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lettres de la campagne

posté le 31-05-2010 à 16:46:39

Matisse vu par Henry Miller.

Au milieu de cette tourbe qu' Henri Miller nous inflige dans le "Tropique du Cancer" il y a des pages admirables qui soulignent ses émotions profondes devant divers aspects du réel (que d'élans purs pour décliner les fantaisies climatiques du ciel !) et rencontrant la peinture de Matisse il se surpasse en lyrisme sain et dynamique. "...je suis ramené entre les véritables limites de l'humanité. Sur le seuil de cette grande salle, dont les murs flamboient maintenant, je m'arrête un moment pour me remettre du choc que l'on ressent lorsque le gris habituel du monde se déchire subitement, et que la couleur vive s'étale en chant et en poésie. Je me trouve dans un monde si naturel, si complet, que je suis perdu. J'ai la sensation d'être immergé dans le plexus même de la vie, de me trouver au foyer central, quelle que soit sa place, la position ou l'attitude que je prenne." Et de risquer une  comparaison avec Proust. "Perdu, comme le jour où je m'enfonçai dans l'ombre des jeunes filles en fleurs, et où je m'assis dans la salle à manger de ce gigantesque monde de Balbec, saisissant pour la première fois le sens profond de ces silences intérieurs qui manifestent leur présence par l'exercice de la vue et du toucher."  Donnant, au passage une pertinente définition du "miracle Proust" : il " avait permis de déformer l'image de la vie au point que, seuls ceux-là qui, comme lui, sont sensibles à l'alchimie du son et du sens, peuvent transformer la réalité négative de la vie et lui donner les formes substantielles et significatives de l'art".Séduisant parcours que celui-là, qui conduit de Matisse à Proust par le plus court chemin des métamorphoses du réel, ce que Miller fait si bien quand il ne s'attarde pas à des détails scabreux.  La réalité à laquelle il veut échapper ?  
 


 
 
posté le 31-05-2010 à 10:17:50

Un moment d'intimité avec Yves Tanguy.

Un moment d'intimité avec YVES TANGUY.En provenance, semble-t-il, d'un album de photographies appartenant à André Breton. De modestes clichés sans prétention artistique (attention il y a un artiste :Man Ray), et dont la valeur sentimentale n'en est que plus grande.Man Ray, justement, est saisi dans une pose qui lui était familière, (il l'avait gardée à la fin de sa vie), vous regardant droit dans le yeux mais avec cette inclinaison du corps qui dit à la fois l'attention et une certaine douceur d'expression, la cigarette apportant la note virile (comme chez Malraux). Un inconnu l'accompagne tandis que René Crevel (l'air absent, ou rêveur) est saisi dans un moment  d'intimité ( de complicité ?) avec Yves Tanguy. C'est lui le personnage important dont est moins connue la silhouette dégingandée. Il a encore cette allure de l'étudiant sage, et pourtant c'est dans cette tête que naîtront les rêves les plus inquiétants de la peinture surréaliste (Dali fait plutôt du spectacle). Pourquoi inquiétant ?Des espaces infinis (désert ou plage, normal chez un breton) où il a déversé une infinité de ces cailloux célestes, venus d'ailleurs. Paysages de catastrophe.
 


 
 
posté le 30-05-2010 à 10:47:35

René Crevel un "dandy intérieur".

L'image qu'il donne de lui, plutôt flatteuse et répercutée par son entourage, l'effet de séduction qu'on lui reconnaît ou qu'on lui attribue faussent l'itinéraire de sa pensée. Je fus, le premier, victime de l'équivoque. Les nombreux témoins que j'avais rencontré (Valentine Hugo, Pierre Minet, Tristan Tzara) lors de l'Hommage que je voulais lui rendre (à travers la revue Temps Mêlés) m'a conduit à écrire une assez stupide introduction, ce qui n'échappa pas aux surréalistes du moment qui ne manquèrent pas de me clouer au pilori. Ils avaient alors raison. Mention honorable faite, revoyons le cas Crevel. Un écorché vif, le sang au fleur de peau et la mort qui rôde autour de lui (suicide du père) jusqu'à ce qu'elle le plaque au sol comme un lutteur affaibli.C'est bien ce qui pouvait justifier le correctif engagé par les Nouvelles Littéraires rendant, à leur tour, un hommage à celui qui y avait assuré, dans les années 30, le rôle de secrétaire de rédaction. Je ne pouvais m'empêcher d'y songer lorsque j'y  étais, à mon tour, rédacteur, et dans les mêmes locaux, sans doute parmi les mêmes meubles car la maison jouait la carte de l'ancien, avec poussière garantie et complicité intérieure qui faisait d'un journal ( de modeste tirage) une plaisante famille. Insuffisant, sans doute, pour faire obstacle à la mort  d'un "dandy intérieur".
 


 
 
posté le 29-05-2010 à 11:10:47

Apollinaire en majesté.

D'avoir un nom d'emprunt, fabriqué, choisi (dit-on à la vue d'une bouteille d'eau minérale Apolinaris) fait de Wilhelm de Krostowitzky le fantôme d'un autre qu'il n'a pas voulu être, et bâtard de surcroît. Que de pères imaginaires ne lui prête-t-on pas, et même quelque sommité du Vatican. De quoi le faire entrer dans la légende. Ce qui fut. Et le restera en dépit des nombreuses études qui tentent de percer les mystères qui l'entourent et qu'il ne dédaigne pas de semer autour de lui.Il y a du patriarche en sa posture, et même sa silhouette si cordialement (mais avec un brin de moquerie) dessinée par Picasso. Il sera, tout à la fois : le poète assassiné, l'enchanteur pourrissant, le guetteur mélancolique, et le diable amoureux.Après sa blessure, au Chemin de Dames, il aime parader à Saint Germain des Près (son village) en tenue de militaire, et le bandeau sur la tête signant le blessé de guerre qu'il est fier d'être.André Breton le  classe parmi les "passants considérables", il est un nom de référence, de ralliement. C'est autour de lui que toute une génération (celle d'Aragon, de Breton, de Soupault, de Reverdy, de Max Jacob) s'est assemblée  dans une sorte de ferveur à son endroit. Il fut, juste avant la terrible explosion de la première guerre mondiale, le berger d'une troupe, animée, brillante, qui incarnait la modernité. Elle allait de Cendrars au douanier Rousseau, de Fernand Léger à Léon-Paul Fargue et aux Delaunay. Dans les éloges funèbres qui lui furent rendues ne dit-on pas qu'aucune "hardiesse ne lui fut inconnue et il a marqué d'une empreinte profonde et durable nos chercheurs d'art nouveau". Le titre est donné, et le nom d'emprunt a trouvé son rôle. Incarner la modernité fébrile qui précipite le XIX°siècle dans le passé et annonce, en fanfare, ce XX° siècle qui va naître dans le sang. Première victime, et exhibée comme un trophée de ce siècle balbutiant.
 


 
 
posté le 28-05-2010 à 10:38:08

Salvador Dali, une tête à claque.

Salvador Dali, une tête à claque.Philippe Soupault cultivait la haine de Dali qu'André Breton avait mis à l'ordre du jour en le baptisant Avida Dollars. Il portait la bonne parole surréaliste et applaudissait ceux qui, comme moi, portaient un égal mépris pour celui qui, après avoir brillé de tous ses feux, et apporté au surréalisme une part importante de sa vision onirique, cultivait la provocation primaire et quelque peu mondaine.Quel bonheur aurait été de lui asséner une claque méritée, comme je fus tenté de la faire, c'était galerie André Scholler, pour une exposition de mon ami Recalcati.Une envie réprimée par un sursaut de bonne éducation qui interdisait de manifester publiquement ses sentiments. Pourtant quel affligeant spectacle que ce vieillard postillonnant, roulant les R et agitant sa canne à pommeau d'or, jouant son personnage pour un public pourtant blasé mais qui trouvait en lui l'indispensable vedette nécessaire à toute événement artistique.Ce que l'on reprochait au peintre (que l'on admirait) c'était cette fabrication d'un personnage sans rapport avec l'oeuvre et lui apportant même préjudice et qui voulait qu'un artiste fut un être hors du commun, dont le personnage fut "visible", au point que Dali amorçait  cette dangereuse tendance à confondre oeuvre et comportement au point de lancer un mouvement artistique (?) qui se résumait au comportement. Etre suffisant en soi, du moment qu'on en soulignait la singularité voire l'excentricité, substituant une performance gestuelle ( ou vestimentaire ) à l'expression, la construction d'une vision, la qualité d'une traduction et d'une maîtrise de la matière pour dire le monde, ses sentiments, sa pensée.Va déferler toute une génération de pseudo artistes qui s'agitent et jouent uniquement la provocation, comme si choquer était en soi une fin suffisante, une preuve qualitative du statut d'artiste. Celui-ci, métamorphosé en clown, ne s'est-il pas égaré, en transformant le monde de l'art en piste de cirque ?
 


 
 
posté le 27-05-2010 à 15:26:18

Ladislas Kijno à la rencontre des poètes.

C'est comme une lecture furtive, dans le rythme des rangements qu'on est amené à faire de temps à autre, quand on brasse trop de documentation et qu'il faut faire des choix, oser des rejets. Et voici un petit livre qui surgit, élégant comme tous ceux qui sortaient de la galerie Creuzevault où Kijno était chez lui, les murs clairs de l'avenue Matignon investis par son graphisme large, impétueux, d'une volonté qui était celle de la colère, de la passion. Oser mettre en calligraphie le sentiment, c'est ce que faisait Kijno, ami des poètes et prêt, toujours, à orner de ses signes pleins de vie le déroulé du poème (Henri Kréa, poète de toutes les colères sociales, en sait quelque chose, que de beaux signes Kijno, a donné à ses vers !).Ici c'est René de Solier qui s'est penché sur l'oeuvre de son ami, de son complice (leur amour commun pour la sculptrice Germaine Richier). Les mots sont toujours en bonne compagnie avec les images, les écritures qui les remplacent, quand l'estime entre en jeu, quand une certaine complicité des esprits se formule à travers cette riche collaboration. On l'aura vu, en maints endroits de ce que nous a laissé le surréalisme qui a magnifiquement enrichi ce jeu de dialogue entre peintre et poète. Et que dire d'Apollinaire qui allait à la rencontre de la peinture comme à celle d'une femme aimée.
 


 
 
posté le 27-05-2010 à 09:50:34

Pour un musée à la campagne.

Louis Deledicq faisait parti de ces animateurs culturels qui ont, dans les années 80, largement contribué à la diffusion et à la reconnaissance des formes et de l'esprit de l'art contemporain. Contrairement aux fonctionnaires de la conservation des musées, trop souvent liés à d'obscures complicités pour actionner la réputation des artistes et entretenir leur côte, ils travaillaient en toute indépendance et dégagés des courants de la mode qui sont un phénomène urbain, et surtout parisien, D'ailleurs le titre donné à une exposition qui illustre parfaitement leur "politique" : "Souvenir d'un musée à la campagne", en dit long.L'exposition se situait dans un vaste programme accueilli au château de Tanlay, dans ce pays tant aimé par Colette, dans le département de l'Yonne dont la politique culturelle aura été particulièrement intelligente quand l'état de ses finances le permettait.Tanlay est un charmant château que son  propriétaire fait avec gourmandise visiter et ses vastes dépendances ont été transformées en salle d'exposition. C'était, dans ces années fastes où l'art brillait de tous ses feux, une étape obligatoire, chaque été, pour les vacanciers, et  "Les chemins de la création" n'ont jamais aussi bien justifié leur nom.Ce musée à la campagne se plaçait sous le signe d'une modernité moins nourrie de technologie (ce qu'elle fut au début du XX° siècle),  que marquée par l'adoption de formes d'expression qui n'entraient pas dans la logique d'une articulation de l'art prétextant le progrès (par une élimination progressive de la figuration, le recours à des matériaux nouveaux) mais donnant son crédit aux marges de la création, aux impulsions ayant échappées aux académismes (dont ceux de la mode) et faisant référence aux arts primitifs.L'illustraient une centaine de contributions signées d'artistes de tous bords, et faisant feux de tous bois, dont ceux de l'art brut, des suites du surréalisme, d'un retour à une figuration fortement individualisée. De Chaissac à Michaux, en passant par Dubuffet, Brauner, Bellmer, Dereux, Avril, Artaud (le dessin d'écrivain enfin reconnu comme art à part entière), Bettencourt, Fautrier, Fernandez, Mason, Lam, Hartung, Louis Pons, Saura, Hélion,  Szafran, Requichot, Pastor,  Marfaing, Maryan, d'Acher,  Criton, Atlan, Balthus, soit une gamme fort étendue qui confronte gloires reconnues et artistes confidentiels. Un choix qui ne se veut pas logique ni dominé par un courant et des théories restrictives, mais largement ouvert à toutes les inventions formelles à tous les rêves exprimés avec ferveur. Sa logique est dans celle des goûts de son organisateur d'où le poids de celui-ci et l'idée qu'à travers un choix il fait un peu son portrait mental. C'est à ce stade qu'il devient lui aussi un créateur. Un musée virtuel et ici provisoire, qui peut entrer dans l'imaginaire de ce musée universel voulu par André Malraux.
 


 
 
posté le 26-05-2010 à 14:31:28

De Miller à Artaud l'itinéraire du cri.

D'Henry Miller à Antonin Artaud, l'itinéraire du cri.Le cri va chercher ses vibrations dans les tréfonds de l'être, là où les organes jouent ce rôle d'une usine à sang, à sperme et à souffrance. La voix qui en est la modulation, mais qui en conserve l'essence vitale, fait son chemin ( c'est Miller qui le précise) "à travers la chair, les os, les humeurs (elle) transporte ce qui s'est tapie tout au fond des organes". Ce qui rappelle l'injonction d'Artaud, demandant à ses comédiens d'aller chercher dans cette sourde rumeur des organes le souffle vital, quand parler, souvent, n'est qu'à la dimension de la tête, en circuit court et sans chair.C'est toute l'esthétique du théâtre qui en est modifiée, et la gestuelle sera en conformité avec l'émission du son. Portée aux excès, à l'intempérance, déversant ce trop-plein d'émotions, de sensations, qui gîte dans notre corps souffrant, notre corps brûlant, quand les usages de la société en interdit l'expression, en gendarme les élans.La voix est à la dimension de ce que nous portons en nous, au plus profond de notre inconscient, c'est sans doute pourquoi le chant en donne une dimension bien plus perceptible, plus expressive. Comme le jazz tire des instruments (saxophone, trompette) les vibrations les plus cachées en leur matière même, déjouant l'ordre voulu par les disciplines d'un solfège qui y perd son rôle d'ordonnateur, glissant vers l'improvisation.
 


 
 
posté le 25-05-2010 à 10:49:50

Henry Miller peint le rêve.

Peindre, pour Henry Miller, c'est rêver. Se laisser aller à son rêve. C'est donner à voir le phénomène de métamorphose dont il est le territoire idéalisé.Dans "Big Sur" il le précise bien : "....les mondes, les créatures, les objets, les lieux, ont tous ceci en commun : ils sont perpétuellement  en cours de transformation. Le suprême bonheur du rêve réside dans ce pouvoir de transmutation. Quand la personnalité se liquéfie, pour ainsi dire, comme cela se produit merveilleusement dans le rêve, et que la nature même de son être se trouve transmuée comme une opération alchimique, quand forme et substance, temps et espace s'étirent et se rétractent à la moindre sollicitation du désir ; celui qui s'éveille de son rêve sait, sans qu'aucun doute subsiste, que l'âme impérissable qu'il nomme son âme, n'est que le véhicule de cet éternel élément de transformation".On retrouve dans cette formulation ce qui fait tout l'attrait d'une oeuvre autrement déconcertante par l'impudeur dont elle témoigne,  et comme cet élan de fraîcheur qu'elle appelle de toutes ses forces au delà de la tourbe du réel, l'emprise diabolique du désir charnel qui ne saurait se contenter des solutions les plus primaires qu'elle dénonce quand elle les nomme.Faisant référence à Jérome Bosch il peut encore préciser que la peinture dégage "cette réalité baignée de rêve qui nous échappe constamment et qui est la substance même de la vie."   Sa propre peinture, peu soucieuse de réalisme immédiat, distille cette force flottante et comme furtive (comme le rêve), mêlant tous les règnes du vivant, vie végétale, incidents mineurs et visages qui cherchent leur poids de vérité, tant la vérité dont ils témoignent est fuyante.
 


 
 
posté le 23-05-2010 à 19:39:26

Yourcenar : question maison.

De l'influence que peut avoir une maison d'écrivain sur son travail ? La question posée par Guylaine Massoutre (dans Le Devoir) a le mérite se s'appuyer sur un exemple type : la maison de Marguerite Yourcenar à Petite Plaisance, et d'en proposer une visite. Entourée de maisons de millionnaires elle paraît modeste (elle l'est). Mais c'est déjà le jardin qui nous introduit dans l'univers de l'écrivain "avec ses azalées en fleurs, son bassin de méditation, ses buissons où explosent les espèces de l'arboretum, (il) enchante. Les oiseaux y prennent leur bain : trois chiens y sont enterrés". Et d'entrer enfin dans la demeure "tout à la fois home des Flandres, avec ses théières et ses carreaux de Delft anciens, et de la Nouvelle Angleterre avec son mobilier chaleureux et disparate, 7000 livres vous accueillent sous le regard d'entrée de Pomonoe que trompe le dieu Amour, déguisé en vieille femme après avoir été repoussé" manière élégante de donner le ton de l'oeuvre qui en sortira. C'est là que Youcenar écrira Les mémoires d'Hadrien (1951) et L'Oeuvre au  noir (1968).Outre les livres, ce sont les objets-souvenirs des nombreux voyages de part le monde qui sont comme autant de repères, non sans oublier aussi les fameuses gravures de Piranèse qui complètent le balisage du territoire de l'écriture dont la maison est le cadre domestique.Pourtant, ici et là, dans les différentes pièces de la maison des livres soulignent le rite de la lecture : savante dans le bureau et dirigée par l'ouvrage en cours, dans les chambres à la saveur des intimités qui se construisent entre écrivains, et du devoir d'estime, comme André Gide et Thomas Mann au seuil de la nuit, parmi quelques souvenirs de famille.Il n'en pourrait être autrement pour une oeuvre qui se construit sur l'Histoire et s'appuie sur des références culturelles dont elle n'est jamais le sévère résultat savant, mais humanisée par l'esprit qui y domine et ce goût des "visions" dont elle est faite.
 


 
 
posté le 23-05-2010 à 14:24:21

Marat, homme tronc.

Tentative pour un itinéraire parisien.Quelques rues sont fiévreuses du côté des Cordeliers qui sont, aujourd'hui, l'antre des sciences du corps. La médecine en lieu et place des prières. Et des cris de la colère qui se cale, se brise dans le verbe porté haut, de bouche en bouche, de corps en corps, comme une immense vague déferlante sur les chapiteaux ornés et le silence sépulcrale des voûtes sacrées.Et le sang a coulé, en rigoles, dans les allées de ce pouvoir édifié dans les cabinets secrets d'un trois pièces discret, en immeuble moyenâgeux, chez Marat. Dans un voisinage étroit de numéros, d'une rue qui fait son chemin en cahotant, le couple Simon prépare sa revanche sur l'or du pouvoir, par la cendre de la haine. En épelant des mots orduriers aux fragiles oreilles d'un enfant énervé de privations, apeuré et seul, avec Simon, au Temple, entre bidet et lit-cage, comme est en cage l'oiseau que l'on va, d'un fil étroit, étrangler pour se venger de la beauté de son chant.Marat donc, à sa baignoire attaché, comme d'autres le sont à leur tâche. A sa tâche usé, dans le clapotis d'une eau suspecte de baigner ses plaies purulentes, à hauteur de ventre, quand la tête émerge, jaune et brûlante de toutes les fièvres, alors que la plume court sur le papier comme une guillotine qui s'affole du nombre de ses victimes.Fièvre dans la tête folle et marquée de lèpre. Le turban l'atteste. C'est une tête blessée. Magnifiquement donnée par Antonin Artaud pour ce qu'elle n'est pas : une tête de triomphe, avec ce quelque chose de nonchalant, de voluptueux qui rappelle la tête d'un Saint Sébastien porté par les femmes comme un Christ descendu de sa croix. Marat n'a de femme en son entourage que pour le défendre de la rue, de celle qui en monte, un couteau de boucher serré dans son corsage blanc et de dentelle normande. Le couteau est venu à bout du boucher.Ici l'éclat d'une lame portée au nom de la pureté, et là les puanteurs d'une peau grêlée, les puanteurs d'une eau où  le sang bouillonnant va se coaguler.Marat, homme tronc. La rue bat le pavée, tandis qu'il agonise. Les mots qui tombent de sa plume abandonnée sont des gouttes de sang.
 


 
 
posté le 22-05-2010 à 22:50:51

George Sand intime.

L'époque le voulait. Jamais on avait tant crayonné, dessiné, sans volonté d'en faire métier ou de l'utiliser comme une fin en soi. C'était dans un esprit de convivialité, et toujours axé sur des rapports intimes entretenus entre ceux qui y participaient.C'était "le livre d'or" que l'on présentait au visiteur afin qu'il y mette son empreinte, le signe d'une visite, le souvenir d'un instant de complicité amicale.Le poète y inventait des rimes, le peintre y improvisait une aquarelle.C'était l'album que l'on traînait avec soi, en tous lieux, et pour le voyageur, le support de notations :  paysages, personnages, scènes arrachées à la rue.Le couple George Sand-Alfred de Musset a largement utilisé le dessin à des fins intimes, souvent drôles, et le trait narquois vient apporter une note intéressante, illustrant le type de regard qu'ils se portaient mutuellement. Parfois cruel. Mais à commencer pour soi-même.   George Sand n'est guère indulgente vis à vis d'elle-même, se représentant en fumeuse au profil ingrat. En revanche elle s'entoure d'hommes, de ceux avec lesquelles elle avait des "aventures", tous ceux qui, séduits par sa généreuse hospitalité, fréquentaient aussi son refuge élégant de Nohant.Ce sont, là, outre sa fille Solange, Arago, Charles Didier, Albert Grzymala.
 


 
 
posté le 20-05-2010 à 19:51:07

Danton impérieux, carrefour de l'Odéon.

photo Palagret.Pour celui qui tend l'oreille de la mémoire, de sourdes rumeurs enflent qui viennent s'enrouler comme une tornade autour de la maison qui s'élevait là, où Danton avait son appartement. Il tend un doigt vengeur (accompagnant une parole de tempête) dans ce qui fut sa salle à manger. En plaisante compagnie il recevait là ses amis du club des Cordeliers (voisin, l'école de Médecine occupe son emplacement) et le peuple venait sous ses fenêtres, par vagues ardentes, pour marquer ses colères. Il est le dieu de la colère, impétueux, fracassant, entrant tout droit dans la mythologie de la Révolution. On l'honore en lieu de place de ce qui fut le coeur de sa vie d'action politique. Tout converge vers lui. Le boyau coloré du Passage du Commerce (où Marat avait son imprimerie), la rue de l'Odéon stricte percée mettant en valeur le théâtre alors tout nouveau, la rue de Condé allant frôler le bel hôtel particulier de Beaumarchais, la rue de l'Ancienne Comédie où le Procope subsiste qui voyait Diderot, et Jean Jacques Rousseau deviser, tandis que d'Alembert jouait aux échecs. En face il y avait le théâtre de la Comédie française noyé aujourd'hui dans un immeuble banal.Les travaux du baron Haussmann ont bouleversé ce qui fut le quartier de toutes les intrigues politiques, de toutes les passions. Les autobus, lourdement chargés font halte au pied d'un Danton impérieux. Des étudiants farceurs inscrivent des mots doux sur le socle de la statue qui ponctue le long cortège des automobiles et je vois Benjamin Péret, en compagnie d'André Breton, siroter une boisson gazeuse à la terrasse du café l'Odéon. Le beau temps est au fixe. On parle de révolution comme d'un jeu. Ou un spectacle qu'on imagine plus beau que la banalité du quotidien.
 


 
 
posté le 20-05-2010 à 09:57:10

Un peuple de statues pour Paris.

Promenade dans Paris (statues).Les plus humbles ne sont pas les moins belles. Le piéton curieux en découvre parfois d'émouvantes jusque dans leur anonymat, telle celle du square Achille Léopold, une figure de femme drapée, plaquée sur un mur dont elle est l'insolite et assez étonnante parure, d'autant que l'environnement végétal lui confère une sorte de frissonnant baroquisme.La ville s'orne de statues autant pour rêver que pour honorer. L'invitation au rêve y est généralement meilleure inspiratrice que le souci de rendre hommage aux grands hommes. D'autant que la prédilection des encenseurs va généralement aux militaires. Et certaines statues, pour être d'allure guerrière (c'est la moindre des choses que l'on peut attendre d'elles, vu le sujet choisi), n'en sont pas moins un peu ridicules. Le pauvre maréchal Ney, dû pourtant à Rude, en sait quelque chose qui invite à la charge, carrefour de l'Observatoire, une foule de voitures qui la contournent distraitement. La statuaire a pourtant des vedettes, les délicieuses figures drapées de Jean Goujon, sur la "Fontaine des Innocents", la Marseillaise de Rude plaquée sur "l'Arc de Triomphe de l'Etoile", la Danse de Carpeaux au sommet des marches de l'Opéra.Elle a aussi ses chefs d'oeuvre, comme le pathétique Balzac de Rodin, un peu égaré carrefour Vavin, et les nus de Maillol qui folâtrent sur les pelouses des Tuileries. Ils apportent dans une cet espace de rigueur un peu figé dans l'Histoire, une sensualité lourde, nonchalante, qui semble inciter à plus de décontraction les amateurs de jardins. Si bien qu'on voit dans les parages, aux heures chaudes de l'été, une multiplication d'odalisques allongées dans l'herbe qui y est ici britannique quoique un peu chichement et aimablement flirteuse Dans ses représentations les plus anciennes, la statuaire parisienne est directement liée à la célébration des grands personnages du panthéon chrétien. Notre-Dame de Paris considérablement (mais pas si malheureusement qu'on le fit) restaurée par Viollet-le Duc, offre de multiples exemples d'un art qui, pour être rude, n'en est pas moins d'une extraordinaire fécondité, d'une généreuse faconde. Tympans, voussures, et bas-reliefs, sont le grand livre ouvert de la pieuse truculence des artistes anonymes du XII° siècle qui ornaient la maison de Dieu pour le plaisir. Mais Notre-Dame c'est aussi un vaisseau. Elle a, selon Andrè Suarès, "toute la majesté de la puissance, et elle a toutes les élégances. Elle est un monde, elle est cent villages", une forêt de statues. Celles qui sont également en ses sommets dangereusement exposées : les gargouilles que chantait Victor Hugo. Ces figures monstrueuses que l'eau des orages anime, et qui semblent toujours de leur profil accusé, caricatural, si follement inventées, s'étonner du spectacle qui se déroule à leurs pieds.Le caractère altier des figures religieuses est sans doute une tradition. On mettra toujours en situation de domination les figures que l'on veut honorer. D'où les socles.Extrait de "Lecture de Paris " aux éditions Pierre Horay
 


 
 
posté le 18-05-2010 à 11:21:28

Le Facteur Cheval habite ses rêves.

Habiter ses rêves, quoi de plus naturel pour celui qui saura leur donner forme.Le Facteur Cheval aura été jusqu'au bout d'une logique qui, souvent,  nous paraît trop contraignante pour s'y résoudre. N'est ce pas le propre du rêve que de s'effacer quand notre esprit reprend le chemin du réel. Ou alors nous mène-t-il à la folie quand on tente de le poursuivre en se contentant de le contenir dans notre corps, prisonnier d'une illusion, le réel le déniant, le quotidien le repoussant.Décevantes auront été les tentatives des poètes surréalistes qui veulent consigner par le biais des mots ces images furtives qui s'échappent et qu'ils s'obstinent à piéger en un filet dérisoire.Le génie du Facteur Cheval tient à une volonté défiant la raison, le lâche confort du quotidien, d'aller jusqu'au bout de sa propre logique ancrée dans le rêve et auquel la pierre donne une consistance, une résistance au temps, à son travail d'usure.Ne sont-ce pas dans les pierres que les grands bâtisseurs des civilisations passées ont confié le soin d'en perpétuer le pouvoir de fascination. Les civilisations dont les monuments témoignent ne sont plus, mais, par leur présence, ces "rêves de pierre" en portent encore la marque, sont comme des panneaux de signalisation qui balisent le champ élagué de leur vie active et quotidienne. Ce sont des monuments non plus voués à la pratique des humains, mais aux célébrations à des divinités, créées pour leur grandeur.Et parce que le rêve est un espace éloigné des aspects pragmatiques de notre vie, et qu'il plonge dans le plus profond de notre inconscient, il ne peut que générer des formes dont la subsistance nous fascine et nous porte à les classer dans l'espace du sacré.Le Palais Idéal du Facteur Cheval a ainsi souvent l'aspect d'un lieu de culte, il fait référence à des temples faramineux, traduits comme des citations, car ils sont empruntés à ce savoir encyclopédique dont le Facteur Cheval voulait faire usage, et, avec une certaine naïveté nous faire partager l'essence même qui est de nous hausser à la hauteur de ce que nous avons de meilleur en nous-même.
 


 
 
posté le 16-05-2010 à 22:41:00

Le Facteur Cheval en tournée.

Tout facteur n'est pas Cheval. Et il y a trop de volonté, d'ingéniosité, de ferveur devant le savoir pour ne pas faire du Facteur Cheval un être d'exception et un exemple. Proche, en cela, du douanier Rousseau qui dévore les ouvrages scientifiques, les revues savantes, pour combler son manque de culture, ayant quitté l'école trop tôt et en souffrant. C'est souvent le propre des autodidactes que d'avoir plus de respect pour la culture que ceux qui y ayant accédé jeunes, et sans effort (comme une chose naturelle, de leur éducation) n'en mesurent pas toujours le prix.Concevant une maison (un Palais idéal) il l'a fait à la mesure de ses connaissances, accumulant les références comme pour se prouver l'étendue de son savoir, et soulignant avec une sorte de naïveté, toute la force humaine qu'elle justifie, valorise.Le voici, durant ses tournées (à pied, et avec sa brouette), récupérant, ça et là, dans les champs, les fossés, les pierres qui vont venir s'ajouter à celles de la veille et qui, peu à peu, se métamorphosent en multiples détails ornementaux d'un palais fou, sorti tout droit de son imagination.J'ai souvenir de Miro, me montrant dans son atelier, les bois mangés par l'eau, le soleil et le temps, ou les galets, en formes étranges jusque dans leur suaves sinuosités, et m'affirmant que c'était là son catalogue à partir duquel il réinventait un monde qui nous semble insolite et qui est pourtant à nos pieds, il suffisait de savoir le regarder.Le regard du Facteur Cheval creuse au delà des éléments qu'il assemble, les profondeurs de son imaginaire qui est aussi sa mémoire, et le reflet de ses connaissances livresques patiemment apprises.
 


 
 
posté le 14-05-2010 à 10:12:15

Pierre Louys courtise Aphrodite.

Avec Aphrodite (paru en 1896) Pierre Louys s'assure une réputation qui va se couler dans le sillon d'un érotisme teinté de culture antique. Aphrodite est bien la déesse de l'amour (et du plaisir) qui a autant de visages que de célébrants et brille dans son temple des feux d'une ardeur que démultiplie la troupe de prostituées chargées de diffuser son message. Il est intéressant de remarquer combien la vision de l'écrivain moderne face à un des aspects majeurs de la culture antique, croise les élans d'un érotisme débridé et d'autant plus ardent que l'époque maintient l'hypocrisie du savoir vivre qui occulte le monde souterrain de l'érotisme , ici mythifié. Pierre Louys aura compris qu'il était aisé de faire passer le récit le plus hardi en jouant la culture comme creuset de ses fantasmes. L'antiquité aura séduit le Flaubert de "Salambo", ii et là le sujet offre à l'écrivain la possibilité de raffiner sur le vocabulaire. Louys ne s'en prive pas (et Flaubert non plus). Mais chez Louys le parti pris érotique l'emporte dans une histoire un  peu tarabiscotée. Une courtisane (Chrysis), un sculpteur (Démétrios) qui en est amoureux et qui commet de graves larcins pour obtenir ses faveurs. Un peigne sacré, un collier de perle ornant la statue d'Aphrodite dans le temple qui lui est dédié, un miroir d'argent appartenant à une autre courtisane, un ensemble d'objets propres à valoriser le corps de celle qui les exige, d'où cette exhibition un peu folle "devant la foule sur la phare d'Alexandrie et dans la nudité d'Aphrodite". Il s'en suit une arrestation, un emprisonnement, un empoisonnement (signe de la condamnation)  et, devenue le modèle du sculpteur, Chrysis morte devra incarner la vie immortelle. Au cours du récit Louys multiplie les scènes propres à exciter son lecteur encore naïf. D'où ces scènes d'orgie (avec crucifixion d'une esclave), des séquences saphiques. Un brin d'orientalisme pour entrer encore dans les goûts de l'époque, dont la peinture académique nous a largement abreuvé.
 


 
 
posté le 12-05-2010 à 11:23:59

Laurence Sterne en voyage.

La mode est au journaux de voyage. Les anglais qui font "le grand tour" ne manquent pas d'en conter les étapes, les rencontres et nourrissent ainsi la curiosité des lecteurs en leur offrant, de surcroît une savante topologie des pays qu'ils traversent. Laurence Sterne n'a pas adopté ce principe, plutôt savant. Avide de rencontres insolites, curieux de caractères, il brosse de multiples portraits durant son périple, depuis le moine de Calais (amorce de son voyage) au vieillard affligé par la mort de son âne (avec lequel il avait fait le pèlerinage  à Saint Jacques de Compostelle). Mais l'homme galant qui sommeille en lui s'attarde plus volontiers sur les femmes rencontrées (et modestement, pudiquement convoitées).La noble dame de Calais, les charmantes femmes du peuple à Paris (une mercière, une femme de chambre). Ce sont là des personnages de Marivaux, et ne manque pas le valet de comédie qui l'accompagne du nom de La Fleur. On est dans la grande tradition des romans de l'époque qui rapprochent ainsi maître et valet dans le quotidien rythmé ici au voyage. Une collection de personnages pittoresques qui évoluent dans une France dont il nous donne des tableaux charmants, sans prétentions, mais sans doute exemplaires pour illustrer le petit peuple de l'époque. A peine amorcé le chapitre italien s'ouvre à la galanterie avec une aventure (esquissée, évoquée discrètement) à Milan avec  une marquise. Inachevé, le livre ne paraîtra qu'après la mort de l'auteur.
 


 
 
posté le 10-05-2010 à 11:06:02

Arthur Cravan dans le bled.

Bien que mince, l'oeuvre littéraire d'Arthur Cravan va prendre une dimension mythique. On en trouve de multiples traces chez ceux qui le revendiquent, comme André Breton.  L'accès aux textes restera longtemps difficile, et la revue "Maintenant "qui en fut le support principal était introuvable. J'en prends connaissance dans le bled  (pendant la guerre d'Algérie) entre un fusil dont je ne savais pas me servir (de toutes façons je m'y serais refusé) et la beauté stupéfiante des murailles roses de Blida. Voilà pour le décor. "Maintenant", publié par les soins de Bernard Delvaille, par Eric Losfeld, dans les débuts de son activité, s'offre comme une suite de textes critiques (sur la peinture) et des poèmes dont le ton, le rythme, la frénésie font un peu penser à Blaise Cendrars. Une même exaltation devant la modernité, un appel du large, des stances cliquetantes et très jazz. Les textes critiques qui ne sont pas loin du côté badin d'Apollinaire, sont portés parfois par l'invective, une agressivité très juvénile et un peu facile. Pauvre Marie Laurencin, elle en  prend pour son grade, et madame Sonia Delaunay n'est pas moins gâtée !
 


 
 
posté le 10-05-2010 à 10:11:32

Georges Bataille sur le banc.

Il peut y avoir de l'indécence (qu'il ne craint pas)  à aborder George Bataille par l'anecdote. Il échappe à toute définition, renâcle à entrer dans les cadres rassurants de la culture qui se consomme. Son oeuvre (comme celle d'Antonin Artaud) contient de la dynamite mentale. On ne peut le lire légèrement, ou en le prenant de loin, comme une curiosité. Il vous entraîne dans ses tourments. Sont-ce des modèles à vivre, sinon à mieux savoir où la vie nous entraîne. Dans le néant où notre conscience s'est noyée. L'anecdote à deux temps. C'est rue Gozlin, derrière la statue de Diderot, dans le plus vieux Saint Germain des Près, entre librairies (si beaucoup ont disparues il y en avait beaucoup dans les années 60) et boîte à jazz. Une boutique toute de noir tendue (comme une boîte un   peu inquiétante). Jean Jacques Pauvert y était pour quelque chose, à moins qu'il eut alors des intérêts particuliers pour cette minuscule bouquinerie où l'on ne trouvait que des livres rares, de bibliophilie revue et corrigée par le surréalisme, des textes sulfureux, et Sade qui n'était pas encore dans le commerce libre (et même en livre de poche). On y présentait aussi les précieuses, soyeuses et perverses gravures de Han Bellmer (qui venait aussi souvent au Soleil dans la tête). J'admirais cet endroit qui avait un côté cabinet des merveilles et auréolé des interdits qui planaient encore autour d'une certaine littérature complaisante avec l'érotisme et le merveilleux.C'était un soir de pluie (nous voilà chez Apollinaire), les passants filant pour la fuir et moi entrant, comme on pénètre dans une église un peu obscure, pour buter dans l'étroite ouverture sur un homme au visage lumineux et à la chevelure claire. C'était Georges Bataille en personne. Jaillissant d'une boîte faite pour lui (il y avait tous ses livres exposés). Choc et regret alors de n'avoir pas quêté le mot que je pouvais attendre de lui. Mais n'est-ce pas toujours une illusion que de croire bénéfique la rencontre d'un créateur que l'on admire ( j'en ferai l'expérience avec Samuel Becket).Deuxième temps.C'est à Orléans, Avec la délicieuse Marguerite Toulouse qui partage avec quelques fidèles une passion pour l'oeuvre de son mari (disparu) Roger Toulouse qui fut le "peintre" de l'Ecole de Rochefort, l'ami de René Guy Cadou, Jean Rousselot, Michel Manoll, Jean Bouhier, on fait le projet d'aller visiter la Bibliothèque municipale logée dans un magnifique bâtiment. Et là, évoquant le souvenir d'Hélène Cadou qui y travaillait dans les années 60, j'apprends que Georges Bataille en fut le bibliothécaire. Les dernières années de sa vie alors que la maladie déjà le dévorait. Photo. Il devait mourir en 1962.Nous nous engageons dans triste jardin qui entoure le bâtiment, et sur un banc je vois un homme à l'air défait. Tête claire, cheveux blanc. Marguerite Toulouse suit mon regard et je la sens pâlir.- Mon dieu murmure-t-elle, ce n'est pas lui !
 


 
 
posté le 08-05-2010 à 19:07:29

Judith sous l'oeil de Georges Bataille.

Ce que l'actualité nous offre quotidiennement, créant une saturation qui gomme l'essentiel des effets recherchés de nous émouvoir, la peinture, alors qu'elle était le seul médium visuel propre à véhiculer des informations autant que des opinions, et donner à voir jusqu'à l'insupportable, a laissé, dans les musées, arrachés à leurs sources historiques pour n'être plus que des oeuvres à regarder (et admirer), les grandes pages de l'Histoire avec ses horreurs, ses blessures, ses crimes et ses pleurs.L'effet esthétique (ici unique) nous occulte la force parfois protestataire du sujet.Il faut connaître la Bible, qui en est pleine, pour retrouver la force d'une action assassine dont  Judith est l'héroîne. Celle-ci, citoyenne de la ville de Béthui (en Judée) assiégée par les troupes d'Holopherne, se glisse dans la tente du général syrien et obtient le privilège d'y venir chaque jour, pour négocier les modalités mettant fin au siège de sa cité. Un soir, profitant de l'ivresse d'Holopherne, Judith lui tranche la tête qu'elle portera dans un linge jusqu'à Béthui comme preuve de son acte inspiré par le souci de sauver les siens.Un assassinat qui se veut exemplaire. L'art de la peinture dépasse rapidement le fait historique (si fort soit-il) lui donnant une portée générale qui l'éloigne de sa source réelle. Plus encore, dans sa mise en scène, l'éclairage (déjà cinématographique) , l'oeuvre débusque des instincts contraires, complémentaires ou se mêlent volupté et crime. Dans cette grande tradition d'un art dépassant les limites du réel pour plonger dans les forces de l'inconscient collectif. Il faudra aller du côté des proses sulfureuses de Georges Bataille pour en décrypter le sens réel, qui se camoufle derrière l'allusion historique, celle-ci n'étant peut-être que simple prétexte.    
 


 
 
posté le 08-05-2010 à 15:28:52

Nerval vers le Gymnase.

Tel piéton, moins savant que curieux, et connaisseur des vieilles pierres, organisera ses  sorties parisiennes comme  Xavier de Maistre dans son "Voyage autour de ma chambre". Autant pour jouir de ce qu'il y aura sélectionné pour le plaisir, que découvrir ce que le hasard lui permet de trouver et qui lui apparaît soudain avec toute la force d'une présence complice. On est, en effet, le complice des objets que nous aimons, et des lieux. Un livre à la main (comme le propose Xavier de Maistre), et parce que le pouvoir des mots à redire les circuits, les itinéraires, les incursions que nous entreprenons, nous enchante, nous serons, tel un détective, à la poursuite des coïncidences, des traces qui nous confirment dans nos rêves de rencontrer, ici, par exemple, autour du théâtre du Gymnase, sur le boulevard Bonne Nouvelle, un Gérard de Nerval, bouquet de fleurs à la main, attendant la sortie des artistes pour déclarer sa flamme à la décevante Jenny Colon qui sera sa mauvaise fée ; à quelques pas de là, vers les Passages, croiser Lautréamont, pestant contre une agitation qui bouscule sa haute solitude voulue. Les touristes se pressent autour des vitrines vieillottes qui proposent de  gravure jaunies, des objets insolites. On a bousculé brusquement dans le monde des fictions, à moins que nous traversions le miroir. Il y a une Alice qui sommeille en chacun de nous.
 


 
 
posté le 06-05-2010 à 14:26:16

la maison de Mac Orlan.

Son oeuvre est bien faite pour satisfaire toutes les exigences des lecteurs. Qu'ils soient friands d'aventure (on ira aussi du côté de Joseph Kessel, de Blaise Cendrars) ou de poésie moderne (dans le voisinage parfois d'Apollinaire) chacun y trouve pâture au plaisir de la lecture. Nos enfances furent balisées par les personnages de sa mythologie entre populisme et sa gouaille, et lointains promis aux promeneurs des ports dont il a si bien traduit le climat si fortement lié aux caprices climatiques (nul ne sait  mieux décrire les brumes, dont celles de Londres).Habitant la vallée du Petit Morin et non loin du village de Saint Cyr qu'il a rendu célèbre, c'était un but de promenade d'aller voir sa maison, si simple au bord d'un  chemin tranquille. Y entrer (pourtant elle prétendait s'offrir à la visite) restera une épreuve digne des épopées antiques. Et un jour on apprend que tout ce qu'elle contenait se trouvait dans un musée local où le mythe Mac Orlan va se noyer dans les détails historiques de la région. Déviée de son esprit, la maison du poète n'est plus qu'une coquille vide, l'ombre d'elle-même. L'âme s'en est allée. A longer les charmilles qui cernent le jardin on croit entendre un air d'accordéon, dont il était un chantre attentif. On peut vivre d'illusions.
 


 
 
posté le 06-05-2010 à 14:14:41

Bibliothèque, une mémoire en miettes.

Il n'avait de bons souvenirs que de livres. Chacun était lié à un moment fort de son quotidien. Ils étaient des miettes de sa mémoire. Les femmes n'en étaient pas exclues et souvent traversaient l'aventure de leur arrivée sur les rayonnages qu'il montait partout où il séjournait. Pas plus d'une semaine sans l'amorce d'une bibliothèque, si modeste soit-elle. Si bien qu'il en avait un peut partout, et souvent se répondant l'une-l'autre, par des livres qui relevaient de la même famille. Il arrivait qu'il reprenne un titre particulièrement chéri. - Ce sont des doublons disaient ceux qui ne partagent pas sa passion. -Non des preuves de constance dans l'amour que l'on porte à un livre, comme à un être cher. Et l'on  ne supporte pas son absence. Pour y remédier on en achetait une nouvelle version, car c'était souvent des ouvrages repris par divers éditeurs sous divers aspects. Et c'était un autre jeu que de comparer les divers états, les habillages souvent si divers, relevant d'une mode, d'une époque, ou de la vision que pouvait en avoir un éditeur qui, de son côté, affirmait une alliance, créait un geste d'amour vis à vis d'un texte en lui donnant l'aspect visuel qui lui convenait le mieux à ses yeux. - Tant de livres lui disait-on, et que dire des voyages ?- Quoi ! voyager est une chose, cela forme l'esprit (et le goût des langues et des cuisines d'ailleurs), mais il y a un engagement physique dans l'art du voyage qui peut faire redouter de les entreprendre, surtout l'âge venant et le corps ayant ses faiblesses.Ne voyage-t-on pas aussi dans les livres. Ils vous arrachent à votre quotidien, au temps même de leur lecture on est porté à des horizons ignorés. On entre dans un livre (ou l'ensemble d'un oeuvre) comme en entre dans une maison que l'on souhaite visiter, un pays dont on aura, sur une carte, éprouvé le besoin d'y aller cueillir les fruits inconnus. Par goût de la nouveauté. D'où, conjointement, le goût des catalogues de libraires. Certains sont de véritables livres, des guides de voyage parmi les ouvrages proposés, les plus précieux, décrits, commentés. Une incitation à entreprendre leur lecture comme on entreprend un voyage. On reste dans la logique qui aura lié l'une à l'autre ces deux passions
 


 
 
posté le 06-05-2010 à 09:21:54

Sacher-Masoch chez Losfeld.

Dans son genre il était unique. Eric Losfeld (terrain vague en flamand ?) éditait les textes qu'il aimait, dont il voulait faire partager la découverte. Il fouillait dans les rayonnages des bibliothèques à la recherche de textes rares, insolites, provocateurs. Eclectique avec, cependant, un goût plus accusé pour les surréalistes et l'érotisme. On disait que Breton, alors un peu solitaire, et moins visé comme modèle que dans l'entre deux guerres, était dans les coulisses, lui soufflait des choix, cautionnait certains de ses engagements pour des oeuvres dont il applaudissait la redécouverte.Il avait choisi le Soleil dans la tête (10, rue de Vaugirard) comme boite postale étant du genre à déménager avec désinvolture, et souvent poussé par la nécessité. Il venait régulièrement discuter affaire mais aussi rendre compte de ses investigations, dont celles qui le conduisent à explorer les archives Sade, dans le château de ses descendants et d'en sortir maints manuscrits encore inédits. Il est bien connu que l'état de prisonnier qui fut celui du malheureux marquis était particulièrement favorable à l'écriture.Losfeld sera l'éditeur d'une première tentative d'anthologie des textes de Xavier Forneret, et celui qui, le sortant de son état de texte condamné à des éditions plus ou moins glauques et clandestines, offrira au texte majeur de Sacher Masoch : "La Vénus à la fourrure",  l'écrin élégant de séduisant qui lui donnait rang d'écrivain classique.
 


 
 
posté le 05-05-2010 à 15:38:27

Colette annonce "ces plaisirs".

Republié l'ouvrage s'intitulera "Le pur et l'impur", ce qui lui donne une dimension "morale" que dans sa version première il n'annonce pas. Colette, jeune, "lancée" dans la vie parisienne, mariée à Willy qui incarne l'homme connu du Tout Paris, et participant à sa brillante réputation, va elle-même explorer "tous les plaisirs" et trouvant pour les rapporter ce langage à la fois confidentiel et savoureux qui va donner à son oeuvre son esprit et son audience. Elle évoque, non sans une aimable impudeur, toutes les marges de la sexualité, et  le monde saphique qui ne lui est pas étranger et où elle glane quelques belles amitiés, des complicités intellectuelles autant que charnelles.Et c'est bien le propre de son aventure qu'elle traverse tous les continents du sexe sans jamais rien perdre de son aimable juvénilité d'esprit. Il fallait à un tel texte, un accompagnement illustratif qui ne soit pas un parcours prenant son autonomie, ni provocateur (il aurait été facile qu'il le soit), on a là, une épure graphique avec des temps forts, marqués, qui sont une réussite dans le genre. Une belle aubaine dans une collection qui reste mythique et  exemplaire.
 


 
 
posté le 04-05-2010 à 09:20:00

Les stèles muettes de Fos.

Une version miniature de la Via Appia, mais sortie de la mer qui avait englouti, progressivement, par une lente montée des eaux,  le port de Fos, comptoir commercial phénicien puis grec qui rejoignait, par un canal, Arles. Aujourd'hui port défiguré et voué à l'acheminement du pétrole qui aura tué l'esprit du village autant que son charme. Des ancêtres habilités à en gérer la quotidien n'y ont guère laissé  de traces. Stèles muettes ou effacées par le temps (l'eau) à l'image d'une famille qui a perdu ses origines, dont la chaîne s'est brisée laissant à l'abandon une mémoire flouée, comme de n'avoir pas de père.N'est-ce pas le comble d'une stèle que d'offrir le silence, l'effacement, et comme des remords. Il n 'y manque plus que les passants aux allures romantiques, les figurants d' amours impossibles qui s'appuient sur ce qui n'est plus que pierre à peine dégrossie. Quelques uns de ces voyageurs illuminés qui au XVIII° siècle faisaient "le grand tour" et s'abreuvaient de la sagesse antique.  Les stèles en sont les bornes, ailleurs ornées de sentences qui en soulignent les points forts, ou rendant hommage à des ancêtres qui furent valeureux, héroïques ou couverts de gloire. Ici c'est le retour aux origines obscures. Stèles muettes. Stèles d'un cimetière d'absents.
 


 
 
posté le 03-05-2010 à 10:55:42

Artaud et les Cenci.

Dès le mois de février 1933 Artaud songe à donner une suite scénique à sa théorie du Théâtre de la Cruauté. Bernard Steele, l'associé de Robert Denoêl, tente de trouver des fonds, mais sans succès, ce qui amène Artaud à renoncer au projet. Il en parle à Anaïs Nin. En 1934 Gallimard envisage de publier "Le Théâtre et son double" (il ne le sera en fait qu'en 1938). Mais dès 1935 Artaud travaille sur une pièce inspirée à la fois de Shelley et de Stendhal. Le décorateur sera Balthus. Afin de trouver des subsides Artaud en fait une lecture chez son ami Jean Marie Conty. Il y a là des fidèles comme le couple Allendy, Denoël et Steele, et surtout Lady Iya Avdy fille du comte de Bradford qui s'intéresse à la pièce au point de s'y engager financièrement mais à la condition d'y avoir un rôle. Elle sera Béatrice. Cecile Denoël est également sollicitée, elle sera Lucretia. Artaud s'enthousiasme pour son rôle : "physiquement vous êtes le personnage, vous l'êtes aussi spirituellement". Et de préciser : "je ne veux plus d'acteurs, mais des êtres vivants. Si vous consentez à vivre c'est à dire à sortir la vie effervescente qui est en vous, vous jouerez ce rôle de manière grandiose". La première a lieu le 7 mai 1935 aux Folies Wagram, une salle convenant assez peu à ce spectacle, mais Artaud n'en trouve pas d'autres. La presse ne voit que Lady Iya Adby, moins pour vanter son talent que sa beauté. Qui est lumineuse. Pourtant on sent un mouvement d'hostilité que résume assez bien l'épouvantable compte rendu du critique de Comoedia (on a oublié son nom). Le ton est grinçant agressif, avec une pointe de calomnie. "Tout ce que Paris compte de snobs, de métèques, d'invertis, d'ennemis de notre clarté française, d'anarchistes de la pensée, de détraqués, de morphinomanes, cocaïnomanes, éthéromanes, faux esthètes, pseudo-nordiques, saphiques, décompositeurs de musique, Français d'importation, servants de petites chapelles et de formules obscures, écrivains de gauche et d'extrême gauche, cubistes, essayistes et autres navrants produits du gâchis international... se trouvait dans la salle" La pièce est un échec et cesse le 17 mai. Conscient de l'engagement qu'avait pris Cécile Denoël dans cette aventure Artraud lui écrit " ..seule, de toutes les actrices  des Cenci vous êtes demeurée sans dévier de la ligne de votre rôle, ne descendant pas un instant et à aucune des quinze représentations au dessous du diapason"Les Cenci représente à la fois l'apogée et la fin de la carrière théâtrale d'Artaud. Durement éprouvé par cet échec il fait un pas fatal vers l'abus des drogues et bientôt les signes avant-coureurs de la folie se multiplient.
 


 
 
posté le 01-05-2010 à 08:37:16

Un ancêtre de Rémy de Gourmont.

On peut voir au Louvre une oeuvre de modeste dimension sur le thème de la Nativité  sensée être l'oeuvre de Jean de Gourmont  "un obscur peintre-graveur lyonnais" et ancêtre du fabuleux Rémy de Gourmont figure centrale de la littérature "fin de siècle". Filiation sans logique ? A s'y attarder on en trouve une, et comme quoi, de génération en génération, des germes de sensibilité, de culture, peuvent survivre, ou réapparaître. Graveur, Jean de Gourmont s'inscrit dans une tradition familiale qui veut qu'il y ait plusieurs typographes dont celui qui, le premier, introduisit les caractères grecs dans l'imprimerie en France, et un penchant pour la culture livresque qui caractérise Rémy de Gourmont dont on connaît le repli sur soi, et parmi ses livres. Voulu, diront certains, du fait de son infirmité (un lupus facial), d'autres par tempérament quand on voit l'homme de savoir trouver son espace dans la seule pratique assidue des livres.Vivre, ce n'est pas nécessairement expérimenter les gestes qui la nourrissent, la structurent (cela est le fait des aventuriers) mais simplement les rêver, les inventer (les inventorier). Même l'amour, l'aventure principale de toute expérience humaine, passe avec Rémy de Gourmont, par la simple correspondance entretenue avec l'être aimé. En l'occurrence Nathalie Barney. "Les Lettres à l'Amazone" devenues un manuel de l'art d'aimer qui, selon certains commentateurs, surpassent Stendhal.