posté le 08-09-2011 à 10:59:34
L'épure de Braque.
Oser le minimum pour lui donner toute son intensité. Chardin l'a fait. Réduire la réalité à l'essentiel de quelques objets qui en disent toute la force intérieure, la beauté. La peinture peut être expansive, soit pour dire le bonheur d'être, la vitalité qui engendre mille élans, ou, au contraire, y creuser son angoisse. Mais, dans le secret de l'atelier, et, sans doute la sérénité qui l'habite alors, le peintre peut aussi dire la beauté du monde avec presque rien. Une certaine nudité qui est l'image de la pureté. L'éclat de la blancheur vaut toutes les orgies chromatiques, selon le sujet, le tempérament, le moment, l'idée que l'on se fait de la réalité.
La voici réduite à quelques lignes hésitantes, elles se font leur chemin avec douceur et modestie. C'est en allant vers l'économie que l'on peut atteindre l'essentiel, et dans le silence que l'on rejoint la pensée à l'état pur.
Le moindre signe y prend une importance d'autant plus grande.
C'est l'état d'ébauche. Mais pourquoi aller plus loin. Tant de choses y ont déjà été dites. Le regard se pose sur l'épure comme sur l'idée de la sagesse, et de la sérénité.
posté le 07-09-2011 à 21:26:26
Dali fait le portrait d'Eluard.
C'est en compagnie de Magritte et du marchand de tableaux, Camille Goemans, qui venait voir le travail de son poulain, que Gala et Paul Eluard vont à Cadaquès pour rencontrer Salvador Dali, alors pratiquement inconnu, des surréalisfes en particulier.
L'homme Dali se présente sous un jour détestable. Torturé, insolent, déconcertant, seule la qualité de sa peinture saute aux yeux des visiteurs et sur Eluard l'effet est immédiat.
Là encore, la réserve de Gala, son caractère austère et un rien dédaigneux, inspirent au timide et provocateur Dali un véritable coup de foudre.
D'emblée, et comme pour se mieux mesurer, ils ne cachent pas leurs émois devant un Eluard à son habitude complaisant quoique nullement indifférent. Et c'est bien là l'énigme de cet homme si sensuel et sensible à la femme, se montrant devant l'attitude désinvolte et peu charitable de celle qu'il aime, d'une neutralité qui encourage les nouveaux amants (ils ne le sont pas encore mais en offrent toutes les apparences, et Dali ne cachera pas sa terreur de perdre sa virginité).
Durant ce séjour Dali entreprend un portait d'Eluard qu'il achèvera le couple reparti sur Paris, promesses étant prises qu'il viendrait lui-même, le plus vite possible les rejoindre.
Et c'est dans la solitude de son atelier que Dali peaufine son tableau, situant le poète dans le cadre qui sera "sa marque de fabrique" : un désert, une lumière intense, et l'arsenal d'incongruités, d'organes en métamorphose qui vivront de toile en toile poursuivant leur folle aventure fantasmatique.
Et Dali inspire à Eluard un poème, comme tant d'autres peintres (il en résultera "Donner à voir")
Un poème bien en symbiose avec la peinture qu'il célèbre.
"C'est en lissant les graines imperceptibles des désirs
Que l'aiguille s'arrête complaisamment
Sur la dernière minute de l'araignée et du pavot
Sur la céramique de l'iris et du point de suspension
Que l'aiguille se noue sur la fausse audace
De l'arrêt dans les gares et du doigt de la pudeur....."
posté le 07-09-2011 à 12:16:55
Max Ernst chez Eluard.
Le lieu : une villa achetée par Monsieur Grindel père pour son fils Paul et son épouse Gala. Eaubonne, au nord de Paris, aux abords de la forêt de Montmorency. Un environnement agréable, bourgeois. Gala enchantée de quitter le triste appartement de ses beaux-parents rue Ordener.
Tout va aller à la dérive pour Paul Eluard quand ayant été rendre visite à Max Ernst à Cologne, avec Gala, cette dernière devient l'enjeu d'une rivalité entre les deux hommes. Pourtant plus qu'amis. Ce sera un véritable coup de foudre, Paul Eluard ne freinant pas ses élans de sympathie, même si c'est un homme qui en est l'objet.
Invité à Eaubonne Max Ernst jette le trouble. Il entreprend la décoration quasi intégrale de la maison, couvrant les murs (et jusqu'aux portes) de figures issues de son imaginaire flamboyant quoique teinté d'une étrangeté qui n'est pas toujours confortable pour l'esprit. Breton venu en visite chez ses amis déclare : " penser que la banlieue, la campagne vous cache de telles machinations".
Du fait de l'entassement des objets achetés aussi bien par Paul que Gala (ils sont des chineurs acharnés) la maison devient un effarant bric-à-brac.
C'est là aussi qu' Ernst peint l'étrange "La Révolution la nuit". "... dans les bras d'un bourgeois à grosses moustaches, portant costume, cravate et chapeau melon, figure un jeune homme inanimé dont la minceur, la blondeur, le profil aquilin font penser à un autoportrait ". Max Ernst déclare que c'est une Piétà.
Un commentateur a pu dire " la Révolution, la nuit exprime le triomphe de l'onirisme, la supériorité des choses faites en état de rêve".
La force de la décoration d'Eaubonne est un peu le reflet des drames sentimentaux qui s'y jouent. Eluard lié à Max Ernst par des liens presque amoureux, et Gala partagé entre deux hommes dont elle trouble la pourtant féconde complicité intellectuelle.
Le couple Paul-Gala en sera brisé, un tour du monde "absurde et inutile" de Paul s'en suit, et des déchirements qui vont transformer leur vie en une histoire purement sexuelle, et en pointillé.
La maison d'Eaubonne abandonnée, longtemps le fabuleux décor de Max Ernst sera ignoré, et même recouvert par les nouveaux habitants du lieu. Ce n'est que dans les années 70 qu'il sera redécouvert
posté le 06-09-2011 à 11:39:40
La femme surréaliste.
Le surréalisme instaure l'amour comme religion. Il est le ciment de la création, jusque dans le désordre des passions qui se croisent, s'additionnent, laissant sur leur passage des traces que sont les oeuvres qui résultent de ces fusions du corps et de l'âme qu'exalte le surréalisme, qui en fait un principe.
La femme surréaliste sera celle de l'aventure des rencontres foudroyantes , dont Nadja est une sorte de figure emblématique ( bien que Breton se soit contenté d'une semaine d'effusion, un livre éternisant la chose).
La rencontre d'Eugène Grindel (le futur Paul Eluard) et de Elena Diakonova (la future Gala) au sana (Grindel a 17 ans), se développe sous le signe de la poésie dont l'un et l'autre sont de fervents amateurs.
Sinon que Gala restera à ce stade quand, grâce à elle cependant, Eluard entreprend ce vaste parcours dans la culture du mot dont il s'est imposé comme l'un des maîtres les plus accomplis.
Gala, qui inspire le poète, est elle-même, dépourvue de tout talent, en quelque domaine que ce soit. On la connaît amoureuse, dépensière, futile, capricieuse, partiale, n'apportant à l'homme qu'elle aime (après Eluard et Max Ernst, Dali avec lequel elle s'identifie totalement), que le ressort de l'amour et c'est bien dans ce rôle, somme tout bénéfique, que va s'inscrire l'idéal de la femme surréaliste.
Elle est le moteur de la création, son objet, et le culte de la beauté du corps y entre sans complexe. Man Ray, dans son admirable oeuvre photographique en aura donné les repères les plus marquants, Situant à sa juste place dans l'aventure surréaliste la femme, muse ardente, Vénus sortant des eaux.
photo Eluard et Gala.
posté le 06-09-2011 à 11:03:35
Gala la dédaigneuse.
C'est bien l'un des paradoxes du groupe des surréalistes, ils chantent la femme (muse) et l'écartent de leurs travaux. Déjà, du temps de "dada", quand ils se réunissent au Certà dans le mythique Passage de l'Opéra, il le font en dehors de leurs amies et maîtresses. C'est un club d'hommes et leurs compagnes sont abandonnées dans les coulisses de leur vie privée.
Gala, la toute nouvelle femme de Paul Eluard, qui le suit comme une ombre, tentera de forcer cette citadelle, mais ne sera reçue qu'avec méfiance, d'ailleurs elle n'est pas aimée tant elle présente une allure sauvage, voire dédaigneuse, toute entière vouée à la gloire de son poète-amant, et qu'en dehors de lui elle freine les contacts, s'en méfiant, et faisant valoir son caractère un peu sauvage.
C'est après la rencontre du couple Gala- Paul Eluard à Cologne avec Max Ernst que Gala aura enfin droit de figurer avec une silhouette si conforme à son attitude bien connue dans le "tableau des amis" où Ernst assemble ses amis et quelques figures du patrimoine littéraire et artistique qu'il revendique.
Sans doute les femmes virevoltent autour de ces poètes prometteurs, que le scandale impose à l'attention du public, et elles deviennent l'objet d'une sorte de culte de la beauté et de la liberté (de moeurs) qui va toujours écarter les surréalistes des us et coutumes de la société bourgeoise tant méprisée par eux.
Toute une comédie de mari-amant qu'illustre en particulier Gala, successivement muse d'Eluard, d'Ernst et de Dali enfin dans une opulence qui est celle d'une bourgeoisie "arrivée", le goût de scandale de Dali la maintenant pourtant dans cette zone de la différence qui aura toujours été le moteur de son comportement social.
posté le 05-09-2011 à 11:55:28
André Beaudin et les poètes.
La caution des poètes a, pour toute une génération de peintres, entraîné une riche production de livres illustrés où la poésie s'ornait de guirlandes chatoyantes, de correspondances en images, car alors illustrer c'était dialoguer.
Ce fut le cas, parmi tant d'autres, d'André Beaudin.
Qu'on en juge : Geroges Hugnet (Oiseaux, ne copiez personne), Eluard (Double d'ombre), André Frénaud (Les paysans), Francis Ponge (L'Araignée), Georges Limbour (Le Calligraphe), et, ce dernier, y allant d'un imposant livre sur l'artiste, car le poète se fait compagnon du peintre et son plus lucide commentateur.
George Limbour pouvait rappeler qu'on avait, dans son milieu, qualifié Beaudin de "franciscain de la peinture". Et d'ajouter : " Il est un homme calme et réfléchi, peut-être aux terribles colères, mais rares, décemment cachées et maîtrisées. Il répugne aux ivresses, aux délires de l'esprit et du sens. Homme de grande régularité et non fervent de l'immoralisme. Sa morale est bourgeoise. Il n'aime ni la provocation ni le scandale..." .Et de souligner combien il est en marge des courants qui lui sont contemporains, ayant puisé ses forces dans la leçon du cubisme et s'y tenant, développant, modulant son principe d'architecturer une toile, de lui donner une structure solide sur quoi vient jouer la couleur. En douceur, et surtout en gammes subtiles et comme adoucies, comme pour faire contrepoids à la vigueur du graphisme qui passe de la rigueur à la tendresse en constante mélodie.
N'a-t-il pas, dans ses choix d'illustrateur, élu Virgile et Gérard de Nerval, signant par là des fraternités de pensée.
On en revient à ce rapport du peintre avec les poètes. Il y a ceux qui le choisissent et ceux qu'il choisi à son tour, pour orner d'images à leur ressemblance des textes aimés.
posté le 05-09-2011 à 10:57:12
Le jardin de Delacroix.
Après l'atelier de la rue Notre Dame de Lorette (aujourd'hui transformé en bureaux) il y aura celui de la place Furstenberg (aujourd'hui transformé en musée). On y perçoit bien par d'infinis détails dans l'aménagement intérieur, l'esprit de l'homme qui l'a habité. Souvenirs, souvenirs, c'était dans nos adolescences romantiques (avec la maison de Balzac à Passy) un de ces lieux où il était bon de se donner rendez vous le dimanche matin, quand la foule n'y est pas encore, et que l'on entend, venue de dessus les toits alentours, les cloches de Saint Germain des Près qui annoncent l'office.
Plus que des oeuvres ce sont les objets de la vie quotidienne qui entretiennent l'esprit du peintre qui y vivra (surtout du temps de son grand décor pour l'église Saint Sulpice).
Et puis il y a, comme un rituel, la descente dans le jardin qui offre une si belle vue sur la verrière du grand atelier. Les oiseaux y sont multiples dans ce bouquet d'arbre et de silence. Ce sont eux qui font la fête, et s'attarder sur un banc y est un délice offert en plein Paris.
posté le 04-09-2011 à 15:39:42
Pierre Minet et la Confession.
D'abord tenter de faire le point dans la mémoire, comme le photographe qui ajuste son objectif pour saisir une scène. C'était dans les années 60, j'étais à la recherche de ceux (nombreux) qui avaient connus René Crevel et généralement les rencontrais chez eux, avec la bienveillance de ceux qui veulent rendre hommage à quelqu'un qu'ils avaient connus.
Pierre Minet était le plus secret. C'est Valentine Hugo, je crois, qui m'avait parlé de lui, que tout le monde avait oublié.
Rendez vous fut pris. C'était, je crois, du côté de Sèvres Babylone, un appartement bourgeois, et Minet débout m'accueillant avec un mélange de bienveillance et de suspicion. Pourquoi Crevel, et comment.
- Oui rassembler des souvenirs, des témoignages de ceux qui l'avaient connu. Parce qu'il est maintenant une figure de légende et que beaucoup de jeunes lui ressemblent. Pourquoi toujours chercher des modèles dans ce qu'on a baptisé le people. Sa vie, brisée n'est pas un modèle sans doute, mais le personnage, par sa franchise devant la vie, sa pureté de coeur, vaut bien qu'on s'y attache.
Dans une grande pièce chichement meublée, sur un divan, une femme allongée, comme une odalisque, et restée muette alors que Minet parlait, de belle voix.
Il s'appuyait avec un mélange de nonchalance et de dignité sur une canne. La statue de sa propre mémoire chancelait .
Pourtant son oeuvre (fort mince ) n'est que la retour incessant, narcissique sur lui-même. Originaire de Reims, où il jouait les Rimbaud (mais qui ne l'a pas fait, surtout en province ?). Plus jeune que les artisans du "Grand Jeu", il les retrouve à Paris ( René Daumal, Roger Gilbert Lecomte, Maurice Henry). Et aborde la vie dans le même esprit, avec la drogue et les recherches ésotériques pour armes.
Pathétique sera son destin. De faire une oeuvre sur le simple constat qu'il ne peut en faire, qu'il est trop lourd de ses propres traumatismes pour avoir une vue ample des choses. Empêtré dans lui-même il écrit sur lui-même, inlassablement, non sans talent et une réelle éfficacité. On le suit dans ses confidences, son épopée de poche. Est-ce qu'écrire c'est essentiellement se dire ?
posté le 04-09-2011 à 15:30:53
Balthus : "le regard du sourd"
S'il passe pour indécent Bathus ne l'est que sous le regard de ceux qui décriptent son oeuvre en y projetant leurs propres fantasmes.
C'est bien le charme de cette peinture distillée avec un soin précieux, une lenteur de conception (voulue), intentionnelle parce qu'elle entre dans le jeu narratif qu'elle transporte.
Narratif ? N'est-ce pas réduire sa portée que de voir cette peinture sous cet angle réducteur parce qu'il suppose une version donnée à une assemblée de personnages en des attitudes il est vrai souvent ambiguës alors que le peintre y fait passer le lent souffle des rêves profonds, récurants, que tisse la vue de jeunes filles en action. Et indifférentes au regard d'autrui. Elles sont livrées à elles-même. Au naturel de leur tempérament.
La lenteur de la peinture, du "dire" de la toile (son récit est multiple et hors du temps) projette celui qui la contemple (on ne regarde pas un tableau de Balthus, on le contemple), dans un état étrange de suavité un peu perverse. C'est qu'il donne une couleur suave à des gestes, des attitudes qui peuvent paraître choquantes.
Il y a une densité d'émotion, de sensations traduites par des gestes "outrés", c'est comme un théâtre où sont fortes les émotions données à voir, et dans une sorte de silence ouaté. C'est la version picturale du " langage du sourd".
La lumière ambiante renforce cette sensation de viol du regard comme si on entrait par effraction dans une intimité.
posté le 04-09-2011 à 11:43:31
Luc Albert Moreau croque Mallarmé.
Plutôt familier des bouges Luc Albert Moreau (grand ami de Colette) aura l'occasion de faire un portrait de Mallarmé. Fut-il de ses familiers, l'occasion lui fut-elle fortuitement donnée de le croquer dans une attitude familière.
Il est là tel qu'en lui-même dans son quotidien, et tel que la figé la légende. A la fameuse cheminée appuyée pour mieux discourir et faire jouer le charme de sa maîtrise de la conversation, et le fameux châle qui lui recouvre les épaules. Le côté frileux du personnage explique mieux le caractère si creusé de sa poésie, qu'on imagine l'objet d'un long et minutieux travail, une reprise des mots pour en tirer le sens le plus pur. C'est une poésie de si constante reprise qu'on ne la voit pas faite dans l'urgence, la brutalité du moment, mais comme cajolée par la pensée, et jouant de savantes constructions qui sont comme des remparts pour la protéger des regards indiscrets.
posté le 03-09-2011 à 10:41:27
Colette à "La Treille muscate".
Le touriste qui va à Saint Tropez (le malheureux !) n'ira pas chercher dans le coin reculé où elle se niche la Treille muscate. Trop de bateaux rutilants contre une maison simple, enchâssée dans une végétation luxuriante et qui dit bien que le bonheur tient souvent à cette qualité de discrétion et une nature sensuelle qui la distingue.
Colette qui en fit l'acquisition en 1925, l'aimait tellement qu'elle y venait souvent, et se faisait livrer à Paris, les fruits et légumes d'un merveilleux jardin qui en faisait aussi tout le charme, et la fameuse treille sous laquelle se protéger du soleil, et écrire. C'est là qu'elle reçoit ses amis Kessel, Francis Carco ou le peintre Dunoyez de Segonzac qui a si souvent dessiné l'endroit.
Au menu, les produits du jardin et de la région : Melons, rascasse farcie, beignets d'aubergine, bouillabaisse. Colette aime les maisons et la table et les rites de l'amitié qui s'y déroulent.
La qualité d'une maison détermine celle d'une vie. Colette le savait.
posté le 03-09-2011 à 10:21:24
Dubuffet et l'homme de peu.
On sait que non content de s'en prendre aux mots et à la forme Dubuffet se mêle aussi de manipuler le son, et cela devient musique. Stridente, avec quelque chose comme un écho lointain de la musique arabe. Normal il connaît la fascination du désert, il l'a pratiqué, il y a peint. Dubuffet a le regard large et on n'ira pas s'en plaindre.
Alors osons dire qu'il dessine aussi avec cette stridence qui agresse l'oeil (comme l'oreille pour le son) et que l'on s'en réjouit tant elle dit l'ardeur des colères et des jouissances que l'homme de peu a tant de mal à extérioriser, sinon par le graffiti. L'homme ordinaire ! avant que Pierre Sansot en ait fait l'objet d'une pénétrante étude, Dubuffet avait cette conscience que l'homme ordinaire pense aussi, et se construit un monde.
Non seulement il s'en prend à la culture, mais il veut aller là où il semble malséant d'aller. Lui ira cherche son inspiration dans les endroits incongrus, jugés grossiers : sur les murs oublié, dans les terrains vagues, les pissotières (Mandiargues avait là dessus des informations uniques), et sans doute avait-il raison, le musée aujourd'hui accueille comme une forme d'art l'errance de la main qui gratte un mur, le couvre d'écritures malhabiles, mais portant l'essentiel d'une souffrance, d'un souhait.
L'art à tous les étages de la vie, depuis les hautes spéculations qui débattent de la beauté ordonnée jusqu'aux plus infâmes miasmes de l'émotion.
posté le 02-09-2011 à 11:31:56
Dora Maar photographe.
Comme c'est souvent le cas dans sa génération (Ubac, Man Ray, Magritte) peinture et photographie "vont de paire". Une discipline profite à l'autre, les deux étant en fait, l'art de voir (dont Marcel Duchamp fait le seul moteur de la création).
Dora Maar n'échappe pas au phénomène, sinon que son regard de photographe est plus original que celui du peintre trop sous l'influence directe de Picasso.
Comme Man Ray (mais quel photographe alors pouvait échapper à son prestige) elle aborde le nu féminin avec une aisance qui donne tout son prix à la désinvolture triomphante du modèle, soulignant une plasticité qui s'imprime dans le quotidien.
posté le 02-09-2011 à 11:25:28
Baudelaire parle de Delacroix.
La dédicace des Fleurs du Mal (1855) permet à Baudelaire de rappeler l'ancienneté de son admiration pour Delacroix. Déjà, dans son Salon de 1845, il lui consacre une part importante et analyse quelques uns de ses tableaux (La Madeleine dans le désert, Dernière paroles de Marc-Aurèle) assurant alors que "M. Delacroix est décidément le peintre le plus original des temps anciens et des temps modernes".
Lors de sa mort, en 1863, il publie en feuilleton, dans "L'Opinion nationale" une série d'articles où il peut développer son admiration pour le peintre, et cela en dépit d'une nette hostilité dans son propre milieu.
L'ayant bien connu, et si totalement apprécié, il peut souligner un trait particulier de se démarche :
"Il y avait dans Eugène Delacroix beaucoup du sauvage, c'était là la plus précieuse partie de son âme, la partie vouée toute entière à la peinture de ses rêves et au culte de son art. Il y avait en lui, beaucoup de l'homme du monde ; cette partie là était destinée à voiler la première et à la faire pardonner. Ca été, je crois, une des grandes préoccupations de sa vie de dissimuler les colères de son coeur et de ne pas avoir l'air d'un homme de génie. Son esprit de domination, esprit bien légitime, fatal d'ailleurs, avait presque entièrement disparu sous mille gentillesses. On eût dit un cratère de volcan artistement caché par des bouquets de fleurs".
posté le 02-09-2011 à 10:34:10
Oscar Wilde sans panache.
Qui veut aborder le problème Wilde (sa personnalité, son procès, son amour pour Bosie) sera, dans le livre d'Isaure de Saint Pierre, embarqué dans une succession de petits tableaux d'une incroyable fadeur qui caricaturent les personnages d'un drame de société autant que d'une aventure littéraire fort ambiguë quant elle tente de situer Wilde dans l'échelle des valeurs.
Ne serait-il qu'un Sacha Guitry britannique, ciseleur de mots brillants et se prenant pour Shakespeare. Isaure de Saint Pierre insiste trop sur la vanité de Wilde pour n'y pas voir un procès en règle d'un personnage qu'elle ne rend pas sympathique (l'était-il ?) et ses frasques ne sont-elles pas la mise en pratique de ce que Dorian Gray illustre dans le seul ouvrage finalement qui situe bien Wilde dans son temps.
Une version anglaise du des Esseintes de Huysmans.
Là où l'auteur finira par ressembler à sa création, statufié dans l'ignominie que lui inflige sa société alors qu'il n'est peut-être qu'un amuseur public.
Avec les risques d'être détesté après avoir été adoré.
posté le 31-08-2011 à 19:19:52
Dora Maar chez elle.
Il aura suffit qu'elle soit l'une des égéries de Picasso pour qu'elle entre dans la légende. Photographe, elle le rencontre au café de Flore (haut lieu d'effervescence culturelle dans l'entre deux guerre, et qui avait été le salon de Remy de Gourmont et d'Apollinaire), et s'installe rue des Grands Augustins, dans ce fameux atelier que Picasso tenait de Jean Louis Barrault, où fut conçu Guernica.
Dora Maar va photographier toutes les étapes de la gestation de la terrible toile. Participer étroitement à son élaboration, être totalement associée à son histoire.
Pourtant, tout photographe qu'elle fut, elle peignait aussi. Picasso l'installe dans un appartement de la rue de Savoie (à quelques mètres à peine des Grands Augustins). Et là, quand elle n'est plus à l'ombre du terrible Minotaure qu'est Picasso, elle peint. Dans le sillage de son amant, et comme une sorte de réplique de ce qu'il fait alors. Même la rudesse des constructions (la hardiesse de leur architecture) ne sont plus celles d'une femme mais comme emportées par ce souffle destructeur que Picasso fait passer sur son entourage.
Brassaï, l'ami commun, va aller la dénicher chez elle, pour tenter d'en faire un portrait où elle est toute entière elle-même.
Il y aura la cage aux oiseaux qui signe la féminité qui n'aura pas abdiquée. Mais comme elle est altière de port, un sang ardent l'anime, mais elle se réserve, se retrouvant telle qu'en elle-même.
C'est dans la photographie qu'elle retrouvera sa véritable nature. Un regard au féminin mais qui n'a pas froid aux yeux, ne tombe pas dans la niaiserie que risque toute qualification de "féminin". Même quand elle célèbre le corps de la femme.
Il faudra aller y voir.
posté le 31-08-2011 à 11:33:40
Dubuffet en riant pays.
Pris au second degré le titrage de l'oeuvre qui évoque un "riant pays" situe bien l'humour propre à Dubuffet qui n'est pas toujours là on l'attend.
Fidèle à son principe de traiter à plat l'espace (en somme d'en nier l'illusion qui est celle du théâtre) il accumule des éléments supposés évoquer la légèreté, et qui demandent l'espace aérien.
Le ciel plaqué au sol et le sol à la place du ciel, terreux, sombre et lourd comme à l'annonce de l'orage.
Dubuffet décode l'ordre du tableau, les principes d'équilibre qui régissent la lecture de la toile, et retrouve la ferveur du collectionneur qui accumule, jusqu'à boucher la surface.
Et pourtant, il se dégage de la toile une sorte d'élégance, en contradiction avec les matériaux utilisés. Là aussi il pratique une sorte de détournement de la matière.
L'oeil s'égare dans le caractère labyrinthique et des effets de dentelle d'un sol qui fourmille et comme agité par mille vies accumulées, des énergies prêtes à s'élancer. Avec le poids qui pèse d'un espace non défini, nous laissant le soin d'en trouver la nature.
posté le 31-08-2011 à 11:16:32
La BD dans la bataille.
Faire passer dans l'espace de la page toutes les facettes d'une même histoire, ses temps forts : et la charge des cavaliers, et la tension dans un salon (lieu clos) d'un acte souverain.
Abordant le thème de l'Histoire, la peinture s'encombre de vastes mises en scène avec force détails pour fixer un moment supposé avoir été. Et qui sera, en effet, et plus fort dans cette transcription peut-être que dans la réalité. C'est cette version là que nous retenons. La mémoire s'accroche à une interprétation du fait, et non au fait lui-même.
C'est ainsi que l'on peut fabriquer des héros, faire glisser, peu à peu, un personnage élu pour la chose, dans l'espace bien balisé de la légende. Elle sécrète une abondante iconographie qui reprend inlassablement le même thème, seul va varier la vision que l'on veut en donner.
La bande dessinée entre dans la danse. Elle a, pour elle, de créer une dynamique qui devient le moyen d'interpréter un fait. De le dramatiser.
Et voici la bataille d'Austerlitz avec ses principaux personnages et la lumière d'ambiance qui fête la victoire qu'incarne ce fait de guerre.
On le projette déjà dans la perspective d'exemplaire qu'il va devenir, sur le lieu même et dans l'action.
C'est la force de cette technique narrative de pouvoir en un seul dessin (il est vrai multiplié, découpé) donner le fait et son destin dans l'avenir.
Mais la réalité de l'Histoire n'est-ce pas aussi un illusion !
posté le 31-08-2011 à 09:56:04
Dubuffet cherche l'innocence.
Du graffiti dont il reconnaît la forte influence sur son travail, et à la réhabilitation duquel (avec Brassai) il travaille, Dubuffet glisse dans l'écriture négligée du dessin d'enfant.
Négligé ? ou fraîcheur dont il cherche à retrouver la force qui va au minima de la pensée, et proche de l'émotion qui supplante les complexités contestables du raisonnement.
L'instinct contre le savoir.
A l'art de Dubuffet il fallait une écriture qui soit à son égal et dans son sillage, en sympathie de regard.
Dubuffet attire facilement les quolibets des gens d'esprit ou qui se croient tels, et déclarent que n'importe qui peut faire de même.
Ce qui est relativement vrai, sinon qu'il faut oser.
Dans sa lutte contre la culture Dubuffet s'arme de toutes les innocences graphiques possibles.
On l'aura vu aller aussi du côté de Gaston Chaissac, chez qui mots et dessins se confondent, s'enchaînent, découlant les uns des autres, sans ordre, sinon celui de l'instinct, la ferveur du moment.
Alors la page est ouverte à toutes les audaces, toutes les fantaisies, sans ordre ni logique et en revanche sans marge ni dégagement et comme pressée soit par l'urgence ou une économie qui porte à se demander si la surface que l'on n'occupe pas totalement n'est pas celle d'un renoncement, ou d'une carence d'inspiration.
posté le 30-08-2011 à 16:29:47
Braque pense ce qu'il peint.
Méthodiquement de sa belle écriture qui est comme l'ornement de sa pensée Georges Braque "tient" des cahiers de notes, réflexions, propos divers, qui accompagnent l'exercice de la peinture comme quoi celle-ci avance avec la lenteur de la réflexion et comme le fruit de celle-ci.
"Ce n'est pas assez de faire voir ce qu'on peint, il faut encore le faire toucher".
D'où son attrait pour les objets qui sont autour de lui, posés ça et là, soit par le hasard, soit le souci d'organiser des ensembles propres à pousser l'esprit vers des rivages que le quotidien ne lui offre pas. On appelait cela autrefois des "natures mortes" ce qui pousse à bien des contradictions, d'autant qu'il n'était pas rare qu'on pose, côté à côte, un crâne et un fruit.
C'était tracer un bien court chemin entre la vie et la mort. Mais un chemin de philosophie à laquelle le regardeur du tableau ne sera pas insensible.
On peut imaginer la scène, dans l'atelier Braque, sur un fauteuil, assemble sa pipe, une cruche, la palette posée là pour agencer les choses, et de se dire que c'était un beau motif pour inviter à toucher autant qu'à voir.
D'où l'espèce de rudesse du trait, la raideur des choses qui se donnent en spectacle, et le travail de l'artiste aura constitué à donner de l'esprit au trait, une élégance au découpage, et de poser une énigme autant qu'une réflexion profonde sur notre sort devant nous. A nous de la lire
posté le 30-08-2011 à 15:09:22
Baudelaire boulevard Bonne Nouvelle.
Passant chaque jour sous ces fenêtres je ne peux que penser à Baudelaire qui, dans sa longue errance à travers Paris, habitait là, de Mai à Juillet 1852. Court séjour mais l'empreinte du poète est partout où il est passé.
C'est là que, le 10 mai, il écrivait à Antonio Watripon qui mettait au net un "Dictionnaire universel, Panthéon littéraire et encyclopédique illustré" :
"Vous me causez, mon cher Watripon, le plus grand embarras. Comment voulez- vous qu'on donne des notes biographiques ? Voulez vous mettre que je suis né à Paris en 1821, que j'ai fait, étant fort jeune, plusieurs voyages dans les mers de l'Inde ? Je ne croit pas qu'on doive mettre ces choses-là.
Quant aux ouvrages ! il n'y a guère que des articles.`
Baudelaire (Charles-Pierre) a signé Baudelaire Dufaÿs, Pierre Dufaÿs et Charles Dufaÿs. A écrit des articles de critique artistique et littéraire, et des nouvelles dans Le Corsaire-Satan, L'Esprit public, L' Artiste, La Liberté de penser, Le Messager de l'Assemblée, Le Magasin des Familles, La Revue de Paris, l'Illustration.
1 - Salon de 1845 chez Labitte.
2 - Salon de 1846 chez Michel Lévy
3 - La Farandole, roman à 4 sols chez Bry.
4 - Une préface aux oeuvres de Pierre Dupont, chez Alex Houssiaux.
Et, dans quelques journaux, des poésies d'un accent généralement fort douloureux (arrangez ou supprimez)
Edgar Allan Poe, Sa vie et ses oeuvres.
Vous pourrez ajouter à cela : Physiologie du rire, qui paraîtra, prochainement, à la Revue de Paris, sans doute, ainsi que Salon des Caricaturistes et Les Limbes, poésies, chez Michel Lévy. Ce ne sera pas un mensonge puisque cela va paraître très prochainement, et sans doute avant le volume biographique.. Mais tout cela me semble bien vaniteux. Arrangez, supprimez, faites ce que vous voulez. Si j'ai oublié quelque chose, tant pis."`
Quelques pas, bousculé par des passants hagards, et voici le lieu de ravitaillement, petite "grande surface" fréquentée surtout par des touristes qui découvrent les Grands Boulevards.
La poésie, sous toutes ses formes, nous accompagne dans tous les moments de notre vie, et ses fantômes aussi.
posté le 30-08-2011 à 11:24:39
Pierre Bettencourt et les mots en replis.
Sortis de l'ombre et portant encore en eux leurs maléfices, les mots de Pierre Bettencourt ne sont pas de ceux qui portent le soleil en bandoulière mais quelque chose des miasmes de lointaines contrées mentales et qui ne sauvent les apparences que par l'humour. Un humour grinçant et quelque peu provocateur.
Il y a là des échos d'Henri Michaux (que d'ailleurs Bettencourt édita sur sa presse à bras, de même qu'Artaud, Paulhan ou Béalu).
Une morale à l'envers, des pays lointains nichés dans les replis du rêve (du cauchemar ?). De cours récits qui ont la précision (l'incision) d'une gravure grimaçante et coléreuse.
Ce sont des "fables" à l'envers, l'épilogue qu'on n'attend pas, le virage à angle aigu où l'on perd l'esprit. Et l'esprit qui n'est pas sain. Quel acide a rongé le monde pour qu'il soit aussi désarticulé, ou tout va de biais et de mal.
Parfois on tombe sur des détails qui font penser à ces coins de tableaux que l'on découvre en surprise dans les oeuvres de Jérôme Bosch.
Oui la vie est un enfer portatif, que l'on porte en bandoulière. Avec les mots.
posté le 29-08-2011 à 20:41:22
Les déchirures de P.A.Gette.
Du traitement des lettres (exercice fort sage), P.A. Gette est passé au domaine de l'émoi érotique. La jupette qui flotte au vent, la petite culotte blanche entre aperçue, le jeune tendron, entre innocence et perversité.
Où situer le regard quand il plane en des territoires aussi ambigus.
P.A. Gette frôle toujours l'indécence (attention domaine des mineurs !). Et pourtant son discours entre dans la logique d'une recherche qui se veut encyclopédique, englobe bien des domaines (et pourquoi pas l'herborisation en forêt).
Mais domine, passe, circule, apparaît au détour d'un chemin, dans la démarche de l'artiste, la petite fille qu'il cajole et dont il faudrait se méfier. P.A.Gette en fait des séquences d'art.
Maintes publications accompagnent cette démarche moins hasardeuse qu'il pourrait paraître, et d'une logique de scientifique qui met le monde en observation, décantation, et notes pour justifier le tout.
Si bien qu'il se situe à cette frontière fragile entre art et sociologie, voire pornographie. L'art y trouve son compte, c'est à dire un territoire qu'il est le seul à explorer, et il est bien connu que l'art, aujourd'hui, c'est, avant tout, absorber le monde pour le mieux connaître et le faire mieux comprendre.
Alors comprendra qui voudra.
posté le 29-08-2011 à 20:19:19
La patience de Braque.
Pourquoi une oeuvre de Braque nous apporte une sorte de satisfaction esthétique paisible et comme détachée de l'effort qu'elle suppose. L'art de Braque c'est de dissimuler le temps de la création pour nous conduire d'emblée sur le résultat.
Autant Picasso nous émerveille comme le magicien qui exécute un formidable tour de passe-passe, autant Braque en bon artisan (qu'il est, n'avait-il pas appris à peindre sur des murs de fausses marbrures !) nous émeut devant une oeuvre bien accomplie. Forte en sa forme et riche en sa texture, son contenu. Bien des choses y sont dites, avec la simplicité de l'artisan qui connaît son métier, mais ne tente pas de nous éblouir par sa science. Picasso veut montrer qu'il est habile (il l'est) il s'amuse de nous (il nous bluffe aussi), Braque se montre discret.
Alors le résultat nous réconforte. Regardez un Braque et vous vous sentez bien. On l' a accusé de faire de la peinture confortable pour les bourgeois. Il ne flambe pas son talent, il le met au service de discours simples, allant à l'essentiel. C'est le vrai enfant de Cézanne et comme lui rude en son métier, consciencieux, et sa facture est noble en son discours.
posté le 29-08-2011 à 18:25:14
Pierre Bettencourt en enfer.
A l'égal de son "oeuvre" (il n'aurait pas aimé ce terme) écrite, la production (autre interdit mais comment définir certaines ce ces choses qui échappent à toute classification, ou définition) de Pierre Bettencourt, dans le domaine des arts plastiques, nécessite une révision totale du vocabulaire, et sans doute, un autre regard.
Résumons. Il produit (décidément) des livres à petit tirage, d'auteurs qui sont les piles électriques de la pensée contemporaine (ce sera un autre chapitre) mais à côté de ce travail qui cohabite avec l'écriture de ses propres textes, Pierre Bettencourt (sous la bénéfique influence de Dubuffet) aborde l'espace des arts plastiques. Sa technique ? construire des figures à partir de déchets (coquilles d'oeuf par exemple) et inventer un monde sulfureux, narquois, inquiétant.
C'est la figuration d'une comédie des enfers revue par Ubu, entre grincement de dents et provocation. Masques qui semblent surgir de quelque civilisation étrange, totems (sans tabous), silhouettes grimaçantes venues des égouts, tout un monde qui s'agite ici, là figé dans un hiératisme de divinité barbare.
On le dira primitif mais c'est un peu le dépotoir de tous ceux que l'on ne peut classer. Primitif alors, dans le style, abrupt, à découpe franche et comme taillé à la hache, la colère, encore qu'ici et là, il y a le clin d'oeil imperceptible de celui qui attend votre complicité dans l'accomplissement d'une farce.
On peut se balader avec innocence parmi ces figures d'enfer drolatique, on en tire une sorte de joie salubre. Celle de dominer nos terreurs en jouant à se faire peur.
posté le 29-08-2011 à 10:01:32
Le trait de Léonor Fini.
S'inspirant du poème de Baudelaire :
Du temps que la Nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux,
J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante,
Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.
........
Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;
Ramper sur le versant de ses genoux énormes.....
collant si exactement au texte
Léonor Fini conçoit de fortes illustrations où le trait s'emporte au rythme des mots, les épouse, tant l'artiste sait donner force à l'image.
Peintre, elle l'est au coeur de la vibration des mots. Moins dans l'anecdote que cette part de mystère qu'ils contiennent et ne délivrent que par la magie de la poésie (serait-elle en prose).
Aussi Léonor Fini est proche des écrivains, à leur écoute, et sait donner toute la part de théâtralité qu'elle met dans sa vie aux illustrations qu'elle conçoit pour les textes qu'elle aime et valorise par la force de son tempérament lyrique et un rien de perversité qu'elle distille avec élégance.
posté le 29-08-2011 à 09:37:48
Paul Armand Gette en lettres.
C'est pas l'intermédiaire de Gianni Bertini que j'avais fait la connaissance de Paul Armand Gette, dans les années 60. Ils étaient voisins dans les environs de la mairie du X° arrondissement, un quartier chanté par Léon Paul Fargue.
Gette venait de Lyon avec une formation de scientifique. Il était plus ou moins en rapports avec les tenants de l'Ecole de Nice.
Il travaillait alors à partir de ces lettres en bois qui entraient dans la composition des affiches et titrages. De magnifiques blocs sculptés en forme de lettres et qu'il assemblait sans tenir compte de leur fonction d'origine et en les dressant comme des sortes de stèles.
En toute logique il aura été amené à expérimenter les recherches graphiques que les dadaïstes avaient si splendidement explorées.
Il frôlait là, sur le plan plastique, les travaux des expérimentateurs du langage (autour de Henri Chopin et François Dufrène). C'était le noyau vivace de recherches qui se concrétisèrent autour de la revue OU animée par Henri Chopin.
Mais P.A. Gette va évoluer, et aborder d'autres horizons qui sont plutôt de l'ordre de l'érotisme. Nul rapport donc. Mais on y reviendra.
posté le 28-08-2011 à 15:59:41
Le visage de Katherine Mansfield.
L'abondante iconographie de Katherine Mansfield permet de scruter, année après année, le travail du temps sur les traits de son visage, mais, dans le même temps, souligne l'extraordinaire mobilité des expressions qui passent par tous les stades des émotions.
Lire sur un visage c'est déjà avancer dans la connaissance des mots qu'ils tiennent en réserve, comme un grenier ses fruits. On ressemble à son verbe, à la manière de manier le langage, de s'exprimer. Devant un visage on peut pronostiquer de ce qu'il dira, de ce qu'il détient, ses trésors d'émotion qui trouvent les mots pour les dirent.
Katherine Mansfiled offre un visage parfois lisse qui est encore celui d'une petite fille. Il y a toujours, jusque dans son style, cette fraîcheur des mots qui disent au plus près du coeur ses élans, son amertume.
On la verra, l'âge venant, comme un fruit se rider, mais de belle façon.
Ne dit-on pas que les rides disent notre âme !
C'est à travers tous les stades de cette évolution qu'une vie s'inscrit. Qui fut de flamme et de cendre, entre la maladie qui tenaille et les élans d'amour qui ressuscitent. Tout un visage porte en lui l'âme et les élans, et l'oeuvre qui en découle.
posté le 28-08-2011 à 15:30:08
Le charme de la promenade à Maupertuis.
Le charme de la peinture des ruines c'est qu'elle leur confère une douceur, une innocence qui n'est pourtant pas dans leur vocation première.
Adoucie, aux contours du paysage qui l'entoure, lui fait écrin, la Pyramide de Maupertuis devient une aimable étape dans le rythme d'une promenade agreste.
Sa décrépitude même la dissout dans son environnement. Elle entre dans la respiration de la forêt, comme une manifestation naturelle.
Contrairement aux ruines de Piranèse qui s'avancent, entourées d'une figuration humaine en principe propre à gommer leur caractère morbide mais restent au coeur de l'action, monumentales, grandioses et vaguement inquiétantes, celle-ci s'intègre totalement au paysage comme l'un de ses éléments. Elle n'y prime pas, entre dans une contemplation qui s'appuie sur des références culturelles mais sans donner à celles-ci une primeur quelconque sur la valeur du paysage dans son charme élégiaque.
On y devine le doux frémissement des arbres, la nonchalance des promeneurs, le caractère aimablement festif de l'ensemble.
La ruine n'est plus qu'une curiosité, quand, dans ses ambitions premières, elle était un jalon dans un itinéraire codé, propre à nourrir l'esprit quand elle ne nourrit plus que le plaisir de la promenade.
posté le 28-08-2011 à 13:46:46
Piero Manzoni et son empreinte.
C'est Bernard Aubertin qui l'avait amené, ils étaient complices dans un engagement total vers des recherches qui s'éloignaient résolument de la peinture de chevalet. En commun un radicalisme de théoriciens.
Piero Manzoni était charmant, petit, volubile, drôle, impertinent et convaincant.
En guise des fleurs classiques il avait apporté sur un minuscule bristol (comme une sorte de carte de visite) l'empreinte de son pouce. Longtemps je l'avais placée parmi les livres de la bibliothèque et elle a dû être absorbée par un livre (mais lequel) parce qu'un jour elle n'était plus sur le rayonnage.
Depuis Manzoni est devenu célèbre et il est mort maintenant, et brandi par les historiens de l'art comme une figure emblématique de l'avant-garde. Une sorte de relais de Marcel Duchamp dont il est surtout un épigone farouche.
Son oeuvre, comme celle d'Yves Klein (qu'il admirait), est resserrée sur quelques principes qui l'enferment dans la redite mais portent en eux un message fort.
Elle participe du courant (dans les années 55-60) très important, du monochrome (le bleu pour Klein, le rouge pour Aubertin et le blanc pour Manzoni).
Pour ce dernier s'ajoutait, (fort contestée), la mise en conserve de "la merde d'artiste". Geste radical, sans doute suicidaire.
Porter la pratique de l'art vers la conservation de ce qui dans le concept de tout homme soucieux de sa dignité, est destiné à disparaître parce qu'il souligne la faiblesse humaine face à l'idéal qu'il se dessine (les dieux ne sont-ils pas de marbre ?), relève soit de la provocation, soit d'une sorte de désespoir existentiel.
Commentaires
1. saintsonge le 08-09-2011 à 13:08:41
J'ai toujours opté pour le minimalisme.