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  VEF Blog

lettres de la campagne

posté le 30-09-2009 à 15:01:01

L'orage intérieur.

De ne pas savoir formuler sa pensée éloigne un homme de ses congénères. L'isole dans son angoisse. L'orage qui l'habite ne parvient pas à s'échapper de sa cage  thoracique, il y fait des dégâts, bouscule l'ordre anatomique, creuse une profonde blessure qui fait vaciller celui qui la porte comme une malédiction. Dire c'est être, exprimer c'est comprendre, parler c'est partager. Alors le silence plombe celui qui s'arme d'une défense qui le brise.Les mots se fondent sur des images (des souvenirs). Ce qui ne peut se définir subsiste en lambeau, s'étiole sans vraiment disparaître. Alors en l'absence des mots la mort mentale fait ses ravages. Elle enferme celui qui s'abstient de participer au forum commun. On le retrouvera, parlant seul, et de lui seul compris, devant un verre jusqu'à ce que l'alcool aura eu raison de lui. L'abattant comme un arbre qui a perdu sa sève, s'est détaché de ses racines.Ou encore sur les bords des routes (ce système sanguin de la vie sociale) des chemins de campagne, plus habitué des fossés que des places villageoises où on échange, discutaille, s'affronte pour y voir plus clair en soi.La solitude est avant tout une affaire de langage.
 


 
 
posté le 30-09-2009 à 14:41:46

Proust au château de Réveillon.

Marcel Proust y venait, du temps qu'il fréquentait le salon de Madeleine Lemaire et c'est dans les allées du parc qu'il découvre son amour pour Reynaldo Hahn. Il s'en souviendra quand il écrira Jean Santeuil (une première version de la Recherche du temps perdu). Souvenir si tenace qu'il créera un personnage qui porte le nom de Réveillon.Un jour d'un printemps encore timide nous y allions Jean Pierre Biondi, A... et moi-même, se risquant dans un parc qui avait des allures de terrain vague avec le château en fond comme sur une scène de théâtre. Il était alors habité par un délicieux couple de vieillards qui faisant visiter les lieux, dans un état de délabrement inquiétant, annonçait un chantier de restauration qu'il ne mettra jamais en route. J'ai appris (par google) que la propriété a été reprise par un couple entreprenant qui a pu sauver la bâtisse alors voguant vers sa chute finale.Pathétique était l'endroit, ouvert à tous les vents, et les boiseries de la chapelle de Versailles (qui se trouvaient là sans qu'on sache comment) exposées aux intempéries. J'ai encore le souvenir fixé comme une photographie de ce qui avait été (et devait redevenir) une bibliothèque. Le ciel et ses menaces faisant courir ses nuages et donnant une sorte de version tragique de la bibliothèque à ciel ouvert qui est le comble de la désolation. C'était une sorte d'image frémissante de la menace qui pèse sur un projet qui fut grandiose et une mémoire qui allait disparaître si les mots d'un livre n'en garantissaient par la survivance.Devenu un lieu de visite (avec ses horaires, ses tarifs et sans doute ses produits dérivés) il a chassé le souvenir de Proust.Jeanine Huas dans son étude (fort séduisante) sur "Proust et les femmes" de relater ces heures si délicieuses pour l'écrivain."Hahn raconte qu'en 1894, venant d'arriver à Réveillon il se promenait dans le parc et discutait avec Marcel. Soudain ils passèrent devant une bordure de rosiers rouges du Bengale. Proust s'arrêta, considéra les fleurs et se mit à rêver. Au bout d'un moment il demanda de sa voix douce : Est-ce que ça ne vous fâcherait pas   que je reste un  peu en arrière ? Reynaldo reprit sa marche. Il revient mais Marcel ne l'entendit pas. Il repartit à nouveau. Proust sortit alors de sa médiation et le rejoignit en courant, les yeux brillants. Les jeunes gens continuèrent leur promenade comme s'il ne s'était rien passé. L'incident est repris dans Jean Santeuil. Jean admire des gueules-de-loup...."
 


 
 
posté le 30-09-2009 à 10:31:03

Le salon de Madeleine Lemaire.

Sans beauté, quand il en fallait tant pour se faire reconnaître, Madeleine Lemaire avait pour elle le "savoir mondain" et recevoir en sa maison  du 31 de la rue de Monceau, dont le jardin planté de lilas embaumait les soirs de concert quand la maîtresse de maison réunissait chez elle le "meilleur monde" où se croisaient écrivains lorgnant du côté de l'Académie française, peintre fêtés au Salon et duchesses aux prétentions culturelles. "Ce sont des artistes : Edouard Detaille, Puvis de Chavannes, Bonnat, Georges Clairin dit Jujotte ou Chochotte, parce qu'il bavarde sans cesse, Jean Béraud qui peint surtout des scènes de la vie mondaine... Au groupe s'associent bientôt des médecins et des écrivains. Tous viennent chez Madeleine Lemaire continuer la discussion commencée à un vernissage, à une réception, à un déjeuner chez Ledoyen. Alexandre Dumas fils est l'astre de l'atelier....  Peu à peu le cercle s'élargit Anatole France, la princesse d'Arfemberg, la princesse Mathilde prennent le chemin du 31 rue de Monceau" (Jeanine Huas). Ce sont des réunions sans prétention et, curieusement, ce public si friand de prérogatives, de hiérarchie, se laisse gentiment bousculer, voire tancer par une maîtresse de maison qui aura gagné une certaine réputation comme "peintre de fleurs".Proust fera son miel dans ce creuset à la fois titré, talentueux parfois, cancanier, oùse font les réputations et les carrières. La sienne justement y débute.
 


 
 
posté le 29-09-2009 à 10:53:45

Zola photographe.

Il l'affirme d'emblée : "A mon avis vous ne pouvez pas dire que vous avez vu quelque chose si vous n'en avez pas pris une photographie révélant un tas de détails qui, autrement, ne pourraient pas être discernés".C'est, en usant d'une technique différente, donner un éclairage sur sa manière même d'écrire. On l'a vu, allant "sur le terrain", prenant des notes comme un reporter, constituant des dossiers pour, alors, se plonger dans un espace dont il connaît parfaitement les moindres détails.Il aborde la photographie  lorsqu'il a terminé le cycle des Rougon-Macquarf (1894).Ne faisant pas les choses à moitié il acquiert huit appareils (de format différents) et installe un laboratoire pour tirer lui-même ses clichés (à Medan et à Paris). Il laissera quelque 7000 clichés qui embrassent de multiples sujets. Portraits des siens (Alexandrine, sa femme, Jeanne la mère de ses enfants), ses amis, les nombreuses escapades à vélo (qu'il pratique avec ferveur) et se mettant souvent lui-même en scène,  enfin la ville dont le fascine la vie multiple et qui fut déjà le terrain de ses explorations littéraires.Il atteint rapidement les qualités techniques d'un professionnel. L'influence de ses amis photographes (Carjat, Nadar) n'est pas étrangère à sa décision.A cette boulimie d'images traduisant une "passion visuelle" s'ajoute l'intensité qu'il sait donner à ses clichés. Ils imposent une présence. La part importante accordée à sa vie de famille avec ses deux enfants souligne combien comptait dans sa vie personnelle cette chaleur qui en émane. Quand on se plaît à confronter l'oeuvre d'un peintre avec sa pratique de la photographie (chez Degas, chez Bonnard) on veut y voir des relations au stade de la création. Passant d'une technique à une autre est-il fidèle à sa manière ? Chez Zola, et même si la comparaison est plus subtile (de l'image aux mots), elle révèle une continuité. Dans la précision et une vigueur d'expression n'excluant jamais une pointe de poésie. La Naturalisme n'y perd pas ses principes. Il y gagne une dose d'humanité.
 


 
 
posté le 28-09-2009 à 14:13:11

Le Paris de Proust.

Le cadre parisien de la Recherche du temps perdu est spécialement laid et dépourvu de tout charme. C'est celui que le baron Haussmann aura conçu sous la dictée de Napoléon III, autant à des fins urbanistiques que militaires. Il s'est modelé étroitement aux moeurs de la société bourgeoise qui y voyait son rêve de modernité. Curieusement, le gotha que Proust y fait vivre (plus à sa place dans le select faubourg Saint Germain) y prend rapidement des allures de nouveaux riches. Et ses membres les plus éminents (Greffulhe, Chevigné) ne sont pas tellement éloignés de ces bourgeois cossus qu'ils snobent, donnant plus volontiers de la particule pour vanter de lointains ancêtres qui guerroyaient au Croisades.C'est d'ailleurs la fascination du nom qui prévaut chez Proust, la modèle souvent décevant tant il est difficile d'en être digne.Le quartier Saint Augustin avec la montée du boulevard Malesherbes (vers le parc Monceau) sera l'adresse privilégiée de Proust dans plusieurs étapes de sa vie. Ses amis les plus proches en sont aussi les riverains. C'est toute une population, qui se déverse sur les Champs Elysées ou le Bois de Boulogne pour se montrer dans la splendeur de ses apparences et le jeu subtil et vaguement pervers de la galanterie qui y déploie ses fastes et ses vanités. C'est le quartier des "horizontales" la version mondaine de la lorette, celle-ci plutôt versée vers le monde des artistes et celle-là dans les alcôves des ducs décatis.  
 


 
 
posté le 28-09-2009 à 11:09:37

Proust se serait marié....

Elle sera l'une des composantes de Rachel dans La Recherche du temps perdu. Elle monte sur les planches sous un nom de noblesse de fantaisie : Louisa de Mornand. Elle s'appelle en réalité Louise Montaud, native de Lyon (en 1884). Sa soeur est également actrice sous le nom de Jane Moriane et se produit aux Bouffes Parisiens dans des pièces de Maurice Donnay.Louise était d'une grande beauté : mince, le visage ouvert, la démarche souple, et quand elle débute aux Mathurins en 1903 elle devient la maîtresse de Louis d'Albufera un jeune dandy que Proust se plaît à fréquenter et qui fait parti du petit cercle de noceurs où l'on retrouve également Léon Radziwill, de Guiches (le demi-frère d'Elizabeth de Gramont qui laissera des souvenirs documentés sur son époque), Bertrand de Salignac-Fénelon, les Bibesco, Constantin de Bancovan (frère d'Anna de Noailles).Louise se laisse entretenir par Albufera qui est très amoureux d'elle mais elle n'est pas une "horizontale" comme l'époque en compte tant. Soucieuse de faire carrière au théâtre elle dose savamment ses relations avec Albufera (qui la servent) et les engagements qui se font timides.Marcel Proust est très séduit pas son charme et une espèce de gentille qu'elle lui dispense sans jamais dépasser de furtives tentations. Proust, en dépit de son homosexualité,  aurait bien envisagé de l'épouser. Mais Louisa mesure les risques et son attachement à Albufera comprend un mélange d'intérêt et de sinciérité. Proust devra se contenter d'une galanterie verbale et la distance (équivoque) qui sert finalement la constitution du personnage de Rachel dans lequel on la retrouve ainsi que des moments de leurs relations. "O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais".Un vers de Baudelaire en forme de dédicace sur un exemplaire de "Sésanne et les Lys" seconde traduction de Ruskin que Proust lui offrira, donne la lumière chargée de mélancolie qui scelle leur étrange relation.
 


 
 
posté le 26-09-2009 à 11:59:31

La drague d'André Breton.

Henry de Montherlant y allait, depuis le quai Voltaire où il résidait, en fin d'après midi. Le boulevard Bonne Nouvelle, aux voisinages de la Porte Saint Denis était son terrain de chasse préféré, à la recherche de petits minets complaisants. Quelques salles de cinéma au velours décati, y offraient de complaisants refuges pour de hâtives caresses.A l'en croire, André Breton y flânait plutôt en souvenir de Gérard de Nerval qui attendait la fin du spectacle au théâtre du Gymase, pour courtiser la médiocre Jenny Colon pour laquelle il se ruinera."On peut, en attendant, être sûr de me rencontrer dans Paris, de ne pas passer plus de trois jours sans me voir aller et venir, vers la fin de l'après-midi, boulevard Bonne Nouvelle, entre l'imprimerie du Matin et le boulevard de Strasbourg. Je ne sais pourquoi c'est là, en effet, que mes pas me portent, que je me rends presque toujours sans but déterminé, sans rien de décidant que cette donnée obscure  à savoir que c'est là que se passera celà (?)". L'aveu est donné dans Nadja.Voilà le lieu défini dans sa force d'attraction, et le plaisir, l'inconnu, la rencontre au rendez-vous. Et Breton ne savait s'en extraire.Il suffit encore de penser que Baudelaire, dans son errance parisienne, y fit escale au numéro 11. Les pèlerins n'y affluent pas. D'ailleurs ce sont les marchands de fripes (venus d'Afrique du Nord et ayant conservé les moeurs bavardes et languides de leurs origines) qui investissent l'endroit avec des vêtements toujours "en solde"et les rues en pente douce filent doucement vers le centre de Paris et son ventre des Halles. Breton allait plutôt du côté altier et de très vieilles histoires qui font le charme de Paris et sa mélancolie. Entre le faubourg Poissonnière et la rue d'Hauteville. D'autres poètes y firent leur nid. Il n'y en a plus le souvenir que dans des livres.
 


 
 
posté le 25-09-2009 à 10:41:53

André Breton et les Pas perdus.

De l'ambiguïté du titre l'ouvrage tire son attrait. On y songe à quelque salle sonore où des foules piétinent dans un temps d'attente, ou encore, plus dynamique, imagine la vision négative qu'aurait un piéton impénitent qui ferait le bilan de ses pérégrinations. Mais perdre ses pas c'est aussi avoir beaucoup voyagé. André Breton a sillonné le siècle, engrangé des amitiés, noté des rencontres capitales, médité sur des oeuvres phare. Il les assemble comme on fait un bilan, ou compose un bouquet, ou une anthologie, et fait passer au fil de ses admirations tout un panthéon de ceux qui ont façonné notre manière de vivre et de penser. Ils sont là, miroitant et frémissant de mémoire et de colère (car c'est l'élan de la révolte qui les unit) Guillaume Apollinaire, Alfred Jarry, Lautréamont, Max Ernst, Chirico, Freud, André Gide, Marcel Duchamp, Françis Picabia, et en place d'honneur Jacques Vaché, sous le signe de la  confession dédaigneuse.Certains de ces textes ont jalonné l'aventure du surréalisme, pointé du doigt les tares de notre époque, dénoncé l'inanité de notre monde, nous conviant au festin des dieux qui manient la poésie comme arme de combat.
 


 
 
posté le 25-09-2009 à 10:28:24

Renoir et le lecture.

Peignant volontiers son entourage immédiat, familial, Renoir saisit les instants du quotidien dans sa miraculeuse fraîcheur. Il se délecte du jeu de la lumière sur les visages (ou les corps quand il aborde le nue), leur donnant une présence tendre et rêveuse. Ici ce seront des jeunes filles au piano, là des enfants "à la lecture".Et de l'art de lire il tire une leçon. Elle accompagne la découverte du monde chez les jeunes, elle sert de lien aussi dans le compagnonnage et se glisse dans l'univers du jeu la faisant une sorte d'ouverture sur le monde. D'où l'attention, la pose tranquille de ses personnages abordant le monde des mots  comme ils abordent celui de la nature : comme une notion de plaisir.A l'habituelle sensualité qui colore ses compositions Renoir a préféré distiller une sorte de tendresse qui se pose sur les visages leur donne cette concentration, ce détachement de leur environnement pour se projeter tout entier dans l'espace réduit du livre qui est, en fait, l'immensité du monde. Il montre bien cette prise de distance qu'à le lecteur vis à vis de ses proches quand il foule à grandes enjambées mentales l'espace que lui  offre le livre ouvert.
 


 
 
posté le 24-09-2009 à 15:23:49

Alphonse Lemerre et Céline au Passage Choiseul.

A suivre Céline quand il l'évoque c'est l'enfer : " Il faut avouer que le Passage, c'est pas croyable comme croupissure. C'est fait pour qu'on crève, lentement mais à coup sûr, entre l'urine des petits clebs, la crotte, les glaviots, le gaz qui fuit.  C'est plus infect qu'un dedans de prison. Sous le vitrail, en bas, le soleil arrive si moche qu'on l'éclipse avec une bougie. Tout le monde s'est mis à suffoquer ! On ne parlait plus que de campagne, de monts, de vallées et merveilles..."(Mort à crédit).Céline passe son enfance au 67 puis au 64.Au 67 sont installées maintenant les loges des comédiens du théâtre des Bouffes Parisiens, et au 64 on vend des fringues. Au terme d'un escalier en tire bouchon des bureaux, là où furent les pièces sombres et sinistres où il marmonnait sa rage.Changement de décor (et d'époque) au 23, qui fut le siège des éditions d'Alphonse Lemerre. C'était le centre des Parnassiens. On y croisait Théophile Gautier, Théodore de Banville, Catulle Mendès qui  en étaient les plus fidèles aux réunions informelles qui se tenaient  "dans une sorte de mezzanine" au dessus de la boutique elle-même de taille réduite. Lemerre (précédemment vendeur dans la librairie religieuse qu'il racheta pour y établir ses propres éditions) y publiera les premiers poèmes de Verlaine. Et  il édite "Le Parnasse Contemporain" qui rassemble toute une génération où s'affirme Sully Prud'homme et Lecontre de Lisle, militants pour une poésie de grande rigueur. Le catalogue s'étend jusqu'aux débuts d'Anatole France et de Barbey d'Aurevilly.Un souvenir (fort vague et lointain). M'être rendu dans la légendaire boutique (dans les années 60) à la recherche des éditions alors négligées de Raymond Roussel qui y publiera ses livres, à compte d'auteur. Il y en avait encore, précieux dans l'indifférence qui les entourait. La boutique avait des allures provinciales et mélancoliques qui la faisait séduisante comme une vieille dame qui a beaucoup vécue et vous raconte sa vie si riche de rencontres. L'atelier d' une artiste peintre a remplacé les rayonnages soigneusement polis où dormaient dans une poussière respectueuse de leur oubli, ces livres qu'ornait la figurine de l'homme à la bêche.
 


 
 
posté le 24-09-2009 à 15:12:12

Monet sur la ligne de flottaison.

Avec lui la peinture va jusqu'au bout de ses limites. Encore attachée à la réalité elle n'en donne pas une image de convention (prétendue réaliste) mais une exploration visuelle pour atteindre la vie élémentaire, les frissons de la vie dans le moindre coin de nature encadré par la toile comme un moment d'exception c'est à dire de jouissance. Car peindre c'est dire le plaisir d'adhérer à son sujet jusqu'à s'y fondre. C'est moins "montrer" que "dire" en se faisant soi-même le contenu de son sujet. C'est donner à celui-ci une présence ardente, totale, comme celle d'un individu, ou quand il s'agit de la nature, la faire si proche de nos sens qu'on s'y assimile, s'y perd. Ce serait le rêve d'Ophélie, de faire corps avec l'eau. Monet, au terme d'une longue vie d'expérience et de défis, a longuement tourné autour d'un simple bassin, planté de nymphéas (à Giverny) et avec une obstination qui se donne en exemple, interrogé ce morceau de nature qui s'active d'une vie continue, multiple et parfois mystérieuse. Dans ce jeu subtil entre lumière du ciel et le miroir des eaux animées par une végétation surgissante. Image du dynamisme de la vie (presque invisible à l'oeil nu) et de la lenteur. Oh temps, suspends ton vol !Conduire la peinture à cette extrémité de la réalité c'est la condamner à devenir elle-même le principal personnage de l'aventure dont la toile est la scène. Disant la réalité elle s'expose elle-même pour ce qu'elle est. Un vigoureux coup de pinceau, une coulée languissante, des taches qui se catapultent, un déchaînement de propositions graphiques qui envahissent la toile, perdant peu à peu leur identité croit-on, et, de fait, allant de plus en plus en profondeur dans ce qu'elles montrent. Elles nous forcent à voir différemment, avec plus d'attention, en allant au coeur du réel et non en restant en surface comme on en a l'habitude.
 


 
 
posté le 24-09-2009 à 12:31:00

Brassaï au bordel.

Comme Degas, Toulouse-Lautrec ou Pascin,  Brassai a fréquenté les bordels pour en tirer des images qui ne sont ni vulgaires ni critiques. Elles donnent la juste mesure d'une ambiance qui fut celle de ces établissements quand la loi les autorisait encore. Un regard distancié, voyant la femme exposé, devenue objet de désir, dans une neutralité qui est moins celle de l'amateur (ou du voyeur) que de l'artiste qui absorbe toutes les facettes de la réalité pour en dire l'essence même.Il est à la fois sensible à la "tournure du corps", sa mise en situation, sa théâtralité professionnelle, mais aussi au décor capiteux et poussiéreux qui en est l'accompagnement d'office. Brassaï est une piéton de la nuit, des lieux insolites de la ville dans ses coulisses, ses fantasmes et ses trésors d'humanité, car, dans cette intrusion dans une maison close il reste lui-même. Humain et fraternel.
 


 
 
posté le 23-09-2009 à 11:55:36

Une Sapho tranquille.

Le portait imaginaire de Sapho est le pendant de l'énigmatique "Scribe accroupi" de l'art égyptien. Figure étroitement liée à l'écriture et à elle dévouée. Servante des mots fussent-ils ceux de l'amour, Sapho ayant gagné son éternité à la culture savante de la poésie qu'elle placera sous le signe de l'amour  (du désir).Ici en quiétude, rêverie et une douceur attentive, elle inspire une iconographie infiniment plus exaltée, où le mystère fait alors place aux signe extérieurs de la volupté. Toute représentation de personnage dont on ne peut qu'imaginer le visage, prend alors en charge l'idée que l'on s'en fait. On la sculpte, la peint, la révèle à notre image. Elle est le réservoir de toutes les déviances, de tous les excès. Dans sa tranquille assurance Sapho telle qu'elle est vue par la peinture romaine, qui créé déjà une distance temporaire avec son modèle, ressemble plus à une bourgeoise qui fait ses comptes. 
 


 
 
posté le 19-09-2009 à 11:40:16

Un douanier Rousseau pour cent francs.

Ainsi, "Combat de jaguar et cheval" coûte, en 1910, cent francs. Et le douanier Rousseau devait être bien content de recevoir de l'argent pour son art qui en dehors d'une petite élite de connaisseurs ne rencontrait que mépris et moqueries. Ses voisins qu'il réunissait pour d'innocentes petites fêtes où l'on jouait des charades et du violon aimaient l'homme qui vivait à leur façon et sans façon, avec seulement quelques petites manies qui marquent les hommes égarés dans leur quotidien. Dans une solitude un peu hautaine il poursuit une oeuvre que sa singularité même écartait de toute large audience.Un modeste bout de papier, légalement timbré pour avoir effet, raconte le début d'une longue histoire : celle du tableau lui-même.Y songe-t-on quand on admire une peinture (dans un musée) qu'elle a, comme tout individu a sa fiche à la police (du moins le dit-on) , un dossier qui raconte l'aventure d'un simple objet, devenu mythique par notre besoin de sacraliser, et la part de rêve qu'il peut susciter chez celui qui l'admire (le vénère).De même que l'envers de chaque tableau raconte ses voyages, ses étapes de prestige dans les grandes capitales, car un tableau a une vie de star. Notre amour de l'art ne serait-il pas une version "culturelle" de notre appétit de people.
 


 
 
posté le 18-09-2009 à 12:43:42

Ernest La Jeunesse, roi du Boulevard.

La Jeunesse, roi du Boulevard.Si l'itinéraire des Grands Boulevards était, en cette "fin de siècle", celui de la gloire et des maquerelles, il fut aussi celui de l'intelligence et du talent quand il est spontané, bruyant, peut-être futile mais si brillant qu'il séduit et donne une idée assez juste de ce siècle à la fois vulgaire et pressé, et en raison de cette vulgarité porté à tous les raffinements de la décadence.Il fallait aux Boulevards, ce fabuleux théâtre, un personnage qui l'incarne et en soit une manière de roi. C'est Ernest La Jeunesse. Un être quasiment diforme, proie privilégiée des caricaturistes, et qui, jusque dans le verbe, portait loin ses bons mots, ses cinglantes critiques, car il avait la plume vacharde et le ton à la mesure de sa cruauté. Il en fera un "fond de commerce" culturel, en se lançant dans le journalisme, ce broyeur de tous les talents. Si bien que son oeuvre reste, côté littérature, plutôt mince et encore marquée par ce don de la saillie, de la satire, du portait qui fait mouche. Et pourtant, à la lumière de ces modestes incursions dans le verbe qui s'appuie non sur l'écume des jours mais une conscience aigue des choses, on imagine qu'il aurait pu donner le meilleur de lui-même dans des romans qu'il n'aura ni le temps  ni la force de laisser. Il y aura cependant :  "Les nuits, les ennuis et les âmes de nos plus notoires contemporains, ", "L'Imitation de notre maître Napoléon", mais surtout "L'Holocauste", "Sérénissime", "Demi-Volupté", "Cinq ans chez les sauvages", "Le Boulevard", "Le Forçat honoraire". ¨Passant de la chronique à la fiction  il épouse les frissons de l'époque, la fièvre ardente qui passe du théâtre à la machine romanesque
 


 
 
posté le 18-09-2009 à 12:31:46

Commérages chez Goncourt.

Le grenier des Goncourt (en fait celui d'Edmond, son frère Jules étant mort) est un des hauts lieux de la vie culturelle fin de siècle, et le laboratoire d'un commérage littéraire que conduisent quelques personnages complices dans leurs ambitions et leurs buts de créateur. Pourtant il apparaît aussi aux yeux de certains témoins comme le cadre d'un rite conventionnel et plutôt négatif. Il s'en dégageait un ennui insupportable à en croire Robert Baldick. Et Huysmans  fait à son  ami Guiches une confidence : "Encore, si on pouvait y expédier ses dévotions en quelques minutes et filer dare-dare. Mais ce n'était pas possible, il faut rester jusqu'au bout.... chaque greniériste sait que s'il était assez imprudent, assez fou pour s'en aller avant que tout le monde soit parti, la porte à peine fermée, les demeurants se jetteraient sur son oeuvre, et qu'en un rien de temps, elle serait dépecée, déchiquetée, dévorée jusqu'à ce qu'il n'en restât plus un lambeau, une miette ! Alors, pour éviter d'être mangé, on tient bon, on reste. Et Goncourt qui ne remonte jamais jusqu'aux causes, que seuls les effets intéressent, se plaît à proclamer que sa maison est trop petite et ne peut contenir tant d'amis".Un ami de Huysmans (Guiches) avouera après une visite avoir été impressionné par le cadre : les livres rares, les gravures du XVIII°, les estampes japonaises composaient un décor fastueux et  raffiné. Abordant l'allure du maître de maison il remarque : Goncourt lui-même, très droit, la tête couronnée de cheveux blancs, trônait à un bout du grenier, le cou entouré d'un foulard de soie blanche, tordant nerveusement entre ses doigts délicats, un vieux chapeau de feutre auquel il imprimait des formes étranges. Il souligne l'ennui qui se dégage de cette assemblée très formelle, narrant sa manière feutrée d'esquisser une fuite au milieu d'un nuage épais de la fumée des cigarettes. C'est pourtant dans ce climat de complot que se prépare la création de l'Académie Goncourt qui rassemble ses ultimes amis. Il y avait là : Alphonse Daudet,, Huysmans, Octave Mirbeau, les frères Rosny, Léon Hennique, Paul Margueritte et Gustave Geffroy. La vie de l'Académie Goncourt va peu à peu dominer la vie littéraire et créer une course au prix qui en fausse totalement la véritable valeur. 
 


 
 
posté le 17-09-2009 à 14:54:42

La hargne flamboyante de J.K.Huysmans.

La hargne flamboyante de J.K.Huysmans.Comment ne pas se réjouir devant cette hargne qu'exprime Huysmans devant la médiocrité de ses contemporains. Lors de l'exposition universelle de 1889 qui attire les foules à Paris, il va jusqu'à envier le sort de Verlaine, alors en traitement à l'hôpital Broussais : "Vous avez au moins une veine, en restant clos, celle de ne pas voir une ville conquise par les rastaquouères et les Anglais. C'est à vomir pour l'instant ; ce que les spermatozoïdes étrangers enfantent de boules affreuses, hilares et dodues, c'est incroyable ! Les supplices du Saint-Office avaient certainement du bon ! ", et encore : " Ici (à Paris), c'est pestilentiel et ignoble. Les rues foisonnent de provinciaux, traînant des femmes éperdues et des enfants qui pleurent. Tout cela nez en l'air, regardant les toits, lisant des noms de rues. Le besoin des égorgements se fait sentir. Mais enfin, qu'est ce qu'ils veulent, tous ces gens là ! Il y en avait, hier, au musée du Louvre ; ils sentaient le chien mouillé, souillaient les tableaux de leur haleine. L'un d'eux, chauve et obèse, expliquait les sujets des toiles à une abominable femme fagotée Dieu sait comme, et celle-là, roulait des yeux en gomme liquide et, les pattes sur le ventre, murmurait - C'est vieux ces tableaux, c'est vieux, vieux ! Des massacres."Une rage rejouissante
 


 
 
posté le 17-09-2009 à 11:15:35

Sapho, sage ou amoureuse ?

Pourquoi Sapho? 

Ne peut-on y voir simplement la figure de la sagesse, de la rêverie ?Celle qui a marqué l'Histoire était "maîtresse" d'école et on a pu comparer son comportement avec les jeunes filles à celui de Socrate cultivant, à l'ombre de la philosophie, de chastes amours, fussent-elles ardentes, avec des garçons. L'amour en mot (en poème), Sapho en a produit presqu'une dizaine de volumes et s'ils connaissent de son vivant une audience importante, l'emprise moraliste de l'Eglise va longtemps les maintenir dans l'ombre (et l'interdit). Ils sont d'une facture plutôt simple mais portés par l'ardeur amoureuse, ce qui leur donne ce caractère de "scandale". On sait peu de chose d'elle, et on va même jusqu'à contester la véracité de ses pseudo-portraits. Alors en l'imaginant telle, et si charmante, et si discrète, on peut y voir la volonté de lui donner l'allure rassurante, et paisible, de la sagesse. Une connaissance qu'on est prêt à partager, autant que l'amour qui y pousse.

 


 
 
posté le 17-09-2009 à 11:02:07

Alphonse Daudet sous l'emprise de Sapho.

Alphonse Daudet abordant là sa période "parisienne" se soumet aux règles du roman d'initiation, offrant l'exemple d'un jeune (et beau) provincial qui fréquente les hauts lieux de la bohème et tombe sous le charme (et l'emprise) d'une femme "légère" dont le plaisir est le métier. Il s'y épanouie sexuellement mais bientôt éprouve durement le poids d'une liaison qui va d'ailleurs le gâter physiquement (Daudet lui même souffrira douloureusement des suites de la syphilis qu'il contracte lors de sa jeunesse bohème).Le thème, le décor, sont conventionnels et seule l'écriture toute de fluidité du texte lui donne son réel attrait. Plus significatif est le choix du prénom de la femme faite de volupté et de contrainte sexuelle. On pensera à Jeanne Duval d'abord aimée par Baudelaire et qui fut son calvaire. Sapho incarne la sexualité bestiale, dominant les élans du corps où se perd celui qui s'y complaît. 
 


 
 
posté le 16-09-2009 à 14:51:57

Huysmans chez les sodomites.

Evoquant les établissements de bain (de la rue de l'Aracade) où il se rend volontiers, Proust le fait sans fausse honte avec une sorte de lucidité qui correspond assez mal avec l'hypocrisie d'Albertine qui camoufle son amour pour son chauffeur (Alfred Agostinelli). Huysmans, dans une identique fréquentation de lieux qu'il juge glauque, suffoque d'indignation, trahissant ce sentiment équivoque et partagé qu'il aura toujours avec la dimension du péché.Une lettre en souligne toute l'ambiguité."Le monde des sodomites, votre livre, votre lettre me font revivre d'effrayantes soirées que je passai dans ce monde là où j'étais conduit par un garçon de talent dont les joies déviées ne sont un mystère pour personne. J'y passai quelques jours puis l'on s'aperçut que j'étais un faux frère et je parvins, après avoir manqué d'être assommé, à m'en tirer....Un soir, dans un cabaret de la rue des Vertus, occupé par ce monde-là, et où des tapettes de soixante ans, fardées comme de vieux acteurs, opèrent derrière un rideau, je vis entrer un théâtrier connu. Il allait lever dans ce rendez-vous. Jamais je ne vis quelque chose de plus sinistre. La tête de cet homme, livide, d'une tristesse à faire pleurer, fouetté par son vice, comme poussé dans le dos et se dégoûtant, et se rebiffant évidemment, et y allant quand même, avec le collet de son paletot relevé ! Quand on a vu cela on peut vraiment remercier le ciel de ne pas vous avoir donné des goûts pareils".Etrange missive, d'autant que Huysmans, après avoir analysé les tares et les folies d'un décadent, va se replier sur un mysticisme étroit que l'on dirait inspiré par la peur, faisant penser à ces cocottes qui vivent la folie du grand monde et de la galanterie et finissent dans la dévotion et le regard porté sur la croix.
 


 
 
posté le 16-09-2009 à 10:45:09

Zola, les goûts d'un nouveau riche.

Zola "nouveau riche". Quand il s'installe à Médan  Zola dévoile tout le mauvais goût d'un nouveau riche. S'il déclare à Flaubert qu'il s'agit d'un "modeste asile champêtre", très rapidement, et au rythme des parutions de ses ouvrages qui lui rapportent beaucoup d'argent, Zola transforme sa demeure. "La maison avait pris les proportions et l'aspect typiquement hideux du domaine que tout bon bourgeois français rêvait alors de posséder et des tourelles massives avaient même été ajoutées à la construction primitive pour y abriter les monceaux de bric-à-brac et les douteuses antiquités que Zola achetait à Paris à de peu recommandables mercantis. Les fenêtres étaient garnies de vitraux et l'on avait édifié des écuries et des étables munies d'un balcon intérieur, du haut duquel Zola pouvait étudier les moeurs de son cheptel. Dans son cabinet de travail, le maître avait installé une immense table-bureau en chêne sculpté derrière laquelle se dressait une vaste cathèdre assortie ; une immense cheminée portait la devise Nulla dies sine linea, et les plantes vertes foisonnaient dans les cache pot. Dans cet intérieur tout exprimait la vanité et la vulgarité, mais les amis de Zola continuaient à trouver auprès de lui le même accueil, sincèrement amical et sans affectation."  Et c'est autour de l'écrivain, tâcheron génial d'une oeuvre qui avait la prétention d'englober toute une époque (et le destin humain) que se réunissaient les jeunes écrivains qui allaient signifier leur adhésion en composant "Les soirées de Médan".  Manière de souligner l'affection  qu'ils portaient à celui qui devenait chef de file d'un mouvement dont il sera bientôt le seul  artisan. Le Naturalisme trouvera rapidement ses limites. Mais dans les frontières d'un genre qu'il a magistralement exposé, Zola construira une oeuvre qui reste un formidable témoignage d'une époque. Comme sa maison. Chef d'oeuvre de mauvais goût, mais vaisseau d'une aventure exaltante.
 


 
 
posté le 15-09-2009 à 10:40:01

Georgette Leblanc regarde Maeterlinck.

C'est l'histoire classique de la fascination exercée par un meneur de mots (un écrivain ?) sur un esprit exalté. Et, cette fois, l'attrait exercé par le jeune Maurice Maeterlinck sur Georgette Leblanc, apprentie comédienne.Elle en fait la matière de ses "Souvenirs" d'ailleurs assez bien écrits et qui en disent long sur les rapports entretenus entre une jeune femme brillante (mondaine) et un "ours", un intellectuel assez mal dégrossi et qui ne la suit que timidement dans son cheminement de caprices et d'éclat, tout en mise en scène de ses sentiments quand, par nature, il est réservé, voire légèrement décalé par rapport au brillant des "salons" qui font les réputations. On est partagé entre le désir de la mieux connaître elle, qui ne manque ni de charme ni d'attrait intellectuel, et à travers elle, de trouver le coeur de l'écrivain qui est l'objet de sa dévotion. Naturellement la vie se charge d'altérer la qualité de ces rapports  aussi délicats que profonds. On suit Maetelinck dans l'intimité (en particulier dans les fastes  austères de Saint Wandrille où ils s'installent un moment).Georgette Leblanc y gagne l'estime du lecteur qui la découvre. Son charme devait être grand.
 


 
 
posté le 14-09-2009 à 16:12:27

Robert de Montesquiou chez le photographe.

A ses débuts la photographie se cherchait une esthétique qui devait encore beaucoup à la peinture dont elle passait d'ailleurs pour une redoutable rivale.On situait le sujet (le modèle) dans un décor qui était une fiction de nature. On transportait dans le studio du photographe quelques éléments propres à décliner une nature idéalisé (les bornes d'un jardin de philosophe !).Robert de Montesquiou n'échappe pas à la manie alors répandue de demander au photographe de le poser dans ce décor et cette fiction dont le caractère artificiel restait visible. Poseur par nature (voir son célèbre portrait par Boldini qui est une véritable caricature du personnage) Montesquiou joue le jeu, soulignant, malgré lui, l'esprit même qu'il conserve devant la nature. Nullement à son esprit, et en adhésion étroite avec elle, mais comme un visiteur qui irait prendre le thé. En mondain dont il était la figure emblématique.
 


 
 
posté le 14-09-2009 à 15:25:23

L'art de le lecture, un duo.

La manière d'aborder un livre peut largement jouer sur le souvenir qu'on en aura.Une lecture solitaire s'accommode des lieux, positions, circonstances les plus variés. Elle se déroule dans le rythme ordinaire de notre vie, ne fait que constituer une parenthèse dans nos tâches quotidiennes, et pourtant elle implique un comportement qui en dira long sur nous, sur notre mentalité et peut-être l'état moral dans lequel on est lors de cette cérémonie secrète avec l'univers des mots, de la pensée, des fictions, car chacun ira vers les mots avec ses appétits, ses ambitions, sa tournure d'esprit.Une lecture savante demandera peut-être une position en conformité, une certaine rigueur qui fait écho à la matière même du livre consulté. Mais ne dit-on pas, de certains livres, qu'ils se lisent "de la main gauche", car ils suscitent des excitations que chacun résout à a façon.  Des rapports du livre avec l'anatomie du lecteur il y aura toute une gamme dont la diversité en dit autant sur le contenu du livre que l'état d'esprit du lecteur.L'enfance entraîne presqu'automatiquement une lecture au lit, dans un climat douillet, rassurant ; celle de l'adolescence se diversifie avant de devenir le reflet d'une vie qui se coule au fil de cette plongée dans l'irréalité à laquelle elle invite.Ce "vice impuni la lecture" auquel fait allusion Valery Larbaud peut devenir une drogue qui suscite le décor le plus approprié à son déroulement.La chambre est  d'ordinaire le lieu de sa plus intime célébration. Et si, de solitaire, elle devient prétexte à un duo, elle s'ouvre tout naturellement aux jeux de l'amour et à l'érotisme. Il y aura long à dire, (à s'interroger) en s'attardant sur le sujet.
 


 
 
posté le 14-09-2009 à 12:13:12

Robert de Montesquiou chez lui.

Tout comme celui de Raymond Roussel l'intérieur de Robert de Montesquiou témoigne moins de sa personnalité que de sa classe et de son mode de vie. Il est conventionnel aussi bien dans le mobilier que l'usage censé en justifier la présence et jusqu'à l'agencement. Il est le décor d'une vie mondaine, strictement réglée et codée, et non celui d'une vie intime ou créative. Il fait plus étalage d'une puissance d'argent que de bon goût ce qui dans le cas de Montesquiou est pour le moins surprenant, celui-ci passant pour un "professeur de bon goût" et apportant à la création de ses demeures un soin tatillon et appuyé sur une réelle connaissance des arts décoratifs. Les duchesses lui demandaient conseil, il les accompagnait volontiers chez les antiquaires et sa réputation d'homme galant et compétent supplantait celle à laquelle il aspirait d'homme de lettres. Les frères Goncourt, ces chipoteurs de chapelle et ces concierges du Paris qui frétille, ont laissé des descriptions pointilleuses des demeures de l'auteur des "Hortensias bleus".Il ne faut jamais oublier qu'il fut non seulement le modèle du Charlus de Proust (pour la part sexuelle) mais aussi celui du des Esseintes de Huysmans où la raffinement du cadre choisi par le héros en dit long sur son mental.
 


 
 
posté le 14-09-2009 à 11:02:34

Le complexe de Pompéi selon Pannini.

Comme Hubert Robert en France, Pannini s'est délecté des ruines qu'il trouve en abondance dans la Rome qu'il sillonne en tous sens, offrant un véritable inventaire des monuments. Mais contrairement à Piranèse il n'en fait pas le décor de saynètes pittoresques et l'affronte dans un souci archéologique qui lui attire les faveurs de ces esprits cultivés (dont ceux qui font "le grand tour") qui aiment constituer des cabinets de curiosité où les objets naturels (voire scientifiques) côtoient les peintures qui, elles-mêmes, sont des images d'architecture. Poussant à son comble le procédé, il va jusqu'à imaginer un cabinet d'amateur entièrement dévolu à des vues d'antiquités. Il rejoint l'esprit d'encyclopédie qui fait ses débuts et va totalement modifier le comportement des intellectuels de l'époque.Cette orgie archéologique a de quoi réjouir l'esprit. Curieusement, elle comble une inquiétude mal définie qui conduit les sociétés sur leur déclin à se délecter de l'état de ruine qui signifie la chute des précédentes. une complaisance vis à vis d'un état de désastre qui devient une drogue.On aura connu dans les années 70, en Europe, un mouvement lui aussi fortement marqué par ce goût de la ruine, et une référence parfois frénétique, à la mémoire, comme ferment de connaissance. Comme si le souvenir des désastres de la dernière guerre alimentait moins un esprit de revanche qu'une masochiste délectation. Ce sera le " Complexe de Pompéï."De Wolf Vostell à Chrisitan Bolantski, des Poirier à Olivier Brice, d'Arman à  Adzak, de W.Gafgen à Yvon Theimer,  ce sera à celui qui offrira la plus spectaculaire suggestion de ce désastre latent. On y célèbre moins les fastes de la mort que ceux de la destruction (d'où la reprise des antiques, de la ville en ruine) et n'est-ce pas  A Speer, l'architecte d'Hitler qui avait construit le Berlin de son maître (inachevé) en se souciant de l'aspect qu'il pourrait avoir en ruine. Comme si cette perspective était fatalement contenue dans le projet, fut-il comme ici mégalomane et ostentatoire. D'ailleurs la ruine, ne serait-ce celle d'un bâtiment modeste lui donne une espèce de grandeur qu'il n'avait pas dans sa conception primitive.Le destin collectif de l'homme serait-il de trouver sa grandeur au delà de sa disparition ?
 


 
 
posté le 11-09-2009 à 15:10:02

Les autoportraits de Santos Silva.

Parce qu'ils ont l'air ancien ils inspirent une espèce de respect. Ils posent une distance entre eux et le spectateur d'abord subjugué par tant d'ampleur. Celle du temps lointain supposé de leur naissance et cette sorte de panache qui n'est ni la verve flamande, ni l'opulence  espagnole, mais tient des deux, dans la tradition d'une mise en spectacle.Ils sont les visages qui se donnent en spectacle. C'est alors qu'on apprend leur création récente. Certains sont encore frais. Et l'auteur, on s'en aperçoit alors, leur ressemble. Curieux retour des choses. C'est le peintre qui ressemble à son oeuvre plutôt que le contraire. On aura, toutefois avancé d'un cran quand on aura compris que ces portraits qui se ressemblent sont plutôt des masques que le peintre a posé sur son visage.La véritable ressemblance du peintre avec ses autoportraits est cachée. Dans les masques qui, eux seuls, ont droit d'exister. De parader.Certains, en si grande évidence, qu'ils ont ce blanc un peu froid des masques de théâtre japonais et qu'on porte devant son visage, en le tenant à la main par une simple baguette. Seule, cette baguette manque, le masque est posé devant le visage. Il le gonfle un peu, ou l'affine jusqu'à l'inquiétante minceur des figures cadavériques. Figées dans l'immobilité de l'éternité  qui nous regarde encore. Car tous nous regardent. Nous interrogent. Ils nous dérangent.On aime qu'un portrait résume celui qu'il représente et étale tout le bien qu'il pense de lui. C'est l'identité sociale voulue : celle pour laquelle le modèle a vécu, vaincu des obstacles. S'est forgé un masque pour s'inscrire dans la mémoire de ses descendants. Quelques peintres ont perturbé le système, ont manqué aux usages, faisant de la peinture, au lieu d'en faire un portrait social. Et ils ont imaginé ceux qu'ils regardaient bien au delà souvent de ce qu'ils peuvent offrir. A moins que, les déshabillant jusqu'à l'indécence, le peintre n'ait définitivement fâché le modèle avec son image. C'est le gain de la peinture sur les usages, plus outrageant que brillant.Lisa Santos Silva a peut-être regardé  de ce côté là, vers un Goya plus cruel que malin, plus sincère qu'habile, plus outrageant que brillant.Mais nul parrainage, si évident soit-il, n'est un frein pour qui sait aller où doit le mener l'art qu'il pratique. Car s'il revient si obstinément sur un sujet, ou si exclusivement, c'est qu'il doit bien y avoir une raison essentielle, vitale.Répéter n'est pas limiter, c'est approfondir. C'est aussi conjurer.Extrait d'une préface pour l'exposition à la galerie Isy Brachot (Bruxelles) en février 1986.
 


 
 
posté le 11-09-2009 à 10:54:44

La sensualité du Greco.

Voir la peinture non plus avec l'oeil du connaisseur mais l'innocence et la fraîcheur de celui qui la découvre et n'a pas nécessairement toutes les clefs (dont une connaissance de l'auteur) pour moduler son jugement. D'ailleurs il s'agit moins de jugement que d'approche sensible de l'image et d'une découverte de son contenu qui fait moins appel à nos références qu'à notre instinct qui découvrira une signification sans doute plus originale, inattendue de la scène représentée.Le Greco est bien le peintre qui se prête le mieux à cet exercice tant son style échappe à tout critère d'école et s'impose dans son originalité qui peut parfois être dérangeante. Quoi ! tout ce tumulte et ces corps en extase. Où situer le ressort de ces torsions, élongations qui leur donnent une étrange sensualité. On ne peut parler de plaisir, se risquera-t-on à évoquer la souffrance. Des serpents entrent en scène. On nous a déjà fait le coup pour expliquer la chute du Paradis. C'est "l'oiseau de mauvais augure", celui par qui le malheur arrive. Alors pourquoi ces corps au tremblement si doux, On est hors de la ville, (chassée d'elle ?) dans une zone peu définie où la nature gagne sur l'effort humain, alors qu'en toile de fond elle se présente avec toute la majesté de son essor et le rythme ardent de ses clochers, tours et autre signes de sa structure sociale et religieuse.On en revient aux corps. Seuls ils comptent et s'étalent dans un déploiement qui peut être aussi celui de quelque rite secret (une orgie). On le voit l'oeuvre propose surtout des questions.
 


 
 
posté le 10-09-2009 à 11:55:06

Alfred Jarry à Essonnes.

La poussée des "gens d'esprit" vers la campagne s'accélère à la fin du XIX° siècle avec l'expansion du chemin de fer. A quoi s'ajoute la modicité des prix dans les établissements liés au tourisme qui en est encore à ses balbutiements. On peut dresser toute une cartographie des lieux choisis par peintres, écrivains, journalistes, éditeurs qui se retrouvent au vert, et en chemise, pour jouir en toute impunité, des plaisirs de la nature.Aux bords de la Seine, ce sera la ruée des impressionnistes, plutôt en son aval (Bougival), alors que les écrivains iront plutôt à l'amont (Mallarmé à Valvins, les Nathason, la colonie de Bouron Marlotte, l'équipe de Barbizon, Daudet à Champrosay)). Corbeil, déjà ville, n'est pas négligée et Jarry en fut l'un des familiers. Faisant équipe avec Valette son éditeur et Rachilde sa confidente, il loue une maison (elle existe encore), se fait construire un "tripode" (c'est lui qui le dit) et fait du vélo, tant sur les bords de la Seine que dans les rues d'Essonnes lieu de villégiature privilégié. Il a du rencontrer ce type de personnages qui alimentent sa verve et qu'il transforme par un excès de l'imaginaire dans le superlatif des aventures qu'il imagine, des situations qu'il invente, d'un monde qu'il confectionne avec une sorte de lucidité rageuse, comme s'il avait franchi le miroir et retrouvait "l'autre", le vrai Jarry.
 


 
 
posté le 09-09-2009 à 15:11:21

Poliphile une affaire d'arbre.

Dire l'importance de l'arbre dans notre vie ! Outre ses connaissance médicales qu'il mettait au service de son métier de médecin de campagne, mon père avait une vive curiosité pour la mythologie et la botanique. On parlait à la table familiale des dieux de l'antiquité comme s'il s'agissait de voisins. On avait ainsi Jupiter, Venus et Diane à portée de nos couverts. J'imagine parfois Gaston Chaissac à la table de l'Olympe. Lui, cette commère de village, inspiré, aurait fait des merveilles. La botanique donc entrait aussi dans nos petites manies. On m'avait offert, pour m'initier un ouvrage qui s'intitulait, joliment : "Comment s'appelle donc cet arbre ?"Je n'en n'ai pas tiré tout le profit qu'on pouvait en attendre, mais les leçons de la mythologie sont restées. Et puis, maintenant, je pense aux énoncés inspirés de Remy de Gourmont :Chêne, fleuve de gloire épanoui vers les dieux morts, barbare aux pieds formidables, pierre de lumière et de sang....ou encoreFrêne aux reins nus, songe impur sorti des ronces...Bouleau, frisson de la baigneuse dans l'océan des herbes folles.Et ainsi toute la forêt y passe. C'est une manière bien originale d'en goûter tous les charmes. Et Poliphile n'est pas loin.Poliphile à la recherche de Polia (et la quête de l'amour) a pour cadre un jardin merveilleux mais plein de pièges. C'est un jardin symbolique, et codé selon les références donnés au texte par l'auteur, ce mystérieux Francesco Colonna, abbé ou puissant seigneur s'adonnant aux lettres comme il était d'usage dans cette renaissance italienne qui fut celle de toutes les cultures. L'image même de l'arbre a son importance et il ne saurait être sa seule réalité. La mythologie greco-latine, dont nous sommes les héritiers, voulait que chaque arbre soit un humain ainsi statufié au terme d'histoires variées qui peuvent aller de l'affront fait aux dieux (alors c'est une punition) jusqu'à une protection contre les dangers de la vie, alors c'est une métamorphose qui peut s'inverser.Désormais devant chaque arbre rencontré ou sous la protection duquel nous nous plaçons, disons nous qu' ll y a  peut-être une personne. Il ne faut pas l'oublier.Dormir sous un arbre c'est peut-être dormir sous la protection d'un dieu qui irrita Jupiter et qui le transforma par punition. D'où, alors, le danger pris de se placer sous ses branches lors d'un orage.La lecture sous l'arbre qui est une sorte de messe des mots partagés, c'est peut-être la rencontre avec quelques déesses bienveillantes. Ainsi avec cette idée de l'arbre faisons nous de la forêt le plus passionnant cortège descendu de l'Olympe, venu des vallées caillouteuses d'une Grèce de légende. Mais on peut récréer la légende au coeur de nos forêts familières. Ne jamais y errer sans y penser. Il n'y a pas que du gibier dans les fourrés, On y rencontre aussi nos semblables. Divinisés.
 


 
 
posté le 09-09-2009 à 12:42:43

Jacques Doucet, le mécène du surréalisme.

L'auteur fut conservateur de la Biblliothèque Jacques Doucet. Ceux qui la fréquentaient n'oublieront pas ses conversations interminables au téléphone , à haute voix, perturbant notre attention d'autant qu'il y a dans le personnage une part de comédien loufoque. Une plume à la main, il témoigne d'un sérieux et d'une exigence exceptionnelles. Son étude consacrée à Jacques Doucet (ou l'art du mécénat) est une formidable incursion dans ses rapports parfois ambigus avec le monde de l'art. Un homme droit, pointilleux, qui fait sa culture sur le terrain et a besoin de s'entourer d'esprits compétents. Son immense fortune lui permet de jouer les mécènes et il aura une part importante dans l'essor de cette modernité incarnée par les poètes qui feront le noyau du surréalisme après avoir (avec la collaboration d'André Suarès), constitué une base à sa bibliothèque qui fait la part belle aux courants poétiques de la fin du XIX° siècle. Pense-t-on aux revues qui scandent la vie poétique du XX° siècle s'éveillant aux idées neuves (Nord Sud de Pierre Reverdy, les revues de Picabia, Littérature de Breton et Aragon) il y a la main généreuse de Jacques Doucet derrière. Sans lui bien des projets n'auraient jamais vus le jour. André Breton sera l'un des pilotes de cet homme à la fois touchant et irritant par une certaine prudence "bourgeoise" que bouscule par ailleurs une soif de nouveauté. N'est-ce pas lui qui est à l'origine de la présence au Louvre de "La Charmeuse de serpent" du douanier Rousseau et ne fut-il pas la possesseur heureux de cette toile charnière : "Les demoiselles d'Avignon" de Picasso.Inattendue, la lumière que porte l'auteur sur les querelles intestines qui sous-tendent l'émergence de cette génération. Et les portraits ne sont pas toujours flatteurs (Max Jacob n'en sort pas grandi). Ce sont les "petites misères" qu'engendre la pauvreté dont presque tous sont affectés.La vie privée de Doucet reste discrète tant on a le sentiment qu'elle se confond progressivement avec la collection qu'il constitue où peinture et poésie trouvent leur jonction essentielle. Ce qui caractérise l'époque et le flamboiement créatif qui  marque les Années folles.
 


 
 
posté le 08-09-2009 à 12:48:00

Quand l'artiste devient vedette.

Ou bien personne ne vous connaît, on ne s'intéresse pas à vous et à plus forte raison à ce que vous faites. Un créateur sans public, enfermé dans son univers peut l'enrichir, le sublimer ou aussi s'y perdre, se pendre à l'arbre qu'il a planté. Ou bien on s'attache à ce que vous faites, et cela peut aller jusqu'au culte fétichiste. Un Dali ne pouvait créer que selon un cérémonial alliant la provocation, à la mise en scène ; un Picasso ne pouvait griffonner la moindre ébauche de dessin que, déjà, on se l'arrachait et criait au génie. Quelle angoisse, pour celui qui est honnête avec lui-même, cette attention si grande que vous devez alors hésiter à vous manifester. Il y a enfin le créateur qui fait, de l'effet de sa création, d'une mise en valeur de sa propre vie, une manière d'art et il est condamné à vivre selon l'image que l'on a  de lui, soit par un système de promotion, soit par la mode qui est la pire drogue,  du type Warhol. Dans les années 50 autour du concept de l'art lyrique on accordait à l'acte de peindre une importance qu'il n'avait jusqu'alors pas trouvé, restant secret, et dans l'intimité de l'atelier. On fait de l'acte de peindre un spectacle. Mathieu l'a porté au sommet de sa turbulence et de son panache. L'oeuvre n'existe que comme témoin d'un "moment". On met un pas dans ce qui va se développer ensuite, la substitution du geste (du choix) à l'oeuvre elle-même. Le tout relevant du spectacle. 
 


 
 
posté le 08-09-2009 à 12:06:26

La poésie gestuelle de Pierre Albert Birot.

Du poème au cri il n'y a qu'un pas, Artaud nous l'a montré, Henri Chopin en a fait une oeuvre. Du cri au rythme, Raoul Hausmann a montré le chemin qui passe aussi par une peinture de protestation, de colère. Pierre Albert Birot avait, bien avant (au début du XX° siècle), abordé largement cet éclatement du langage qui sous tend aussi les gestes, mettant la poésie au niveau du théâtre, en sa féconde démonstration de la vie avec ses loufoqueries, ses ardeurs et ses emphases.Mais il était un poète armé d'humour autant que de sagesse. Faisant passer par les mots "des gouttes de poésie" et dans la gestuelle qui accompagne la lecture du poème, soulignant, propulsant la force imprimée dans les mots. Ce n'est pas pour rien qu'il a été le promoteur des Mamelles de Tirésias de son ami  Apollinaire. On était là en bonne compagnie et complicité.
 


 
 
posté le 07-09-2009 à 15:06:04

Un portrait robot de Sade.

Portrait robot de Donatien de Sade.En projection :  une fiction mettant en scène Donatien de Sade  dont l'oeuvre sulfureuse cache la réalité d'un personnage mis en condition en raison de sa détention. Il y a été amené par un fait divers dont la punition était disproportionnée et curieusement c'est dans l'enfermement qui en a été l'issue qu'il a conçu une oeuvre qui développe avec infiniment plus d'audace, de cruauté, de folie (?) ce qui n'avait été qu'une stupide partie fine d'un aristocrate se croyant tout permis.Le lieu de ce bruissement imaginaire c'est la Bastille. Man Ray a imaginé un portrait de Sade fait des blocs mêmes de la célèbre prison qui, d'ailleurs, aura été, par la Révolution, "mise en morceau", et il n'en reste plus que des traces sur le sol. C'est dans la perspective de ma théorie des traces (il y a déjà un récit de l'aventure de Jeanne de la Motte Valois, au coeur de "l'Affaire du collier de la Reine") que j'envisage un parcours Sade, rendant l'homme dans sa réalité et ses fantasmes mais avec une projection sur le présent. Les lieux revisités (la Bastille, Vincennes, Charenton, Lacoste) y aideront  Portrait robot parce que, tel un robot, il ne sera ni de chair, ni de souffle, mais une machine.
 


 
 
posté le 07-09-2009 à 12:26:32

Un portait de Crevel oublié.

A l'époque où je rassemblais les textes et documents qui devaient constituer un hommage à René Crevel, j'avais ignoré l'existence du paisible et séduisant portait qu'avait fait de lui Christian Bérard et j'aurais dû mieux fouiller dans les archives. Il avait donné un dessin pour un de ses livres et la confection d'un portrait était dans la logique de l'estime dans laquelle ils devaient se tenir réciproquement.Il est là, tout entier, tel que me le décrivait Valentine Hugo qui, elle aussi, a retenu les traits juvéniles de Crevel dans un beau portrait collectif.Bérard manquera donc à un ensemble que j'introduisais par un texte dont je regrette aujourd'hui le ton un peu superficiel. Les surréalistes (dans la revue Bief) ne manquèrent pas de le moquer. Et ils avaient raison. C'était une vision qui occultait totalement la part tragique d'une oeuvre toute imprégnée de désespoir et d'une froide lucidité qui devait le conduire ( en toute logique) vers le suicide, alors que j'en faisais un éternel adolescent grappillant l'amour entre nostalgie (à la Fitzgerald) et provocation. Nettement plus incisif que l'image fade que j'en donnais. Ce serait à refaire, j'userais de mon expérience acquise depuis.
 


 
 
posté le 07-09-2009 à 11:58:50

Lire un jardin.

Lire un jardin.Comme on se glisse dans un livre, comme on emprunte  les sentiers qu'un auteur a creusé dans la masse des mots, on découvre un jardin en y cheminant pour en goûter tous les détails accumulés. Le charme né de la surprise (d'où la séduction du jardin anglais contre le jardin à la française qui s'offre d'emblée). Il peut être modeste en son étendue, et dans son dessin respecter les données de la nature. Il ne fera que mettre en valeur l'imaginaire de la nature, y creuser, avec discrétion, le cheminement qui sera son apport dans la donnée du paysage proposé, comme on se prend à rêver sur une phrase au cours de la lecture d'un texte. Là encore on trouve une similitude d'approche entre le jardin et la littérature.    Un jardin a plus de charme s'il est touffus, si la végétation y a trouvé la juste mesure de son expansion, son souffle végétal.Je me prends à imaginer une lecture des jardins comme Gaston Bachelard entreprenait la lecture d'un texte. En y distinguant les forces concurrentes des éléments qui le composent, s'arrêtant, comme à une étape, sur des objets ajoutés (banc, statue, fontaine, rocher, élément de ruines), car le jardin est aussi un espace ouvert à toutes nos fantaisies et caprices, d'où l'usage qu'on en fait dans l'aventure amoureuse (Watteau l'avait bien compris). Un jardin public s'efforce d'offrir toutes ces données, même s'il est contraint d'en résumer l'effet, d'en codifier la répétition, une reprise méthodique d'un manuel du parfait jardin pour le délassement du corps et l'exaltation du coeur.
 


 
 
posté le 07-09-2009 à 10:41:55

Le mythe de l'enfermement.

Comment interpréter le fait qu'un monastère (le mont Athos) présente les mêmes traits spécifiques dans son architecture que le château imaginé par Sade pour ses "Cent vingt journées de Sodome". Lieu de prière ici, d'arrachement des contraintes du corps par l'élévation de l'esprit, et là, théâtre de la fange de toutes les perversions, creuset d'une exploration suicidaire du corps, pour en atteindre (et sans doute défier) les limites. Une prise de distance avec le monde du réel (la foule, la vie active, pratique, les rapports sociaux), un repli hautain.C'est la confection d'un théâtre rigoureusement codé, que ce soit pour la prière ou la débauche. On regarde vers le ciel : pour l'atteindre, pour le défier.L'imaginaire peut se développer sans contrainte ni règles dans cet enfermement qui condamne celui qui s'y  abandonne à en explorer tous les délires, s'ouvrant à tous les horizons dont la discipline de la vie pratique nous éloigne.Quels cris camouflent ces formidables murailles (ne sont-ce pas aussi celles d'une prison ? ). Car la prière est un cri de l'âme quand le cri du corps donne la mesure de sa souffrance ou de sa jouissance.
 


 
 
posté le 06-09-2009 à 22:39:51

Décor de tragédie.

Pour être belle une ruine doit conserver (sinon gagner) cette dimension spectaculaire qui l'arrache aux lois du pratique pour lui donner une force suggestive propre à fouetter l'imaginaire et servir au besoin de cadre à une théâtrologie dont elle devient l'un des éléments clefs, voire déterminent pour la signification du spectacle qui y est donné. La succession d'une porte et d'un escalier compose le cadre idéal pour toute action théâtrale qui s'appuie sur des entrées et des sorties spectaculaires. Le ton est donné, c'est celui de la tragédie.
 


 
 
posté le 06-09-2009 à 16:25:13

Brassaï au café.

Pensons à la terrible figure centrale de l'Absinthe de Degas. La solitude, le théâtre du café, lieu de toutes les détresses. Exsangue, fermée sur elle-même, se pénétrant de sa souffrance, elle prend ses distances avec le regard qui s'accroche à elle, alors que Bijou, vue par Brassai, dans un décor assez semblable, (banquette et table), prend possession de l'espace avec un mélange de dédain et une coquetterie de "folle de Chaillot". Une débauche de falbalas, un air supérieur et de domination. Elle se donne en spectacle dans ce qu'elle a imaginé de mieux adapté à sa "beauté" (dans son credo), même si elle est ravagée par l'âge et la vulgarité qu'elle exprime et dont elle s'entoure. Brassai retrouve ici toute la force de synthèse qui conduit la peinture vers ses meilleurs effets. C'est quand la photographie n'est pas le simple rendu du réel, mais une recréation signifiante qu'elle atteint sa plénitude.
 


 
 
posté le 04-09-2009 à 16:11:28

Nadja dévoilée.

Fallait-il nous la faire connaître pour ce qu'elle fut réellement quand Breton en aura fait une figure de la mythologie surréaliste, et, sans doute, une sorte de Joconde de l'amour fou. Lui donner une identité, reconnue par l'administration, n'est-ce pas la faire descendre des rêves qu'elle engendre. La folie la gomme à l'exigence de la vie réelle qu'elle n'assumait pas, au passage on égratigne André Breton qui, l'espace délirant (au sens premier du terme) qu'elle lui offre fermé, l'abandonne à son triste sort. Lâcheté, inconscience, il néglige le modèle pour s'en tenir à l'image qu'il en donne. On sait combien le surréalisme a imposé une image de la femme porteuse de tous les rêves, de tous les fantasmes masculins. On a pu lui reprocher cette attitude machiste. Pourtant il est nourri d'un appétit d'amour qui donne vie aux femmes muses (Nusch, Gala, Nora Mitrani,Youki Desnos, Jacqueline,..)
 


 
 
posté le 04-09-2009 à 14:40:06

Apollinaire dans la tranchée.

Sensible plus que tout autre à l'entreprise d'Apollinaire, l'ayant tenté également dans le cadre de la guerre d'Algerie. Ce sera : "Les Sables solaires" (une réunion de poèmes de Marc Alyn, Jean l'Anselme, Charles Autrand, Raymond Biaussat André Blavier, Pierre Boujut, Robert Delahaye, Bernard Delvaille, J.J.Kim, Jean Laurent, Gabriel Paris, Rancillac, Jean Rousselot, Roger Toulouse, J.Weus avec un hors texte de Jacqueline Pavlowsky). Ronéoté, il est "très souvent cité par les histoires de la jeune Poésie (voir Robert Sabatier, Serge Brindeau...) et considéré comme l'une des rares manifestations poétiques sur le terrain, pendant la guerre d'Algérie".Case d'Armons annonce l'Apollinaire qui va largement développer (dans l'intensité de sa production poétique dans les quelques années qui lui restent à vivre) l'expérience de la guerre qu'il vivra dans d'atroces conditions matérielles et des amours désolantes.
 


 
 
posté le 04-09-2009 à 14:32:41

André Breton en figure de maître.

Instauré "maître" du surréalisme par une sorte d'accord tacite de ceux qui constituaient le groupe, une propension naturelle à diriger, dominer, André Breton s'est rapidement confondu avec l'action  surréaliste, et comme un chef d'orchestre, il donne le ton. Autour de lui s'agglutinent de jeunes peintres et poètes qui se reconnaissent des affinités avec l'esprit général, la discipline même que supposait le ralliement  à un groupe actif, remuant, qui entendait instaurer un nouvel art de vivre, des motivations élevées (parfois si radicales qu'elles devenaient incompatibles avec la réalité sociale), une avancée poétique ou picturale dont ils se sentaient porteurs et portés vers de nouveaux horizons. Il fallait, périodiquement , des expositions, des revues, des manifestes, des documents de toutes sortes pour faire le point, épurer l'actualité qui se targuait facilement d'être surréaliste, en somme faire le compte de ceux qui pouvaient légitimement en revendiquer l'appartenance. L'exposition  de 1937 assortie d'un catalogue-"dictionnaire", marque une étape solide et constructive. On trie, classe, étiquette les divers éléments qui entrent dans ce fabuleux "laboratoire" de la pensée moderne.