posté le 06-02-2011 à 14:09:50
Georges Hugnet au coeur du livre.
Au soir de leur vie ils éprouvent tous (ne ferait-on pas la même chose ?) le besoin de consigner leurs souvenirs. Ceux qui, dans leur jeunesse, se rallièrent, au surréalisme (ce qui devait être une aventure existante) ne manquent pas d'en retenir les étapes, les phases d'un choix de vie qui, souvent, se confondait avec la création.
Georges Hugnet est de ceux-là. Sans doute il n'est pas des surréalistes majeurs, et son oeuvre ne s'impose pas comme essentielle. Pourtant, il figure en bonne place dans l'Histoire du surréalisme ( voir Maurice Nadeau). Souvent signataire des tracs véhéments que le groupe éditait et qui participaient largement à leur réputation. Pourtant, par nature, l'homme est moins celui d'un combat que d'une vision artisanale de l'art.
J'ai souvenir d'être allé le voir dans un appartement du Montparnasse dont il était un fidèle (ce devait être du côté de la rue de la Gaité). Du temps de sa vie de "combat" il partageait avec Jeanne Bucher le petit hôtel particulier, où cette dernière avait sa galerie (et quelle galerie, on en reparlera) à l'étage, lui au rez- de- chaussée.
J'ai souvenir d'un petit jardin, mal entretenu, qui séparait cette petite enclave d'allure provinciale, du boulevard (Montparnasse) presque au croisement de la rue de Vaugirard.
Georges Hugnet était libraire-éditeur-relieur, c'est à dire au coeur de la vie matérielle du livre, à son approche la plus sensible, la plus décisive pour en faire une oeuvre d'art. Ce qui sera le cas avec lui.
Son oeuvre poétique est jalonnée par des rencontres, des collaborations devenues mythiques.
Pour son premier recueil c'est Max Jacob qui l'illustre. Suivront: "Enfance" illustré par Miro, "Onan" (Dali), "La septième face du dé" ( Marcel Duchamp), "La Hampe de l'imaginaire (Oscar Dominguez), "La chevelure" (Tanguy), "Une écriture lisible" (Kurt Seligman), Oeillades ciselées en branche (Hans Bellmer), "Non Vouloir" (Miro), "Au dépens des mots" (Valentine Hugo), "La Femme facile" (Henri Goetz et Christine Boumeester), "Non vouloir" (Picasso), "La sphère de sable" (Arp), "La nappe du Catalan" (Cocteau), "Les revenants futurs" (Picasso), "L'aventure dada" (Man Ray) (qui est déjà un livre de souvenirs) . Et ce ne sont là que quelques exemples tirés d'une bibliographie impressionnante.
Homme du livre il est aussi collagiste, peintre à ses heures.
posté le 05-02-2011 à 22:44:36
Dubuffet exalte la matière.
C'était toujours un petit bouleversement intérieur, une secousse dans l'oeil, un plaisir aussi rare et délicieux que la découverte d'un nouveau plat. Car il y a quelque chose qui procède du plaisir de la matière chez Dubuffet (bien plus que chez Fautrier) dans la recherche de sa diversité. Comme l'enfant qui découvre la réalité des choses, les palpe, les malaxe. Dubuffet entre dans le monde de la matière (Fautrier la "tartine") et s'extasie de ses prodigieux effets. Alors, maîtrisant la chose, il peut y aller de son petit couplet populiste, précurseur en cela de cette mouvance poétique qui s'adresse aux "gens de peu".
Il replace l'homme au coeur de son univers du commun, ayant compris (et fait comprendre) qu'il y a aussi du merveilleux dans le banal.
-Regardez comme cette terre est savoureuse, chatoyante, elle porte en elle le souvenir de sa prodigieuse aventure. Après tout, nous y venons bien tard sur cette terre, elle a connu maintes épreuves, maintes métamorphoses, elle se donne à nous moins dans son innocence que son expérience. Il faut la gagner.
Alors on griffe, on balafre, on tempête, on agresse comme dans une histoire d'amour impossible. Et l'on aborde cette forme d'humour qui est celle du désespoir qui se transforme en rire, en grimace, en provocation.
Dubuffet a jeté une bombe dans la tempérance qui était le propre de l'art français (comme Picasso mais moins en interrogeant l'histoire de l'art que la réalité elle-même, brute, immédiate).
Par inclinaison intellectuelle et sa logique, Dubuffet ira du côté de l'art de naïfs. Non pas ceux qui dessinent de travers parce qu'ils ne savent pas dessiner, mais ceux qui s'inventent des mondes rien que pour eux. Où ils s'enlisent, se perdent, s'émerveillent.
posté le 05-02-2011 à 10:45:02
La vraie Alice.
De son nom (Alice Liddell) Charles Lutwidge Dodgson n'a gardé que le prénom, changeant le sien pour entrer dans le monde de la poésie qui efface (excuse) toutes les "audaces" comme, par exemple, photographier une très jeune fille (mais déjà femme dans l'attitude) sans passer pour quelque pervers.
Lewis Carroll excuse ce qui chez tout autre aurait conduit à des problèmes généralement traités devant les tribunaux. Ajoutera-t-on que Charles Dodgson est certainement mort vierge, toute la force de son désir s'étant muée en art, en poésie.
C'est bien à la fois l'ambiguïté et la force poétique de son entreprise qui échappe aux normes (donc aux lois) et s'immisce dans un univers autrement interdit. Son oeuvre s'appuie sur l'enfance et à elle s'adresse. Ne la lit-on pas par effraction, ou pour retrouver une fraîcheur partout ailleurs interdire, avec de surcroît une dose d'humour qui est de tous les âges.
Donnant une dimension universelle à son oeuvre et transformant son personnage en icône : celle de la fantaisie, d'une quête qui est au coeur de toute adolescence.
posté le 04-02-2011 à 15:21:27
La Révolution Surréaliste, un explosif.
Il en était du prestige du surréalisme lors de son émergence , dans les années 20, que bien des jeunes de cette génération qui émerge après la grande guerre s'y rallie dans le désordre de leur enthousiasme, et la foi en un avenir perçu au delà de l'enfer vécu par leurs aînés. Phénomène historiquement classique, à une génération sacrifiée succède celle qui va donner le ton de l'avenir. Sous les signes croisés de la fête et de la révolte.
Fête du corps, libération des moeurs, audace des attitudes, et mise en place de nouvelles "valeurs" celles dont ils héritaient s'étant discréditées dans l'enfer de la guerre.
Le surréalisme vient à point, piloté par des intellectuels (André Breton, Philippe Soupault, Louis Aragon), qui avaient vécus l'Histoire dans ses marges (ils en revenaient), mais frappés, et déterminés à changer le cap, les règles et les références.
Le surréalisme est un point de ralliement. Outre les manifestations diverses qui le placent dans une société en ébullition, des publications en balisent les données culturelles, créatrices. Tous les arts sont concernés.
Une revue, qui est un instrument de combat, se doit d'être largement ouverte à ceux qui s'engagent dans le sillage d'une pensée qu'André Breton coordonne, définissant ses territoires, collationnant ses modèles.
La Révolution surréaliste se présente comme une revue scientifique (sobriété de la mise en page, rigueur de la maquette) et pourtant c'est un explosif.
La société y est revue à la ferveur d'une liberté de l'esprit, une audace imaginative, une reprise en main de la littérature (et de la peinture) selon des principes nouveaux, qui visent à puiser dans l'inconscient, lever les corps aux forces de l'esprit libéré de toutes contraintes.
posté le 03-02-2011 à 21:15:30
Max Ernst chasse le Snark.
Lewis Caroll a quarante ans, il se promène sur la plage, un vers lui vient à l'esprit. En remontant le cours des mots (des rimes) il construit une histoire. Voici un personnage qui a oublié sur le rivage "quarante deux malles marquées à son nom". Le comble, c'est qu'il a aussi oublié son nom. On l'aura compris allusion est faire ici à la perte de son identité. C'est surtout l'histoire d'une quête
Cette manière de construire un texte en s'appuyant sur un bout de phrase (égarée), de celui-ci, peut faire penser à Raymond Roussel qui meuble ses poèmes en les articulant sur des rimes. L'histoire vient d'elle-même.
Lewis Carroll est, lui aussi, fasciné par la mécanique des mots (leurs sous entendus) et va construire son récit sur la trame des mots.
C'est l'histoire de la chasse (donnée dans le titre) d'un animal étrange, le Snark . Une bande de personnages improbables (un garçon d'étage, un banquier, un marchand de bonnets, un courtier, un boulanger) s'embarque sur un navire pour aller à la recherche d'un animal dont on ne sait rien (le snark) qui s'avère n'être qu'un vulgaire "boojum".
Mais comme l'aurait affirmé Nietzsche : "le but c'est le chemin". Ulysse en est le modèle, la chasse au Snark, une version loufoque, où Lewis Carroll multiplie les mots insensés, les formules insolites, les jeux de mots sans doute codés (on parlera d'une inspiration du jeu d'échec, ce qui est à la fois l'histoire de la trame du texte et contient le mot échec qui clôt l'aventure). Ne pas ignorer que Lewis Carroll, quand il est Charles Lutdwige Dogson, est professeur de mathématiques
Perte d'identité ici, échec final là, le poème serait la recherche du bonheur. N'en sacrifie-t-il pas d'emblée l'existence en plongeant dans l'abîme de l'absurde.
Le cheminement ne menant à rien, qu'une méprise, comme l'oubli va gommer l'existence d'un personnage.
André Breton dans sa recherche des ancêtres du surréalisme ne pouvait ignorer cette entreprise aussi étrange que parfaite en sa construction. Comme ces mécaniques absurdes qu'inventait Alfred Jarry ou que va visualiser le sculpteur Tinguely. Dans la foulée, Max Ernst ne pouvait rater l'occasion de faire jouer son humour dévastateur, ses folies imaginatives. Il en fut un illustrateur inspiré.
posté le 02-02-2011 à 11:24:03
Delacroix au Luxembourg.
Venait-il entre deux séances de peinture à l'église Saint Sulpice (dont on perçoit la silhouette au terme de la rue Servandoni), quittant le Combat de Jacob avec l'Ange pour musarder dans les allées où le bourgeois du quartier se donne des airs de provincial, alors que la rumeur de Paris encercle les joueurs d'échecs qui ignorent le temps quand le temps le permet.
Le jardin du Luxembourg tient du square de quartier, avec ses habitués. Gide, en sa jeunesse, portant cape et chapeau à bord plat, y cherchait son Nathanaël, ou les jeunes pervers des Faux-monnayeurs tout en draguant les jeunes éphèbes de l'Ecole Alsacienne.
Delacroix donc, secret, tout entier dans son sujet, non sans noter le rythme des saisons qui fait vibrer le jardin comme un être vivant. On le voit des salles du Palais (la bilbliothèque) où il travaille à une tempétueuse décoration. Peut-être transporte-il avec lui, jusque dans ses pérégrinations champêtres, ses rêves d'Orient et de splendeurs mythologiques. Il se sera arrêté, un moment, au bord d'une allée, et donné du relief à ses rêves. Sinon qu'un autre (le sculpteur Dalou) se sera empressé de leur offrir une réalité un peu affolée, bien étrangère aux promeneurs d'aujourd'hui qui regardent ce groupe échevelé comme une simple borne, sans toujours savoir quel en est le thème. Des gamins s'en servent comme point de ralliement, jetant en vrac leurs cartables dans les fourrés, et qui vont, à quelques pas de là, improviser (bien que ce soit interdit), une partie de foot-ball dont ils inventent les règles. Ce sont toujours des rêves qui se fondent dans le bronze et s'offrent aux caprices des pigeons.
posté le 01-02-2011 à 10:05:10
Montaigne en sa tour.
De le découvrir dans les manuels scolaires nous impose une certaine idée qui sera longue à s'effacer. Devant la tour de son château, et parce que l'on évoque la fameuse "chambre" dont le plafond est orné de maximes philosophiques, on imagine Montaigne en sédentaire. Châtelain d'une lointaine province, partagé entre la gestion de son domaine et l'écriture de son "journal" aux heures de repos.
Un amateur en somme. Dont le génie fut d'ouvrir le monde des mots aux sensations les plus intimes, à moins que ce ne soit le contraire. Trouver les mots qui cernent les plus infimes sensations et, surtout, leur donner un sens, un ordre, une application au quotidien.
Et puis on découvre peu à peu qu'il fut au contraire un grand voyageur. Du coup notre vision de son écriture change radicalement. Ecrivait-il à l'auberge. Ecartant les mets et les vaisselles de la table, il faisait une place pour ses cahiers et dans la vacarme ambiant il poussait toujours plus loin l'aventure des mots, à moins que ce fut à cheval, dans le rythme de la marche. Ce qui ne correspond guère à son style si élégant et apaisé. Alors le mystère demeure.
Comment concilier l'action et l'écriture, et ici l'écriture et le mouvement.
C'était rassurant de l'imaginer dans sa tour, contemplant l'étendue des champs qui l'entouraient, et sur le papier faire éclore les élans de sa pensée. On imagine une vie paisible, toute entière tournée vers l'excellence de chaque instant, une culture de l'esprit qui passe par le silence ( sinon la musique au matin pour la qualité de l'éveil !).
posté le 31-01-2011 à 15:13:54
Henri Mahé proche de Céline.
Céline ne suit pas la mode dans ses rapports avec la peinture. De fait, il s'attache surtout à des peintres, affaire d'affinités.
Il va vers ceux qui partagent avec lui le goût du "populaire", une violence des sentiments et une ardeur stylistique qui échappe aux diktats des théoriciens et autres historiens de l'art.
Ce sont presque des relations de bistros, une fraternité de la fête.
Gen Paul en est le plus significatif exemple, mais pas le seul. Moins connu, encore qu'il apparaît assez souvent dans les romans de Céline : Henri Mahé. Personnage hors normes, qui vivait sur une péniche (La Malamoa), dans un Paris qui flambait de ses feux les plus fous (les "Années Folles"). Il n'est pas dans des expositions qui font l'histoire de l'art "en train de se faire", mais dans les marges, les occasions amicales. Et plutôt porté (où sollicité) vers les décors des lieux de plaisirs. Dont les cinémas (Elysée-Gaumont, Rex, Biarritz, Paramount), les bals et lieux de spectacles (Balajo, Moulin Rouge) ou encore le Normandie.
Familier du monde du cinéma il fait des apparitions dans quelques films bien oubliés.
Céline le souhaitait pour illustrer le" Voyage au bout de la nuit". Mais le résultat déplaît à l'éditeur Denoël qui trouve les planches "trop sinistres".
posté le 31-01-2011 à 11:43:12
Watteau n'est pas Marivaux.
Quatre ans les séparent, Watteau est né en 1684 et Marivaux en 1688. Et les voici plongés dans la même société, aux derniers feux du règne de Louis XIV chaperonné par l'intrigante Maintenon, et l'éclat de la Régence (1715) dont Watteau ne verra que les débuts (il meurt en 1721). D'ailleurs son monde n'est pas touché par le cynisme propre au maître du Palais Royal et à sa cour de débauchés. L'espèce de mélancolie que distillent ses scènes galantes relève d'un tout autre esprit, qui annonce plutôt Gérard de Nerval que l'amère lucidité de ceux qui affichent les idées nouvelles. Ses personnages n'ont pas l'air de croire à leur bonheur remarque Verlaine dans un poème des Fêtes Galantes. Et Proust évoque un "lointain mélancolique". L'idée d'un bonheur inaccessible fera son chemin.
La femme y est présente, mais plus sentimentale que délurée. Entraînée malgré elle dans des complications sentimentales dont Marivaux va se faire le subtil analyste.
Mais l'homme de plume semble plus engagé dans un constat qui annonce la femme des temps à venir. Elle va gagner, avec la Révolution, une nouvelle reconnaissance, et le XIX° siècle avancera sur la scène les femmes fatales et les femmes damnées.
La modernité de Marivaux l'emporte sur celle de Watteau qui est un admirable chef d'orchestre de la lumière et des oraisons végétales, mais avec une pointe de mélancolie qui fera un bon fabuleux avec le Romantisme.
Marivaux, inventeur du marivaudage, est plus direct en ses constats en dépit du jeu scénique qui fait tout l'attrait de son entreprise.
Tout le théâtre qui suivra se revendiquera de ses personnages avec ses caprices, ses quiproquos, ses délicieuses futilités.
posté le 30-01-2011 à 23:35:30
PAB invite Picasso.
L'attrait de Picasso pour la poésie (son amitié pour Apollinaire, Reverdy, Max Jacob, Eluard, Breton) ne pouvait échapper à Pierre André Benoit, d'autant que René Char servait de pont entre la fidélité de PAB à ses poèmes et les liens profonds qui avait réunis le poète et le peintre autour de quelques belles réalisations bibilophiliques.
A son tour PAB demande à Picasso de créer des illustrations pour certains des livres qu'il éditait, dont l'étonnant "poème perpétuel" de Tristan Tzara.
Dès lors, comme il s'attache à Dubuffet, en lui offrant une totale liberté de s'exprimer, PAB mesure l'ampleur de l'imaginaire graphique de Picasso et peut se lancer dans une aventure éditoriale novatrice.
Les rapports de Picasso avec la poésie passent par le graphisme. Il reste dessinateur jusque dans la transcription du mot, et celui-ci devient un dessin. Volubile, narquois, souvent baroque.
posté le 29-01-2011 à 10:08:43
Un château fantôme pour Diderot.
C'était, entre celui de la Chevrette et le château du Grandval une intense activité culturelle, où dominait Diderot. C'est une figure singulière, attachante que celle de cet homme agité, volubile, chaleureux, instable (il déménage souvent à Paris), sorte de boute-en-train, dans les salons qui se le disputent. Il incarne toute l'intelligence volubile de ce siècle qui sort la société de son obscurantisme (la renaissance ne le fit qu'un nom des arts) et donne à la condition humaine de nouvelles perspectives. La Révolution (dans son aspect humanitaire) en sortira. Cette Révolution qui a deux visages : le premier, clairvoyant, tout attaché à l'homme et à son bonheur, à la justice et à la mise en place d'une structure sociale équitable ; le second, tourmenté, sanguinaire, victime de la lutte des personnalités qui s'affichent et veulent détenir le pouvoir, et déjà marqué par les élans parfois morbides qui vont s'engouffrer dans la romantisme.
Diderot, homme charnière, mais dans la totale intégrité des idées qu'il avance, et comme l'oracle d'une nouvelle société.
Sa pensée s'élabore, se fortifie, dans le climat ardent des Salons (madame de Tencin, madame Goeffrin), avant de trouver son support le plus positif dans la compagnie de madame d'Epinay et de son ami d'Holbach au château de La Chevrette et celui du Grandval.
De ce dernier il ne reste pas grand chose, qu'un bâtiment annexe (la ferme ?) où sans doute erre encore son fantôme.
posté le 27-01-2011 à 10:51:59
Baudelaire à la lecture.
Courbet, qui dans "l'Atelier" rassemble ses amis autour de lui, l'a placé dans un coin, un peu isolé, et à la lecture attaché au point de sembler ignorer les autres. On lui tourne le dos, le rejetant dans sa solitude. On peut d'ailleurs découper ce portrait de la composition sans rien altérer de son sens profond. Il y a de l'étudiant attardé chez Baudelaire. Ne le fut-il pas toute sa vie ?
Quand Courbet fait son portrait il retrouve pratiquement la même pose, et dans l'exercice de la lecture encore "enfermé". Il faudrait peut-être s'attarder sur cette constance, et s'interroger sur l'idée que Courbet assignait à son ami un rôle qui l'écartait autant du monde que de l'action.
S'il le met au coin, Courbet peut, soit vouloir l'écarter de l'aventure picturale qu'il propose (mais n'est-ce pas le nier), soit le protéger, peu payé en retour, Baudelaire ne jetant même pas un coup d'oeil au tableau qui est le centre de l'action proposée par Courbet, alors que la plupart des personnages (ceux qui font parti du clan des intellectuels) sont au contraire attentifs aux gestes du peintre, à la théâtralité proposée (quelque peu emphatique !)
On sait que les rapports du peintre et du poète ont été tumultueux. D'ailleurs ils sont de nature si opposés. Courbet hâbleur, pérorant, sûr de lui, Baudelaire, blessé, écartelé entre le rôle du dandy et l'éternel fugitif (de la misère ).
Leur point commun : la fréquentation des cafés. L'un y apostrophe les gens, claironne, l'autre sans doute encore à l'écart, plongé dans la lecture.
posté le 26-01-2011 à 10:21:01
Baudelaire traduit Edgar Poe.
Souvent, dans sa correspondance, Baudelaire revient sur les mouvements divers d'humeur que lui inspire son travail de traduction de Edgar Poe. Sans doute, il s'agit pour lui d'une source de revenus (lui qui en a guère,) mais aussi, au fil de la plume, d'une passion qui va croissant. Il va jusqu'à s'identifier à Poe, voyant en lui une sorte de victime de son propre génie.
Avec les Histoires extraordinaires il semble que la coulée fut plus naturelle, plus évidente qu'avec les Aventures d'Arthur Gordon Pyn, le seul roman achevé d'Edgar Poe. Voulu pour être un roman populaire, un temps présenté comme un témoignage, il rencontre une audience médiocre, et il est évident que Baudelaire, l'abordant, se montre un instant sceptique (peut-être rétif !), bien qu'il se reprenne après en affirmant qu'il y voyait un grand roman.
Il s'inscrit dans la tradition du roman d'aventure, plein de bruit et de fureur. Mais on peut en faire une lecture symbolique, comme ce sera le cas de Moby Dick et Melville. On peut aussi y voir une parenté (une préfiguration) de ce type de roman qui en cache un autre, et doit être lu au second degré. Ainsi en est-il de Jules Verne, explorateur de territoires qui côtoient les mythes, ce qui explique que Gaston Bachelard ait, lui aussi, abordé le texte de Poe-Baudelaire, pour en faire une lecture en profondeur.
posté le 26-01-2011 à 10:10:54
Pierre André Benoit à Ribaute les Tavernes.
Sa maison de Ribaute les Tavernes était à sa ressemblance. Elégante et sobre, les meubles en harmonie avec la rigueur du cadre, et dans une cour, derrière la maison, ce mur orné d'un relief conçu à partir d'un dessin de Miro. On y dînait aux chandelles, les soirs d'été, tandis que PAB fusait en mots vachards pour décrire le petit monde des lettres qu'il venait, périodiquement, taquiner à Saint Germain des Près, pour rencontrer ses amis, et les peintres avec lesquels il aimait travailler :Camille Bryen, Bertini, Alechinsy, André Masson, Raoul Ubac.
Poète (discret) il s'offrait de modestes éditions raffinées, tant chez lui l'élégance du papier, de la typographie, ne se confondait pas avec une idée de luxe.
Il avait du luxe une notion qui devait être celle des moines en des temps où l'univers de la prière était aussi celui de la plus grande beauté des formes (architecture, livres, chants, rites). D'ailleurs il y avait quelque chose du moine (défroqué) chez lui. Une onction dans le débit des mots (entrecoupés par des rires homériques), une gestuelle arrondie (un rien précieuse). On l'aimait pour s'être enfermé dans cette personnalité à nulle autre semblable. Qui trouvait justement, dans la belle maison de Ribaute, son cadre idéal.
posté le 25-01-2011 à 10:12:02
Cocteau vu par Picabia.
Si les rapports de Cocteau avec les surréalistes qui tenaient l'exclusivité de l'avant-garde, sont détestables, ils sont avec Picabia, suffisamment confiants pour que ce dernier fasse son portrait. Au demeurant d'une étonnante perspicacité psychologique. Soulignant la "jeunesse" du modèle qui la cultivera longtemps et faisait de lui une sorte de petit prodige dans le monde des lettres et des arts. De quoi choquer, voire irriter ses contemporains exaspérés par la brio du jeune homme et son caractère futile. Ce qui trompe, car au delà de cette formule mondaine et juvénile qui le flatte et le place dans la société parmi ses amuseurs, Cocteau, au delà des adaptations progressives aux modes, développe une oeuvre qui aborde quelques uns des grands thèmes de la conscience humaine.
C'est son brio même qui le condamne aux yeux des autres.
A quoi s'ajoute dans le portrait de Picabia la morphologie nullement avenante de sa silhouette. On n'est pas loin de la caricature. Mais la caricature, on le sait, détecte la vérité cachée.
posté le 25-01-2011 à 10:07:21
Chez madame Geoffrin.
L'heure est à la quiétude. Le valet aura apporté le déjeuner qu'elle prend en solitaire. Elle lui aura demandé de faire la lecture. Il aura abandonné sa tâche, posé le balais et prenant le livre offre à sa maîtresse sa ration de culture, car elle en est avide.
Bourgeoise avant tout, et point impressionnée par les ducs, égoïste et soucieuse de son bien être avant tout, madame Geoffrin s'impose pourtant comme l'un des esprits forts de son temps. Ouvrant son salon (374 rue Saint Honoré) elle poursuit la quête culturelle d'une jeune fille qui ne savait pas grand chose mais saura tenir tête aux esprits les plus affinés de son temps. Chez elle se pressent tous ceux qui courent les salons comme des étapes indispensables à leur carrière (ne sont-ce pas ces dames tenant Salon qui font les entrées à l'Académie française ). Moins mondaine que marraine, jusqu'à sermonner son petit monde.
Horace Walpole, cet anglais distingué qui faisait son "grand tour" et jouait le rôle d'ambassadeur entre les souverains et les mondains, notait " Elle a une manière de reprendre qui me charme. Je n'ai jamais vu, depuis que j'existe, personne qui attaque si au vif les défauts, les vanités, les faux airs de chacun."
Autour d'elle ce ne sont que gronderies, fâcheries et réconciliations dans un climat à la Greuze. C'est bien dans l'esprit de son temps, entre la sentimentalité excessive de Rousseau et le scientisme exigent de d'Alembert et Diderot. Et dans la foulée Montesquieu croise Marivaux. Le souvenir de la Perse et les galanteries de Marianne.
Côté peinture, il y aura La Tour mais surtout Hubert Robert qui se fait le chroniqueur complice de son intimité avec l'irascible dame. Pages tendres qui disent bien qu'au delà du grand esprit qui se déploie dans son salon il y a une vie en coulisses. Plus modeste, dans le vrai du quotidien. On n'est plus chez Greuze.
posté le 24-01-2011 à 14:13:57
Chez madame Lambert.
Il était de ces enfants de bourgeois (dans le commerce) qui brillaient dans les salons avant la grande rumeur révolutionnaire qui allait les rayer de la carte alors qu'ils la préparaient par la liberté de ton qu'on s'y octroyer au nom de l'esprit.
Il en avait autant que son ami Fontenelle, mais plus galant et porté à la futilité du spectacle, surtout quand il se donnait sur la scène (l'Opéra). Ne lui doit-on pas "l'Europe Galante", et des ballets mis en musique par Campra ou Marin Marais.
Dans le salon de la savante madame Lambert (qui ne faisait pas un usage abusif de sa particule) il rencontre Anne Dacier qui venait de traduire Homère. Lui qui ne connaissait par la grec adapte l'Iliade en supprimant ce qu'il estime être des longueurs, des répétitions et jusqu'à la grossièreté des personnages "J'ai pris la liberté de changer ce que je trouvais de désagréable".... C'est, en somme, Homère en abrégé, on dirait aujourd'hui en condensé.
Beau parleur, La Motte fréquente les cafés à la mode, dont le Procope.
Le piéton qui erre du côté de la rue de Richelieu, et aura la nostalgie de ce qu'était la Bibliothèque Nationale avant son transfert à la Bibliothèque Mitterrand (j'en suis)
iront musarder dans l'étroite rue Colbert (elle rejoint la rue Vivienne chère à Lautréamont). Un départ d'arche sur la rue signale ce qui fut le salon de madame Lambert où La Motte brillait. Ecoutons les auteurs de ce précieux petit essai sur les "Salons du XVIII°" : " (Madame Lambert) habitait l'hôtel de Nevers qui avait fait partie de l'hôtel Mazarin, aujourd'hui la Bibliothèque Nationale, et que venait de séparer la rue Colbert. La pièce de réception aménagée par madame de Lambert était construire sur l'arcade qui enjambait la rue ; de cette arcade il ne reste plus que l'amorce, et de la pièce même, une moitié seulement ; mais, tel quel, ce fragment constitue le seul cadre authentique, visible encore aujourd'hui, d'un des grands salons du siècle."
La Motte devenu aveugle, toujours galant, minaude avec l'insupportable duchesse du Maine (femme d'un bâtard de Louis XIV). Jusque sur son lit de mort il joue la comédie.
posté le 24-01-2011 à 10:45:32
Vue sur le Grand Rex.
Le tumulte automobile s'est emparé de l'espace tracé sur ces très anciens jardins qui ponctuaient le poudroiement de boudoirs en forme de mini-palais où venaient s'encanailler de futiles princes désoeuvrés. Là le labeur paysan, ici la mort annoncée dans le culte du plaisir. Et puis le temps a fabriqué de nouveaux rapports entre les hommes. On échange, commerce : la civilité utile.
Fourrures et agences de voyage, papeterie (à l'ancienne) et épiceries kabyles.
La rue tiendra son nom du passage quotidien des cargaisons de poissons, venues de Boulogne sur Mer, allant vers les Halles toutes proches. Ainsi se fait la ville sur des vocations qui changent, des foules qui se déplacent, et l'on aura oublié dans les parages le trop fameux dépôt des Menus Plaisirs, où l'on entassait les décors trop encombrants des opéras qui se donnaient au palais des Tuileries et les meubles somptueux que nécessitaient les réceptions diplomatiques. Un trait sur une carte et l'on en conserve quelques bâtiments où de jeunes exaltés récitent du Shakespeare, et des filles de bonnes familles apprennent l'amour dans Racine.
On découvre une salle toujours fermée où Lizst aurait donné un concert et une église à la façon de l'ingénieur Eiffel, affinée jusque dans son clocher qui égrène les heures sur un registre grêle. Derrière une haute porte cochère encadrée par des colonnes à l'antique, se déploie une cour où les carrosses déversaient leurs lots de seigneurs outrageusement poudrés, venus rendre hommage aux hanches d'une belle coquette donnée au roi à la suite de complexes tractation où figurait l'érection d'une manière de palais qui subsiste, et l'on devine de verdoyants jardins dans des arrières qui côtoient des cours prolétaires. Un passé somptueux et un présent laborieux font bon ménage après les tumultes de la Révolution.
Des anonymes traversent la rue hors des clous, le danger est nul et la galanterie excuse de brusques changements de trottoir. On croisera Henri Heine qui a rendez vous avec Nerval, ils vont se rendre dans le minuscule appartement où la poésie change de langue en chantant toujours les mêmes rêves. Et puis Kafka est descendu à l'Hôtel (il existe toujours), qui va visiter Paris avec l'application d'un touriste moyen, non sans faire une halte sur le boulevard de Bonne Nouvelle pour acheter des brochures à un étal (c'est lui qui le dit). Passant, fantôme, Lautréamont venu en voisin, il remonte vers la gare du Nord d'où descend André Bretron aux bras de Nadja. Imaginez la rencontre, quel orage ! La rue est toujours un itinéraire amoureux pour celui qui sait lire les enseignes, marchant avec le calme de celui qui musarde.
Entre les immeubles jaillit, d'un seul élan, le minaret du Grand Rex, couronné de lumières de carnaval. Des mots chutent sur la façade comme quelque cascade sauvage. La poésie aura conquis les murs comme l'annonçaient Cendrars et Léger. Ce sont les nouvelles du soir. Elles parlent d'aventures sous les tropiques et d'un chanteur venu de très loin. Déjà les amateurs se pressent sur les trottoirs. On s'achète des rêves de fin de semaine.
posté le 23-01-2011 à 15:05:54
Cocteau "classique"
Après la foulée ardente des avant-gardes des années 1910-1914, et du fait même de l'épreuve de la guerre, l'art fait sa crise d'austérité, et s'il n'est pas du côté de la contestation (dada et le surréalisme), il marque une nette prédilection pour les références aux classicisme, jusqu'à lui injecter une nouvelle jeunesse.
Ce sera la période classique de Picasso, et dans la juste adhésion de Cocteau aux mouvements oscillants de son époque, à une identique volonté de redonner une facture classique à son dessin.
Soucieux de marquer le pas, de s'inscrire dans l'Histoire, Cocteau y donne le meilleur de lui-même. Une rigueur qui fait écho à sa propre recherche poétique qui le portera d'ailleurs vers le catholicisme et des tentations monacales qui sont le juste équilibre avec les libertés de moeurs qu'il affichait volontiers.
On voit le même phénomène chez son ami Max Jacob, en repentant, opérant du côté de Saint Benoît sur Loire, quand Cocteau infléchira sa conversion dans le brouet mondain du Boeuf sur le toit. Chacun sa cellule!
posté le 23-01-2011 à 14:34:47
Cocteau et le dormeur.
Parallèlement à son oeuvre écrite Cocteau publie assez fréquemment des albums de dessins autour d'un thème. "Les Enfants terribles", "Les Chevaliers de la Table Ronde", autour d'un dormeur, et pour ce dernier cohérent. Tournant autour de son sujet, moins pour en pénétrer le mystère que pour ajuster des temps différents, comme un photographe qui cherche la pose la plus juste.
Pourtant, au delà de la méthode, c'est le sujet lui-même qui illustre le mieux sa façon de cerner l'espace suspendu, fragile, qui nourrie sa démarche, l'entraîne au coeur d'une poétique qui est un peu celle d'Alice : franchir le miroir.
Le dormeur s'abandonne à son destin et ne donne à voir qu'un corps enfermé dans ses rêves. Fascination du regardeur où peut passer l'élan furtif du désir. Le dormeur n'est il pas le meilleur navigateur qui peut nous entraîner dans son voyage. C'est, à sa manière, pour Cocteau, une façon de nous introduire dans le domaine du rêve (tant vanté par les surréalistes).
Qu'il choisisse de le faire à travers un corps aimé n'est que dans la logique de sa démarche qui liera sentiments et création, reposant toujours ses fictions sur son quotidien, ses amitiés (ses amours), la quête méthodique de la beauté.
posté le 22-01-2011 à 11:10:37
Arp l'allusif.
Arp l'allusif.
Franchement engagé dans le combat de Dada, mené en étroite collaboration avec Tzara, Jean (Hans) Arp va évoluer vers un langage d'une grande souplesse, fait d'inflexions tendres, caressantes, comme si le pinceau frottait à peine le papier-support, évoquant le vol de l'oiseau (les estampes illustrant "L'extrême orientale" de Ghérasim Luca, en compagnie d'Ernst, Dorothéa Tanning, Brauner, Jacques Hérold, Matta).
De fait, le graphisme ici découle de la pratique du mot (Arp est aussi poète), en est comme une sorte de prolongement, élongation, comme l'évocation d'une sorte de respiration ample et heureuse.
Le mot a toujours compté pour lui, du mot les formes naissaient, l'accompagnaient, S'il a l'esprit de révolte il ne manque jamais de la grâce qui fait l'axe permanent de son oeuvre.
Sculpteur, créateur de relief, il associe avec une heureuse constance, fermeté de la coupe (dans les reliefs), onctuosité de la déclinaison des formes (sculpture), et le tout couronné par un humour très particulier (vient-il de l'enfance, il l'enchante !) où les mots prennent brusquement un éclat malicieux.
posté le 21-01-2011 à 15:36:38
Dans les marges de Modiano.
C'est le charme des livres d'occasion. Celui-ci ("Livret de famille" de Patrick Modiano) acheté 1 euro à un brocante. En le recouvrant d'une "feuille de cristal" (geste rituel pour donner au livre son aspect définitif) je découvre, aux dernières pages, une série de dessins, assez fermes de facture, encore que d'un amateur, sans doute un précédent lecteur, et le souci de découvrir un rapport entre eux et le texte. C'est une sorte de chasse à l'indice qui donne à la lecture encore plus de sel. Et le monde de Modiano qui repose toujours sur une quête du passé s'y prête particulièrement bien.
Sont-ce des indices, des reports vers d'autres horizons. Il ne semble pas. Ils gagnent leur autonomie. Peut-être accompagnaient-ils une conversation (à propos du livre ?)
Ainsi dans ces pages utilitaires que sont les premières et les dernières d'un livre, a-t-on le terrain d'une nouvelle histoire à construire.
Modiano aurait aimé savoir qu'ainsi un de ses livres portait en lui la charge émotionnelle et narrative d'une nouvelle aventure des mots.
"Livret de famille", quant à lui, est assez fascinant, proposant par bribes bien détachées, comme arrachées à la mémoire, des pans du passé de l'auteur. Personnages étranges, parfois inquiétants, pittoresques, qui font la ronde dans la mémoire sans pour autant la bloquer sur une obsession, sinon de retrouver le temps passé (perdu ?).
posté le 20-01-2011 à 10:17:12
PAB face à Dubuffet.
C'était l'homme des "minuscules" de fort petits livres, et des éditions à tout petit tirage, amoureusement concoctées comme un enfant qui s'émerveille de ce qu'il fait en découpant des papiers, car il y avait un caractère ludique dans son travail, et le goût des confrontations avec les plus grands artistes : Picasso, Picabia, Masson, Alechinsky, Vieira da Silva, Raoul Ubac, Miro, Bertini, et à plusieurs reprises avec Dubuffet qui ne pouvait qu'apprécier cet esprit "artisan" lui qui approchait la peinture par le traitement illuminé(spontané) de la matière.
Les voici côte à côte, dans une intimité de création qui donne tout son sens aux mots les plus simples, aux formes les plus immédiates surgissant sous le crayon (comme les dessins de téléphone que l'on fait machinalement ).
Il fallait voir Pierre André Benoit écrivant. Avec un simple crayon, en accord avec cette écriture qui coule de source, simple, mesurée, tranquille en son débit et à la ressemblance des mots du poème qui dit le quotidien en ses petits mystères, sa douceur un peu inquiète. On est loin des grandes prophéties, des invectives qui taraudent les maudits, mais à "mesure d'homme" à la recherche de sa vérité.
posté le 19-01-2011 à 14:02:02
André Breton chez lui;
On le disait homme de bistros, on le rencontrait souvent, marchant du pas du rêveur dans un Paris qu'il connaissait si bien et dont il savait lever les mystères, les secrets et les pans cachés du passé, et pourtant, il avait aussi un bureau.
Il est des écrivains que l'on imagine mal "devant un bureau", et souvent l'aspect de ce dernier en dit long sur leur travail (Victor Hugo écrivait debout !).
Breton donc, à sa table, au milieu des objets de sa mythologie personnelle, car c'est bien l'esprit du collectionneur qu'il était, de s'entourer de ce qui nourrissait son oeuvre, en était l'écho. Vu par des peintres (Picabia, Chirico, Brauner, Max Ernst, Valentine Hugo), des civilisations lointaines dont il avait voulu percer le mystère.
C'est dans ce "bain" d'objets éclairants qu'il fomentait les plus subtils constats et les plus décisifs des pamphlets pour fustiger la bêtise, la lâcheté et toutes les tares d'une société dont il voulait reformer l'esprit.
De la rue, à cet écrin moins savant qu'inspiré, il va construire une oeuvre lumineuse, marquée par la violence amoureuse des rencontres, la force passionnée des amitiés, l'exigence de chaque instant.
N'est-ce pas le devoir du poète ?
posté le 19-01-2011 à 10:10:32
On vient des étoiles.
Ce fut une belle aventure de bibliophile avec Pierre André Benoit (qui signait ses livres PAB, à ne pas confondre avec un autre PAB, Pierre Albert Birot). Il avait édité un poème intitulé "D'où je viens" en en demandant l'illustration au peintre surréaliste Jacques Hérold, et celui-ci fera une gravure d'une sobre facture, soulignant une apparition de formes énigmatiques. Notre lointaine naissance n'était-elle pas marquée par ce mystère qui nous fait enfant des étoiles et de si lointaine distance.
A y penser on se prend à mesurer l'inanité de toute ambition aux seuls dimensions terrestres et l'on plaint (par exemple) les hommes politiques qui gâchent leur vie à vouloir se faire reconnaître et atteindre le pouvoir.
L'oublié de la gloire, (le discret) aura en revanche une plus juste mesure de son état et trouvera quelque consolation (en a-t-il vraiment besoin ?) dans la relativité qu'il accorde à son état.
Traînant après soi des poussières d'étoiles a-t-on besoin des hochets d'une gloire furtive, relative et somme toute sans éclat.
Un corps, même négligé par l'opinion, le regard du passant, aura en lui ce fabuleux souvenir qui fait qu'il détient le plus fabuleux paysage en ses organes, et, surtout en la mémoire (l'inconscient !) qui nous guide, nous maintient en vie.
Quand on dit de quelqu'un qu'il a la tête dans les étoiles on se trompe, il a les étoiles dans le rythme du sang qui draine ses artères, et lorsque tout cesse et que le corps s'effondre il retourne à cette infinité chaotique dont il aura préservé la saveur.
posté le 18-01-2011 à 16:08:51
Monsu Desiderio à quatre mains.
La peinture à quatre mains.
Ils sont deux (François de Nomé et Didier Bara), tous deux originaires de Metz. C'est à Naples qu'ils se retrouvent, ne répugnant pas à collaborer sur des toiles qui développent l'extraordinaire "vision" d'un monde de cataclysmes dont ils partagent la fascination. La proximité du Vésuve et de Pompéi y est peut-être pour quelque chose. A propos de leur oeuvre Michel Onfray peut parler de la "Métaphysique des ruines", ce qui est une avancée appréciable dans la compréhension d'un travail qui relève plus de la mise à jour de fantasmes que d'une aventure purement plastique.
Pierre Seghers enfin, qui s'était intéressé à Piranèse, a, lui aussi, donné une analyse de ce travail hors normes. Le rapprochement avec Piranèse ne doit cependant pas figer notre regard, et la vision de la ruine (en tant que sujet) ne relève pas de la même philosophie. Celle de Piranèse, pour être visionnaire, s'appuie sur une réalité quotidiennement scrutée; il est une sorte de piéton de la Rome de son temps, quand le Forum était un terrain vague où errait une foule de petites gens qui avaient des rapports familiers avec les ruines et nullement inquiétantes.
Monsu Desiderio, en, revanche, invente des ruines pour traduire une étrange inquiétude, une déviance mentale qui frôle la folie et par cela même nous plonge dans une fascination vaguement morbide. On a pu évoquer des peintures "crépusculaire et volcaniques" et Pierre Seghers a parlé d'une "effervescence de fureur, une exaspération aussi grandiose que silencieuse".
Un quatre mains de schizophrènes ?
posté le 18-01-2011 à 16:06:06
Montfort dans ses Marges.
Très souvent (aujourd'hui encore) la lutte des revues reflète un peu celle de ceux qui y participent en se plaçant sous une bannière qui les assemble, les distingue, les désigne.
Eugène Montfort fonde en, 1903, une "gazette littéraire", "Les Marges", dont il est, au début, pratiquement l'unique rédacteur, mais rassemblant, peu à peu, les écrivains de sa génération.
1908 est l'année de la parution d'un premier numéro de "La Nouvelle revue française" créée en collaboration avec André Gide. Il s'agissait, à travers elle, de trouver un support pour les égarés de revues disparues comme "l'Ermitage". Mais l'accord sera de courte durée. Gide, va recréer une nouvelle version de la NRF dont il dirige sans Montfort l'évolution (s'y trouvent Schlumberger, Jaques Rivière, Henri Ghéon, Jacques Copeau...) et Montfort reprend Les Marges sous sa seule direction. Le désaccord entre Eugène Montfort et Gide tenait dans une conception de la littérature, beaucoup plus audacieuse chez Gide.
Chacun dans son repaire a conduit une bataille dont l'enjeu est finalement plus celui du pouvoir que peut donner la direction d'une revue que l'esprit de celle-ci, encore que la NRF incline vers une littérature plus proche de l'avant-garde alors que la revue Les Marges ne s'éloigne pas trop de l'esprit d'un XIX° siècle dont elle prolonge les ferments, encore marquée par la vague des écrivains "fin de siècle".
En revanche sa longévité donne à Montfort une certaine légitimité dans le monde de la littérature. D'autant qu'il va être le pilote d'une monumentale histoire de la littérature de son temps. C'est "Vingt cinq ans de littérature française, tableau de la vie littéraire de 1895 à 1920", un choix montrant un homme qui porte encore le lourd héritage de son passé.
L'ayant dévorée dans mon enfance je lui trouve toutes les qualités d'une aventure vécue de l'intérieur. Elle vaut bien l'analyse des spécialistes universitaires.
posté le 17-01-2011 à 14:24:24
Balzac en brouillon.
Travailler sur un brouillon (en fait, une première version), c'est "ouvrir" le texte vers de nouvelles perspectives, l'enfler pour l'enrichir de nouvelles propositions, plus encore qu'améliorer sa formulation.
Du moins en est-il ainsi Proust quand, chez Balzac, ce serait plutôt la recherche d'un mot plus juste, une approche du texte comme avec une loupe mentale qui va au plus profond de ce qu'il veut dire. Aller vers le coeur du mot, donner à la phrase son sens le plus exact. Travail d'horloger qui va scruter les minuscules mécanismes qui font fonctionner l'énorme appareil qu'est le roman.
En fait, le brouillon, ici, est un territoire à féconder, au point que l'on pourrait imaginer une oeuvre construite à partir d'un texte existant, soit pour lui donner une forme différente (meilleure ?), soit pour développer certains de ses aspects et aller vers une autre aventure littéraire.
A moins de procéder comme le fait Blaise Cendrars dans "Kodak", partant des romans populaires de son ami Gustave le Rouge, choisissant des fragments pour en faire dévier le sens, leur donner l'ultime brillance de son propre génie.
posté le 17-01-2011 à 09:42:30
La maison mystérieuse.
C'est comme un miracle dans le cours du voyage, une rencontre insolite, un effet d'optique où la pensée s'engouffre. C'est au détour de la route qui serpente dans une montagne douce quoique riche en aplombs vertigineux, des lointains neigeux et le chant des ruisseaux dévalant les pentes aux herbes grasses où paissent des moutons. Quoique l'heure soit marquée par des passages nuageux lourds de menace. Le soleil jouant avec des brumes aussi légères qu'une robe de mariée tandis qu'en premier plan une abondance d'arbres chevelus annonce une vie de labeur, le passage des paysans qui gèrent ce jardin un peu sauvage, niché au coeur d'une vallée.
Dominant le tout, sur un piton doucement arrondi, le point d'énigme qui marque tout le paysage, lui donne son caractère mystérieux (peut-être vaguement inquiétant). Une maison, plus haute encore qu'il n'est nécessaire en l'endroit et la fait semblable à quelque tour de guet. Bergère des arbres qui à ses pieds s'assemblent (souvenons nous du "Bergère oh tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin..." que chantait Apollinaire) .
D'enthousiasme elle décide que c'est la maison de ses rêves et que là elle doit désormais vivre. Au coeur d'un monde qui frémit au moindre souffle du vent, d'un monde où le silence se mesure à son poids dans l'écoulement tranquille du temps. La paradis est-il un lieu de béatitude, loin des rumeurs et des tracas du quotidien. Un isolement volontaire et source de quiétude ?
Il est des choix radicaux comme ceux de l'endroit où se poser. Tout voyageur qui sait emprunter les petits chemins découvre, par le seul fait du hasard, ces lieux que l'on pense bénis et dévolus au déroulement d'une vie bienheureuse.
Combien de maisons abandonnées, de châteaux délabrés, ont scandés notre route tortueuse, capricieuse et source de minuscules bonheurs (celui qui se déguste sur place, dans l'urgence, et plus fort encore s'il est partagé).
photo empruntée au joli blog : Philippine.vefblog.net
posté le 15-01-2011 à 22:26:21
Monsu Desiderio.
Sans doute faut-il associer à une découverte les circonstances qui y contribuent. D'autant plus importantes si elles sont liées à l'enfance et son extraordinaire ouverture sur l'inconnu.
Celle de Monsu Desiderio s'inscrit dans la lecture d'une revue médicale qui, dans les années 50, s'intéressait aux choses de l'art, mais en les présentant sous l'angle de la science. Et Monsu Desiderio était un sujet de choix, dont s'emparaient tous ceux qui se piquaient de psychanalyse. Le terrain est riche et inépuisable. En face des images avec leur teneur d'épouvante et de lumière d'apocalypse, fusait une prose qui m'était interdite tant elle abusait d'un vocabulaire qui n'était pas de mon ordinaire.
Si bien qu'il me restait la seule possibilité de naviguer dans les oeuvres sans guide et sans boussole. Ce qui était, finalement, la meilleure façon de procéder.
Voilà donc un monde qui n'est plus du notre, et si somptueux qu'on l'imagine sortant de quelque conte de fée, où le merveilleux s'accommode ici à de vastes périls, des situations d'exception, un sulfureux danger. D'où l'état de stupéfaction dans lequel il vous plonge.
On peut s'interroger sur les valeurs picturales qui y sont associées et dont procède ce qui est, avant tout, une formidable image riche en teneur imaginative mais ne spéculant pas sur la manière de peindre. D'une facture qui n'envisage que la représentation de la scène choisie sans aborder le problème propre à l'exercice même de la peinture.
Offrant, en somme, et simplement, une image. D'une lecture aisée mais spéculative.
Commentaires
1. saintsonge le 06-02-2011 à 15:11:53
Hugnet a dû passer à travers votre calligraphie-ci difficilement lisible , oh, que se passe-t-il ?... Concurrence à la Tour de Pise ?... Il a écrit de beaux articles sur Magritte et Tanguy.... Vous avez le "Collage" chez Léo Scheer ?... Georges Perros pour Papiers Collés, Georges Hugnet pour les "collages, ils se rejoignent dans leur prénom sur-réaliste ! Ciel pâle et gris, rien de bouge, hormis les palmes des arbres Verlainiens autour des jardins avoisinants ma cour...
2. sorel le 08-02-2011 à 10:35:01 (site)
Désolé pour la mauvaise transmission.....
J'aime bien Georges Perros mais malheureusement je ne l'ai jamais rencontré. Un de ses amis, Jean Bouret, un "confrère"m'avait souvent parlé de lui avec chaleur.
3. Saintsonge le 08-02-2011 à 21:44:34
en quelle circonstance évoquiez-vous Perros ?... En quel lieu parisien ?..
4. sorel le 08-02-2011 à 22:57:31 (site)
Oh ! rien de romantique. Jean Bouret était mon confrère aux Lettres Françaises (moi j'étais aux Nouvelles littéraires et à Arts-Loisirs).Rencontre de travail, bistros à Saint Germain des Près, on parlait boutique. C'est vieux tout ça.
5. Saintsonge le 09-02-2011 à 08:11:37
Eh bien, magnifique pour moi de vous savoir aux "Nouvelles littéraires" car je les lisais avec ensuite "le Magazine littéraire" (mon ex a tout gardé ma collection entière ! Ici, je n'ai plus rien ! Plus frêle qu'un Zweig - sans idée suicidaire, rassurez-vous !), puis toute la collection que j'adorais "écrivain toujours" puis "Découvertes, gallimard"...J'ai feuilleté des Jean Bouret, est-ce celui de l' école de Barbizon, Degas, etc ... ?... Ou dis-je une bêtise d'homonymie ?... Les mouettes commencent leurs chants au Pays de Perros...dans le matin pluvieux, à peine des lampes qui commencent à s'allumer aux fenêtres des chaumières avoisinantes.;;;