tout comme pour Blaise Cendrars) alors que celles de Samuel Beckett ou d'Henri Michaux relèvent de l'échec. Avec le premier parce que j'étais intimidé (allez savoir pourquoi ?). Elle s'est bornée à quelques pas, rue Jacob, à commenter les vitrines de quelques antiquaires et d'évoquer Nathalie Barney (qui vivait au 20 de la rue) et dont Beckett n'avait manifestement rien à dire, tant elle est loin de son univers. Avec Michaux c'est plus subtil et un rien pervers. Il avait assisté à la présentation de presse du film que Charles Chaboud (en fait, la fille de Pierre Schaeffer prendra le relais du tournage) avait programmé pour TF1, en partant du "Complexe de Pompéi", un modeste petit essai sur la mémoire et la fascination des ruines que j'avais alors commis et qu'avait gentiment publié Sophie Horay.
Michaux, cinglant, un rien méprisant, m'assurant que l'ouvrage avait été bien utile pour caler le pied boiteux d'une commode chez lui. Sans doute une galéjade, il me fallait la prendre pour telle, mais la flèche m'a blessé. Sans rien gommer de l'intense admiration que j'ai pour lui.
Chaissac donc. Il reviendra constamment dans le déploiement des mots qui constituent la matière même de mes "lettres". J'admire sa verve, son sens du ridicule, son acuité de vision devant les petites choses de la vie, les personnes. C'est une sorte de Saint-Simon des petites gens, de la campagne. Des portraits impitoyables et cependant jamais méchants. Une approche si directe de la vie, débarrassée de tout préjugé. Une aubaine pour qui veut traduire la vie et la pensée de ceux qui n'ont pas accès au verbe dans toutes ses subtilités. Encore qu'il faudrait revoir nos propres préjugés. Ce sont parfois les propos "bruts" de ceux qui ne revendiquent pas la culture (un fond de commerce pour gens avertis ?) qui parfois visent au plus près le sens de la vie.
posté le 18-06-2008 à 16:59:03
Chic, c'est Chaissac.
Chic c'est Chaissac.
On avait, dans les années 80, donné, sous ce titre, une page du Quotidien du Paris qui était alors un journal florissant, capable de consacrer une page entière au peintre-poète-cordonnier dont nous admirions les oeuvres. Non en les comparant à la "production" de l'époque mais comme expression d'une individualité "farouche" peu disposée à jouer le jeu de "l'artistiquement correct" . On était là, dans la pensée de Dubuffet. S'est-on parfois interrogé sur le fait que ce dernier avait aussi regardé du côté de Chaissac, retrouvant là la boulimie de Picasso qui fait son oeuvre aussi en pillant les autres. Ce n'est pas le propos d'urgence. En revanche redisons combien Chaissac est important pour la santé mentale de notre génération. Et, me semble-t-il, plus encore aujourd'hui où l'on détruit systématiquement l'art du passé, chacun se prenant pour Marcel Duchamp, dont il n'est qu'un médiocre imitateur.
Chaissac est en dehors de cette querelle des anciens et des modernes. Unique en sa propriété. Il aurait pu être d'une autre génération. Nous avons eu la veine qu'il fut de la notre et que nous pouvions le célébrer.
Chic c'est Chaissac est toujours d'actualité. Une merveilleuse incursion dans la liberté de créer en dehors de tout préjugé, de toute "école", et surtout de toute théorie. Un air frais, celui de la cour de récréation. C'est là, dans l'école où sa femme enseignait, qu'il disposait ses totems. C'est dire qu'il leur avait trouvé le meilleur site pour s'épanouir.
posté le 18-06-2008 à 16:54:10
Antonin Artaud dans l'urgence.
On en revient, curieusement, toujours et conduit par une nécessité que l'on découvre en chemin, alors même qu'on n'envisageait pas de s'y attarder, à Antonin Artaud. Le découvrir dans l'adolescence (mais n'est-ce pas le moment opportun pour l'aborder au mieux de sa disponibilité d'esprit), c'est assurément se munir d'une sorte de viatique que d'autres vont chercher chez Saint Exupery ou quelque littérature de bonne volonté. Tandis qu'Artaud nous précipite, tête la première, dans le gouffre de notre questionnement le plus résolu, le plus fatal. La verbe n'y est pas celui de l'apaisement ni de l'ordre de la prophétie mais de l'invective, apostrophant les dieux, en état de suppliciation pour reprendre un de ses termes.
Alors, d'emblée, tout ce que l'on va découvrir à la lumière de sa seule présence en notre pensée, va se colorer d'une sombre (et sans doute fascinante) lumière d'un autre monde (l'au-delà ?) un espace qui n'est pas de celui de l'apaisement auquel on aspire mais dans l'urgence des angoisses que l'on veut d'ordinaire occulter.
En parfait déséquilibre sur les idées reçues que l'on s'apprête à recueillir, et sur les promesses d'un monde de la cruauté (mentale), traversé par les feux vaillants de quelques grands esprits de Sade à Nietzsche, de Jarry à Van Gogh. Désormais on pensera hors des normes de la culture telle qu'on nous l'a agrémentée pour le bien social. On sera marqué au fer dans le sillage des grandes aventures de l'esprit qui défient le bien être social.
On aura été marqué par un "écrivain se trouvant, pas nature, dans le même état de folie, d'hallucination constante où tout l'effort de Rimbaud et des surréalistes est de jeter la poésie" En son coeur.
posté le 18-06-2008 à 15:56:30
Pour un musée lapidaire.
C'était un grand père qu'on eut dit sorti d'une bande dessinée, ou de l'un de ces livres qui, au XIX° siècle, vantaient les mérites de la colonisation et imposaient des militaires à l'allure martiale mais aux objectifs humains. C'était quand la France exportait ses valeurs et ses codes sociaux. Mais Napoléon n'a-t-il pas fait de même quand, au fil de l'épée, il veut mettre l'Europe sous le couvert de sa gloire et des idées de la Révolution dont il se fait l'ambassadeur.
Je l'ai toujours connu ( et un peu redouté) que sanglé dans un uniforme d'un blanc impeccable, portant pour un oui ou pour un non un casque colonial ( sous le ciel de l'Ile de France ça ne manquait pas de saveur!) Ayant participé à la reconquête du Chemin des Dames il achète, au soir de sa vie, une poignée de maisons en ruine autour de ce qui fut le chai d'un couvent voisin. D'où, dans le lot, des caves voûtées qui se succédaient, s'entrecroisaient, constituaient un étonnant labyrinthe où notre enfance découvrait les mystères des légendes attachées aux souterrains, et se nourrissait d'Histoire car, plutôt que des souvenirs de campagnes lointaines, ce grand-père préférait nous abreuver de récits développés à partir de nos livres d'Histoire. A ce goût culturel plutôt louable s'ajoutait celui des vieilles pierres qu'il collectionnait avec ferveur. Sans craindre d'aller faire quelques emprunts contestables sur des champs de ruines de monuments historiques, nombreux dans la région, et pour la plupart menacés d'un retour à la sauvagerie d'une nature qui les envahissait. Abbayes, châteaux et domaines agricoles abandonnés livraient des monceaux de pierres ouvragées, qu'il disposait avec amour au milieu de son jardin et jusque dans le potager. (Cela me rappelle la collection de sculptures de ses amis artistes Arp, Giacometti, Brancusi, que Max Ernst disposait parmi ses salades et ses plans de tomates dans sa propriété d'Huismes, proche de Tours).
Avec le goût des souterrains (d'où mon amour pour la tour de Monthlery qui a fasciné mon enfance) ce grand-père somme toute pittoresque m'aura donné celui des vieilles pierres. J'ai d'ailleurs conservé quelques unes de celles qu'il avait assemblé, les transportant de lieu en lieu, comme des reliques d'une enfance placée sous d'aussi bizarres manies.
posté le 17-06-2008 à 14:16:10
Des mots en l'air.
J'en reviens au papier, le support naturel des mots. Il l'était. L'exercice que j'entreprends ici prouverait le contraire. L'usage de l'informatique peut y suppléer. Il n'offre pas la même garantie, le même confort. J'ai une pratique trop suivie et constante de l'écriture "à la main" pour ne pas mesurer toute la distance qu'il peut y avoir entre ce rapport délicieux (encore que parfois conflictuel) avec le papier (Colette ne pouvait écrire que sur du papier bleu) et cette projection aléatoire des mots dans l'espace par le biais de l'ordinateur, cette espèce de machine qui fonctionne à plein régime et nous submerge de mots, d'images, d'information qu'on s'y noierait si l'on n'y prenait pas garde.
Sur le clavier les lettres s'assemblent sous nos mains. L'écriture est une saccade de pulsions ordonnées pas la vison du clavier. On est à bord d'une sorte de véhicule dont on tente de maîtriser l'avance, et qui n'offre pas cette sensualité que prête l'écriture traditionnelle où même le choix de la plume peut jouer sur le devenir de ce qu'on écrira.
Une faiblesse de la machine, c'est qu'elle ne permet pas à la main qui court sur le papier en toute liberté, de s'attarder, de bifurquer, de dépasser les limites des mots pour aller se nicher dans les dessins, car le graphisme est fait de fantaisie, d'inventions permanentes, d'une constante liaison de la main avec l'imaginaire qui la commande et l'infléchit vers des continents que la machine ignore. Ils lui sont interdits.
posté le 17-06-2008 à 14:00:50
Baudelaire, si proche et pathétique.
Le voici donc, magnifique et sublime, théâtral et pathétique, avec son air de dandy fatigué (ou malade) ayant déjà traversé le miroir. Il a conservé cette intensité du regard qui est le propre des hommes de génie (n'est-ce- pas celui d'un Picasso ?)
Un regard qui est autant porté sur soi (à l'intérieur de soi) que sur le monde extérieur. Un regard d'eau et de feu. La blancheur excessive du col détache la tête du corps, en souligne le volume si plein et dense, où sont vigoureusement dessinés les traits qui disent la personnalité, signent l'individu qui porte "à hauteur de la tête" sa folie intérieure. Celui qui n'affiche rien serait-il une négation d'homme, une simple mécanique coulée dans le moule social pour se confondre avec la masse ?
Baudelaire exhibe et promène sa quête comme une enseigne. On ne s'adresse pas, à un tel homme, comme au simple planton qui nous interdit l'entrée d'un lieu que l'on veut atteindre. Et pourtant il est, d'une certaine manière, à la fois la sentinelle et le coeur de cette citadelle qui nous enseigne les profondeurs du monde (et de notre propre conscience).
C'est pourtant à l'instant où il redevient homme (au niveau de notre propre fragilité) qu'il est le plus pathétique, le plus attachant. Soleil noir de notre modernité, il est le frère sublime de Gérard de Nerval.
posté le 14-06-2008 à 14:45:41
Sous le porche.
Ne sont pas rares, dans l'encoignure des porches des églises, ces mains tendues dont on s'aperçoit qu'elles appartiennent à des femmes maigres et drapées de tissus informes comme on en voit dans les peintures de la période bleue de Picasso (elles viennent de l'Est et orthographient approximativement leurs besoins mais l'enfant est toujours l'alibi) et des hommes chevelus qui préfèrent nettement le chien comme complice de leur désarroi. J'ai pensé subitement à Germain Nouveau, ce fils de sous-préfet, venu faire la noce à Paris, fuguant avec Rimbaud jusqu'à Londres, se saoulant avec Verlaine aux terrasses du boul'mich à Paris et retournant dans son village du Var, réduit à l'état de mendiant poussé à la fois par une volonté d'ascèse et un repli sur soi qui est suicidaire. La légende veut que Cézanne, sortant de la messe, lui aurait "donné la pièce". Rencontre insolite de deux forces camouflées dans l'anonymat : ici du bourgeois bougon, là du mendiant qu'on ne regarde pas, ou avec une sorte de crainte comme si on se reconnaissait en lui, s'identifiant à un destin qui nous menace.
G.. m'a raconté l'histoire d'un mendiant que sa très jeune fille, revenant de l'école de son quartier, avait ramené "à la maison" lors d'une de ses absences. Poussée à la fois par la pitié et une malsaine curiosité, elle avait installé un homme dont elle ne connaissait rien dans le lit de sa mère. Il y pris ses aises, y devient exigeant (il faut se souvenir de "Boudu sauvé des eaux", cet admirable film de Jean Renoir) et il manqua de peu que la mère revenue fut interdite de reprendre possession de son domaine, l'inconnu s'y étant incrusté d'agressive manière.
posté le 14-06-2008 à 14:13:50
Une histoire de statue.
J'avais le souvenir, dans un film de Cocteau, (sans doute la première version d'Orphée), d'une statue ornant le seuil de la maison du poète. Comme un totem (de ceux qui bordent le fleuve impassible dont parle Rimbaud), et j'en avais été émerveillé. Par un effet de mimétisme ( un peu puéril), j'avais choisi de faire de même. La statue était de celles que l'on vend dans des sortes de parcs qui bordent les routes nationales où l'on débite du nain de jardin et des fontaines "à la "Versailles" ornant les bassins minuscules des villas "sans souci" du français moyen qui étale, là, ses fastes colorés de nostalgie monarchique.
Un peu honteux tout de même de cette acquisition d'un goût douteux (encore que le modèle n'était pas sans charme et que le déhanchement très 1900 de la dame avait de quoi séduire) je l'avais, à la Celle sous Montmirail, dans un minuscule jardin de curé, enfouie (ou presque) dans un fourrée de jeune verdure. Elle y avait gagné une certaine dignité et la patine des ans passés. C'était, parait-il, le procédé utilisé par certains antiquaires, pour camoufler le trop évident état de neuf de meubles faussement de style à qui l'on voulait donner une histoire !
Transportée là où je suis, la statue a effectivement gagné en crédibilité.
posté le 12-06-2008 à 12:00:06
Un chemin dans la neige.C'étaient les chemins ruraux que mon père empruntait, par tous les temps, pour porter secours à des malade
C'étaient les chemins ruraux que mon père empruntait, par tous les temps, pour porter secours à des malades grincheux qui lui offraient un vin aigre, en plus du prix de la visite et qu'il se croyait obliger d'ingurgiter sans grimacer. J'aurais voulu qu'il donne à mon ami Roger Lauzun (Bergstrasser) qui lui avait proposé, ses mémoires de médecin de campagne. Mais il répugnait à se livrer et je ne pense pas qu'il mettait la littérature (en étais-ce, à ce niveau du style témoignage ?) à un niveau supérieur, contrairement à ma mère qui chérissait tout à la fois Paul-Jean Toulet et Francis Carco. Il y avait aussi, derrière ces choix, des souvenirs montmartrois quand elle habitait rue du Baigneur, au bas de la Butte Montmartre.
Un chemin tortueux, dont je fais aujourd'hui mes délices à travers une peinture dense quoique modeste de cette chère Nelly Debray-Dancé dont il semble que la postérité n'a pas voulu retenir le nom et guère plus l'oeuvre. Pourtant, pour l'avoir vue au travail je pouvais me dire qu'elle était bien l'incarnation du peintre sur le motif, sans concession à des notions théoriques ni soucieuse autrement d'attirer l'attention du chaland sur ce qu'elle donnait à voir. Car elle peignait comme d'autres, autour d'elle, se livraient à ces rites innocents d'une bourgeoisie de province un peu piquée de culture (pas trop) et vaine car sans destin que celui de perpétuer des valeurs et des idées héritées et sans danger. Un monde de confort tranquille que la peinture de Nelly traduit sans malice ni une véritable lucidité.
Le froid distillé par sa peinture de Siry-Salsogne (le nom du village que l'on aperçoit tassé dans son manteau de neige) c'est celui que l'on observe de sa voiture enmmitoufflé dans des fourrures précieuses, avec, sur le côté, un verre de wisky de la meilleure marque pour se chauffer de l'intérieur.
posté le 11-06-2008 à 12:39:49
Proposition pour un jardin.
Propositions pour un jardin.
Autre manière d'annoncer par le biais d'une exposition de peinture,
l'approche du jardin dans ses aspects les plus secrets, les plus
inattendus. Là encore il y eut la rencontre de personnalités fort
différentes car l'enjeu voulait qu'il en fut ainsi. On ne voulait pas
illustrer un courant artistique, ni défendre une "école", mais jouer de
la force suggestive de chacun de ceux qui y participaient, pour
composer un paysage avec sa diversité naturelle.
Et me voici au coeur d'un jardin. Ample, chargé de végétations un peu
sauvage qu'on s'était bien gardé de domestiquer, de freiner, laissant à
chaque arbuste le plaisir de s'étendre à sa guise, de se mêler à son
voisin. D'où cet amalgame dense de branches qui se chevauchent
s'emmêlent et formulent une certaine idée de la nature à ses origines.
Encore que l'ordre en soit aussi, ça et là, signifié par la tonte des
herbages jouant à la pelouse sans en avoir la raideur et la sécheresse,
et retrouvant le charme frémissent des bords de route que l'on fauche
en ce moment pour donner un peu d'harmonie à ce qui, abandonné aux
caprices de la croissance végétale, ferait penser à ces pièces
désordonnées, encombrées de vilaines choses qu'aucune main un peu
délicate n'aurait songer à éloigner pour donner plus de charme, une
beauté instantanée, aux objets qu'on aurait conservé.
Un savant dosage en somme entre vitalité sauvage et harmonie méditée.
Car, ici et là, c'est une invitation à la méditation. D'où mon attrait
pour ce jardin évoqué.
Il ne manque pas de quelques arbres vénérables, vieux d'un siècle ou
deux. Majestueux en leurs branchages où se nichent des pies bavardes,
et d'inquiétants corbeaux aux plus hautes branches, les oiseaux de
plumage plus séduisant et de chant plus élaboré, préférant les tailles
plus modestes, une arborescence médiane.
Ce qui n'est qu'un bois de miniature, et pour les regards enfantins,
offre cependant des ombrages épais, des zones plus secrètes où chemine
un sentier dallé. Je l'ai baptisé la Voie Appia en souvenir de cette
Rome éperdue de splendeurs patinées par le temps. On peut y élaborer
des amorces de promenades digestives, ou dans le seul but de surveiller
la croissance spontanée, furtive, de fleurs sauvages où domine la
violette et le muguet.
posté le 09-06-2008 à 10:17:12
L'Instant végétal.
L'INSTANT VEGETAL.
J'avais longuement rêvé sur ce titre avant qu'il ne devienne celui d'une exposition au Soleil dans la tête, qui réunissait des peintres et la voix des poètes que l'on avait enregistré pour l'occasion. Ce qui avait été une exposition aurait pu très bien être un livre. Comme je les aime, sans frontière et échappant à tous les genres. Revendiquant aussi bien la concision du poème, la liberté d'une prose dite poétique et n'accordant au roman qu'un moyen de se faire reconnaître. Et lire. Car le prestige du roman, les plaisirs qu'il promet, les richesses aventureuses qu'il annonce en font un produit séduisant qui a mes yeux a le tord de s'enfermer sur lui-même. Ce serait à l'égal d'une maison bien close avec ses pièces, ses personnages, ses rumeurs et sa chute puisqu'on demande à un roman de raconter une histoire qui a un commencement, et une fin.
Un texte qui échappe à ces contraintes a plus de chance de s'ouvrir et de nous entraîner vers des échappées heureuses, de se tricoter comme un opulent lainage qui a son grain, ses méandres laineux, sa texture aimable aux doigts. Une prose à l'épiderme sensible que l'on étreint, pénètre, approche avec une gamme de sensations diverses comme on approche un corps vivant, avec ses parfums, ses oscillations alors qu'il participe à cette union promise, car un texte qui a ces qualités là vibre aussi au contact de celui qui l'a recherché, et va s'en emparer.
Un rapt. Une cohésion formidable du lecteur avec sa lecture. D'ailleurs les livres qui relèvent de cette discipline ( de cette catégorie) sont eux-mêmes d'une nature différente du livre ordinaire. Son papier, son encrage, son volume en font un personnage qui a son caractère, annonce sa nature.
Les livres de club, si moqués par les bibliophiles, ont d'une certaine manière ces qualités de singularité, d'unicité, qui en font des objets en tous points de leur aspect à la ressemblance de leur contenu. On a des rapports différents avec de tels livres. Ils deviennent des compagnons de route.
posté le 08-06-2008 à 18:53:17
Les Carnets de Proust;
Les carnets, terrain de toutes les aventures des mots.
S'était imposé à moi, et il m'arrive d'y repenser, la vision du tas branlant, des carnets de Marcel Proust, dans la reconstitution de sa chambre (celle de la rue Hamelin) au musée Carnavalet ,à côté de celles de Paul Léautaud et d'Anna de Noailles.
Le saut hygiénique chez Léautaud et le brûle-parfum chez la Noailles. Tout un symbole. Ici la vie un peu rance d'un vieux célibataire, endurci, et là la chambre alcôve (où en jouant le rôle) de celle qui recevait couchée, habillée de dentelles précieuses, ses visiteurs, dont Maurice Barrès qui s'asseyait au bout du lit, un bouquet à la main, dans le rôle de l'admirateur un peu amoureux, à la galanteie surannée, propre à flatter l'orgueil un peu naïf de l'auteur des "Vies Innombrables" (ma mère était une lectrice admirative de ces pages brûlantes et un affectées).
Proust donc, et ses carnets. Ici ce sont sans doute des leurres, peut-être des fac-similés les originaux étant précieusement conservés à la Bibliothèque Nationale pour permettre aux chercheurs d'y fouiller encore et encore, les menus détails qui doivent expliquer l'oeuvre. J'aime cette idée de chasse, de braconnage sur des terres inconnues, des marécages de mots, des bosquets touffus de phrases aussi contorsionnées que des branchages entremêles dans l'épaisseur de la forêt. Plonger dans le magma des idées notées à la "va-vite" et au creux d'un lit de souffrance. Quel territoire de surprise.
Le carnet a ceci de particulier qu'il est censé suivre, accompagner celui qui a choisi d'y noter les éléments à retenir pour, par la suite, construire un monument verbal. Terrain de la spontanéité, exposé à tous les accidents de parcours. L'écrivain a ceci de commun avec l'explorateur qu'il part à l'aventure.
Parfois un cordon, un bruyant élastique entoure le carnet. Souligne sa rusticité mais aussi sa fonction, au fond de la poche il va subir les accidents de parcours, l'usure qui est une garantie de son bon usage.
posté le 20-05-2008 à 17:22:02
La passion du papier.
La passion du papier.
Le plaisir d'écrire ( si l'on exclue sa pratique comme simple thérapie pour combler une douleur, une angoisse, un mal de vivre), implique un choix très soigné de son support. On rencontre des amoureux des mots dans les rayons papeterie des "grandes surfaces" (les seuls capables de consacrer un espace conséquent à une marchandise qui n'est pas des plus essentielles à la vie quotidienne - voire ?), et dans certains petits magasins comme ceux de la rue Louis Philippe qui se glisse, malicieuse, vers la Seine, en épelant quelques enseignes évoquant le moyen-âge ( le quartier s'y prête bien). C'est là, en fin d'après midi, la cohue d'étudiants attardés qui choisissent avec soin le papier le plus rare, venu de contrées lointaines (quelque Chine de légende) ou tout simplement des moulins qui tournent encore pour façonner des feuilles au riche grain, aux nuances délicates, quelque part du côté des monts d'Auvergne avec des appellations surannées familières aux bibliophiles.
Papier et carnet. Ce dernier a toutes les formes que la fantaisie des créateurs sait leur donner. J'ai connu une jeune femme éprise à ce point de ces objets qu'elle les collectionnait sans jamais oser y inscrire le moindre mot. J'éprouve souvent la même retenue sachant qu'une fois mordu par le premier mot un carnet peut devenir un objet souillé. C'est le viol de la création que rien ne peut excuser s'il n'est pas couronné de succès, ou a atteint son but.
Le père de la romancière Colette (à laquelle d'ailleurs il donne son nom) s'enfermait de longues après-midi dans son "bureau", passant, aux yeux des siens, se livrer à quelques travaux d'écriture dont, pourtant, il ne voulait jamais rien révéler. Un secret si bien gardé s'ébruite à la mort de celui qui l'impose, et l'on découvrit sur les rayonnages du digne personnage des rangés de cahiers soigneusement reliés restés vierges. A quoi se livrait le cher homme en s'enfermant, au nom de la création, exigeant ce calme supposé favorable à son élaboration ?
Je pense aussi aux cahiers d'écolier qu'Antonin Artaud traînait toujours dans ses poches et qu'il couvrait, dans des mouvements spontanés, furieux parfois, de ces hiéroglyphes d'une écriture chargée de passion et de colère.
Cette passion vient de loin, d'une tradition de l'école communale, quand l'ouverture des cahiers aux couvertures patriotiques le jour de la rentrée nous plongeait dans une délicieuse ivresse.
posté le 17-05-2008 à 15:08:20
Débuts dans l'informatique.
Longtemps, en d'autres lieux (La Celle sous Montmirail) les Lettres de la campagne relevaient d'une tradition de l'écriture qui suppose le stylo, la plume (pas forcement sergent-major) et les cahiers soigneusement choisis pour y consigner une prose qui s'accordait au rythme des jours, à la lumière et portaient en eux les menus incidents qui font la richesse et le charme des instants quotidiens. Car c'était le quotidien que relevaient des lettres qui se voulaient libérées de toute contrainte, de toute consigne et n'avaient de prix que pour celui qui savait s'arrêter aux choses simples qui font le bonheur. Ce bonheur qu'expriment des peintres comme Bonnard. Regardez sa manière de saisir un geste, le charme d'une présence. Ces lettres (elles existent, sur papier) supposaient un accord fidèle aux petites choses qui font les grandes mémoires.
Ici, désormais, le propos n'est pas différent mais la manière de les consigner totalement différente. Sans doute va-t-elle jouer un rôle dans le déroulement même de la prose qui s'accorde désormais non plus au papier sur lequel crisse la plume et reste visible l'effort de la main, mais s'inscrit directement dans le caractère qui est dejà celui de la chose imprimée.
On se retrouve dans le même cas que Restif de la Bretonne qui "composait" ses textes directement sur le "marbre" an manipulant les caractères agencés pour la presse. Il y aurait long à dire sur l'incidence de ce rapport direct avec la matérialité des lettres. On se rapproche du geste du sculpteur qui façonne dans la matière même l'idée qu'il a dans la tête et trouve sa solution dans la puissance de la main.
Commentaires
1. Lehenga sarees le 10-10-2013 à 07:28:43 (site)
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