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lettres de la campagne

posté le 28-04-2011 à 09:43:36

Vostell s'affiche.

Sa venue au Soleil dans la tête ressemblait à un cyclone. L'ampleur physique du personnage y était pour beaucoup. Une faconde souriante, dans un français fortement marqué par un accent d'outre Rhin qui avait quelque chose de caricatural. Mais de l'homme, dans sa fougue, se dégageait quelque chose de sympathique et de dynamique qui forçait l'attention. Sans doute son discours était un peu trop théorique. Paris était déjà "branché" sur les problèmes qu'il évoquait, mais je le voyais sous un angle nouveau, plus dramatique que son équivalent parisien. Sans doute Villeglé et Raymond Hains pratiquaient l'arrachage d'affiche (lacérations) mais avec une "clarté" qui traduisait bien  la banalité du quotidien que nous vivions alors. Chez Vostell (il sortait ses collages d'un grand carton d'étudiant aux beaux arts) il y avait quelque de pathétique de "profond"qui me touchait.Tout comme Beuys, son contemporain (et rival), il était marqué par la tragédie  de son pays. A travers lui on lisait le Berlin de 1945, l'état de ruine et la désespérance allemande de l'après-guerre. Une volubilité graphique aussi qui était bien dans l'héritage de l'expressionnisme.Un souvenir, pour le vernissage de son exposition il m'avait confié une bande magnétique d'une performance sonore de Stockahausen. Une correspondance sonore d'une étonnante acuité.
 


 
 
posté le 28-04-2011 à 09:38:37

L'écritoire d'Emily Brontë.

Le lieu de l'écriture, les instruments qui y participent en disent long sur les rapports de l'écrivain avec les mots. Le bureau ( lieu et meuble) assure le continu d'un travail, son "sérieux". C'est le propre de l'écrivain professionnel ( l'homme de lettres - de l'être ? -) tandis que seulement inscrit dans le rythme du quotidien, l'absence de bureau trahit un rapport moins pesant avec l'écriture encore qu'il n'en est pas moins intense pour autant (parfois même il l'est plus !).On peut écrire n'importe ou, et de manière impromptue, entre d'autres activités. C'est alors sous le couvert d'une nécessité et  non d'un métier. Un rapport qui peut être plus sensuel et vécu avec l'intensité que l'on met à la pratique de chaque chose.C'était le cas d'Emily Brontë dont on sait qu'elle fut une femme très attentive (et non esclave) aux activités domestiques.C'est dans la cuisine de la maison familiale (à l'entretien de laquelle elle s'attachait) qu'elle écrivait. Comme une sorte de récréation entre les tâches du quotidien, portant en elle, en constante attention et vécue avec l'intensité de l'imaginaire, les pages brûlantes de son roman "Wuthering Heighs". Vivant dans l'intimité de ses personnages le plumeau à la main, sans croire déchoir à s'y astreindre. Se projetant dans le temps du labeur domestique dans les arcanes d'amours malheureuses et tragiques. C'est le cas des ouvrages qui répondent à une nécessité de leur auteur, une projection de leur vie intérieure. Alors les instruments de l'écriture sont à l'égal des objets de la vie pratique, et dans la simplicité absolue de leur seule nécessité. L'écritoire c'est le résumé du bureau, sa miniaturisation, adaptable à toutes circonstances, en tout lieu. Pour une écriture de l'urgence.
 


 
 
posté le 26-04-2011 à 09:59:36

Gina Pane face au ciel.

Que l'on se souvienne de la terrible photographie de Robert Walser, tombé (mort) dans la neige, la face contre le sol. Et voici Gina Pane, face au ciel, mais au sol adhérant dans un mouvement de confiance ( de jouissance) qui souligne les rapports étroits du corps avec le sol, son destin. Mais de s'offrir au ciel (au soleil ?) donne un sens dynamique, l'idée d'une naissance qui est bien dans l'esprit d'une démarche qui questionne le corps, n'évitant pas la souffrance.A quoi s'ajoute le choix du site. Dans une rue, parmi la circulation, avec la présence de témoins (gênés, curieux ?), la signification aurait été toute autre.Ici la butte écrase la ligne d'horizon. On en ignore tout et qu'elle soit pierreuse lui donne l'aspect d'un chantier. Des ouvrages puissants ont remué la terre, l'on brassée. Le corps peut aussi être celui d'un cadavre jeté là (le complexe du film policier où la scène est assez fréquente). Je regrette de n'avoir (du temps où la chose aurait été possible) demandé à Gina Pane le sens "secret" de ce qui peut être la phase d'un rituel (la phrase d'un itinéraire symbolique comme l'est "Le Songe de Poliphile"). Sa version "Série noire"Et si c'était l'étape ciblée d'une quête amoureuse ?
 


 
 
posté le 25-04-2011 à 13:13:34

Mopse, la Garçonne.

Son nom est Dorothea Sterheim. Elle est la fille du dramaturge Carl Sternheim, mais tout le monde l'appelle Mopse. Elle évolue dans un milieu très intellectuel et dominant la scène culturelle du Berlin des années 20.Ce Berlin qui attire tous les artistes de l'époque par la liberté de ses moeurs et le règne largement partagé de l'invention et de l'intelligence (comme Montparnasse à Paris).Elle est une sorte de figure emblématique de ce que résume le roman (scandaleux à l'époque) de Victor Margueritte : "La Garçonne"René Crevel l'a rencontre lors de son séjour berlinois et tombe follement amoureux d'elle. Lui, l'homosexuel sans complexe, trouve en elle l'incarnation de l'être hybride libre et ses idées et de son corps.C'est un personnage à la dimension de ceux qu'il invente (sur quels modèles ?) dans ses romans toujours un peu autobiographiques : "La mort difficile", "Mon Corps et moi".Elle préfigure singulièrement la jeune femme d'aujourd'hui, vivant sa liberté, sa séduction, avec une liberté qui renvoie l'homme à sa solitude.
 


 
 
posté le 24-04-2011 à 11:40:25

Le Paris de J.K.Huysmans.

J.K.Huysmans l'affirme d'entrée de jeu dans ses "Croquis parisiens" : "la nature n'est intéressante que débile et navrée" et d'ajouter "au fond, la beauté d'un paysage est faite de mélancolie". Son regard aigu porté sur le Paris qu'il explore en piéton méthodique, en tire l'essentiel de son inspiration. Il est le contemporain des grandes transformations qui adaptent la ville (jusque dans ses coins les plus reculés encore marqués par le moyen-âge) aux règles de la vie moderne et d'une industrialisation ravageuse. Elles rabotent la nature, la métamorphose, non dans le sens d'une mise en valeur de ses atouts (de ses atours), mais en privilégiant les exigences de la production intensive.Raffaëlli, un peintre qu'il aime et sur lequel il écrit des pages sensibles, le rejoint dans cette exploration d'un Paris qui va créer la fange aux abords des industries polluantes.Crayon en main, l'écrivain et le peintre croquent un Paris qui détruit sa mémoire, bafouant celle-ci, créant des zones d'où l'homme est exclu, qui n'est pas l'esclave de cette nouvelle aventure. Zola prendra le relais. A l'un le cadre, à l'autre le destin des personnages qui y sont plantés.C'est bien l'aventure prodigieuse de ce XIX° siècle finissant de prendre conscience d'une métamorphose qui écrase l'homme du quotidien. Il n'est pas étranger à ce phénomène que l'artiste, dans le même temps, se lance dans l'exploration des raffinements les plus excentriques. Huysmans n'est pas le dernier.
 


 
 
posté le 22-04-2011 à 18:21:00

Kafka, quatre jours pour Milena.

N'aurait-elle été l'un de ces singuliers amours de Kafka (si éloigné de la chair) que le souvenir de Milena Jesenska n'aurait pas survécu à la terrible meule du temps. Jeunes, à Prague, ils se croisent dans les cafés intellectuels de la ville. Devenue madame Polak, (et résident à Vienne) elle découvre un texte, de Kafka qu'elle souhaite traduire (c'est son métier ainsi que celui de journaliste). Elle lui écrit pour obtenir son aval, une correspondance des plus intime s'en suit. Et après la magie de mots vient le désir de se rencontrer. Kafka lui apportait ce qui lui manquait le plus avec son volage époux : le réconfort, un sentiment de chaleur et de protection."Après trois mois d'intenses échanges épistolaires, elle voudrait enfin voir Frank. Leur rencontre ne se fait pas sans une préalable lutte intérieure chez Kafka. Il voudrait bien voir Milena, mais il redoute aussi la rencontre immédiate,physique. Les "je viens" et "je ne viens" pas se succèdent dans ses lettres écrites en mai et juin. Milena peut sans doute comprendre son hésitation, tout en ayant du mal à l'accepter. Mais les quatre jours à Vienne, quatre jours de bonheur qui comblent le présent et ne laissent rien à désirer, font oublier ces petites dissonances. Quatre jours lui ont suffi pour libérer Franz de ses angoisses."(Alena Wagnerova) Des projets de retrouvailles sont évoqués mais la soudure ne se fait pas, (trop d'obstacles) et une fois encore Kafka recule devant la perspective d'une vie de couple pour laquelle il ne sent pas mûr. Lui reste la solitude.Et Milena, cette brève fiancée, va poursuivre une carrière de journaliste assez tumultueuse mais avec aussi de beaux succès.
 


 
 
posté le 20-04-2011 à 12:35:57

Victor Hugo à la tache.

Que le dessin soit l'inévitable (et fécond) prolongement du mot, qu'il soit le frisson de la main en activité, le jet d'un première lecture de l'imaginaire, Victor Hugo le prouve dans toute son activité de dessinateur. Il y cherche moins une représentation que l'ouverture sans contrainte et fort rêveuse de ce que la main traduit des divagations de l'esprit. C'est le territoire de cette aventure tumultueuse et fébrile qui active l'apport successif des matières qu'il met en jeu, confronte dans une énergie à l'aune de la puissance rêveuse qui l'habite.Il y aura toujours des références sombres et violentes (romantisme oblige) et une curieuse adéquation de l'image au texte, comme fonctionnant dans le même sens, en parallèle, étant, finalement le meilleur illustrateur de sa prose.Ce qui fait tout l'attrait de ses dessins c'est qu'on le voit se constituer, on perçoit les couches d'apports de matières diverses (et d'impact) qui donnent cette transparence, cette vibration si particulière par quoi l'image vibre avant de montrer ;  ce qu'elle décline c'est aussi sa naissance, son surgissement des entrailles de la mémoire, des recoins de l'imaginaire laissé libre de s'épancher.
 


 
 
posté le 18-04-2011 à 20:44:01

D.H.Lawrence en son ranch.

Eternel voyageur (sublime pèlerin) D.H. Lawrence n'aura jamais de logis fixe et personnel. Toujours de passage chez l'un ou l'autre de ses amis (nombreux) ou dans des locations qui s'inscrivent dans un budget aléatoire, dépendant des droits d'auteur. On est loin de l'image de l'écrivain à son bureau attaché, de ses livres entouré, et dans un climat de confort qui lui donne l'assise propice à la création à en croire ce qui n'est après tout peut-être qu'un préjugé. Ecrire est-ce la confirmation d'une position stable ou, au contraire, la revanche d'une fuite en avant, d'une errance alors bienfaitrice car elle va nourrir l'oeuvre en devenir.D.H. Lawrence, de surcroît, a des goûts modestes, sans doute dus à ses origines, et il ne rechigne pas devant les tâches ménagères et les contraintes du quotidien. Tous les témoins, ceux qui ont partagé sa vie, ne manquent pas de souligner qu'il était un parfait "homme d'intérieur" (ce qui est peut-être paradoxal) et engagé volontiers dans ce qui alors semblait devoir échoir à la femme (temps dépassés)  C'est cette proximité du balais et du cahier sur lequel il écrivait de puissants et épais romans, qui donne à ces derniers ce ton si particulier et séduisant d'une approche fine et sensible de tous les aspects de la réalité, un regard dans l'intériorité de celle-ci. Il fait passer sur le quotidien le lent frisson des passions qui exaltent la moindre tâche, fut-elle pragmatique. Ce n'est pas une explorateur du rêve (un luxe ?) mais un chroniqueur sensible du quotidien le plus ordinaire, dans des débats amoureux.Le ranch qu'il occupe lors de son séjour chez Mabel Loge Luhan, au Nouveau Mexique, donne bien la mesure de cette modestie. Non un refuge, mais la tentative d'un encrage au coeur de la nature. Pour en mieux palper le souffle et l'ardeur cachée.
 


 
 
posté le 16-04-2011 à 20:22:04

Sur les pas de Léon-Paul Fargue

Bernard Delvaille me l'avait appris, c'est la nuit que la ville se révèle dans sa profondeur et délivre ses fantômes. Nous errions aux abords des jardins strictement fermés aux visiteurs (au nom de la morale), mais d'où montaient les lourdes odeurs de la terre rafraîchie par l'arrosage municipal et d'où l'on prétendait entendre des rumeurs s'élever comme de très anciennes invocations sacrées.Chacun, dans son histoire, détient des secrets qu'on ne peut confier aux chastes oreilles, mais que le savoir a retenu qui confie la malignité des hommes et les tristes sévices dont sont victimes les femmes trop coquettes, et que dire des orgies organisées par le duc d'Orléans dans les fourrés du Luxembourg aux délices pervers d'une fille volage. Les chroniques du Paris nocturne (Restif de la Bretonne, Louis Sébastien Mercier) sont riches d'historiettes salaces dans un cadre de verdure. Mais à l'attrait des chemins détournés de la morale s'ajoute le pittoresque des rencontres, et l'on évoquait le fabuleux (qui conte des fables) Léon Paul Fargue, errant de bistros en coins saugrenus pour alimenter des petites poèmes en forme de camées où le délice d'une image se colore aux odeurs et aux secrets d'une ville endormie. Le pas du rêve se met dans celui des heures où l'honnête citoyen dort, quand l'aventurier s'égare, jusqu'au petit matin, pour trouver la réponse à toutes ses angoisses.
 


 
 
posté le 16-04-2011 à 16:26:13

Dorothea Tanning entre en surréalisme.

Difficile pour une artiste de rester elle-même, (de s'affirmer) dans la voisinage d'un peintre dont l'oeuvre irradie, flamboyante (ou mystérieuse) à ses côtés. Le feu peut prendre, auquel il sera bien difficile de s'abstraire. Dorothea Tanning, dans le compagnonnage fertile avec Max Ernst, a parachevé son audience auprès d'un public raffiné sensible à la dose de son  ensorcellante beauté qu'elle impose en des scènes souvent tirées de sa mémoire de jeune fille américaine vivant dans le pays profond, une province où la culture est affaire personnelle, souvent revanche sur la banalité du quotidien. Elle aura opté pour le surréalisme qui fait sa percée en Amérique (devenue, lors de la dernière guerre, une terre d'exil pour André Breton et ses amis).Et parce que le surréalisme va privilégier l'introspection, la  remontée en surface (de la toile) de l'inconscient, des images fulgurantes qui façonnent notre sensibilité (notre personnalité), Dorothea Tanning va en opter sinon les principes du moins cet attachement aux images "d'au delà le miroir". Nouvelle Alice elle se cherche en d'étranges contrées, croisant sur son chemin les faiseurs de sortilèges qu'elle aimait, de Poe à Anne Radcliffe, de Walpole aux soeurs Brontë, et les fantômes de sa propre enfance errants dans d'étranges demeures qui rappellent ces couloirs d'hôtel de province qui n'en finissent pas et cachent d'étranges maléfices à qui les explore l'oeil ouvert.C'est cette Dorothea là qui subjugue Max Ernst alors qu'il visite les ateliers des jeunes artistes américains dans le but d'organiser une exposition d'obédience surréaliste. Voyant en elle une exploratrice inspirée des continents souvent interdits où la rêve et la sexualité font un ménage infernal et sulfureux.L'artiste le séduit avant que la femme n'entre dans sa vie. Ils partagent les heures périlleuses d'un séjour en Arizona où l'art de Max Ernst va évoluer tandis que celui de Dorothea s'affirmer sans qu'aucun d'eux ne viennent empiéter sur le terrain de l'autre. Exercice dont on connaît les risques et comptabilise les échecs.Côté à côte ils poursuivent l'investigation de leur monde intérieur. Lumineux et traversé d'éclairs. Quant à Dorothea, elle va amorcer un long parcours dans les méandres sinueux des lumières savantes et secrètes, venues dirait-on des voilages soulevés par un air capricieux qui vient encadrer ses sorcelleries adolescentes. La continuité dans la fixation des images traumatisantes.
 


 
 
posté le 16-04-2011 à 16:13:57

Béatrice Hastings sous le regard de Modigliani.

Compagne-amante de Modigliani (il la peindra maintes fois, mais curieusement  surtout dressée et de tête allant jusqu'à l'épure graphiqie ) Béatrice Hastings est de la race de ces passionnées qui dans l'Angleterre du XX° siècle débutant (dans le bruit et la fureur), militeront pour la cause des femmes et la conquête de leur liberté. Pour s'en faire l'icône elle affiche une vie bafouant les codes et les conventions de l'époque héritage de l'ère victorienne dont la société bourgeoise (dont elle est issue) se montre fort dépendante.Avec l'écrivain journaliste A.R. Orage elle anime l'une des revues les plus importantes de l'époque (New Age) où Katherine Mansfield fait ses débuts et qui fut l'une de ses amantes."Béatrice écrivait régulièrement dans le New Age sous différents noms. La plupart de ses articles consistaient en des polémiques féministes, certaines rédigées dans un langage exalté, en particulier lorsqu'elle traitait de la soumission sexuelle  des femmes à leurs maris" (Claire Tomalin)On la retrouvera ensuite dans l'effervescence de Montparnasse, amante de Modigliani et quand celui-ci la quitte pour Jeanne Hébuterne elle entame une liaison "orageuse" avec Raymond Radiguet.Elle incarne (et c'est sans doute ce qui la rapproche de Katherine Mansfied) la femme qui dispose de son corps pour son plaisir et accumule les liaisons vivant dans un climat d'incertitude où règne le refus du quotidien et de ses règles, mais comme poussée par une avidité sexuelle et intellectuelle qui au final la brise.