posté le 05-08-2011 à 20:47:26
Séjour à Prague.
Ce pont Charles, on le voyait bien comme une image sortie des poèmes syncopés de Blaise Cendrars. (L'Orient Express passe-t-il à Prague ? non, c'est à Vienne, puis Budapest). On y va aujourd'hui par avion et le dépaysement ne se fait qu'au crépuscule quand la couleur s'accorde à la ville, et donne au bouquet de ses clochers une allure de fin de fête. Ce sont les clochers qui nous ramènent à Cendrars, sinon que lui parlait de ceux de Moscou :
"j'étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares".
Un autre horizon qui n'appelle pas les duos d'amoureux comme Prague en fabrique par charters entiers. Un séjour week-end sur les bords de la Vltava (ou Moldau) chantée par Smetana et Dvorka : 279 euros à l'hôtel Belvédère situé à 6 minutes du centre historique.
C'est le tourisme express. Car pullman climatisé et petit déjeuner compris.
Nous étions chez l'habitant, quelque part du côté de Nové Mësto. On dit que dans les galeries subsistent ces petits théâtres de marionnettes qui ne sont pas pour les enfants. On y traite de politique, et l'humour en est acide.
Un petit groupe de privilégié fut introduit au Monastère de Strahov dans son délire baroque de stucs et de bois doré.
Quand les moines n'y sont plus les touristes viennent s'exclamer devant des reliures armoriées, de lourds volumes en latin que personne ne lira plus.
C'est dans ce cimetière des mots, devenu décor de rêve, qu'on s'interroge sur l'avenir de la littérature.
Dans la ville de Kafka, et qui vit son prestige à son ombre, la question devient capitale.
posté le 05-08-2011 à 15:30:19
Rachilde en son Salon
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Adolescente tourmentée, par le mariage (avec Vallette) Rachilde acquière un statut de bourgeoise. Elle a même son "jour", en son salon, au Mercure de France que son mari dirige et où elle fait la pluie et le beau temps.
Libre de son temps, et son temps confortable, elle écrit, elle écrit, elle ne cesse d'écrire. Et voilà une oeuvre abondante, éclectique, qui n'évite pas les facilités qu'entraîne le succès. Et d'aborder les sujets les plus faciles parce que les plus universels. D'amour il est question, sous toutes ses formes. Les plus singulières puisque c'est par la singularité de ses personnages qu'elle avait rencontré l'audience du public, et le ton de scandale qui y conduit.
Femme de salon, celui du Mercure, rue de l'Echaudé (c'est ultérieurement que le Mercure s'installe rue de Condé dans ce qui fut l'hôtel de Beaumarchais - un des hôtels !). Rachilde attire à elle le tout Paris des lettres. Les souvenirs qui s'y rattachent sont contradictoires.
Léautaud, cinglant, traite la maîtresse de maison de "guignol", en revanche Jules Renard, généralement impitoyable, lui trouve du charme et un grain de pittoresque : " Un corsage flamboyant, colliers au cou et aux bras, colliers d'ambre. Les cheveux coupés à la garçon, et raides, et va comme je te peigne. Toujours des cils comme de longs et gros traits de plume à l'encre de Chine.
Alfred Jarry est l'une des figures pittoresques pour qui Rachilde a des trésors d'indulgence.
Le livre de souvenirs qu'elle lui consacre et fort décevant. Conformiste, simple ramassis d'anecdotes qui accompagnent dans sa dimension légendaire le singulier auteur d'Ubu. Elle avait pourtant rencontré en lui un personnage à la mesure de ses fantasmes d'adolescente.
Ses fictions, en la matière, valaient mieux que cet affrontement avec l'un des plus singuliers auteurs de sa génération.
posté le 05-08-2011 à 11:30:10
La BD s'empare de l'Histoire.
La bande dessinée apporte sa contribution dans l'imaginaire de l'Histoire qui passe par des actes héroïques, l'action.
Elle ne se prête pas à la réflexion, à la synthèse, mais devient efficace dans la visualisation des faits d'armes. On est au coeur de la bataille, et comme le cinématographe elle permet des effets de zoom, des arrêts sur image, toute une syntaxe de l'image qui se substituant aux mots rend plus efficace le détail choisi. Le mot n'est qu'une indication sommaire qui servira de liaison entre les images. En revanche important sera le découpage (et la mise en page) qui correspond à des mouvements de caméra qui va chercher le détail signifiant, l'expression, la valorisation d'un objet.
La succession des images, le rythme de leur apparition sur l'écran de la page, va jouer pour l'énergie du récit.
On peut y glisser des variations, des digressions sans que cela nuise au rythme donné ce qui dans le monde des mots rend la lecture difficile.
On peut avoir d'un seul coup d'oeil, la vue d'ensemble et la succession des détails.
Le glissement d'un fait d'Histoire dans l'espace d'ordinaire occupé par des récits de pure invention, transporte la réalité des faits historiques dans le monde du légendaire.
Du vrai à l'imaginaire, le chemin est court.
posté le 04-08-2011 à 20:43:56
L'illustration de l'Histoire rejoint celle des contes de fées.
Il est du pouvoir de l'Histoire que de faire rêver, transporter le lecteur en des lieux et des temps inaccessibles à la raison.
La mise en image y a une importance d'autant plus grande qu'elle ne vise pas à reproduire les faits, mais les évoquer. Au besoin fausser l'objectif pour faire passer la fantaisie de l'imaginaire qui s'accroche à l'anecdote pour lui donner une dimension plus enivrante que celle de la réalité. Charger l'image de désirs parfois confus et qui trouvent leur territoire d'épanchement.
C'est en partant de quelques débris, parfois dérisoires, que l'archéologue reconstruit toute une ville, une civilisation. Dans ce cadre remonté d'autorité et de science, il suffit de disposer les personnages d'une action, elle aussi arrangée pour séduire.
N'est-il pas significatif que les illustrations des livres d'Hisfoire ressemblent si souvent à celles des contes de fées. Les mêmes peuvent servir à un fait d'arme, et quelque triste histoire d'amour contrariée par des obstacles multiples. Voire la mort. D'ailleurs, c'est elle qui règne ici et là.
posté le 04-08-2011 à 16:34:53
Le bonheur de Raoul Dufy.
Jusque dans sa peinture Dufy conservera cette gracilité du trait, ce caractère dansant qui donne tant de charme au sujet le plus banal.
Dufy ne cherche pas à témoigner de son époque, sinon pour en dérouler d'un trait charmeur les fêtes et la futilité avec la grâce d'un reporter mondain.
Dessiner, c'est faire aller la main pour capter l'esprit d'un lieu, la qualité sensorielle d'un instant. Il met jusqu'au parfum des fleurs dans le dessin, autant qu'il retient l'éclat de leurs couleurs.
Dans une continuité graphique, une cohérence de ton, qui donne quelque chose de monumental autant que de délicat.
C'est foisonnant sans être confus, car il décline les richesses du monde, qu'il trouve dans le quotidien, l'instant. Sachant capter l'essentiel dans la dynamique des échanges, des fusions, des élans qui composent la richesse des choses les plus ordinaires, les plus quotidiennes.
Rares sont ceux qui, comme lui, ont tenté de célébrer le bonheur d'être
posté le 04-08-2011 à 12:27:36
Nadja rencontre Jacques de Molay place Dauphine.
Piéton de Paris, Gérard de Nerval donne, ici et là, et même dans la rythme de ses récits, des souvenirs, des notations, de ses errances urbaines.
Dans "La main enchantée" il vante la beauté majestueuse de la Place Royale (des Vosges), et passant à la place Dauphine, il précise : " Il est une autre place dans la ville de Paris qui ne cause pas moins de satisfaction par sa régularité et son ordonnance, et qui est, en triangle, à peu près ce que l'autre est en carré. Elle a été bâtie sous le règne de Henri le Grand, qui la nomma place Dauphine, et l'on admira alors le peu de temps qu'il fallut à ses bâtiments pour couvrir tout le terrain vague de l'île de la Gourdaine. Ce fut un cruel déplaisir que l'envahissement de ce terrain, pour les clercs qui venaient s'y ébattre à grand bruit, et pour les avocats qui venaient y méditer leurs plaidoyers : promenade si verte et si fleurie au sortir de l'infecte cour du Palais."
André Breton prend le relais : "Cette place Dauphine est bien l'un des lieux les plus profondément retirés que je connaisse, un des pires terrains vagues qui soient à Paris. Chaque fois que je m'y suis trouvé, j'ai senti m'abandonner peu à peu l'envie d'aller ailleurs" et dans Nadja de conter l'histoire de la fenêtre qui s'allume subitement quand Nadja, comme par jeu, l'annonce, et mise en verve par une légère ivresse, elle déclare que sous la place il y a un souterrain qui prend sa source dans les caves du Palais de justice.
Un repas d'amoureux qui prend l'allure d'une séance de voyance.
Le lieu est chargé de mémoire. Chardin y accrochait aux arbres ses tableaux dans ce qui était alors une sorte de marché ouvert à tous les vents.
Mais plus lourde et menaçante, la violente imprécation de Jacques de Molay, depuis son bûcher, (sur l'ile aux Juifs devenue le charmant square en figure de proue de l'Ile de la Cité), alors que Philippe le Bel, depuis les fenêtre du Palais, contemplait le spectacle.
Quant à moi, passant place Dauphine, c'est cette menace, cette flamme dévorante qui m'étreint. Lieu maudit, les repas d'amoureux ne peuvent y être paisibles.
posté le 04-08-2011 à 10:38:07
Alechinsky le dessin des profondeurs.
En dépit des libertés qu'il prend avec sa représentation, Alechinsky n'a jamais quitté le monde du réel (réinventé au besoin) trituré par une main ardente à suivre les méandres de l'émotion, du hasard, car elle galvanise le dessin qui éclate, se propulse à une vitesse foudroyante dans l'espace.
L'usage du prédelle (venu de la peinture ancienne) permet de développer un récit, comme une série de flash pour épuiser le sujet. Bordure agitée et prolixe, sulfureuse, car le récit s'y embrase à tous les possibles.
Le dessin chez Alechinsky est proche du mot, il en vient, il est comme le fruit né du germe qu'est le mot. En si étroite adhésion avec lui que son évolution plastique fidèle aux préceptes de COBRA, ne s'est jamais dissociée d'une étroite collaboration avec les poètes.
Illustrateur fécond, plutôt porté vers l'exubérance verbale (si évidente chez les belges, ses compatriotes) ou l'introspection.
C'est d'aller au fond de soi-même au coeur de la conscience, que le graphisme tire son dynamisme, ses fêtes et ses excès.
posté le 03-08-2011 à 20:22:20
Apollinaire dessine terriblement.
S'il dessine, c'est avec des mots. En pratiquant l'art du calligramme (qu'il n'a pas inventé, il était pratiqué déjà à la Renaissance ) Apollinaire illustre la parfaite liaison qui existe entre le mot et le dessin, cette circulations intérieure, intime, et aventureuse, où le mot se cherche une issue dans le graphisme (ne serait-ce que celui de l'écriture - le même mot, selon qu'il est écrit sera différent), passe le miroir pour se libérer des contraintes d'une définition trop réductrice pour vagabonder dans des terres vierges. Mais ce qui donne aux calligrammes d'Apollinaire cette qualité particulière par quoi le mot frémit sous un nouvel éclairage c'est qu'il se développe sur la page dans le rythme même de son application orthographiée, selon les usages, sur le blanc de la mage, mais doté d'un tout nouveau pouvoir, de nous émouvoir. Ce n'est pas le mot atomisé, bousculé, désintégré comme le voudra Dada (jusque dans la typographie) mais inscrit dans le mouvement de la main qui délie dans une continuité sensible, le mot qui se métamorphose.
Ce n'est pas par hasard qu'il a écrit, d'une main tremblante : "tout terriblement". C'est le programme d'une oeuvre poétique. C'est celui d'une vie.
posté le 03-08-2011 à 12:24:32
Une icône de l'Histoire.
Certains tableaux (et qui ne sont pas nécessairement de "belles peintures" étant surtout des images) impriment en notre mémoire une certaine idée de l'Histoire. Ils offrent une vision qui pour être inventée, et n'avoir que peu de rapport effectif avec le fait relaté, sera celle que nous garderons, méditerons, et ainsi nous nous fabriquons à travers une suite de peintures (généralement "académiques") une Histoire riche et souvent flamboyante où passent, dans la grandiloquence des gestes qui entourent de grands événements, les personnages qui entrent ainsi dans une dimension mythologique.
Ce sont les "Icônes de l'Histoire".
Un très vieux projet qui finalement restera à l'état de projet. Il en subsistera quelques bribes comme les fragments d'un rêve trop ambitieux pour se réaliser, ou ces débris de manuscrit que l'archéologue retrouve, et à partir desquels il tente de reconstituer une histoire cohérente.
Et voici, en première ligne de cette lecture (et de la peinture et de l'Histoire), un tableau parmi les plus saisissants.
Il relate l'excommunication de Robert le Pieux (fils de Huges Capet) coupable d'avoir épousé une parente trop proche pour que les interdits religieux relatifs à la consanguinité ne soit pas évoqués.
L'ampleur de la salle (celle du trône) l'austérité du décor, la majesté de la sortie de scène du prélat qui aura porté le jugement de l'église sur le roi affaissé dans l'étreinte étroite de la femme responsable de son châtiment, confèrent à l'ensemble un force qui va bien au delà du récit le plus documenté.
Un vieux projet encore, à partir de scènes aussi fortement définies par l'image : la prendre comme amorce d'un récit qui reprend tous les détails accumulés, chacun ayant un sens, et redonner vie à une page du passé.
Ou plutôt, comment le rêver.
posté le 02-08-2011 à 14:08:23
Labisse au harem.
Labisse venait d'illustrer "Le Bain avec Andromède" de Robert Desnos, et celui-ci, en retour, avait consacré au peintre quelques pages non conformistes (au regard de la manière de parler d'art) qui le situaient dans cette frange où, venu des mêmes sources que le surréalisme, il n'avait pas (tout comme Lucien Coutaud dont la démarche est parallèle), adhéré au groupe en recherche de nouveaux venus (il s'en présentera, souvent par opportunisme). Il s'affranchissait de ses principes et de sa politique promotionnelle, pour travailler en solitaire. D'ailleurs la guerre était passée par là et l'unité du surréalisme s'était largement diluée dans des courants qui le revendiquaient mais ne souhaitaient pas se placer sous la houlette d'André Breton.
C'était le cas de Labisse qui, pourtant, dans le voisinage des poètes, retrouvait cette complicité qui avait si grandement porté ses fruits.
Robert Desnos de préciser : " Il ne s'agira pas de renoncer aux anciennes conquêtes. Je me refuserai, pour ma part, à oublier ces créatures frénétiques aux chevelures emmêlées, aux veines ordonnées en arbustes florissants, ces monstres séduisants qui appellent la caresse et la morsure, ces rois échoués sur des plages vierges, ces arbres battus par les marées, ces oiseaux assemblés dans des volières sans grillage, ces glaces miraculeuses, ces maisons illimitées, cette géographie d'un pays sur lequel plane un ciel pétri d'orages, de simulacres et de prestiges".
Même "les Courtisanes" (photo), vues par Labisse, viennent d'un autre monde, avec ses règles, ses codes, ses références, son climat.
Même le harem est inquiétant.
posté le 02-08-2011 à 11:51:49
Michel Ange accouche la beauté.
Dans l'esprit de Michel Ange, sculpter c'était "aller chercher au coeur de la matière la forme qui y sommeille" .
En somme, pratiquer une sorte d'accouchement quand, jaillissante encore empêtrée dans la gangue de la matière qui l'emprisonne, une présence s'annonce, et qui sous le ciseau du sculpteur semble lutter comme pour se débarrasser d'un fardeau. Une figure en devenir. L'informe se mêlant en une voluptueuse harmonie avec la définition ébauchée d'une personnage dont toute la puissance musculaire est déjà affirmée.
Il est émouvant de voir une caméra posée en sentinelle et comme dans l'attente du miracle qui voudrait que, se débarrassant de sa charge, l'athlète (un dieu ?) se dresserait victorieux de la matière qui l'enserre.
Il y a dans la pratique de la sculpture une attitude primordiale qui voit l'homme vaincre le chaos, et sortir d'une masse informe l'idéalisation d'un homme de perfection.
Les sculptures de Michel Ange les plus émouvantes ne sont-elles pas les "Esclaves", et d'avoir ainsi baptisé des figures flamboyantes de beauté, donne à l'oeuvre de Michel Ange sa dimension sacrée.
posté le 02-08-2011 à 11:25:37
La mort de Sapho.
Alors que son importance historique est considérable, et qu'elle a donné son nom à une pratique sexuelle, Sappho reste un personnage sur lequel plane le doute, et multiples sont les versions de sa vie, sinon qu'elle est très exactement située à Lesbos ce qui du même coup intervient aussi dans la désignation des moeurs des femmes qui aiment les femmes.
Son oeuvre même est lapidaire, faite de bribes, d'éléments épars péniblement rassemblés mais le ton est toujours le même, qui la porte à célébrer l'amour au féminin. Avec des accents d'une grande force poétique et un ton lyrique qui aura laissé des traces dans l'oeuvre de Louise Labé (elle aussi portant à de multiples interprétations) et même le Racine de Phèdre.
Sa vie est assez chaotique (elle se serait même mariée) mais s'appuie sur l'enseignement qu'elle dispense à des jeunes filles de bonne famille. Véritable vivier dans lequel elle glanait les objets de ses amours.
Et c'est d'amour aussi qu'elle serait morte (parfois des historiens évoquent une autre Sappho avec laquelle on établirait une confusion) en se jetant du haut d'une falaise dans la mer.
Vision propre à exalter l'imaginaire de ceux qui voient en elle un personnage damné, aux amours contrariées.
Ce rapport avec la mer, l'engloutissement fatal dans les eaux, offre une curieuse mine de réflexion à qui verra qu'après avoir été la source de la naissance de Vénus (née d'une goutte de sang d'Ouranos, châtré par son fils Cronos - Saturne), image de la femme idéale, dans la perfection de sa beauté (le culte d'Aphrodite auquel d'ailleurs se vouait Sappho dans son enseignement ), la mer sera le tombeau de celle qui aimait la femme.
posté le 01-08-2011 à 15:45:07
Le retour à la matière, la fin de l'art ?
C'était fatal. D'être passée du sujet à la matière pour le dire, la peinture s'emparant des instruments sur lesquels elle s'est édifiée, des matériaux qui la nourrissaient devait immanquablement s'en tenir au matériau pour lui-même. A l'état brut, où l'intervention de l'artiste se résume à un agencement , comme une sorte de metteur en scène organise des objets. Encore que la matière (fut-elle à l'état brut) a une force, un contenu symbolique qui ne peut échapper au regard de celui qui tente d'en pénétrer les secrets. On reviendra toujours à Gaston Bachelard qui a épuisé le sujet.
Sous le label "arte povere" (parce que le mouvement qui le préconisait venait d'Italie) des artistes s'en prennent aux matériaux les plus pauvres (d'où le titre revendiqué) et composent, agencent, distribuent, orchestrent ce qui autrement n'aurait même pas droit de regard.
Une anecdote pour l'illustrer.
C'était dans le cadre du Salon Comparaisons (dans les années 70) L'accrochage terminé le service de nettoyage du musée (art moderne de la ville de Paris) passe dans les salles. Un "technicien de surface" remarque un tas de terre, de cendre, quelque chose qui ressemble à des détritus oubliés sur place. Et, consciencieux, de le balayer. Au vernissage, scandale, un artiste (était-ce Mario Merz ?) constate que son oeuvre avait été écartée. Confusion. Oui, des valeurs. On pouvait gloser à loisir sur cette équivoque.
Pourtant, de faire usage de matériaux pauvres pouvait se justifier, représenter une attitude artistique défendable. Mais n'était-ce pas aussi avouer qu'on avait fait le tour de l'affaire.
Aux origines la matière est élevée au "rang d'oeuvre d'art" sous la main de l'artiste, à terme, c'est la matière qui retrouve son pouvoir.
posté le 01-08-2011 à 13:38:09
Paul Morand amateur d'art.
A en croire Michel Déon qui préface son recueil sur les artistes (Des artistes sans mensonges) Paul Morand ne court pas après la mode. Il lui arrive de la défier. Ses goûts, en art, sont dans la lignée d'une certaine tradition, et il refuse les oukases d'André Breton, maître incontesté de la pensée dominante dans les années 30 où le Surréalisme flamboyait.
"Paul Morand a vite imposé sa différence". Mais il n'est pas qu'un témoin. "Amateur d'art, il visite les ateliers, ouvre les cartons de Foujita ou de Pascin, s'attarde, suit la naissance et l'évolution d'une oeuvre depuis ses balbutiements jusqu'à son épanouissement"
On est bien loin de "l'homme pressé", modèle de l'intellectuel moderne, qui utilise l'avion, le train, saute les océans, est toujours "sur la brèche". On le voit glaner dans les ateliers de Marie Laurencin, Brancusi, Foujita, Irène Lagut, Jean Hugo, Pascin, Dunoyer de Segonzac, Vuillard, Romaine Brooks., c'est à dire vers des individualités et non des suiveurs d'une Ecole ou les émules d'un groupe.
Il y a du flâneur (un comble) chez lui, qui écrit comme l'on raconte. Son regard sur Paris a le charme de ces chroniques qui sont le produit des amoureux de la ville et non des historiens. Sans pour autant ignorer l' Histoire sans quoi la mémoire de la ville n'aurait aucune épaisseur (comme dirait Léon Paul Fargue), un quasi voisin dans la méthode.
On le suit encore dans 1900. Il est là au stade des souvenirs, quand enfant, grâce à son père, il côtoyait la meilleure société : celle qui fait l'esprit d'une époque. Et lui n'en manquera pas.
posté le 01-08-2011 à 10:03:15
Philippe Soupault et le contrat du suicide.
L'idée du suicide, son mythe, traverse, le surréalisme et y laisse quelques héros transportés dans l'espace mythologique par l'accomplissement fatal.
En figure de proue Jacques Vaché, parrain de la conversion de Breton encore empêtré dans les respects de la tradition littéraire dans laquelle il ne se sent pas à l'aise (l'influence de Valery par exemple).
Mais, surtout, figure emblématique parce qu'il le met en scène, l'annonce et l'accompli avec une froide détermination, comme une oeuvre d'art : Jacques Rigaut
`René Crevel le vivant (son père s'est, suicidé) comme une rupture dans le déroulement d'une vie qui fut d'orage et de doute.
Philippe Soupault l'aurait évoqué, programmé, officiallsé par une sorte de contrat, et à nouveau évoqué dans " En joue" (pour lequel Félix Labisse a composé deux lithographes (photo). Non accompli, le geste, par sa mise en scène, entre dans la stratégie du surréalisme qui préconise des choix radicaux, des gestes d'éclat, un engagement passionnel qui se veut exemplaire.
posté le 01-08-2011 à 09:16:12
Labisse au théâtre.
Grâce à Jean Louis Barrault, comme Lucien Coutaud, Félix Labisse sera appelé à exécuter de nombreux décors de théâtre (Kafka, Sartre) et sa peinture en conserve la trace, à moins qu'elle le prédispose à cette carrière, tant chaque tableau est une mise en scène, en énigme, d'une situation où la femme domine, souvent elle-même objet de cette ouverture du tableau comme une scène sur laquelle elle triomphe par sa beauté mais, dans le même temps, est soumise à d'étranges cérémonies dont le caractère érotique s'appuie sur des références littéraires, un jeu de masque, de dédoublement qui ose aussi l'humour, la dérision, basculant parfois vers des climats à la Grand Guignol.
En voici une qui entre ouvre le rideau. De fait c'est elle qui nous regarde.
Comme dans le Balcon de Manet, c'est un jeu de miroir, le regardeur regardé.
posté le 31-07-2011 à 17:44:38
Paul Morand et la modernité.
Nous étions quelques uns (ce n'est pas Bernard Delvaille qui me contredira) qui portions à Paul Morand un admiration que ne ternissaient pas ses ennuis politico-judiciaires qui suivirent la guerre et le forcent à se réfugier en Suisse. `
C'est d'ailleurs des bords du lac Léman qu'il m'avait, à la sortie, au Mercure de France du petit livre "Tentative pour un itinéraire", adressé une lettre à vous faire rougir, alors qu'elle émanait justement de quelqu'un qui n'était pas étranger à la forme qu'avait pris ce petit ouvrage. Il s'y reconnaissait, ou plutôt, il y voyait un héritier et faisait l'honneur de l'apprécier.
Il se créé ainsi des sociétés secrètes où fleurissent des adhésions, des reconnaissances, des complicités qui assurent le déroulement des générations.
N'est-ce pas l'occasion de rappeler cette formule donnée par un philosophe : " un livre en engendre un autre, il est lui-même l'écho d'un précédent".
Et le club des fervents de Paul Morand était le même qui adoptait pour en célébrer les vertus (et les charmes), un Léon Paul Fargue, surtout quand il s'affichait le "Piéton de Paris".
En commun, ce goût de l'errance urbaine, une fascination pour la modernité qui s'y déploie et y trouve le terrain de ses plus évidentes conquêtes.
Pourtant, le temps a fait son ouvrage, et sans rien perdre de l'admiration qu'on lui portait, il est venu le moment de remettre en cause, cette obsession de la modernité qui a ses vulgarités quand elle occupe le terrain et gagne la partie.
N'avions nous pas commis l'erreur, dans les années 60, avec Martial Raysse, de décréter que les grandes surfaces étaient les cathédrales de notre temps.
Oui, mais on prendra nos distances avec les objets du culte. Ils pourrissent notre monde, nous conduisent vers notre perte.
Il est des cathédrales qu'il faut savoir déserter.
posté le 31-07-2011 à 15:52:21
Rachilde et l'androgyne.
Précoce, Rachilde (fille de militaire comme Colette) va publier son roman le plus connu, qui fera sa célébrité, en 1884 (elle est née en 1860) sous le titre provocateur de "Monsieur Vénus". L'intrigue est simple et les personnages plutôt conventionnels (jusque dans leur singularité), parce qu'ils incarnent l'androgyne comme le voit l'opinion.
Jacques Sillver est fleuriste et Raoule de Vénérande fille de bonne famille.
Lui est outrageusement "féminin" et elle virile de comportement. Ils échangent leur sexualité, composent une intrigue qui témoigne de l'androgyne tel que l'invente la "fin de siècle" par ailleurs fort friande du thème.
Rachilde ne fait qu'illustrer une mode, mais c'est sa jeunesse et le fait qu'elle soit une femme qui donne un caractère scandaleux à une banalité de l'époque.
Est-ce une légende, rien de le prouve, beaucoup de témoignages l'évoquent. Il y aurait eu une intrigue amoureuse entre la jeune Rachilde et Maurice Barrès, alors prêtre de la décadence.
A en croire Edith Silve, la troublante réalisation littéraire de Rachile allait trouver "son expression dans la rencontre de ce frêle jeune homme aux yeux de "houri" avec une âme de femme honnête dans un corps, de débauché. Rachilde et Maurice Barrès vont connaître une fascination réciproque".
Et de supposer qu'ils voulaient (inconsciemment ?) " vivre le rêve androgyne qui semble les porter l'un vers l'autre". Réalisant le vieux rêve (l'Antiquité l'évoque) de renaître l'un par l'autre en un être parfait c'est à dire insexué.
Un rêve d'absolue au delà de l'amour charnel. La victoire de l'esprit (l'incarné) sur la volupté.
Il était singulier que derrière une affiche qui suscite le scandale, un titre volontairement provocateur, l'auteur prétendait proposer un rêve de pureté absolue.
Mais c'est la même qui déclarait : " j'ai prostitué ma plume, mais ma personne est intacte".
posté le 31-07-2011 à 12:03:03
Dubuffet croque Bertelé.
Plaidoyer pour un portrait.
Est-il ressemblant ? C'est la question que chacun se posera puisqu'il revient à un portrait de ressembler à celui qui en fut le modèle.
Mais la ressemblance a plusieurs niveaux. Plusieurs lois.
Si elle vise à la stricte vision qu'on a de celui qui a "posé" pour son exécution on s'en tient à une idée reçue. On n'est jamais tel qu'on paraît à l'instant donné.
D'ailleurs, même la photographie nous joue de drôles de tours, quand, découvrant le cliché d'une prise photographique, on ne se reconnaît pas d'emblée. Différent parfois de celui que l'on croyait être.
Tant et tant de choses nous façonnent dans le secret de notre être (et souvent à nos dépends) qu'il est bien difficile d'atteindre le point le plus juste.
Voici René Bertelé, homme discret s'il en est. Cette discrétion elle nous saute aux yeux devant le dessin de Dubuffet.
René Bertelé, dans la vie, homme qui glisse sur le réel, la tête ailleurs. I
Un arrêt sur image pour le mieux connaître : Il est au restaurant. Seul. En mangeant il est tout à la lecture d'un livre posé, au risque de choir, entre une carafe et une assiette. On dirait un personnage de roman ( Bove, René Jean Clot, ceux qui vont au bout de leur vision).
On est dans les parages de ce qui fut la galerie de Fleurus, l'une des plus captivantes dans les années 60, quand elle y exposait, outre Dubuffet, les artistes de Cobra, Christoforou, Jorn, tous portés à creuser leur modèle jusqu'au fond de leur propre nature donnée en pâture au peintre qui révèle une identifié enfouie, secrète, pas toujours flatteuse, mais qui remue au fond de chacun et l'anime.
En somme on est dans le monde de Bertelé. C'est celui que nous montre Dubuffet.
posté le 31-07-2011 à 11:21:08
Eluard et la jouissance de Voir.
Un titre aux allures de slogan. Parlant de la peinture on pouvait dire : reconnaître, sentir, comprendre, analyser, Eluard va droit au but : VOIR. Injonction qu'il renouvelle quand il rassemble ses poèmes sous le titre "Donner à voir".
De tous les poètes de sa génération Eluard est sans doute celui qui aura les rapports les plus profonds et les plus étendus avec les peintres. Ceux-ci marquant leur adhésion au poète en illustrant ses livres ou faisant son portrait : Picabia, Picasso, Giacometti, Max Ernst, André Beaudin, Bellmer, Dali, Valentin Hugo, Marie Laurencin, Marcoussis, Magritte, Man Ray.
La vue (tout un art) est une sorte de fil rouge à travers toute son oeuvre.
Les titres de ses recueils en disent long : "Les yeux fertiles", "A 'l'intérieur de la vue",
Voir c'est aimer. Adhérer, par les sens, à l'objet aimé. Les rapports d'Eluard avec les peintres sont ceux de l'amitié. Une amitié partagée, d'où l'illustration qui est un acte de complicité, un face à face image et mots.
A propos de Rimbaud Eluard évoque "le droit de regard sur le poème", c'est le peintre qui ouvre la voix. L'y suivre, c'est entrer dans ce laboratoire central où se fomente la qualité d'un air différent, vital, par quoi le poème sort de l'usage distrait des mots, et leur donne une qualité qu'un usage intensif et quotidien leur fait perdre.
S'il parle des yeux fertiles Eluard donne d'emblée la mesure de cet art qu'il pratique et le fait si essentiel dans l'ordre du commentaire sur l'art (surtout la peinture qui ne s'offre qu'à la vue quand la sculpture suppose le contact physique et du même coup lui donne, selon certains, une supériorité).
Aux préoccupations esthétiques qui conduisent aux académismes, la peinture selon Eluard (et pratiquement tous les tenants de la peinture surréaliste), rejoint les préceptes du merveilleux. Car le peintre émerveille, et touche aux sens.
Voir, si l'on va plus loin en suivant Eluard, est un geste jouissif.
posté le 31-07-2011 à 11:16:48
Henri Michaux, des fleurs étranges.
Les dessins de Michaux poussent au milieu des mots, comme une plante étrange au coeur d'un champ de blé. Elle se balance, têtue, hautaine, mais d'où vient-elle, et pourquoi en un lieu où on ne l'attend pas. Sinon que les dessins de Michaux sont de la même main que les mots d'où ils jaillissent. En sont-ils une sorte de reflet ou une quintessence de leur ondulation sur la blanc du papier.
Tout cela est un monde de nature fantastique, tenant de tous les genres sans s'arrêter à aucun. Hybride, comme les moyens utilisés pour lui donner vie.
Des encres, des crayons de couleur, de la gouache, des "cuisines" graphiques turbulentes et agitées comme poussées par un vent qu'on ne voit pas si on en voit les effets. C'est ce lent tremblement qu'évoquait Max Ernst, d'un dessin de l'âme quand celui du corps s'épuise de ses propres effets.
Des dessins qui ne font pas d'effet (n'en jouent pas), ni de ces joliesses qui gâtent parfois les intentions les mieux fondées.
Ils sont drus comme les plantes sauvages (de mauvaises herbes !) et jouant parfois à singer l'homme, en suggérant la silhouette, cette manière de se dresser comme en une incantation barbare.
Ils sont le surgissement dans notre champ visuel (décidément on ne sort pas de la métaphore agricole) de monstres venus d'au delà des frontières de notre réalité banalisée à outrance (et dominée par des lois rationnelles) . Surgissement fantomatique de notre propre imaginaire angoissé.
posté le 31-07-2011 à 11:13:39
Le bonheur triste de Seurat.
L'apparition de la photographie va décidément bouleverser la manière de peindre.
Si Toulouse-Lautrec est encore dans les délices de la transcription graphique du monde, en se donnant cette liberté qui est comme une signature, une manière d'imposer sa vision, Seurat remet en cause une technique qui s'est selon lui sclérosée. Partant de préceptes scientifiques qu'il aura soigneusement étudié, le voilà peignant par un jeu de petits points qui, rapprochés, recréent l'image du réel dont il s'inspire. N'est-ce pas d'ailleurs le principe de l'image télévisée !
Ses sujets sont les mêmes que ceux de Toulouse-Lautrec. Salles de spectacles, silhouettes de femmes confondues avec leur manière de s'habiller. Un Paris de bastringues et de fêtards, de filles faciles, et une immense solitude pour couronner le tout.
Le cirque, l'orchestre, et tout le clinquant des musiques qui réunissent les badauds et trompent les esprits. Distillant un bonheur triste, et morne jusque dans l'expression.
Il étale de vastes visions figées et comme hiératiques. Figures d'un monde pétrifié dans ses clichés. Même la promenade est morose (l'île de la Grande Jatte), même la fête est amère. Toulouse-Lautrec l'exprimait par la fébrilité du trait, une jubilation agressive, Seurat dans la manière même de la dire. C'est comme un film qui serait arrêté sur une image, un plan fixe, dans une histoire qui nous reste à inventer.
posté le 30-07-2011 à 15:34:24
Le temps suspendu d'Elie Lascaux.
C'est un peu la même sensation, (le même plaisir), que lorsque l'image apparaît sur le papier photographique quand on le sort du bain de fixatif.
Enfant, j'étais fasciné par cette opération quand mon père sortait du bac où elle avait été plongée, délicatement, à l'aide d'une pince, une image qui , peu à peu, se formait sur le papier. On la voyait effectivement apparaître depuis la zone de flou où elle gîtait, jusqu'à la totalité de sa définition.
Dans la peinture d' Elie Lascaux le sujet conserve quelque chose de son séjour dans cette sorte de purgatoire où elle sommeillait. Elle n'a pas la franchise d'une réalité affichée avec la force de la conviction, mais ce halo qui lui donne un mystère tendre et complice. Car elle est de l'ordre du murmure, de la confidence. Avec, comme une compensation, des joliesses dans les détails, une manière gracieuse de se complaire dans un temps infini qu'elle semble distiller, car elle va défier l'urgence qui commande notre vision des choses. Même ses vues de Paris (nombreuses) sont touchées par une sorte de grâce qui se prête à de minuscules récits dont le paysage est souvent le cadre (on devrait dire l'encadrement).
Il lui donne un caractère provincial. C'est midi, on entend les cloches sonnant l'heure, carillon hautain et distingué, car ce monde comme suspendu à ses propres délectations, dédaigne l'ordinaire. Même marcher dans la rue prend une allure irréelle et mystérieuse. Chacun va vers un destin bien éloigné de nos mesures rationnelles.
C'est un monde largement ouvert à toutes les spéculations. D'où son attrait auprès des écrivains.
Il est des peintres pour écrivains. Outre Elie Lascaux : Gaston-Louis Roux, Pierre Charbonnier, Klossowski, Balthus....
posté le 30-07-2011 à 12:13:32
René Bertelé nous fait découvrir Prévert
Au lendemain de la guerre (1945) le monde de l'édition s'est restructuré, et de nombreux nouveaux venus apportent "un sang neuf". Sans doute, devant les contraintes financières, grand nombre de ces petites maisons plus novatrices que les "grands" classiques de ce monde éditorial se verront absorbées et perdront de leur autonomie. Pourtant c'est là que la vie littéraire se faisait avec le plus de détermination.
Pour les gens de ma génération, la révélation de Jacques Prévert a été un événement considérable. On la devait à la personnalité d'un certain René Bertelé qui va créer la maison "Le Point du Jour" absorbée ensuite par Gallimard.
C'est le même qui va publier les "Entretiens" d'André Parinaud avec André Breton, une manière de souligner le retour dans la vie cultuelle française de celui qui avait fui l'Occupation nazie aux USA et devenait un personnage historique.
Robert Desnos, victime de la barbarie nazie, était également honoré d'une belle édition de ses poèmes.
A quoi s'ajoute la publication d'un "Panorama de la Nouvelle littérature française" qui nous ouvrait aux oeuvres les plus remarquables de l'époque. Bien plus séduisante manière d'aborder la littérature que celle proposée alors par les manuels scolaires qui n'avaient pas la qualité de ceux d'aujourd'hui.
posté le 29-07-2011 à 10:01:25
Balthus et les jeunes filles en fleur.
L'intimité est affaire de lumière. De sa discrétion, et cette manière toute en surprise de se poser sur des détails. Non pour faire un inventaire, mais créer l'atmosphère d'où va jaillir le sujet.
Comme toujours chez Balthus ce sera une femme enfant. On dira une jeune fille mais on se trompe. Elle n'a plus l'innocence de l'enfant, les poupées sont loin.
Elle vient d'avoir conscience de son corps. Ce qui lui donne cette allure à la fois effrontée et comme pensive. Elle s'étire. Pour mieux mesurer le territoire qui attend ses émotions. Elle devine qu'il est proche le temps des découvertes qui troublent la chair, qui l'inquiètent.
Elle a des allures de figure d'abandon. Ce n'est pas celui de l'odalisque qui sait jouir de l'instant. Et attend. C'est plutôt une mue. Comme celle d'un animal qui mesure sa capacité à s'affirmer dans la réalité. Un chat, par exemple, regardons-le, il est comme sur le bord d'un précipice avant de s'y jeter, mais il en a la détermination. Il prend son temps, il a le temps. Il ne faut pas croire qu'une enfant qui devient femme est pressée.
De quitter un monde , sa quiétude, peut l'alarmer. La fait un temps hésiter. Elle est sur la crête de la vague. Au coeur de sa tempête intime.
D'ailleurs, tout, autour d'elle, chavire. C'est le désordre des journées qui ne sont pas programmées, d'un temps imprécis.
Seul, le chat (il y en a souvent chez Balthus) s'installe dans son quotidien. Qui a dit (Georges Bataille je crois) que le lait est chargé de forces érotiques. N'est-ce pas l'irruption, immaculée, de la chimie intérieure.
posté le 29-07-2011 à 09:56:54
Elie Lascaux, un peintre pour écrivain.
C'est un peu la même sensation, (le même plaisir), que lorsque l'image apparaît sur le papier photographique quand on le sort du bain de fixatif.
Enfant, j'étais fasciné par cette opération quand mon père sortait du bac où elle avait été plongée, délicatement, à l'aide d'une pince, une image qui , peu à peu, se formait sur le papier. On la voyait effectivement apparaître depuis la zone de flou où elle gîtait, jusqu'à la totalité de sa définition.
Dans la peinture d' Elie Lascaux le sujet conserve quelque chose de son séjour dans cette sorte de purgatoire où elle sommeillait. Elle n'a pas la franchise d'une réalité affichée avec la force de la conviction, mais ce halo qui lui donne un mystère tendre et complice. Car elle est de l'ordre du murmure, de la confidence. Avec, comme une compensation, des joliesses dans les détails, une manière gracieuse de se complaire dans un temps infini qu'elle semble distiller, car elle va défier l'urgence qui commande notre vision des choses. Même ses vues de Paris (nombreuses) sont touchées par une sorte de grâce qui se prête à de minuscules récits dont le paysage est souvent le cadre (on devrait dire l'encadrement).
Il lui donne un caractère provincial. C'est midi, on entend les cloches sonnant l'heure, carillon hautain et distingué, car ce monde comme suspendu à ses propres délectations, dédaigne l'ordinaire. Même marcher dans la rue prend une allure irréelle et mystérieuse. Chacun va vers un destin bien éloigné de nos mesures rationnelles.
C'est un monde largement ouvert à toutes les spéculations. D'où son attrait auprès des écrivains.
Il est des peintres pour écrivains. Outre Elie Lascaux : Gaston-Louis Roux, Pierre Charbonnier, Klossowski, Balthus....
posté le 28-07-2011 à 11:02:07
Prévert et le graffiti
Il est sorti de sa chambrette sous les toits, le voici dans la rue. C'est le poète selon Jacques Prévert. A la rue il emprunte ses courants d'air et ses chansons, ses mots perdus et ses figures déclassées. Il n'est pas chroniqueur encore qu'il en a la verve, le goût du détail qui tranche, impose, va définir une figure.
L'oeil (l'oeil de Prévert, c'est comme celui de Brassaï ou de Picasso, un phénomène hors du commun) ouvert, non sur ses intimités tourmentées mais sur la vie, ses accidents, ses incongruités, ses singularités (on peut trouver du singulier dans la situation la plus ordinaire : le petit bruit de l'oeuf dur sur le comptoir pas exemple).
Qu'on le confronte à Doisneau, un compère en errance dans les quartiers populaires, les rues dédaignées par les touristes, et l'on a le ton, les sujet, le goût (en commun) du quotidien qui "fait icône". On va s'y référer par la suite. Dans sa franchise d'expression (il est significatif que l'on compare un poète à un photographe !), la promptitude de l'instantané, voici le monde du commun habillé pour durer. D'ailleurs il entre, fanfaron, dans les manuels littéraires, la chanson populaire, notre mémoire collective.
Un mot encore, à propos de mots justement, ceux qui fleurissent sur les murs, sont un cri, une prière, un aveu, quelque chose qui sort du plus fort, du plus intime, de plus essentiel pour celui qui se livrera à ce qui est maintenant un art : le graffiti.
document blog moniqueetdany.typad.fr
posté le 28-07-2011 à 10:59:03
L'austérité de Dufy.
Même s'il cherche un nouveau langage le peintre n'échappe pas au catalogue des sujets de la tradition. Et c'est en portant son regard sur la réalité qu'il trahit le mieux ses aspirations. Ne pas échapper au réel c'est aussi chercher à lui donner corps en fonction du regard que l'on porte sur lui. Dufy, avant de s'épancher dans un graphisme dansant, enveloppant, sautillant, s'est penché sur la définition de l'objet en sa quintessence. Dire, de lui, l'essentiel, et la force des relations qu'il entretient avec son environnement. Dont il est parfois l'élément essentiel.
En à-plats vibrants, où la couleur joue de toutes ses nuances, comme un musicien sur un clavier pour composer ses gammes, Dufy met en scène un paysage perçu à travers une fenêtre. C'est lui qui donne de l'assise à la mise en scène (légèrement en biais) d'une table et son bouquet de fleurs, prétexte à quelques accords (on reste dans la comparaison musicale) bien plaqués.
S'il s'agit d'un exercice pictural pour résoudre des problèmes plastiques, l'oeuvre a le mérite d'exprimer aussi un sentiment humain. Le respect (voire l'admiration) pour ce qui fait l'essentiel d'un environnement paisible et jusque dans son austérité (sa réserve) profondément rassurant. Mieux, il dit l'harmonie du jour, et par son côté paisible dit aussi la qualité d'un instant.
On aimerait entrer dans le tableau, s'asseoir au bord de cette table et regarder le paysage qui joue de ses ondulations majestueuses au delà de la fenêtre qui l'encadre. C'est un tableau dans le tableau. Un des grands thèmes de la peinture universelle.
posté le 28-07-2011 à 10:56:38
Le collage de Prévert au Guignol.
Le collage de Prévert se distingue par une attaque plus directe de l'image appelée à s'intégrer dans une autre, sans le souci, comme chez Max Ernst, de créer une liaison qui donne plus d'unité à l'ensemble, un côté lisse qui est vertigineux quand on pénètre dans l'oeuvre. Le passage est brutal, agressif et relève d'un humour plus théâtral. Il y a un esprit guignol dans l'anecdote.
Jeu de masques, mascarades, et gaudrioles, l'homme est malmené avec une bonne humeur, une santé qui relève de l'esprit d'enfance qui est l'un des traits propre à l'univers de Prévert dans son ensemble, et naturellement dans sa poésie, spontanée, proche de la chanson (et si merveilleusement adapté à elle).
C'est souvent la confrontation de l'homme avec le monde animal, la prédominance de celui-ci, mais sur un ton jovial (on n'est pas dans l'espace de l'épouvante animale comme chez Lautréamont).
Parfois un clin d'oeil par rapport à une oeuvre classique. Une manière bien à lui de la revisiter, sans le caractère intellectuel et le jeu de code d'un Marcel Duchamp (la Joconde), et même une façon de laisser aller qui est plutôt une gifle vis à vis des rapports conventionnels et respectueux que le public entretient avec l'oeuvre du musée.
C'est un collage "à l'arraché". Chez les autres le collage est intimiste (Max Ernst, Bucaille), chez lui il joue de la grosse caisse.
posté le 28-07-2011 à 10:53:54
L'art dans la main.
Progressivement l'action créatrice s'emballe et se sert de l'enveloppe (comme support postal) pour une oeuvre qui gagne son autonomie par un ajout d'éléments à priori étrangers à son activité.
L'enveloppe gagne son statut d'oeuvre d'art. Avec toute la déclinaison des éléments qui participent à la signification qu'on ambitionne de lui donner. Elle ne porte qu'elle même, perd son rôle de contenant pour devenir contenu.
L'imaginaire s'empare de cet espace dont la réduction entraîne un jeu d'accumulation qui, sur une grande surface, serait dispersé, dilué. Il en résulte une concentration favorable à la densité de l'oeuvre.
C'est de sa réduction même qu'elle acquière cette force, cette densité que toute oeuvre d'art réduite en sa surface est en mesure d'offrir. Comme le poème qui va se durcir sous forme de maxime.
Ce qui n'interdit pas des variations, diversifications des éléments qui constituent une unité d'autant plus efficace que concentrée.
Plus qu'un message (qui s'est absenté dans les replis de l'enveloppe qui a perdu sa fonction), c'est tout un monde complexe qui s'offre d'emblée à la vue. A quoi s'ajoute l'estimation au "toucher". On contient dans la main, dans l'intimité des contacts qui manquent si souvent à l'oeuvre d'art destinée au mur, à la simple contemplation, tout un monde organisé comme un défi au chaos.
Une construction dont l'intimité va de la création à ce qui est une nouvelle manière d'aborder l'art. Dans la dynamique d'un contact physique. La part manquante dans la tradition.
Commentaires
1. saintsonge le 05-08-2011 à 21:04:20
Figurez-vous qu'avec un tel titre, je vous croyais parti sur les terres de Kafka , là-bas où feu mon ami prêtre exorciste, Jean de Dieu Bréhin, m'avait inscrit sur la liste des congressistes, pour que je sois son secrétaire particulier (ce que je fus sur Lourdes), or le Vatican mit son véto, je ne fus que convers....(non converti !)... Si bien qu'il alla seul !..
Mais, je réponds ici, comme bizarrement y repensant, au fait que vous vous questionnez en un billet d'avant de savoir si l'évocation érotique du lait venait de Bataille, je n'ai pas eu le temps ni le loisir d'un ordi pour vous répondre que oui, ce que je fais ce soir, c'est dans l'Histoire de l'Oeil, au chapitre du chat (page 90, si vous avez le 10/18 Madame Edwarda, Le Mort, Histoire de l'oeil) : "J'imaginais seulement que, soulevant le tablier, je verrais nu son derrière. Il y avait dans le couloir une assiette de lait destinée au chat
- Les assiettes, c'est fait pour s'asseoir, dit Simone. Paries-tu ? Je m'assois dans l'assiette..
- Je pari (sic, il y a beaucoup de fautes d'impression dans cette collection, bizarre, non ? - c'est moi qui souligne ) que tu n'oses pas, répondit-je (resic !!), sans souffle.
Il faisait chaud. Simone mit l'assiette sur un petit banc, s'installa devant moi et, sans quitter mes yeux, s'assit et trempa son derrière dans le lait..."
Amusante distraction que je vous glisse en ce billet du Pont Charles ! C'est, dirons-nous, un tournant express !
La bonne soirée voyageuse, l'ami !
Ai su qu'il y a eu des stations de métro inondées, aux infos télévisées... Eh bé, diluvien déluge à Lutèce City ?...