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lettres de la campagne

posté le 20-05-2008 à 17:22:02

La passion du papier.

La passion du papier. Le plaisir d'écrire ( si l'on exclue sa pratique comme simple thérapie pour combler une douleur, une angoisse, un mal de vivre), implique un choix très soigné de son support. On rencontre des amoureux des mots dans les rayons papeterie des "grandes surfaces" (les seuls capables de consacrer un espace conséquent à une marchandise qui n'est pas des plus essentielles à la vie quotidienne - voire ?), et dans certains petits magasins comme ceux de la rue Louis Philippe qui se glisse, malicieuse, vers la Seine, en épelant quelques enseignes évoquant le moyen-âge ( le quartier s'y prête bien). C'est là, en fin d'après midi, la cohue d'étudiants attardés qui choisissent avec soin le papier le plus rare, venu de contrées lointaines (quelque Chine de légende) ou tout simplement des moulins qui tournent encore pour façonner des feuilles au riche grain, aux nuances délicates, quelque part du côté des monts d'Auvergne avec des appellations surannées familières aux bibliophiles. Papier et carnet. Ce dernier a toutes les formes que la fantaisie des créateurs sait leur donner. J'ai connu une jeune femme éprise à ce point de ces objets qu'elle les collectionnait sans jamais oser y inscrire le moindre mot. J'éprouve souvent la même retenue sachant qu'une fois mordu par le premier mot un carnet peut devenir un objet souillé. C'est le viol de la création que rien ne peut excuser s'il n'est pas couronné de succès, ou a atteint son but. Le père de la romancière Colette (à laquelle d'ailleurs il donne son nom) s'enfermait de longues après-midi dans son "bureau", passant, aux yeux des siens, se livrer à quelques travaux d'écriture dont, pourtant, il ne voulait jamais rien révéler. Un secret si bien gardé s'ébruite à la mort de celui qui l'impose, et l'on découvrit sur les rayonnages du digne personnage des rangés de cahiers soigneusement reliés restés vierges. A quoi se livrait le cher homme en s'enfermant, au nom de la création, exigeant ce calme supposé favorable à son élaboration ? Je pense aussi aux cahiers d'écolier qu'Antonin Artaud traînait toujours dans ses poches et qu'il couvrait, dans des mouvements spontanés, furieux parfois, de ces hiéroglyphes d'une écriture chargée de passion et de colère. Cette passion vient de loin, d'une tradition de l'école communale, quand l'ouverture des cahiers aux couvertures patriotiques le jour de la rentrée nous plongeait dans une délicieuse ivresse.
 


 
 
posté le 17-05-2008 à 15:08:20

Débuts dans l'informatique.

Longtemps, en d'autres lieux (La Celle sous Montmirail) les Lettres de la campagne relevaient d'une tradition de l'écriture qui suppose le stylo, la plume (pas forcement sergent-major) et les cahiers soigneusement choisis pour y consigner une prose qui s'accordait au rythme des jours, à la lumière et portaient en eux les menus incidents qui font la richesse et le charme des instants quotidiens. Car c'était le quotidien que relevaient des lettres qui se voulaient libérées de toute contrainte, de toute consigne et n'avaient de prix que pour celui qui savait s'arrêter aux choses simples qui font le bonheur. Ce bonheur qu'expriment des peintres comme Bonnard. Regardez sa manière de saisir un geste, le charme d'une présence. Ces lettres (elles existent, sur papier) supposaient un accord fidèle aux petites choses qui font les grandes mémoires. Ici, désormais, le propos n'est pas différent mais la manière de les consigner totalement différente. Sans doute va-t-elle jouer un rôle dans le déroulement même de la prose qui s'accorde désormais non plus au papier sur lequel crisse la plume et reste visible l'effort de la main, mais s'inscrit directement dans le caractère qui est dejà celui de la chose imprimée. On se retrouve dans le même cas que Restif de la Bretonne qui "composait" ses textes directement sur le "marbre" an manipulant les caractères agencés pour la presse. Il y aurait long à dire sur l'incidence de ce rapport direct avec la matérialité des lettres. On se rapproche du geste du sculpteur qui façonne dans la matière même l'idée qu'il a dans la tête et trouve sa solution dans la puissance de la main.