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lettres de la campagne

posté le 17-08-2011 à 22:35:56

Narcisse chez les psychiatres.

La Mythologie invente des tragédies domestiques qui se transforment en légendes.
Voici, entrant en scène Echo, qui s'acharnait à détourner l'attention de la jalouse Junon, alors que son infidèle époux, Jupiter courtisait ses soeurs les nymphes.  
Junon, ayant compris le manège, la condamne à ne pouvoir que répéter les derniers mots de son interlocuteur.
C'est alors qu'Echo s'éprend du beau Narcisse fils du fleuve Céphise et d'une autre nymphe : Liriopé. Loin d'être flatté par cette attention flatteuse, Narcisse repousse les avances et pour venger sa protégée Vénus condamne Narcisse à n'aimer que son propre visage.
En se penchant sur les eaux Narcisse s'enfonce dans une solitude qui menace sa survie. Alors les dieux apitoyés le transforment en fleuve. Il retrouve ainsi la nature dont il était issu. Mais sur la rive, d'où il devait choir dans l'eau, des fleurs poussèrent pour perpétuer sa présence sur terre : ce sont les narcisses.
Ovide conte cette histoire chargée de symboles dans "les Métamorphoses".

La symbolique de cette histoire  entre dans le domaine de la psychanalyse en lui fournissant des clefs pour détecter certaines fixations égocentriques qui entraînent ceux qui en sont victimes vers une impossibilité de communiquer.
En duo de malédictions  : Echo dépouillée du droit de s'exprimer et Narcisse de s'éprendre d'autrui, constituent l'un des couples dont la Mythologie nous a pourvu pour une meilleure connaissance de notre insertion dans le monde qui nous entoure et des problèmes pour y parvenir.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 17-08-2011 à 22:46:54

Il serait peut-être "narcissique" de répondre ici, tout artiste relève tant soit peu de cet "écho" , plongé dans l'eau des rêves, le visage tourné vers l'ailleurs ; le ciel étoilé vous tienne en bonne compagnie...

2. saintsonge  le 18-08-2011 à 18:47:21

Au fait, il a été su que "le narcissime absolu" est le foetus nageant dans la matrice.... Complice de la mère / mer ?

 
 
 
posté le 17-08-2011 à 16:37:24

Lettre aux Amazones 3

Lettre aux Amazones 3

D'un lieu à l'autre le temps a fait son chemin. Chacun change et le ciel de Rome a des douceurs qu'on ignore à Paris. Surtout quand on va le chercher du côté de ce champ de ruines que Piranèse peuplait de moutons, de chèvres excessivement cornues et de silhouettes cousines de celle que Jacques Callot plante au pied des gibets. On ne s'égare pas, sinon que parmi ces temples en loque, ces colonnes remontées comme pour créer un décor d'opéra, il circule un calendrier qui joue à saute mouton sur le temps, et les figures des figurants (sont-ils figés ?) n'habitent pas leurs habits. Elles sont ce qu'on en fait. Descendues chacune d'une histoire qui leur est propre. Osera-t-on les mêler, provoquer un choc des mots qui recréer le chaos qu'ils ont pour mission d'organiser.
On cherche Polia dans la foule. D'abord elle n'aime pas son nom, ce qui risque de l'éloigner d'une histoire qui n'est pas tout à fait la sienne. Est-ce  que l'on  peut impunément se glisser dans uns histoire qui nous est étrangère. On y serait l'intrus. Qu'on est déjà, souvent, étranger à sa propre histoire.
Polia,  elle , n'est jamais là où on l'attend. Elle est le mouvement.
On la rencontre dans les trains internationaux, traînant des valises à roulettes qui sautillent sur le sol.
Les parents sont oubliés. Quelques années sans doute, quand la fillette devient femme, ou presque, et qu'elle exagère vraiment l'idée (précoce) qu'elle s'en fait.
Elle s'exagère ce qu'elle veut être, et ne sera jamais tout à fait son rêve
Flamboyante de tous ses rêves, et en équilibre sur des talons prématurés vertiginueux quand ils complètent la silhouette d'une femme qui a vécue. Dont on dit, en la voyant, qu'elle est d'expérience, sûre d'elle, sans doute, au lit, trop savante pour être sincère.
Il était venu pour l'innocence furtive lue sur un visage, allait-il trouver la formule standard un rien cynique qui accompagne une trop éclatante beauté.
Le temps a passé, des incidents de toutes natures ont bousculé l'itinéraire qu'il croyait tracé par le seul élan de l'amour.
Comme si, de même qu'une machine pourtant bien pensée pour l'accomplissement des missions qu'on veut lui confier, ne se met en marche qu'avec peine, et la désolation est le prix de bien des cheminements. Surtout si l'amour en est l'enjeu.
Rome, se dit-il est la ville de toutes les crapuleries. Il erra dans de sordides quartiers, ceux-là même que fréquentait Messaline quand elle cherchait le plaisir et ne le trouvait que dans l'ignominie des enlacements suspects voire scandaleux.
Ce qu'une impératrice égarée par ses sens n'atteint pas, un inconnu, portant les habits d'un autre pays, aura-il le pouvoir de le conjurer. L'innocence souvent ouvre des portes qu'on ne franchi croit-t-on qu'en usant de savants stratagèmes.
 

 


 
 
posté le 17-08-2011 à 16:31:58

Zo illustre Raymond Roussel.

La personnalité étrange (bizarre, j'ai dit bizarre) de Raymond Roussel suscite une flopée de publications savantes. Par son caractère énigmatique, et parce qu'elle est codée (?), l'oeuvre de Roussel échappe à toute analyse sensible, pour exiger de son lecteur une attention d'entomologiste scrutant les réactions d'un insecte qu'il retient entre les doigts.
A moins qu'il n'invente, pour notre plus grande perplexité, des labyrinthes savants qu'il nous abandonne en pince-sans-rire (prince du rire).
D'ordinaire, les commentateurs de Roussel sont très sérieux et poussent l'analyse vers des horizons qui exigent de bonnes lunettes mentales. Son biographe principal, François Caradec, est plutôt versé dans la manie de l'archiviste et il sait admirablement, avec sagacité et un rien d'humour, dresser un personnage, le situer dans son temps ( parmi les surréalistes avec Michel Leiris comme poisson-pilote).
Parmi les bizarreries de cet étrange "homme de lettres " (lui y tenait) il y a la commande passée à un obscur peintre basque Henri ZO (qui illustra des textes de Pierre Loti) d'images propres à illustrer son dernier livre "Les Nouvelles Impressions d'Afrique". Pour l'aider il fait pour chaque "image" une description minutieuse, en quelque sorte une description. On a, par les mots, l'image avant que celle-ci est une existence visuelle. Procédé qui à y bien réfléchir est un formidable tremplin pour des expériences littéraires qu'il reste à faire.
Ajoutons qu'il avait trouvé cet artiste en passant par une agence de détective.

 


 
 
posté le 17-08-2011 à 10:33:55

La rigueur de Pierre Charbonnier.

Multiple en ses réalisations (pour le cinema, le théâtre, l'illustration) Pierre Charbonnier est un peintre "couvert de poètes". C'est d'ailleurs plutôt dans leur compagnie et le jeu des amitiés qu'il va évoluer.
On le verra créer les décors de quelques films "historiques" comme "Le Journal d'un curé de campagne" de Robert Bresson puis "d'un condamné à mort s'est échappé". Trouvant dans cet art le sens de l'épure qui va définir son art.
Un temps il collabore avec l'architecte Auguste Perret ce qui le conduit à pratiquer la peinture murale. Il passe sans encombre au domaine de l'illustration, d'André Salmon à René Char, dans une complicité étroite avec le monde des mots.
L'art de Pierre Charbonnier va évoluer sur ses seuls critères, qui tournent le dos aux modes, à la logique de l'évolution de l'art contemporain. Se faisant une place de choix dans cette catégorie éclectique d'artistes qui manient la figuration non pour dire la réalité mais traduire une vision qui leur est propre et réinventent leur réalité. La sienne dans une sorte de simplicité touchante, qui ne craint pas de frôler les poncifs, sachant les défier.

 


Commentaires

 

1. Saintsonge  le 17-08-2011 à 14:54:41

il doit y avoir sur la porte du salon écrit : attention, peintre poète...
le ciel vous tienne en joie (du Charbonnier, gardant foi)...
Depuis quimper ensoleillée, bonne journée

 
 
 
posté le 16-08-2011 à 22:48:46

Royère pilote André Breton.

Mallarmé (de son vivant même) suscita auprès des jeunes qui fréquentent son logis de la rue de Rome une vénération que peu d'écrivains inspirent avec autant de dignité, de ferveur et de fidélité. Au point que chez certains l'admiration créé une sorte de mimétisme.
La poésie de Jean Royère, pour n'être pas très connue, procède de la même volonté d'hermétisme. Lui même l'admet "Je déclare que je ne me soucie pas outre mesure du clair génie français. Ma Poésie est obscure comme un lis. Pour moi l'Art est sensible. Or le jugement analytique laisse hors de lui la sensation, le sentiment et l'image qui n'est pas une métaphore."
L'étude qu' il consacre à Mallarmé, bien que ne l'ayant pas fréquenté de son vivant, relève du même culte, conforté par la préface de Paul Valery.
Curieusement,  c'est vers lui que le jeune André Breton s'adresse pour la publication de ses premiers vers ( à la manière de Mallarmé)  dans la revue de Royère : La Phalange. C'est encore Royère qui l'adresse à Paul Valery, mettant ainsi le futur créateur du Surréalisme sur la voie d'une poésie exigeante que d'ailleurs Breton abandonnera pour des expériences plus audacieuses et déterminantes pour son devenir.

 


 
 
posté le 16-08-2011 à 14:00:00

Charlotte Corday en figure de sainte

C'est étonnant comme l'iconographie des héroïnes de l'Histoire est manipulée selon les charges qu'elle véhiculent, et parfois dans une dualité "bien et mal".
Le cas de Jeanne d'Arc est le plus connu mais il rallie les tenants d'une notion de patriotisme (qui n'existait pas à son époque mais qu'elle préfigure).
L'iconographie de Charlotte Corday, pour n'être pas aussi riche, mérite qu'on s'y arrête, d'autant qu'elle peut être aussi bien considérée comme participant au domaine du crime que de la justice. Encore que les règles de conduite sociale admettent mal que la justice soit rendue par un geste criminel.
D'ordinaire, on met Charlotte en scène (SA scène, sans laquelle elle serait restée inconnue), le poignard à la main, ou chu au sol, et son partenaire dans sa baignoire.
Mais si l'on considère Marat comme un personnage positif elle est condamnée. Elle le fut.
Mais dans ce cheminement vers la condamnation elle prend brusquement une autre allure. Celle de la victime d'une machine infernale.
On sait que dans sa prison à la Conciergerie elle avait des contacts avec l'extérieur. C'est ainsi que Häuer fait son portrait.
C'était une "fraîche jeune fille"de bonne famille, une petite aristocratie de province nantie de beaucoup d'enfants et de peu de moyens, mais les apparences étaient sauves, et l'énergie une morale de vie. On revendiquait de descendre de Corneille et cela valait tous les blasons hérités de lointains ancêtres.
Charlotte victime de la "justice" d'une période de désordre social prend un nouveau visage qui ne relève plus de l'héroïsme mais s'inscrit dans la grande tradition chrétienne de victime désolée et désolante. Offerte à la pitié (piété) du public.
Les grilles de sa prison offrent  plastiquement  l'équivalent de ce que serait une de ces niches qui, dans les églises, offrent les figures de saints à la vénération des foules.
Dans son attitude, sa morphologie (et jusque dans la caractère mièvre qui lui est donnée), elle est bien une figure de sainte.


 


 
 
posté le 16-08-2011 à 10:49:51

Lapicque sur tous les flots.

La passion de Lapicque pour la Bretagne le conduit à devenir "un peintre de la mer". En toute logique il ira sur les flots à la recherche de divers sites (ici Venise) dont il va unifier la vision à son regard. Grâce à son écriture toute en circonvolutions il créé une étonnante unité entre le relief rocheux, tourmenté  ou la turbulence de la ville (qui est un port ) et l'agitation marine, la houle qui prend des couleurs de menace augmentée par le ciel comme en un effet d'échos.
La lisibilité de la peinture passe par l'énergie qu' a mis le peintre à dresser ce qui est par essence mouvements, force irrépressible.
Serait-ce l'ambition de la peinture de saisir le fugace, le vécu et jusqu'à l'impression que laisse sur nous ce moment de nature brutale qu'elle traduit dans l'énergie même de son exercice, d'ordinaire plutôt propre à figer ce qu'il montre.
C'est que Lapicque est passé par les stades de réflexion, d'expérimentation qui auront totalement transformé les buts et les fonctions de la peinture.
Qu'il soit passé de la "non-figuration" à cette imagerie du réel en ses instants d'intensité, dit bien que notre regard familiarisé par les nouveaux médias attend de la peinture qu'elle soit réactive.
Ce qui ne nous éloigne pas pour autant de, disons Chardin par exemple.

 


 
 
posté le 15-08-2011 à 11:12:16

Apollinaire vu par Chirico.

Le poète en idole.
On prétendait que Chirico auteur du portrait (?) de Guillaume Apollinaire avait eu une vision prémonitoire en en faisant une sorte de  figure frappée de quelque maléfice (traduit par les lunettes noires ).
Le visage atteint  par un éclat d'obus sur le Chemin des Dames pendant la guerre, il meurt des suites de ses blessures.
La peinture de Chirico, (et c'est ce qui fait son étonnante force),  pose des énigmes nous laissant le soin des les déchiffrer.
Le Surréalisme l'adopte, voyant en lui l'illustrateur de quelques unes de leurs ambitions plastiques.
Mais Apollinaire fut au départ de la démarche de Chirico, ce que sera Cocteau après la guerre (d'ailleurs il illustre des ouvrages de l'un et de l'autre).
D'Apollinaire il dira, illustrant une édition de "Calligrammes" :  
"Pour les lithographies je me suis inspiré de souvenirs qui aboutissent aux années 1913 ou 1914. Je venais de faire la connaissance du poète. Je lisais avidement ses vers où il est question fréquemment de soleils et d'étoiles. En même temps, par un  détour de la pensée qui m'est familier et dont le reflet s'exprime souvent dans mes tableaux, je songeais à l'Italie, à ses villes et à ses ruines. Bien vite, pour moi, par une de ces clartés qui, tout à coup, font découvrir à portée de main l'objet auquel on songe, les soleils et les étoiles revenaient sur terre comme de paisibles émigrants.  Sans doute s'étaient-ils éteints dans le ciel puisque je les voyais se rallumer à l'entrée des portiques de tant de maisons. Etait-il déraisonnable de ma part de baser sur la fantaisie de mon esprit et sur l'état de mes visions, les lithographies qui allaient voisiner avec les gammes poétiques dont Apollinaire joua en véritable visionnaire".
Retour sur le portrait.  Chirico adopte le même principe de projeter dans l'évocation du poète son propre univers. Pétrifié dans une sorte d'intemporalité, et comme frappé de mystère.

 


 
 
posté le 14-08-2011 à 14:00:57

Ambroise Vollard, l'aristocratie du marché de l'art.

Né "aux îles", Ambroise Vollard (1868- 1939) était venu à Paris pour poursuivre des études de droits, mais la passion de la collection, (de peintures) le conduit tout naturellement à devenir marchand.
Il apparaît sur le marché au moment même où deux grandes figures de ce milieu disparaissent ( Théo Van Gogh, le frère de Vincent, et le Père Tanguy) si  bien qu'il  va faire la liaison entre l'Impressionnisme et les nouveaux mouvements.
 Il défendra Renoir, Cézanne, Degas  et bientôt Picasso et Matisse. Après des débuts difficiles et des prises de contacts multiples il s'installe 34 puis 42 rue Laffitte alors haut lieu du marché de l'art.
Il l'inaugure par une exposition Manet, ce qui donne le ton. Manet étant (il suffit de lire Baudelaire) l'initiateur de la "modernité". Par le jeu des rencontres, des recommandations, et un brin de sagacité (il n'en manque pas), Vollard s'introduit dans le monde de l'art à travers ses figures les plus marquantes : Renoir (qui fait son portrait - de même que le feront Cézanne, Picasso), Cézanne, dont l'exposition devait marquer une étape dans sa carrière. Ses contemporains réalisent comment il est novateur, et il commence à devenir une sorte de maître à penser. Vollard se place sous sa protection intellectuelle.  Bientôt c'est vers Gauguin que va son intérêt. En élargissant son champ d'action Vollard consolide sa réputation. Il se lance dans l'édition.
L'intervention de Mary Cassatt qui connaît les grands collectionneurs américains apporte la touche finale à une irrésistible ascension qui bientôt le place au sommet du monde artistique.
Succès qui le conduit à acheter, toujours rue Laffitte  près des Grands Boulevards  un nouveau local (au 6). Le lieu dispose d'une cave qui va devenir légendaire. Vollard y organise des dîners qui réunissent aussi bien Odilon Redon que Forain ou Degas, mais aussi des artistes de la nouvelle génération : Bonnard, Roussel, et des écrivains, dont Alfred Jarry, ou encore la pétulante Misia Sert qui est devenue la femme d'Edwards. Par un jeu de relais se succèdent Picasso, Matisse, Vlaminck, Derain et même le douanier Rousseau.
Comme éditeur son activité est particulièrement heureuse dans ses choix qui vont de Bonnard et Vuillard à Maurice Denis et Renoir. De ces ouvrages, l'un des plus remarquables, et qui est passé à la légende, c'est le Verlaine illustré par Bonnard (Parallèlement). Un livre "clef" dans le domaine de la bibliophilie que confortent en ses principes un Daphnis et Chloé de Longus et Dingo d'Octave Mirbeau (les deux illustrés par Bonnard)
Une production qui ne fait que s'étendre, avec pour étapes  :  Degas (La Maison Tellier de Maupassant),  Chagall (Fables de La Fontaine),  Rouault (Les Ames mortes de Gogol), Picasso (Le Chef d'oeuvre inconnu de Balzac), Braque (Histoire naturelle de Buffon), Dunoyer de Segonzac (Les Georgiques de Virgile).
Ecrivant lui même Vollard  publie des souvenirs sur Cézanne, Degas, Renoir et surtout le Père Ubu.
La figure de Vollard s'impose comme l'une des plus importantes à la charnière des XIX° et XX° siècles. Il aura su faire du commerce de l'art une activité qui pour être dépendante des contraintes du marché (et des lois du profit), s'impose comme une sorte d'aristocratie qui aura des descendants jusqu'à aujourd'hui.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 14-08-2011 à 16:04:19

Ce 42 rue Lafitte, c'est la "rue fontaine" de la peinture, finalement...

 
 
 
posté le 14-08-2011 à 13:54:00

Rodin n'est pas érotique, c'est la culture.

La gloire de Rodin aidant, on connaît tous les détails de sa vie (compliquée) et de sa manière de travailler.
Il faisait poser les duchesses pour faire leur buste (qu'il faisait payer très cher)  mais aussi des modèles (souvent des prostituées) leur disant qu'elles vivent leur corps sans pudeur, lui croquant à toute allure les attitudes d'un corps en mouvement.
C'est intéressant cette double attitude qui dit bien que l'art se développe (et se trouve) dans la liberté et non dans les contraintes. Quant à sa vision du corps, elle dépasse largement les codes de l'érotisme, même si ses oeuvres sont perçues sous cet angle, réducteur.
Rodin voit en la femme qui s'abandonne à ses pulsions, bouge son corps au delà des codes de la pudeur, une version incarnée de la vitalité, dont celle de la nature. Le corps est un paysage dont on explore les moindres aspérités, dont on aborde le relief en ses caprices et ses singularités.
C'est la conscience (et l'inconscient analysé par la psychanalyse ) de l'homme marqué par des codes religieux ou sociaux (d'où les interdits),  qui connote le corps , ne le lisant pas pour ce qu'il est, mais des rites érotiques qui relèvent d'une vision mentale;  d'où le chemin tout tracé pour les perversions.
Les religions n'ont  fait qu'aggraver cette déviation


 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 15-08-2011 à 13:54:37

il y a aussi les masculins de Matisse

 
 
 
posté le 13-08-2011 à 18:46:31

Brassaï fait la couverture pour Prévert

D'une longue pratique de l'errance urbaine, qu'ils pratiquaient l'un et l'autre, Jacques Prévert et Brassai étaient faits pour se rencontrer, ne serait-ce que sur un livre, Brassai apportant aux textes de Prévert (si proches de la poésie de la rue) son regard percutant sur le mur, les graffitis, toutes choses qui sont de son monde et qu'il a admirablement photographié.
Ce fut un choc, dans l'embourgeoisement de l'édition et le respect de ses traditions, que la parution d'un ouvrage où la recherche de la lisibilité était compromise (dédaignée) au profit d'un effet graphique autant que plastique qui résumait l'esprit de ce qu'il contenait.
L'art de la couverture de livre faisait là un grand pas dans l'innovation, l'expression, dans une sorte d'unité fondamentale entre texte et illustration pour autant que s'en était une. Qui résumait tout l'esprit du livre.

 


 
 
posté le 13-08-2011 à 16:06:32

Les filles de Loth vues par Artaud

Lucas Van Leyden.

 Antonin Artaud plaçait l'oeuvre "très haut" dans ce palmarès que l'on se fait dans l'intimité de sa conscience et en fonction de ce que l'on attend de l'art.
Il voyait l'oeuvre au delà de sa place dans l'histoire de l'art.
Elle porte en elle, une force de catastrophe mentale qui traverse l'image, la transcende.
Elle est capable "d'émouvoir l'oreille autant que l'oeil". Parce que, selon lui, sa charge émotionnelle est explosive.
L'histoire veut que les filles de Loth se soient données à lui. C'est une page sulfureuse de la Bible, comme une sorte de maléfice qui va bouleverser le monde.
D'ailleurs Luca de Leyde, en peignant la scène, la cadre dans une lumière d'orage, des mouvements cosmiques insolites, une charge de tension et d'épouvante qui porte le paysage aux excès des mouvements qui l'agitent. Une pluie d'étoile (une pluie de feu) des naufrages, des chutes dues à un tremblement de terre, toute une agitation dans l'espace qui, bizarrement, semble laisser dans une totale indifférence les protagonistes de cette affaire d'adultère qui tourne le dos aux cataclysmes.
Rarement la peinture n'a su (voulu) dépasser ses problèmes spécifiques, pour atteindre cette zone mentale où tout se détraque, où le monde est comme saisi de convulsions.
Rarement la peinture fut moins innocente dans le maniement de son langage, en insufflant à l'image, aux évocations historiques qu'elle prend en charge, ce sentiment de catastrophe qui atteint le spectateur au coeur de sa conscience comme le ferait une musique qui vrille en votre fors intérieur.

 


 
 
posté le 12-08-2011 à 13:36:57

La femme dans son combat.

Dans l'étrangeté d'une lumière de catastrophe Albert von Keller ( une vision singulière de la femme !) fustige l'amour en donnant une version outrée, d'un lyrisme morbide, du sacrifice de Salomé.
Après l'amour (nous dit le commentaire du  tableau) la femme aura coupé la tête de son amant, comme la mante religieuse le dévore.
Elle s'éloigne, triomphante, de la couche où l'homme s'est affaissé, vaincu.
Cette représentation est très caractéristique d'une vision picturale du XIX° siècle qui, dans le même temps, voit émerger le féminisme revendiquant pour la femme les mêmes droit qu'à l'homme, dans une société qui aborde l'ère industrielle et de nouvelles technologies censées apporter le progrès.
Cette vision radicale et cruelle des rapports homme-femme, entretient une délectation morbide qui prospère jusque dans la littérature, où de surcroît intervient la censure religieuse. Si le symbolisme célèbre la femme "nymphe au coeur fidèle" il s'engouffre tout aussi radicalement dans les miasmes des colères, des angoisses de l'homme face au pouvoir de la femme qui fut lié uniquement à sa séduction, et  désormais tente de devenir son égale.
Ultime combat. La violence sexuelle quand elle entre dans l'espace de sa représentation picturale aujourd'hui relève  du sadisme. Elle est moins connotée historiquement  parce qu'elle se construit sur des spéculations mentales, (fantasmatiques) qui n'ont pas d'âge,  et non sur la condition féminine qui longtemps fut du côté de la victime.

 


 
 
posté le 12-08-2011 à 11:51:14

La nostalgie de l'Histoire.

 Comme les livres de notre enfance, ce sont les "livres d'Histoire" qui entretiennent le plus cette nostalgie (parfois délicieuse) qui nous gagne quand on tombe sur les illustrations qui font tout leur charme.
Celles des livres d'Histoire ont, de surcroît, la vertu de fixer dans l'esprit du jeune lecteur qui y découvre son passé (collectif) des faits que la fantaisie et l'imaginaire de l'illustrateur définissent à jamais. Et c'est bien l'étrangeté du phénomène que, tout comme la Mythologie a puisé dans un fond de vérité pour créer la fabuleuse légende de ses personnages, les faits historiques (que le rendu des mots laisse abstrait)  deviennent ce qu'en auront fait les illustrateurs qui les auront interprétés.
La réalité ne pourrait exister en tant que telle. Il faut toujours l'interpréter.
Et c'est l'interprétation qui perdure.


 


 
 
posté le 12-08-2011 à 10:16:49

Dormeuse de Frederic Leighton

Epoque guindée dans la respectabilité, l'ère Victorienne n'offrait pas aux peintres de grandes chances d'exprimer les excès de leurs fantasmes féminins.
Pourtant certains, comme Frederic Leighton, parviennent à aborder le monde de la femme en sortant des conventions mythologiques qui la figeaient dans les rôles  de déesses quand femmes elles voulaient être dans les dimensions charnelles qui faisaient à la fois leur charme et l'enjeu de leurs dérives.
Choisissant de les saisir dans les temps morts de leur vie sociale ( dont on ignorera tout) et lorsqu'elles s'abandonnent à leurs instincts, leurs faiblesses, et naturellement dans le temps de repos qui permet de les scruter sans qu'aucune comédie n'interfère, elles sont "au naturel".
Encore qu'à sa manière de s'abandonner au sommeil  on dénonce son temps, sinon sa classe.
Et c'est bien le charme de cette oeuvre si convenable (le peintre sera anobli) qui livre la femme dans son identité encore pudique  et les grâces qu'on lui reconnaît, soulignant une sensualité tranquille et paisible.
On est loin (en Angleterre) des convulsions érotiques des Viennois (Egon Schiele), sans que l'oeuvre soit pour autant dénuée de toute lascivité.
Le jeu des drapés, le rôle prépondérant de la lingerie, ces complices  étroits et inventifs de la sensualité féminine, contribuent largement au climat d'abandon du personnage enfermé dans son rêve et pourtant si vivement exposé.






 


 
 
posté le 11-08-2011 à 21:54:42

Apollinaire au plus intime.

C'est un carnet relié de carton brun, fort usé, d'une soixantaine de pages, qui suivra Apollinaire dans sa vie, depuis sa jeunesse (1898) jusqu'à la fin (16 octobre 1918, soit quelques jours avant sa mort).
On y suit l'évolution de l'écriture et, surtout, le caractère fébrile, désordonné, que le poète lui donne. Elle suit l'urgence de la notation, d'où le caractère souvent elliptique de la phrase, sans aucune recherche littéraire et comme jetée pour en conserver la mémoire.
La mémoire d'une rencontre souvent. Et il n'est pas tendre, certains s'y trouvent littéralement cloués au pilori de sa hargne, de ses préjugés (il est manifestement anti-sémite). Maurice Magre est "le péteux  de Toulouse", il s'en prend à Fernand Gregh (un autre juif)  et ses nombreuses aventures féminines , André Salmon  "est devenu très tante".  
Le texte est ainsi émaillé de jugements à l'emporte pièce, du genre de remarque que l'on fait au sortir d'un dîner ou d'une première au théâtre. Mais avec cette drôlerie (un peu lourde) qui fait partie de son caractère (de son charme ?).
Michel Décaudin (un des nombreux spécialistes d'Apollinaire) a entrepris de déchiffrer ce curieux document (découvert en 1952)  et à côté de sa reproduction d'en donner la transcription pour rendre le texte lisible.
Il n'apporte pas grand chose à la connaissance du poète, et, pire, pourrait donner de lui une idée de mesquinerie, de muflerie "vis à vis des dames", et surtout il reste laconique devant les grandes rencontres, les moments pourtant si nombreux, où Apolllinaire fut l'heureux témoin de quelques unes des "grandes heures de l'aventure artistique du XX° siècle, en ses débuts".
L'ouvrage est délicat dans son aspect éditorial, il va rejoindre la masse de documents qui entourent la vie d'Apollinaire, comme quoi d'être entré dans la légende suscite un foisonnement de livres qui relèvent plus du fétichisme que d'une approche positive de la littérature.

 


 
 
posté le 11-08-2011 à 11:46:13

Parc Monceau du duc d'Orléans à Zola.

Si paisible en son aspect actuel le lieu fut, à ses origines, une poignée de ces réserves de chasse que s'octroyaient des nobles arrogants et sans scrupules, grands chasseurs  entretenant,  dans des "remises", des animaux qui saccageaient  les cultures potagères des paysans de l'endroit  (quelques  minuscules villages).
Une concentration de quelques uns des plus grands noms de la France d'alors : Richelieu, Aumont,  Créqui,  Gesvres, et surtout Orléans, la branche cadette des tenants du trône et qui trouve en celui qui allait s'illustrer sous le nom de Philippe Egalité, et n'était encore que duc de Chartres, un des personnages typés de cette classe dominante, éprise de culture et moteur des idées nouvelles (même celles qui allaient précipiter sa chute à travers la Révolution).
Entre salons où l'on refaisait le monde et  "folies" discrètes mais somptueuses, sorte de garçonnières campagnardes,  allait se développer l'art des jardins anglais. Ainsi allait naître la Folie Monceau.
Ne reculant devant aucun sacrifice et assuré d'en pouvoir assumer la réalisation, le jeune seigneur va confier à Carmontelle, et Hubert Robert le soin de créer un  lieu à la fois de plaisir et de réflexion. Caractéristique de ces nouveaux jardins : ils célèbrent la philosophie en lui dédiant des temples à la manière antique, et  inventent des bosquets galants. C'est, sous les frais ombrages, la rencontre de Watteau et de Jean Jacques Rousseau.
Bien plus grand qu'il est aujourd'hui, le parc était déjà parsemé de ces références architecturales qui évoquent la fragilité du temps, la référence du passé, la mélancolie des destins et s'inscrivent dans une iconographie plus ou moins ésotérique (l'influence de la Franc-Maçonnerie y est évidente).
Il sera diminué lors des spéculations immobilières qu'entraîne le restructuration de Paris sous la houlette tyrannique d'Haussmann. De nouvelles rues, une architecture en qui s'incarne la respectabilité et l'opulence bourgeoise d'une nouvelle société de nantis, va grignoter sur les espaces de verdure. Ainsi né un quartier qui va bientôt être le terrain de chasse de Marcel Proust, stigmatisant une noblesse écartée du pouvoir mais soucieuse de conserver ses rites et son prestige.
Le parc Monceau s'inscrit comme un bijou rare au sein de cette montée de puissance d'une société avide et sans scrupules.
Zola en saura quelque chose qui va faire des abords du parc  le théâtre de ses plus cruelles analyses sociales au sein de la famille des Rougon-Macquart (on a l'aristocratie de l'argent en lieu de place de celle de l'ancien Régime). Dans "la Curée", c'est l'histoire d'Aristide Rougon (dit Saccard), de sa femme Renée, et du  beau fils et amant de celle-ci,  Maxime, le trublion cynique.
Alors le parc se resserre sur lui-même dans sa dignité pincée, les ruines sont une curiosité pour le promeneur et celui-ci, n'a plus avec l'environnement ce rapport savant et passionnel qui fut celui de sa conception, mais posé, pour un temps de détente, dans une idée de luxe tranquille et vénérable.

 


 
 
posté le 10-08-2011 à 21:48:18

Passage de l'Opéra avec Aragon.

C'est un des textes les plus séduisants d'Aragon, hors de toute visée politique, et d'une jeunesse qui fut ardente, enthousiaste, portée à toutes les découvertes :   "Le paysan de Paris".
 Il y a un écho de Restif de la Bretonne là dedans, sinon que Restif est un  vrai paysan et que pour Aragon c'est un masque (ou un défi). Outre un "voyage" au parc des Buttes Chaumont , à lui seul, déjà, un petit chef d'oeuvre, le "Passage de l'Opéra".
Il n'est plus. Oh ! passant  qui franchira le carrefour Richelieu Drouot tu marches sur les traces ce de qu'il fut. Haut lieu de la naissance du Surréalisme, concentré de vie dans ses complexités, ses dérives et ses ivresses.
Suivons Aragon : " Toute la faune des imaginations, et leur végétation marine, comme par une chevelure d'ombre se perd et se perpétue dans les zones mal éclairées de l'activité humaine. C'est là qu'apparaissent les grands phares spirituels, voisins par la forme des signes moins purs. La porte du mystère, une défaillance humaine l'ouvre et nous voilà dans les royaumes de l'ombre".
Et Aragon d'en souligner le caractère glauque. On est en des zones abyssales où rien de ce qui se déroule à l'air libre ne se trouve non sans être passé par le filtre du mystère. Ce sont des boutiques d'équivoque vocation ou vaines,  qu'on ne trouverait nulle par ailleurs. Un mélange de vétusté et d'insolite avec une approche si différente, qui relève de l'errance, de la marche nonchalante mais l'esprit ouvert, rendu curieux, car on est aussi en cabinet de curiosité.
Aragon nous propose un véritable inventaire de l'endroit , on est là dans la manie énumérative de Perrec (déjà si précis), mais gagné par l'étrangeté que le lieu impose à toute activité, serait-elle des plus ordinaires.
Même Céline (pour la passage Choiseul) fait la même remarque.
Le Passage est un monde en soi. S'y plonger c'est s'éloigner du réel quotidien.

 


 
 
posté le 10-08-2011 à 11:14:09

Kafka et son culte.

Il est souvent du destin des lieux attachés à la vie des créateurs que nous admirons qu'ils deviennent une sorte de boutique des produits dérivés d'une oeuvre qui n'y fut pas toujours élaborée mais ont sans aucun doute participé à sa nature, son esprit et son déroulement.
On va vers ces lieux avec l'esprit du pèlerin et en conséquence prêt à acquérir quelques babioles qui nous rappellent le personnage, sont comme des reliques que nous conserveront comme témoignage de notre culte.
Le tourisme, les grands monuments, les lieux de culte sont ainsi dominés par une emprise commerciale qui pollue au nom de la diffusion d'un nom, l'entretient d'un souvenir.
Kafka n'échappe pas à cette loi du marché d'autant qu'il domine incontestablement la vie culturelle de Prague.
On a un sentiment partagé quand les lieux qui sont imprégnés de son souvenir deviennent les supports des "miettes-souvenirs" qu'on y commerce.

 


 
 
posté le 10-08-2011 à 10:57:54

Un enfant de Valery Larbaud : Bernard Delvaille.

La tenue d'un Journal m'a toujours parue suspecte et quelque peu narcissique.
Quelle vie, quelle oeuvre mérite une telle attention soutenue, souvent quotidienne, pour ajouter aux mots d'un livre que l'on veut faire, les mots en marge qui tournent autour des questions, les creusent, les contournent, les fuient en fait.
Il y a de la complaisance  à s'analyser ainsi, user les mots pour polir son portrait mental.
Parfois (une exception ?) un Journal permet d'entrer plus lucidement dans l'oeuvre qu'il accompagne. Gide par exemple. Mais Gide est un professionnel des lettres. Un des rares à qui l'on peut pardonner l'usage un peu grotesque du terme : "homme de lettres". Il y a bien sûr les journaux qui sont l'oeuvre elle-même, comme la pathétique et crispante Marie Bashkirtsheff dont l'oeuvre la plus intéressante est son tombeau au cimetière de Passy ou celui, monumental, de Charles Du Bos qui parle moins de lui que de ses lectures, et ses analyses sont d'une rare pénétration.
Entrer dans le Journal (3 tomes)  de quelqu'un que l'on a connu, dont on a suivi les étapes d'une vie qui fut de raffinement et de culture aiguë est un exercice périlleux parce qu'au lieu de conforter l'idée que l'on s'en fait, elle distille un flou qui étonne et ouvre des horizons que l'on ne soupçonnait pas.
C'est Bernard Delvaille qui fut, dans les années 70, une figure en vue de la vie littéraire (il dirigeait chez Seghers la collection Poètes d'aujourd'hui), dont l'homosexualité reconnue, assumée, orientait ses choix de vie qui, à en  croire ses confidences, ne lui apportèrent pas le bonheur.
Des constantes en revanche qui soulignent bien le caractère délicat d'un tempérament porté à la littérature la plus rare (Valery Larbaud, Paul Morand, les Symbolistes), la musique ( Chopin, Brahms), et une perception particulièrement aiguë des odeurs végétale qui étonne chez ce citadin très "piéton de Paris".
Quelques tics, non d'écriture mais de mondain qui semble fasciné par les particules (souvent de fantaisie ou rappelant celles dont on faisait usage dans les romans bourgeois du XIX° siècle), le  frôlement des célébrités, une manière, presque naïve de montrer que l'on voyage beaucoup (NewYork - de belles descriptions -, Amsterdam, Vienne, les lacs italiens) comme un personnage de roman de Paul Morand. Moins homme pressé qu'homme avisé qui découvre les poètes baroques dans le train, et l'oeuvre de Taine au bord de l'Hudson.
De trop s'apitoyer sur soi-même rend une démarche suspecte. Un Journal trop intime est un exercice qui ressemble à l'édification du socle de la statue que l'on veut laisser pour la postérité. Le Journal de Bernard Delvaille échappe à cette faiblesse. Jusque dans ses défauts il a quelque chose de touchant. On y lit à livre ouvert la vie d'un homme trop sensible pour ne pas tenter de fuir dans la culture.
Au final il n'y a pas d'oeuvre mais un aveu émouvant.


 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 10-08-2011 à 12:22:05

Le Journal, dont j'ai tenu moi-même deux trois livrets, il ne demande pas à être tenu au jour le jour (on peut y revenir, s'y échapper donc), il est forcément autant "narcissique" que l'est l'homosexualité ; de mon côté, j'y plaçais moins du bêta : acheté ce matin saucisson, truc chose, façon page de Duras "la mouche était morte"..., ai lu de bonnes choses dans celui de Peter Handke , sans oublier votre favori, le journal de Kafka...(mieux que gazette Praguoise)...
Le Journal, je le tenais justement pour prendre une distance avec La Poésie (dite "la parole fleurie") et Les Roman-conte-nouvelle-pièce de théâtre de mes Jeunesses (au surligné du pluriel) ; puis Gide est alors l'homme de l'être...
J'irai peut-être découvrir celui de B.D (même initiale que moi, tiens...)
Le ciel vous tienne en bonne page , écoutez la parole des nuages....

 
 
 
posté le 08-08-2011 à 21:14:22

Le Banquet Rousseau au Bateau Lavoir.

L'endroit a perdu de son charme, et le Bateau Lavoir n'est plus, et ce n'est pas le pastiche à location réduite qui s'y dresse aujourd'hui qui remplacera le lieu légendaire. Le cousin qui me sortait de ma pension le jeudi m'y avait amené avec la dévotion du pèlerin. Ce devait être touchant de voir cet homme très frêle et délicat  me tenant par la main en me contant l'histoire du Bateau Lavoir. C'était un grand d'Espagne, cadet de famille, loin des splendeurs de ses aînés, reconverti en coiffeur pour vedette du cinéma dans ce Montmartre des années d'Occupation où la Butte était déserte et à l'image de quelque lointaine province et  où nous allions, la visite terminée, boire un chocolat chaud place du Tertre. Mon cousin rayonnant y rencontrait toujours quelque riverain (il connaissait tout le monde) et d'évoquer des souvenirs où revenaient comme des refrains les noms d'André Salmon, Van Dongen ou Paul Yaki, (l'historien de la Butte) son grand copain.
La Bateau Lavoir, était lié à l'histoire non moins légendaire du Banquet Rousseau.
Picasso qui venait d'acquérir chez un brocanteur de la rue des Martyrs la féérique "Yadwrigha" du vieux peintre qu'Apollinaire venait de découvrir, avait décidé d'inviter tous ses amis pour fêter la chose.
Ce fut une réunion où se côtoyaient les rapins du coin, des collectionneurs prestigieux (dont Gertrude Stein) des amis déjà "lancés" dans le petit monde de Montmartre :  Raoul Dufy, Otho Friesz, Georges Braque, Marie Laurencin (qui était pendue aux bras d'Apollinaire) et André Salmon qui improvisa un de ces poèmes-récits qui firent les beaux-jours de ces années d'intense activité poétique (jusqu'à la première guerre mondiale).

 


 
 
posté le 08-08-2011 à 13:57:02

Monsu Desiderio nous offre Metz et son calvaire.

C'était du temps où la ville, bien serrée dans son enceinte, avait les dimensions propres à s'offrir d'un seul coup  d'oeil, comme une personne que l'on a en face de soi, dans la franchise de son identité, sans ces ramifications obscures, confuses, inquiétantes, que sont les banlieues qui n'en finissent pas de croître dans le désordre. Une ville que l'on pouvait parcourir à pied, de dimension humaine, et fraternelle, propre à la confidence.
Elle se plaçait sous la protection d'un saint, de quelque figure religieuse que l'on y honorait car la ferveur était une vertu civique.
Le peintre qui, alors, s'était attaché à faire le portrait de la ville, rendait bien cette idée. Tel Monsu Desiderio qui peint la ville de Metz, dont sont originaires François de Nomé et Didier Barra qui ne font qu'un sous ce nom étrange convenant si bien à la peinture qui sort de cette dualité dont on a tenté de percer les mystères. (Qui fait quoi ?  et peu à peu la lumière se fait sur cet atelier des catastrophes et des mystères)
Metz, et un calvaire hors les murs, en référence directe à ce que fut le Golgotha sous les murs de Jérusalem. Toutes les villes, en ces temps de profonde piété (XVI° siècle), étaient une version de Jérusalem (Céleste).
Rien n'était perdu cependant pour la "couleur locale". Ici dans cette atmosphère propre à l'univers déployé par Monsu Desiderio. Une allure crépusculaire et comme l'annonce de quelque fait tragique.

 


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1. saintsonge  le 08-08-2011 à 15:02:23

Ajoutant même : Metz, Ville à Verlaine.

 
 
 
posté le 08-08-2011 à 11:19:43

Max Jacob en moine.

L'avoir vu sous cet aspect c'est dire la moitié du personnage qu'il était, Max Jacob était double. Ecartelé entre deux natures contradictoires.  
A Montmartre (dont il était l'une des figures majeures) il était la pitre,  le clown, le bout-en-train, oui mais n'était-ce pas pour cacher quelque chose ?  Un mal à vivre, cette "difficulté d'être" dont parlait (et se vantait) son ami Jean Cocteau ?
Un ami ? Cocteau l'était trop (et trop vite, de tous ceux qui émergeaient dans ce milieu où en se croisant, se défiant, mais s'alliant, les artistes et les poètes façonnaient une sorte de tapisserie qui définissait l'époque, son esprit,  sa force d'esprit et de génie), pour ne pas être suspect de quelque calcul promotionnel. Ce dont on ne manque pas de l'accuser.
Ami de Max : Jean Cocteau partageait alors ses errances nocturnes, peut-être ses débauches crapuleuses, mais la concurrence était forte et le jeu des influences serré.
Ce Max Jacob là avait, mentalement, l'habit d'Arlequin.
L'autre, (photo) c'est celui de Saint Benoît sur Loire. A l'ombre du clocher, sous la rigueur matinale de sa nef où il venait jouer les guides. Mais plus lui-même sans doute, dans sa chambre traitée comme une cellule (le complexe du moine).
Sa pauvreté l'enfermait dans l'exécution constante, quotidienne, de son oeuvre, entre peinture et poésie, faute de pouvoir se mouvoir dans une société dominée par la consommation.
Il arrivera un jour où créer c'est se couper du monde et de ses tentations futiles. On venait à lui comme vers une sorte de gourou.
Il distribuait des mentions, éveillait des carrières, menant la sienne avec une volonté qui était celle du pèlerin pieux.
La vérité d'un portrait est moins dans sa ressemblance que la manière de le traiter.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 08-08-2011 à 13:04:40

ah oui, bien sûr, Saint-Benoît.... Je ne reviendrai pas sur le fait d'y être allé, mais savez-vous que les invasions normandes de 913 ont été fatales aux monastères bretons, chassant ainsi les moines qui emportèrent manuscrits et reliques jusqu'en Grande-Bretagne et...à Saint-Benoît-sur-Loire ?.. Perte des savants et des manuscrits qui vidèrent ainsi les Abbayes d'ici !
Le ciel vous tienne en prière et joie !

2. sorel  le 08-08-2011 à 13:55:24  (site)

Merci pour cette précision. J'aime beaucoup Saint Benoît. On doit être bien à l'ombre de cette belle église. Ici la pluie fait des rafales qui cognent aux carreaux. L'énergie de l'enfer vient jusqu'à nous. Bonne journée.

3. saintsonge  le 08-08-2011 à 15:08:59

C'est avec le coeur que je vous confirme qu'on y est bien !... On m'y a pris en photo, écrivant dans ma "cellule", et sur le porche, mais l'ordi qui me fut prêté ici n'offre pas le loisir d'y placer les clichés sur mien blog, repris il y a peu, sans savoir si je vais pouvoir le continuer...Votre "déluge" du jour, il vient peut-être de douarnenez, qui fut nôtre hier, les vitres de ma chambre-océan versaient des larmes que j'observai bien tristement aussi.... Là, c'est plein soleil, je profite de lire les Pensées de Flaubert (édition d'un drôle de nom que celui de Louis Conard, Libraire-éditeur , 17, boulevard de la Madeleine, 1915 - collection : chefs-d'oeuvre de Littérature et d'art typographique (vous l'avez dans votre bibliothèque sous le regard de Kafka ?) )....

 
 
 
posté le 08-08-2011 à 11:02:41

Zlotykamien au pied du mur.

Sa notice biographique affirme qu'il peint aujourd'hui ses "éphémères" dans toutes les villes du monde et il a une exposition à la fondation Cartier, ce qui est, aux regards d'une tranche assez large du public des amateurs d'art snobs,  une référence.
Débutant, dans les années 70, il peignait alors des silhouettes narquoises quoique fantomatiques sur les palissades du "trou des halles" et se manifestait dans des galeries confidentielles de la rive gauche. Mais il était unique alors à aborder cet art du graffiti (ou plutôt de sa descendance) où le spray sert de pinceau.
C'est Gérard Zlotykamien.
Il aura été l'un des premiers à s'inscrire dans cette nouvelle tendance qui veut que l'art est éphémère et que son lieu d'action, de diffusion, se limite à la rue.
Ce qui implique un nouveau contenu, des thèmes appropriés, une certaine gaucherie voulue par la hâte dont procède cette création, interdite par des lois qui protègent nos murs (le fameux "défense d'afficher"), et l'expression de la fébrilité urbaine qui est de leur nature.
Un défi aux règles de l'esthétique apprise, pensée, régulée, dont tout l'art moderne, semble-t-il n'a d'autres soucis que de les contester.
On entre là de plain-pied dans ce chaudron où fomentent les forces de la contestation artistique amorcée au début du XX° siècle.
Ce qui est à la fois une passionnante aventure mais le risque de choir dans toutes les facilités.
On accordera à Zlotykamien une authenticité des ambitions en dépit de la pauvreté du répertoire dont le mur peut être le support (si l'on excepte la peinture murale qui est une version liée à l'architecture de la peinture de chevalet, mais pitié pour les murs, nus ils sont souvent si beaux !) . L'humour, une certaine dimension de protestation sociale (que l'on pense à Daumier) et une verve graphique sympathique lui donnent raison et l'affichent dans ce courant en voie d'expansion.
L'art né dans la rue et pour elle reconduit, voilà qui accompagne nos errances urbaines. Qu'en aurait dit notre ami Léon-Paul Fargue ?

 


 
 
posté le 07-08-2011 à 14:08:42

L'espace de la cruauté chez Monsu Desiderio.

Autant que les ruines (surtout si l'on assiste à l'instant du drame qui en est la cause) sont l'indice d'un climat de catastrophe, le resserrement de l'espace (son encadrement strict, alors orné et théâtral - mais n'est-ce pas le principe de la scène du théâtre italien) en offre une autre version. Plus insidieuse en menaces, plus décorative parce qu'elle joue sur l'effet spectaculaire. Elle est d'ailleurs l'un des principes fondamentaux du théâtre.
Monsu Desiderio annonce, là, des procédés qui se généralisent dans la peinture qui prend en charge une narration, pour en fixer une étape, un plan séquence comme il est dit dans l'univers du cinématographe.
On le voit en particulier dans la peinture surréaliste et ses périphéries, de Chirico et Paul Delvaux à Labisse ou Lucien Coutaud.
La surcharge décorative, le jeu de l'excès prépare à des actions complexes où l'on peut supposer les enjeux d'importance et celui de la cruauté ou de la mort incontournable.
N'est-ce pas Sade qui invente des lieux si fermés qu'inaccessibles comme dans "les 120 journées de Sodome".
C'est à l'intérieur de palais somptueux, dans un décor de stucs outrageusement dorés, dans un flamboiement des formes qui additionnent les références, les codes et les indices, que se fomentent les intrigues les plus vicieuses, les supplices les plus raffinés, les destins les plus tragiques.


 


 
 
posté le 07-08-2011 à 12:47:27

Objets fétiches.

Qui n'a pas, avec un sentiment confus de piété, disposé au milieu des livres qu'il aime, un objet, un menu dessin, une photographie, quelque chose qui relève d'un lien intime et respectueux (admiratif) avec un personnage qu'il fait entrer dans sa mythologie personnelle.
Apollinaire aimait voir son chat errer parmi les livres. C'est la version positive, au présent, des rapports que l'on a avec eux. Des témoins de notre quotidien, des repères, des objets de réconfort aussi, surtout pour meubler de grandes solitudes.
L'objet choisi, élevé au rang de fétiche, entretient une liaison (une complicité) dans la durée. Avec un caractère plus grave.
Comme si souligner des complicités exigeait cette prise de distance pour en mieux mesurer la force et parce qu'on retrouve l'esprit du musée, qui est d'encadrer l'objet pour lui conférer une force que, dénudé, il n'aurait peut-être pas.
C'est aussi une manière de rendre permanent un culte intime. Comme l'icône que l'on accroche sur un mur et qui est une invitation à la prière.
D'ailleurs, une bibliothèque ainsi ornée de ces ajouts (souvent des plus humbles) rappelle le principe de ces autels  (ou statues) sur lesquels on dispose en manière de dons, des objets qui nous lient avec une force qui nous protège, ici nous sauve du quotidien.

 


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1. saintsonge  le 07-08-2011 à 14:32:53

ah oui donc, vous êtes bien Kafkaien, ou à Prague, ou dans le musée Kafka, ou là dans les traces de son "Journal"...
Le temps se gâte et se grise de nouveau. Fort heureusement vue, hier, à une heure du matin, seul sur la plage du bout de ma rue, à l'oblique du cimetière marin, les Perséides, la belle voûte étoilée, et, mon sommeil en fut meilleur.
Bon dimanche

 
 
 
posté le 07-08-2011 à 11:07:37

Monsu Desiderio au coeur de la catastrophe.

D'ordinaire, les "ruinistes" (peintres de ruines) les montrent dans le climat apaisé qu'elles offrent aux visiteurs qui ne peuvent qu'imaginer le drame qui est passé par là.
Piranèse va même jusqu'à en faire le champ d'une activité pastorale, celle-ci ayant autant d'importance que la marque du passé qui en est le cadre. Hubert Robert les traite avec une aimable légèreté qui est bien celle de la société qui le reconnaît et fait sa clientèle.
Tout autre est monsieur Desiderio (le duo des peintres de Metz) qui se pose au coeur de l'événement pour en fixer, comme en un flash de photographe, le point fort. Ce ne sont qu'effondrements, nuits tragiques, paniques et frénésie de destruction.
La nuit s'y prête mieux. Elle renforce le caractère tragique et insolite de l'accident. Comme pour mieux dire que la chose est hors du temps de la vie quotidienne, mais en cet espace réservé aux actions louches, et au rêve.
Les témoins y sont aisément des projections de nous-même. Ces ruines en mouvement ont besoin de témoins, victimes, encore que ces chutes vertigineuses, ces effondrements tragiques semblent les épargner.
Il faut "protéger le témoin pour qu'il témoigne".

 


 
 
posté le 06-08-2011 à 16:42:58

Chaque lieu a son fantôme.

La rue des Alchimistes, située dans l'enceinte du château, a été voulue, en 1587, par Rodolphe II, amateur de sciences occultes et d'alchimie et qui installe là dans son voisinage pour mieux les surveiller ceux qui prétendent (ou ambitionnent)  transformer le plomb en or, ou s'attachent à retrouver la pierre philosophale.
C'est Ottla, sa petite soeur, qui trouve pour Franz Kafka une des petites maisons à louer. Maisons miniatures et qui semblent des jouets.
Kafka s'en contente d'abord puis s'enchante du lieu. Il le décrit longuement à Félice Bauer quelques temps après son installation et en vante les charmes.
C'est là qu'il viendra à bout du "Médecin de campagne" et y rédige "Le Gardien du tombeau" et "La Muraille de Chine".
Kafka (on est en 1916) se terre chez lui, n'ayant de contact qu'avec ses deux plus intimes amis, M    ax Brod et Oskar Pollak.

On marche lentement dans la rue en pente. S. est à l'écoute de cet air léger qui semble flotter, dans le calme total du lieu, (la saison n'est pas celle du tourisme)
soudain, un homme  vêtu comme un petit fonctionnaire, vient à notre rencontre, il semble vouloir nous adresser la parole. Ni S. ni moi ne parlant le tchèque on s'attend à un dialogue chaotique, fait surtout de gesticulation.
De près on découvre un très beau visage, marqué par les ans (ou par la maladie). Il nous dévisage avec insistance, mais sans violence ni agressivité, il murmure, (en anglais), ne vous affolez pas, je suis Kafka, je n'ai jamais quitté ce lieu. Les touristes m'ignorent mais ils se précipitent pour aller voir mes photos et acheter des cartes postales où je suis avec mon chien. Sachez le aussi, tous les lieux sont hantés ainsi, mais les fantômes ne savent pas toujours retrouver leur apparence physique de vivant. Ceux qui y parviennent, ils sont rares, n'en sont pas plus heureux pour autant.
C'est alors que j'avouais à S. une aussi étrange rencontre. Celle de Gérard de Neval qui rôde toujours du côté de la rue Notre Dame de Lorrette.
Chaque lieu a son fantôme.
.

 


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1. saintsonge  le 06-08-2011 à 19:39:00

Puis Kafka demanda à son ami Max Brod de, surtout, brûler tous ses manuscrits (ouf, il n'en tint pas le voeu formulé !)...
Dites, au bout de ma rue se trouve le cimetière marin où repose G. Perros, ainsi doit-il me "visiter" souvent (son portrait sur mon mur aussi), là où je loge, en invité payant, me plais-je à dire, plus joli que simple locataire...
Le ciel vous tienne en bonne inspiration.

 
 
 
posté le 06-08-2011 à 12:01:39

Lettre à Franz K.

Longtemps, bien longtemps avant de vous lire je vous connaissais. Je connaissais les titres de vos livres, et cela me suffisait. J'en aimais le caractère énigmatique (pour moi). Ils nourrissaient mes rêveries. Je pense que le pouvoir des mots passe par le flou de leur définition, et parce qu'ils sont ouverts à tous les possibles.
Le lieu de cette découverte progressive, de cette délectation, c'était la bibliothèque dans la maison de mes parents. Une pièce qui méritait cette appellation parce qu'elle était effectivement dédiée aux livres, les murs en étaient couverts, et à l'âge où on lit des contes de fées (j'aimais beaucoup leurs illustrations) l'approche des livres que lisent les "grands" reste timide, ou plutôt capricieuse. On connaît les aveux tardifs de ceux qui, pubères, dénichaient dans la bibliothèque familiale des livres "interdits" ( généralement rangés dans les rayons les plus élevés) dont ils se délectaient sans trop comprendre toujours le contenu.
Je me contentais de parcourir les titres, dont me suffisait souvent la formulation qui pouvait avoir des échos profonds en moi. On plonge dans un titre, on s'égare, on a refait le livre qu'il recouvrait.
Vous avouerais-je que la lecture de certains livres dont les titres m'avaient éblouis (je ne parle pas, là, des vôtres ) me décevait.
C'est peut-être du fait qu'avant de constituer les quelques livres essentiels dont est faite votre oeuvre, parfois un rassemblement de "nouvelles", celles-ci étaient publiées à part et souvent dans des éditions séduisantes d'aspect, avec un caractère confidentiel qui entrait sans doute dans le prestige qui les entourait.
Je ne m'éternise pas sur "La Métamorphose", car  bien souvent j'ai l'impression que pour un large public votre oeuvre se résume à cette histoire terrifiante. Encore que le titre a de quoi retenir votre attention et susciter une intense curiosité.
De fait, je m'étais attardé sur "Le Terrier", "Joséphine la Cantatrice", "Un divertissement", "La muraille de Chine", "Recherche d'un chien", "La Colonie pénitentiaire", "Description d'un combat", "Le gardien du tombeau", "Préparatifs d'une noce à la campagne", "Au bagne", "Un médecin de campagne", "Le soutier", "L'invité des morts".
Tentez d'imaginer ce que chacun de ces titres peut éveiller dans l'imaginaire de celui qui les découvre, les scrute, tourne autour comme autour d'une énigme, fait son trou dans l'agencement des mots qui le constituent et sont aussi une manière d'indication pour aller en une direction. C'est un fléchage d''une histoire potentielle. Disons que je m'engageais dans un territoire avec une carte sommaire, et que je devais inventer le paysage que j'y découvrais.
Une histoire étrange pour finir.
Lucien Coutaud, qui était l'un de vos grands admirateurs, venant passer un week-end chez mes parents se croyait obliger d'apporter un cadeau. C'était une gravure. Ma mère ouvrant le paquet qui la contenait pâlit en la découvrant. Je m'approche : elle représente un enfant se débattant avec un étrange insecte et je suis pris de vertige quand j'y vois mon portrait. C'était une coïncidence Coutaud alors ne me connaissait pas et il annonçait comme surpris qu'on ne l'ait pas compris :  - c'est un portrait de Kafka enfant.

 


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1. saintsonge  le 06-08-2011 à 12:44:42

ah oui, vous êtes (resté) à Prague !..
Dites, il se peut alors que le billet suivant soit dédié à.... Milan Kundera , qu'en pensez-vous ?..On continuerait le cheminement logique (à ce propos, cet auteur de "la vie est ailleurs" à professer sur Rennes les Littératures viennoises comparées, son ami Dominique Fernandez l'ayant fait venir....avec sa femme, Vera je crois).... Bien à votre ciel Lutècien. Ici, grisaille et pluie, suis sorti voir mon bouquiniste aux prix excessifs (mais que voulez-vous, l'amour de l'art, dirait Flaubert, il n'y a que ça !), blouson d'automne-hiver sur ma petite chemise d'été (absent) : une plaisanterie du temps ?

 
 
 
posté le 06-08-2011 à 10:29:50

Artaud dessine.

Antonin Artaud, évoquant les recherches pour un " théâtre de la cruauté", parle  de "l'entrelacs des signes déployés dans l'art du plateau" et  fasciné par les danses orientales il les compare à des hiéroglyphes animés.
Chaque discipline glisse sur sa voisine, à elle se mêle, s'enrichissant de leurs apports respectifs, bousculant l'ordre établi de leur émergence au niveau du regard.
Il en résultera le dessin écrit, cette simultanéité des mots et des figures (ou des signes) qui mobilise la page, l'occupant avec une sorte de frénésie, d'ardeur désespérée, et une singulière autorité comme celle de quelqu'un qui maîtrise admirablement son instrument, ses moyens d'expression.
On passe du gribouillage qui se cherche une issue à la figure si intense qu'elle crève la surface du support, s'avance vers nous. Comme une interrogation, une menace, un appel, toute formes d'expressions qui s'y formulent, s'y croisent, animent singulièrement un visage (souvent celui d'un familier). 


 


 
 
 

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