Cybel: et on dit : une héroïne, en faisant la liaison ...
Cybel: on dit : un héros, en détachant bien l'article ...
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posté le 30-04-2009 à 14:16:57
Vanessa Bell, une femme libre.
D'être la soeur de Virginia Woolf la classe dans cette coterie distinguée et subtile qui entoure l'auteur d'Orlando. Le groupe de Bloomsbury est bien un foyer d'agitation sexuelle quand les oeuvres qui en surgissent et le distinguent ne sont pas autrement choquantes et, contrairement au mouvement dada qui est l'explosion de la littérature, il souligne une production littéraire et picturale de caractère bourgeois. Même Virginia Woolf qui en est la figure la plus éclatante. Son oeuvre est bien le produit d'une classe qui s'interroge avec passion et un brin de narcissisme sur elle-même. Sinon que Virginia Woolf porte aux confins de ce que les mots peuvent dirent, cette introspection parfois douloureuse, toujours pudique (?) , quand les moeurs dont se prévalent ses amis sont autrement audacieuses et à l'époque scandaleuses. Vanesse, la première, et alors que sa peinture reste conventionnelle et dans la droite ligne de ce que l'école et la fréquentation des peintres de son époque lui donne en exemple, manifeste dans sa vie privée une liberté de ton un va-et-vient sexuel que sa peinture ne traduit pas. Elle met son audace dans sa vie et non dans son oeuvre. Son mariage avec Cliff Bell, ses liaisons masculines et féminines, l'influence de Duncan Grant (avec lequel elle est finalement liée) en font une figure romanesque et surtout celle d'une femme libre et qui affiche sa liberté avec une franchise exemplaire.
C'est tout un art, c'est une mission sociale, c'est aussi le trou de serrure à travers lequel le voyeur se satisfait des turpitudes que sous prétexte de dénoncer on avance sur la scène. La journalisme (surtout au XIX° siècle) aura été abondant, virulent, savoureux en la matière. Jean Lorrain y fait ses gammes, y fait scandale, s'y fait une réputation. Même son oeuvre littéraire en est tout imprégnée. Elle s'alimente en eaux troubles. Paris-Babylone, le terme plaît et fait fureur. Pourquoi la vie sexuelle des gens célèbres retient-elle avec avidité l'attention du public. Parce qu'il s'y projette ? La turpitude par personne interposée en somme.
Comme bien des artistes de sa génération Gianni Bertini a illustré les livres de ses amis poètes. Il y a apporté une imagination prodigieuse, se posant comme précurseur du mouvement "pop" français et dans l'esprit de la Figuration narrative dont il est l'un des piliers. Avec la "Stèle pour Adam de la Halle" (traité en sérigraphie) il introduit la bande dessinée dans le poème, joue d'une typographie totalement réinventée et conserve toute la force de son graphisme énergique propre à sa peinture, qui brasse des images, les met en situation, dans une sorte de théâtre typographique d'une constante invention.Le livre de peintre (puisque tel il faut le nommer) suit de près les courants de la peinture contemporaine, faisant écho tout à la fois à la poésie qui s'alimente des forces de la peinture tout en l'exaltant, et apporte de nouvelles et fortes solutions à l'occupation de l'espace pictural, même réduit aux dimensions du livre. Elle y trouve le terrain d'une expérience, d'une mise à l'épreuve de ses recherches, de ses avancées. Bertini s'est imposé comme un pilote dans ce courant. "Stèle pour Adam de la Halle" a été imprimé à Anduze, sur les bords du Gardon, dans une maison louée à cet effet par le mécène Parizel qui est à l'origine de l'ouvrage.
Le livre de Christine Duhon repose sur un pari risqué : restituer une année amoureuse de la vie de Virginia Woolf en s'appuyant sur le Journal et la correspondance de cette dernière avec Vita Sakville-West, une extravagante fille de grande famille, épouse d'un homosexuel, avec lequel elle aura une liaison orageuse qui lui inspirera "Orlando", un de ses plus étranges romans. En se glissant dans la peau de Virginia, Christine Duhon restitue la psychologie complexe (et complexée) de l'écrivain qui assume mal sa passion et sa situation d'infériorité sociale face à une femme qui affiche son homosexualité féminine, multipliant les liaisons (en particulier avec la non moins excentrique Violet Trefusis). Une liaison où la chair n'est pas seule en jeu mais l'extrême sensibilité de l'écrivain qui analyse avec obstination (et un curieux masochisme) le déséquilibre qui s'instaure, ne serait-ce qu'au stade de la fortune. Virginia Woolf en est pathétique, mesurant sa "pauvreté" devant une femme qui s'inscrit dans les sphères de la "haute société" de son temps. On pénètre mieux dans son intimité, ses affres de créatrice, ses rapports difficiles avec l'écriture.
C'est l'affrontement de deux dames de feu. Vita flamboyante parce que forte de ses origines aristocratiques, de sa souplesse sociale de grande mondaine, Virginia empêtrée dans ses problèmes d'écriture, pauvre et un rien sauvage.Virginia Woolf est tour à tour irritée et éblouie par Vita Sackville West, romancière amateur mais rencontrant un grand succès et Vita fascinée par une femme qui décortique avec une subtilité rare et inquiétante les rapports entre les êtres, et le sens du quotidien.L'amour est au coeur de leurs relations. Fougueux, à la fois charnel et distancié par la délicatesse de l'une, l'emphase de l'autre. Il en sortira Orlando, le plus curieux des romans de Virginia Woolf qui s'appuie sur le personnage de Vita, ambiguë, folâtrant au milieu d'une cour raffinée et parfois futile. Traçant avec dynamisme et une subtile analyse des coeurs Christine Duhon une année de cette relation tumultueuse donne un portrait double et captivant de deux femmes d'exception.Tout cela dans une atmosphère feutrée entre l'heure du thé et ses confidences sexuelles, et le monde qui s'ouvre à la violence des rencontres amoureuses, des dérapages sensuels, où l'une est en son monde, l'autre s'y épuise.
Comme Tristan Tzara, Paul Eluard a été largement (et, magnifiquement) illustré par les peintres surréalistes les plus inventifs. Max Ernst est l'un d'eux. Du collage qu'il pratiquera avec efficacité, au dessin en passant par le frottage, l'imagerie de Max Ernst s'invente des combinaisons, des émergences, des incursions qui sont toujours surprenantes, source d'émerveillement, d'interrogation, de stupeur. Non que la poésie d' Eluard soit de ce registre, elle est plutôt proche des mots dont elle fait usage et n 'en transgresse pas trop le sens premier. C'est plutôt dans le rythme, la couleur qu'elle suggère que la poésie d' Eluard sort de l'ordinaire, des conventions. S'il fit un passage furtif dans l'action de "dada" Eluard trouve rapidement son registre, ses thèmes et son style. La rencontre avec Max Ernst est plutôt celle de l'amitié. Elle s'appuie sur des connivences, des références communes. "Répétitions" intrigue, le mot (au pluriel) ouvre une porte immense sur cette complicité fraternelle où mots et images s'imbriquent, se répondent, font écho l'un à l'autre.
La grâce du corps était l'arme suprême, celle qui permettait de se glisser dans le milieu turbulent des artistes qui célébraient ces jeunes femmes objet de désir et source d'inspiration. Femme et muse, elle n'avait d'autre rôle à jouer que celui d'être belle. Youki le fut. Foujita capta d'un crayon acéré sa sensualité tranquille, son impudeur qu'aucune fausse morale n'aurait pu censurer. Avant d'être la compagne du poète Robert Desnos, à qui elle inspira ses plus beaux poèmes, Youki vivra les heures chaudes de Montparnasse avec Foujita, chef d'orchestre de fêtes qui sont passées dans la légende. Youki en fut l'une des reines, l'une des actrices, son rôle étant toujours extérieur, de surface, et propre à engendrer l'onde calme du désir.
Lytton Strachey est au coeur d'un imbroglio sentimental et sexuel qui caractérise l'esprit du groupe de Bloomsbury (dominé par la figure majeure de Virginia Woolf).Les faits : Lytton Strachey fait la connaissance de Léonard Woolf à l'université, puis de Dora Carrington chez lady Ottoline Morrell (qui traverse son époque comme mécène, fédérant les talents de D.H.Lawrence à David Garnett). Celle-ci, mariée à Ralph Partridge qui travaille à la Hogarth Press (la maison d'édition de Léonard et Virginia Woolf) tombe amoureuse de Lytton Strachey, homosexuel, et plus attiré par Partridge. D'un commun accord ils vivent tous les trois dans une maison qu'ils achètent à cet effet.Lytton Strachey s'impose comme une des figures majeures du groupe de Bloomsbury. Il est critique d'art et biographe, donnant à son écriture toute la modernité de ton qui en fait un élément déterminent dans la littérature de son temps.Les membres du groupe de Bloomsbury sont très liés (et souvent par des alliances sexuelles ou matrimoniales : Vanessa, la soeur de Virginia Woolf, est la femme de Clive Bill). Leur point commun : "s'insurger contre l'esprit de la période victorienne, l'extrême rigidité des moeurs et des conventions religieuses et artistiques."Lytton Strachey est un personnage complexe et attachant, subtil, déroutant et significatif de cet éveil à la modernité qui va secouer l'Angleterre à la charnière des XIX° et XX° siècles.Le film de Christofer Hampton "Carrington" s'appuie sur cette histoire.
Le voilà à la croisée des chemins, poète, philosophe, et boudé ici et là par ceux qui ont charge de classer, codifier, décoder le monde des idées et de la création.Son oeuvre (mis à part quelques textes publiés à la va-vite) sont posthumes. Avec le "Mont Analogue" il s'est engagé dans l'aventure du "roman" (mais en est-ce vraiment un, et de surcroît, comme le "Château" de Kafka, inachevé) cette sorte d'itinéraire spirituel, cette quête du Graal que Daumal poursuit dans sa vie même, se mettant en danger dans les multiples expériences qui provoquent le corps au prétexte d'y quêter l'âme. C'est un peu à la lumière du dérèglement de tous les sens invoqué par Rimbaud (il est né tout près de Charleville, et sera un inconditionnel du poète aux semelles de vent), que René Daumal va détruire sa vie par l'usage frénétique de la drogue, une pauvreté assumée, l'expérience de la spiritualité et de l'ésotérisme sous l'égide du redoutable Gurdjieff (qui sera aussi responsable de la mort de Katherine Mansfield). Comme Gérard de Nerval, au delà du réel Daumal aura franchi les portes de l'irréel. Il aura percé, "sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible"Il va, dans le compagnonnage de Roger Gilbert-Lecomte et quelques autres élèves d'un lycée de Reims, où il poursuit ses études, créer la revue le "Grand Jeu" qui n'aura que peu de lecteurs et s'essoufflera au bout de 3 numéros.Motivée par la recherche de l'essentiel, afin que naisse "une espérance sanglante et sans pitié. Le simplisme était un angélisme. Comme tel il avait créé l'état de grâce, unique moyen d'approcher un plan supérieur" (H.J. Maxwell). Une avancée dans le monde des idées qui va l'opposer (avec violence) à André Breton qui voit en lui un redoutable adversaire dans la stratégie culturelle dont il entendait garder la maîtrise avec les revues surréalistes.Maudit René Daumal ? Marginalisé, tant son message est complexe (dangereux ?)
Il y avait quelque chose des goûts d'une cocotte chez cet homme au port altier, à la carrure imposante (un physique de marin ce qui est bien le moindre pour ce breton fils de capitaine de vaisseau) et pourtant dans sa manie de l'accumulation, cette folie décorative hors normes, cette profusion de bibelots, on retrouvait l'atmosphère des alcôves chères aux demi-mondaines du XIX° siècle, siècle qu'il adorait pour ses excès, ses foucades, son maniérisme qui nous vaut des Jean Lorrain, des Hugues Rebell, des Huysmans, des Robert de Montesquiou. Une littérature pourtant bien éloignée de ce qu'il écrivait lui-même et qui le classait parmi les écrivains populistes.
On le voyait souvent, au Soleil dans la tête, on le rencontrait aussi, dans les petites rues de Saint Germain des Près, là où nichent des librairies confidentielles mais que fréquentent assidûment des écrivains (croisé ainsi, rue Gozlin, Georges Bataille dans un grand manteau noir, comme sorti du cinéma expressionniste des années 20, chargé de livres dans une hâte de fuite !). C'est Henri Pollès. Il chevauchait une bicyclette d'un autre âge, avec des sacoches bourrées de livre, car il se livrait aux activités artisanales et parfois exotiques du courtage : vendant ici, achetant là, furetant et se constituant ainsi l'une des plus étranges (et aujourd'hui légendaires) bibliothèque. Ce breton navigant dans Paris avait trouvé un refuge à Brunoy, sur les bords de l'Yerre dans un paysage tranquille de banlieue déjà campagnarde avec le charme de ses vieilles maisons et ses pavillons petits bourgeois auquel l'âge donne un air de charme et parfois même, grâce à quelques petites touches de son propriétaire, une séduisant singularité. C'était bien le cas du 56 rue des Vallées à Brunoy où Henri Pollès avait accumulé tous ses trésors. On en parlait comme du Graal ou quelque chose d'insensé, hors norme. Chaque pièce dédiée à un thème littéraire, avec force références en bibelots, portraits, et ces fameuses reliures qui contenaient toutes des éditions de premier choix, et même ses manuscrits. Plus effet de passion que souci logique de pédagogie et même d'Histoire. Elle soulignait des partis pris, des choix, un art de lire. Un art de vivre.
Plus que tout autre, encore que son entourage est surtout fait d'intellectuels, (Georges Bataille, André Breton, Michel Leiris, Philippe Soupault, André Malraux, Tristan Tzara), André Masson est un peintre particulièrement cultivé. D'une culture qui plonge encore ses racines dans les domaines de la Rome antique et de la Grèce des philosophes dont il connaissait admirablement les oeuvres. Elles étaient comme un bréviaire de sa démarche qui redonne vie et force aux mythes antiques et les dépoussière de toute approche conventionnelle. Il va au coeur des forces naturelles qu'ils concrétisent, parcourant le formidable catalogue de ses thèmes les plus audacieux, les plus érotisés, tant la mythologie explique et figure les grandes forces naturelles. Son dessin a la violence des déflagrations qui sculptent la terre, la netteté de la blessure qui annonce la naissance et la mort dans un va et vient entre ces pôles qui enserrent la vie de chacun.
Parce qu'elle fut la muse d'Apollinaire, Marie Laurencin a gagné les galons d'une célébrité dont elle fait un usage pratique et capricieux. Ayant trouvé un genre ( une "feinte" maladresse ?) elle séduit ceux qui attendent de la peinture autre chose qu'une réplique du réel, mais une avancée dans le monde de l'imaginaire, du rêve, voire de la folie. Elle se repose sur le rêve pour donner, de ceux dont elle fait le portrait (elle fait beaucoup de portraits et surtout des gens du monde), une image aussi fausse que flatteuse. Une manière de satisfaire une clientèle qui a l'habitude d'être gâtée par ceux qui vivent de leurs prébendes.Ce n'est pas chose aisée que d'être un peintre mondain. Marie Laurencin s'en tire plutôt bien car elle sait jouer d'une certaine grâce, d'une exquise irréalité qu'elle pratique dans la vie. Il suffit de lire les étonnantes confidences de René Gimpel pour s'en convaincre.Etrange femme en effet, à en croire ces pages arrachées au quotidien d'un homme qui la fréquentait avec une certaine fidélité, irritante et touchante tout à la fois. Singulière dans sa vie, ses rapports avec le réel. N'aurait-ce pas été le fond réel de son talent ?
A en croire l'histoire de l'art, et même si elle n'y tient pas une place de premier plan, Marcelle Cahn est classée peintre "abstrait géométrique". Sa représentation dans les musées (elle n'y échappe pas et y a droit) souligne cette appartenance et l'illustre avec un certain éclat. C'est pourtant mal connaître cette femme qui fut douce, discrète, secrète, que de la voir sous cet angle de stricte réflexion picturale et rigueur graphique. Elle maîtrise fort bien l'espace géométrique qu'explorèrent dans les années 30-60, les artistes abstraits. Elle figure aux côtés de Vasarely, Deyrolle, Mondrian, et cette pléiade d'artistes qui firent les beaux jours de la galerie Denise René à Paris et pourtant on l'a connu dans le secret de son atelier, se laissant aller à des recherches graphiques d'une nonchalante rêverie. Collant, découpant (comme Sophie Taubert-Arp), faisant couler d'un crayon aux teintes douces un graphisme aux confins de l'écriture et comme un prolongement de celle-ci. Comme si, le caractère ostentatoire, figé, de la géométrie entravait un élan lyrique qu'elle avait en elle et qu'elle exprime sur le registre du secret.
"Les Mamelles de Tirésias ".Guillaume Apollinaire n'est pas à une blague près. Son théâtre relève de la pure provocation. Il est dans l'esprit de "dada", et la représentation des Mamelles de Tirésias fut orageuse avant de devenir légendaire. Jacques Vaché, alors en séjour à Paris, s'y distingue par une agitation que devait, si André Breton ne l'en avait pas empêché, se terminer en carnage, alors qu'il exhibait un revolver, l'esprit militaire étant à la mode et Vaché aimant être à la mode. Apollinaire est ici chapeauté par l'obligeant Pierre Albert Birot qui met sa revue SIC à la disposition de l'événement. Il en sera récompensé. Il y partage le prestige d'Apollinaire et sa dimension légendaire. SIC était une revue littéraire qui voulait être à l'écoute de l'actualité poétique de l'époque. Elle participe étroitement à sa reconnaissance et annonce les revues surréalistes, même si le surréalisme s'obstina à bouder le poète qui en était l'âme vive.
Graphomane à sa manière (mais n'est-ce pas la propre des solitaires !) Léautaud a laissé quantité de papier, résultat de sa rage à écrire, noter, se souvenir. Il est alors la proie des spécialistes qui se chargent de donner une vie publique à ce qui était peut-être destiné à demeurer secret. L'attrait de ce qu'écrivait Léautaud, outre ce regard impitoyable sur le monde, ses contemporains, et celui de son style, c'est qu'il reste toujours profondément original, sachant être méchant en étant juste. Le titre choisi porte en lui un étonnant pouvoir de suggestion et force l'attention. On a brusquement cette frénésie quasi enfantine, quand on nous invitait à dénicher un "trésor" caché. Accéder au texte relève d'une quête. C'est le propre des éditeurs "marginaux" qui travaillent sans un objectif de pure rentabilité, d'offrir des textes, des lambeaux d'oeuvre en devenir, dont le prestige tient surtout à celui qu'ainsi on les découvre sous un jour non conventionnel. Toute oeuvre restée dans les marges est une confidence.
La pratique de la gravure (en particulier sur bois) suit de près l'évolution de l'imprimerie et scande l'histoire de l'édition de belles réalisations qui circulent parmi un milieu très fermé, celui des bibliophiles.Auguste Lepère aura largement contribué à son développement à la charnière des XIX° et XX° siècle, abordant le monde des mots avec un scrupule qui n'entrave en rien l'essor de son imagination. Il s'attachera tout spécialement à une série d'ouvrages ayant Paris pour sujet. Ce seront, successivement : Paysages parisiens (texte d'Emile Goudeau), Paris au hasard (texte de Montorgueil), Paris-Almanach (texte de Charles Morice), Dimanches parisiens (texte de Louis Morin), Paysages et coins de rues (texte de Jean Richepin). A propos de Paris au hasard :"dès la première page c'est une échappée sur la capitale telle qu'elle apparaît du haut de la tour Saint Jacques. Il semble qu'on y soit. Les centaines de marches de la vis obscure étant gravies, tout aussitôt c'est l'éblouissement de la grande lumière : l'oeil vite remis s'émerveille de la trouée du fleuve qui s'écoule vers l'ouest, entre le double rempart des quais bordés de palais ; il suit ses eaux qui reflètent le glissement des nuages vers une gloire ensoleillée ; il se fatigue à vouloir démêler l'inextricable écheveau des avenues, des rues, des ruelles". Et voilà Paris à nos pieds, dans sa splendeur et son réalisme total. D'ailleurs Auguste Lepère poursuit son voyage à la terrasse des cafés, du côté de la porte Saint Denis, aux environs des théâtres, au café concert.....Le voici, sous la lampe, stylet en main, l'oeil gourmand de curiosité. Il nous invite à le suivre dans ses propres rêves.
Les charmes de la rue du Dragon.Le tracé de la rue du Dragon, depuis le carrefour Croix Rouge jusqu'au boulevard Saint Germain, a adopté quelque chose de nonchalant qui lui convient bien et lui confère une convivialité il est vrai largement partagée en ses environs. Le faubourg Saint Germain nous évoque, même si nous ne sommes par des lecteurs de Proust, une dignité compassée, un snobisme étroit et fantasmatique qui n'est pas d'usage en un territoire plutôt consacré à l'art. Il suffit de faire quelques pas, au delà du carrefour Sèvres Babylone pour rencontrer la gentry qui passe de duchesses déjantées en salonnards qui évoquent les dandys du XIX° siècle. La rue du Dragon se donne, elle, des allures débonnaires. On y rencontrait Man Ray cherchant un restaurant, Edouard Glissant léchant les vitrines des galeries, Jean Paul Sartre de retour du café de Flore, et les ombres s'y pressent comme celle du pathétique Jacques Prével, "fou d'Artaud", qui traînait là son désenchantement.J'y fréquentais une cartomancienne de haut vol, qui avait été des muses du don Juan Roger Vailland et n'hésitait pas à vous annoncer tous les malheurs du monde. J'admirais sa manière de naviguer parmi les étoiles pour lire dans votre destin. Et c'est presque à ses pieds, dans ce qui était alors le Centre Culturel Américain, qu'on découvrait alors les folles excursions stellaires de Jackson Pollock. Un choc dans les années 55-60, dans un Paris tout entier voué à la célébration d'une peinture de raison et de réflexion. Voici un art d'expansion et de délire, un graphisme qui dépasse les limites qu'on lui accorde. Il nous entraîne dans son délire. Dessin de vertige.
En marge de "Propositions pour un jardin".Depuis la table de travail (on en devine un reflet dans la vitre) c'est, sur le jardin, l'exubérance du printemps qui s'annonce. Des plantes sauvages, abandonnées à leur sort (c'est la politique ici, de laisser la nature inventer ses propres séductions), nul monsieur Le Notre venant dresser les allées et dessiner un parterre de festin.L'art du jardin c'est aussi la complicité avec la nature qui s'exprime. On respecte un arbre comme un être humain. Même si on n'est pas capable de comprendre son langage. Parfois (mais ce sont souvent des femmes) des amoureux de la nature y parviennent. On doit accorder à la plume de Katherine Mansfield de savoir donner un sens à une approche sensible avec le monde de la sève qui est tout à la fois celui de la turbulence et de la ténacité. Le jardin en est à ses premiers frémissements. C'est toute une musique des couleurs qui va jouer sur le fond sonore des verts, l'arbre étant comme une partition musicale sur laquelle se posent les notes allègres des fleurs.Le peintre Monet en savait bien quelque chose qui plantait ses parterres de telle sorte que la floraison y soit constante, chaque fleur jouant sa partition au cours des saisons.
Il (L'Hommage à Apollinaire) accompagne et donne le ton d'une exposition qui fut saluée par André Breton dans les années 45-50 alors que la vie artistique retrouvait son rythme, ses rituels, et offrait à une génération coupée de la vie par les années noires de l'Occupation le sens de l'art et ses exemples les plus péremptoires. "L'Hommage à Apollinaire", peint par Chagall lors de ses débuts parisiens (peut-être alors qu'il était à La Ruche), menant une vie misérable mais magnifiée par le génie et des amitiés uniques (avec Apollinaire justement, ou Blaise Cendrars, qui furent ses complices et ses inspirateurs) s'offre comme une horloge imaginaire où s'inscrivent, rythmant le temps, ces figures emblématiques qui lui donnent à la fois son sens et l'immortalise. Chagall se cherche encore mais il donne là quelques unes des facettes les plus séduisantes de son imagerie.
De simple fortification (comme la Bastille) le Louvre est devenu, avec le temps, la demeure de la monarchie (son symbole jusqu'à Louis XIV) et un musée. Une croissance sur un lieu stable et d'une forte portée symbolique. Il se développe d'Est en Ouest en suivant le sens du fleuve et comme un axe central de la croissance urbaine de Paris.Pour donner plus de majesté à son architecture qui bute sur le plus vieux Paris du côté Est on va créer les Tuileries, son prolongement les Champs Elysées et la perspective de la Défense. Si bien qu'il est l'image même de la dynamique de la ville qui se tend vers une mer encore lointaine, un horizon largement ouvert.En ses murs, sans cesse repris par des règnes successifs, des ambitions qui s'additionnent, des foucades de prince, une vie nouvelle s'est installée. Donnant à voir l'excellence de la pensée humaine, des rêves qui se multiplient sur toile et se cherchent une écriture toujours au plus près de l'émotion.On ne doit pas oublier les fantômes qui errent entre ces murs de marbre, ces salles sonores qui furent faites pour des foules, des cérémonies compliquées, tout ce théâtre de la grandeur dont elles sont le cadre naturel.On avait, dans les années 50, évoqué Belphégore et ses malédictions. La nuit, lanterne à la main qui écrit son faisceau de lumière sur les marbres immobiles et pensifs, des vigiles surveillent les lieux. Dans le grand silence qui succède aux rumeurs des foules journalières, l'imaginaire peut recréer tout un monde de fantasmes et de terreurs. Tout comme pour l'histoire des poupées qui, la nuit venue, mènent leur aventure, les statues venues de la nuit du temps, assoupies devant les regards béats des foules, risquent de frémir, le temps si bref d'un silence qui se fait complice de toutes les mémoires qui se sont accumulées en elles.Le musée donnerait-il vie à l'immobilité du passé. Il n'en est pas que la mémoire.
Un itinéraire ciblé depuis la station de métro Odéon en direction du Soleil dans la tête 10, rue de Vaugirard, entre le Boul'Mich et le Luxembourg.On saluait d'abord Danton, impérieux sur son socle et le bras tendu, en un geste de menace. Les historiens disent que la statue est érigée à l'endroit exact de son immeuble et qu'il est en quelque sorte dans sa salle à manger.On aborde la rue de l'Odéon. Droite, discrète, avec à son terme (et elle l'encadre à la perfection) le théâtre de l'Odéon avec sa façade néoclassique. Il y a là des cafés, des salons de coiffure, des librairies et le souvenir surtout de deux librairies de légende : celle d'Adrienne Monnier qu'avait repris Jean François Chabrun, dans les années 50 après l'aventure de La Main à Plume, et, en face, celle de Sylvia Beach : "Shakespeare and Company". Elle doit sa gloire a avoir été celle qui donna à James Joyce la chance d'être connu du public français.Ce sont les libraires, souvent, qui font la réputation des écrivains.
La magie des images.Plus que la photographie à vocation de restituer la réalité immédiate, l'image qui réinvente le monde a un pouvoir de suggestion qui marque toute enfance rêveuse. Ne jamais oublier la remarque du jeune Baudelaire qui a vécu ce contact intime avec les images dans son enfance solitaire. L'image est d'autant plus "puissante" qu'elle personnalise la réalité, l'artiste la faisant sienne. Si bien qu'on reconnaît le style de l'artiste avant de déchiffrer le sens de l'image. N'en aurait-elle pas un d'évidence qu'elle ne perd rien de son attrait. C'est le lecteur qui se charge de lui en donner un, de construire son monde à partir de ces données graphiques qui en proposent un que l'on peut librement interpréter.Et plus intime aura été sa découverte (l'effet de surprise n'est pas négligeable, c'est le pouvoir de la nouveauté), plus elle s'imprimera fortement en la mémoire. Et finalement, l'effet de surprise passé, c'est de notre familiarité avec elle que naîtra la caractère durable de son pouvoir.Il suffit de feuilleter longtemps après qu'on l'a découvert, un ouvrage qui comporte ces illustrations que l'on peut facilement arracher à leur contexte narratif. Elles jaillissent de notre mémoire avec une force stupéfiante. Un effet de choc. C'est le principe de la madeleine de Proust adapté au monde du visuel.
La rédaction d'un Journal est souvent une incessante interrogation sur soi-même, un travail d'approche avant la plongée dans une grande oeuvre qui, souvent, ne voit pas le jour, le Journal étant un substitut. C'est aussi le porche d'un univers personnel, l'espace où il se construit autant qu'il se cherche. Il sera d'autant plus précieux que l'oeuvre annoncée ne vient pas. La Journal de Gide accompagne son oeuvre, celui de Mireille Havet la remplace, constituant l'essentiel de ce que l'on peut attendre d'elle. Car on attendait beaucoup à en croire les témoignages qui la cernent. Née en 1898, morte en 1932, elle aura vécu avec fougue, désespoir et un affront constant aux règles de la bourgeoisie qu'elle provoque comme toute cette catégorie d'écrivains auxquels on se plaît à la rattacher : Jacques Rigaud, René Crevel, Jacques Vaché avec en point commun une morte précoce.Les débuts sont brillants : attention d'Apollinaire publiant ses premiers poèmes dans "Les Soirées de Paris", un court récit préfacé par Colette, et le passage (dans la figure de la mort) dans Orphée de Cocteau. Mais Mireille Havet brûle sa vie dans le feu des années folles (drogue, sexe, perte totale de vocation sociale).Elle avoue avec une franchise désarmante son goût exclusif pour les femmes, elle fréquente le monde saphique alors en effervescence avec ses figures emblématiques comme Nathalie Barney, Colette, Lucie Delarue-Mardrus, Renée Vivien. L'écriture de Mireille Havet se prête admirablement à la tenue d'un Journal qui retient les émotions premières, les sensations subtiles, un rapport purement sensuel avec la réalité. Elle a, en particulier, de curieux rapports de style et d'ouverture sensuelle sur le monde, avec Katherine Mansfield. Un enivrement au sein de la nature, où elle trouve son ton le plus juste, le plus personnel, fait de tendresse et d'émotion.
On peut comprendre les chasseurs d'autographes. Même rapide, distraite, l'empreinte graphique d'une signature laisse quelque chose de celui qu'elle décline. Une odeur, une allure, un caractère. A chacun son registre dans la quête des signatures. Ici une vedette de la chanson, du football, de la politique... Le registre est large et la vedette ne l'est souvent que d'un jour (comme il y avait la "reine"). On peut avoir plus d'exigence et s'attacher aux signatures de personnalités dont la valeur est absolue (mais l'est-elle ?) et le prestige justifié. On pénètre dans l'espace de l'Histoire dont celui de la culture qui est le plus riche parce, qu'elle y accompagne souvent une oeuvre que l'on peut savourer dans l'intimité. Plus précieuse sera la signature de celui qui reste caché et ne sort de son silence, de sa solitude, que par exception. Que l'on songe à un Proust, à un Henri Michaux qui préfèrent l'ombre, le silence, et abandonnent leur signature comme de minuscules témoignages de leur passage. Serait-ce le thème du Petit Poucet. Mais la magie de l'encre donne du poids à la signature, elle est déjà en soi une mémoire qui se glisse dans le graphisme, l'accompagne, lui donne tout son prix.
C'était du temps des aventures éditoriales (modestes) qui se faisaient sous le signe de l'amitié, sans budget, ni plan de promotion bien définie. L'exemple était donné par l'incontournable Pierre André Benoit (PAB) qui composait de minuscules ouvrages à tout petit tirage mais lieu de rencontre d'un poète et d'un peintre, territoire d'une féconde sagesse qui accorde aux mots, aux signes, le pouvoir de nous sauver du quotidien, de notre inanité profonde.Sous l'égide de "Sens Plastique" on avait tenté l'expérience avec Jean Messagier (Préparatifs pour un matin), quelques pages sobres, lumineuses, et d'une pure sensualité, de ce graphisme si particulier qui accrochait les nuages et fécondait la lumière. On avait projeté de refaire l'expérience avec Gastone Novelli dont on aimait le signe bref, emporté, fouailleur. Il avait participé à un des accrochages du salon "Donner à voir" qui rassemblait toute la production de l'époque, des Nouveaux Réalistes de Pierre Restany aux surréalistes de José Pierre. Il y fit sensation (comme Twombly dont c'était un des premiers accrochages à Paris).Les dessins furent exécutés, mais malencontreusement perdus lors d'un déménagement. Ne sont pas rares les dégâts irréversibles pour l'art contemporain dans un déménagement où ce qui peut paraître dérisoire est, aux yeux de l'amateur d'art, un jalon d'excellence pour une meilleure compréhension de notre monde. Que serait devenu la "Porte bouteille" de Marcel Duchamp dans un chargement de mobilier bourgeois ? Perdu, ce n'était pas grave on retournait au BHV pour en acheter un autre ! Les dessins de Novelli étaient proches du graffiti, c'est une raison de leur perte.
C'est le monde de Manet (Le bar des Folies Bergère) de Degas (ses scènes de théâtre) et même de Renoir (La Loge), c'est une certaine idée du Paris by night qui date du XIX° siècle qui y fit sa découverte d'une peinture proche du social et d'une audace qui tient autant à ses sujets qu'à la manière de les traiter. Par grands traits et dans l'urgence. On est proche du croquis, du dessin à l'emporte pièce qui arrache les expressions. Des attitudes plus que des psychologies individuelles, des "types", comme une sorte de catalogue des classes sociales avec leurs travers, leurs rites, leurs ridicules. Car ce n'est pas une vision aimable ou tendre, mais directe, aussi impitoyable que la photographie. Elle est née en même temps que cette dernière, et comme soucieuse de lui arracher ses prérogatives de dire dans l'immédiat un geste, un instant. Van Dongen n'est pas le dernier, et le plus mauvais à s'y risquer. Il y retrouve toute la franchise graphique de la caricature. La frontière est fragile entre cette promptitude à retenir la seconde qui révèle la vérité des foules, des rapports humains, et l'art de mettre en scène, dans l'économie graphique que suppose l'art du dessin, cette réalité qui dénonce ses travers.
Marie Laurencin aurait-elle eu le destin qu'on lui connaît sans Apollinaire qui, l'aimant, s'attache à faire connaître son oeuvre et même lui "décerne" le label de "peintre cubiste" aux côtés de Braque et Picasso grâce à qui, justement, elle l'avait connu. Capricieuse, sans doute séduisante, elle parvient à "conquérir" le "tout Paris" de l'époque (les années 30) mêlant curieusement dans ses relations, duchesses sorties du monde de Proust et écrivains pour lesquels elle fait des illustrations qui ne manquent pas de charme mais restent un peu maniérées (Marcel Jouhandeau, Gide, Paul Morand, Jean Paulhan).Arthur Cravan, le pittoresque rédacteur de la revue Maintenant ( qu'il vendait dans une voiture des quatre saisons), fut à son égard injurieux, mais on peut lui accorder une vision dégagée de toute complaisance de cette oeuvre qui vivra et se développera sur la culture des sentiments, de la douceur un peu suspecte de ce monde artificiel et trop suave qu'elle fréquente et célèbre. La peinture y gagne une oeuvre d'une aimable complaisance, dont on peut vanter la féminité excessive. Mais n'est-ce pas, justement, ses limites ?
On aurait pu s'attendre à une couverture du douanier Rousseau qui devait tant (et de sa légende et de sa gloire) à Apollinaire, et il fut, lui aussi, un piéton de Paris. Telle qu'elle est (un peu fade) elle nous met cependant dans l'ambiance. Le Paris d'Apollinaire n'est pas celui du touriste type, mais celui du chercheur de curiosité. Il nous y fait rencontrer des personnages qui participent étroitement au charme de la ville et en sont comme les notes sur une partition, les éléments qui donnent le ton. Le terme même de flâneur nous met bien dans le sillage de celui qui ne va pas d'un point à un autre mais se laisse porter par la hasard (les "situatitionnistes", émules de Debord, le firent un demi siècle après, et André Breton, et Aragon sont eux aussi dans le même état d'esprit.)Pendant longtemps un chroniqueur d'art attaché aux Nouvelles littéraires avait adopté ce titre pour ses "balades d'art" sur les deux rives. J'ai eu le bonheur de lui succéder et si le titre avait disparu, l'esprit était resté le même. L'approche de l'art (visite des galeries de peinture) ne se faisait point dans un esprit de théorie mais en se fiant à son instinct, à sa bonne fée, au hasard qui est porteur de toutes les merveilles que l'on peut y rencontrer.
Il faut l'imaginer dans son petit bureau de la rue de Condé, au Mercure de France, où il avait un emploi de secrétaire. Un bureau (à en croire son "Journal") largement ouvert aux intrusions des visiteurs (souvent les auteurs de la maison). Si bien qu'il était à un poste exceptionnel d'observation et en contact permanent avec les poètes dont il recueille des textes pour la constitution de l'anthologie qu'il conçoit avec son vieux camarade Van Bever. Un document unique sur la production poétique à cette charnière des XIX° et XX° siècles dont il est lui même un éminent représentant. Òbservateur impitoyable, Léautaud est aussi un amateur de ce français dont il défend avec passion la pureté, l'élégance, quitte à réduire le champ d'investigation qu'une langue est en mesure d'assurer. Puriste au point de ne pas toujours distinguer l'originalité foncière qui défie la beauté de la forme. L'ouvrage (rare) est un document précieux pour entrer dans la familiarité de la poésie de cette époque d'autant que bien des auteurs cités sont aujourd'hui oubliés. *Jean Rousselot aura tenté la même expérience pour la poésie des années qui s'ancrent dans le temps de l'Occupation et vont jusqu'en 1950. L'ouvrage (monumental) de Robert Sabatier tient plutôt de l'Histoire de la poésie et offre un vaste panorama depuis ses origines (en France).
Jarry est partout et c'est le destin de ceux qui ont créé autour d'eux une légende. On le prétend "sur la Butte" (la Butte Montmartre) sans doute parce qu'elle est le lieu des plaisirs et de l'art et que Jarry est au coeur de l'animation qui génère les idées neuves. Le caractère pittoresque du personnage aura occulté en partie l'oeuvre elle-même, et n'aura retenu pour le plus grand public que ce fameux Ubu dans lequel il avait fini par se reconnaître. Ou qu'il se plaisait à faire vivre par ses attitudes, l'étrangeté de son comportement et les facéties multiples qui scandent sa vie de misère et de folie.C'est bien aussi la particularité de son aventure d'homme lancé dans une société prompte à applaudir et renier ceux qui se lancent sur la scène publique ; il est connu (et reconnu) par des facettes d'un personnage multiple et parfois déconcertant, mais toujours fascinant. On feuillette sa vie comme un album d'Histoires farfelues, d'une originalité qui tenait moins d'une faille de sa personnalité que d'une stratégie artistique, annonçant ces artistes qui le sont par le geste plus que par les oeuvres. Encore que lui ait aussi laissé une oeuvre chatoyante et proche d'une philosophie du désespoir.
L'enfermement, qu'il soit celui de la prison ou de l'asile, exerce une sorte de fascination et dote la création de ceux qui en sont les victimes d'une auréole prestigieuse. Le Marquis de Sade aurait-il une aussi large audience s'il n'avait pas été une sorte de martyr de la morale d'une société qui refusait d'admettre son comportement. Et le prison n'a-t-elle pas été finalement la source (sinon le moteur) de son oeuvre. L'isolement ouvrant largement l'espace de l'imaginaire et du fantasme. De même, l'oeuvre de Jean Genet est toute entière nourrie de l'enfermement adolescent (sort des enfants orphelins ou abandonnés et confiés à des institutions). Le cas d'Antonin Artaud est plus complexe. L'asile lui a donné un prestige lié à la souffrance, lui qui dénonçait justement (même étant libre) cette difficulté d'être et surtout de dire son "mal être".L'asile va exacerber ce mal, le précipiter dans des abîmes que tentent d'explorer les déviances du langage, ses désarticulations, ses maniements effrayants. Comme si, le verbe, affolé, défiait ses limites, C'est une langue électrisée qu'il maniera avec une force qui la détruit. Son physique dénonce cette lutte intérieure, cette chute vertigineuse vers les abysses d'où souvent l'on ne revient pas.
C'est aussi au choix de ses supports qu'une oeuvre d'art trouve son cheminement, en s'appuyant sur une matière, quelque chose de concret, de l'ordre du tactile, et que la main découvre avant que l'esprit n'y dispose ces miettes de son ordre secret, de ses rêves, de son monde en parcelle car toute création n'est jamais que l'émiettage de sa pensée. Nombreux sont les manuscrits d'Apollinaire, et émouvants, parce que d'ordre aussi imprévu que devait l'être l'inspiration qui se contente de ce qu'elle est a sous la main pour se décharger du poids ardent de ce qu'elle veut délivrer. Comme d'un carcan d'où elle surgissait, exigeante et parfois douloureuse. "Tout terriblement" a écrit Apollinaire, donnant là la mesure de ses ambitions, encore que l'écriture n'en dise pas l'urgence et relève plutôt d'une sage application à bien cerner l'essentiel du mot, lui donner toute sa force. S'il use du poème "anecdotique", c'est pour donner justement à celui-ci l'espace dont il a besoin pour se développer. Il est significatif qu'il ait aussi abordé le calligramme, le poème qui construit sa propre prison graphique.
C'était une révolution dans le monde de la poésie. D'une audace inouïe. Le très jeune Blaise Cendrars demande à Sonia Delaunay de construire, avec lui, un livre qui traduise visuellement l'idée de rythme qu'il avait mis dans les mots du poème : "La Prose du Transibérien". On sentait vibrer la machine qui entraînait le convoi, le bruit scandé des boogies (il en naîtra aussi le boggie-woggie), la fièvre du voyage et cette étrange nostalgie qui s'y mêle. Ce sera un poème emblématique, un livre culte, mythique. Blaise Cendrars, qui aura toujours des rapports étroits et d'amitié avec les peintres (Chagall, Léger, Modigliani, Robert Delaunay) aura été rarement aussi bien inspiré. Devenue une vénérable vieille dame Sonia Delaunay, dans son vaste et lumineux atelier de la rue Saint Simon, conservait avec émotion les souvenirs de cette collaboration qui lui fut aussi si fertile et l'assurait dans ses propres recherches. Avec cet accent "russe'" qu'elle n'avait sans doute jamais totalement perdu elle égrenait des anecdotes savoureuses (et parfois vachardes) sur ses contemporains. Elle n'était pas tendre pour Picasso, mais Blaise Cendrars était resté dans un coin de sa mémoire comme une pépite d'or de ses meilleurs souvenirs. Elle déployait avec fierté le magnifique livre qui prenait des allures de somptueux tissus. Ceux-là même qu'elle ornait de rythmes ardents et vifs qui disaient tout l'espoir que l'on portait alors dans la modernité.
C'était une merveilleuse idée que de disposer une statue (en taille réelle) de Pessoa assis à une terrasse de café, celui-là même qu'il fréquentait lors de ses quotidiennes déambulations dans Lisbonne. Poète emblématique de la ville, il se nourrissait de sa vie trop ordonnée mais passionnée, animée par des personnages dont il partageait le dandysme intellectuel, les rites simples et parfumés de fantaisie d'un piéton amoureux de l'amour, et vivant une si profonde solitude intérieure qu'elle se peuplait de souvenirs, de chimères, d'une autre vie, perchée sur les hautes branches de la mémoire. A la terrasse d'un café il refaisait le monde et le contemplait, à demi plongé dans ses fantasmes, au bord d'une réalité pittoresque car elle sait l'être pour ceux qui savent voir, retenir la magie des instants les plus ordinaires. On est invité à venir s'asseoir à la table voisine de la sienne (où traîne un livre de poèmes) et, à son tour, au plaisir égoïste de se baigner dans cette eau forte des foules qui déambulent, se raconter les vies qui passent, porter son désir sur des filles arrachées à la banalité de leur vie par la grâce de leur démarche de conquête, car jetées dans la rue elles sont déjà des amazones dont on peut se faire le chantre.
Sous les toits au 202 (à vérifier) du boulevard Saint Germain Guillaume Apollinaire s'est inventé, à la fin de sa vie, un minuscule appartement orné de ses livres (souvent des curiosités bibliophiliques) et de cet art nègre dont il est avec quelques un de ses compagnons de balades parisiennes ( Vlaminck, Derain, Picasso) l'un des premiers à avoir compris l'importance qu'il peut avoir pour un renouvellement radical des formes et des arts plastiques dont il y est un observateur attentif.Lieu de réflexion, de rêverie, Apollinaire ce "piéton" considérable, sait aussi être un homme de cabinet (il fréquente aussi la Bibliothèque nationale. La voilà donc dans son cadre de travail. Le luxe en est le savoir qu'il contient et dispense à celui qui sait y dénicher la perle rare, car la culture d'Apollinaire c'est aussi celle des bizarreries, de singularités, des anecdotes savantes qui fait le bonheur du chercheur. Il ne manque plus, là, que le chat évoqué dans les poèmes.
Case d'Armons au coeur des Calligrammes d'Apollinaire.
Il est peut-être significatif qu'au coeur du recueil "Calligrammes" il y ait "Case d'Armons". Il a son histoire. C'est un recueil tiré à 25 exemplaires, en polygraphie sur papier quadrillé à l'encre violette, au moyen de gélatine, à la batterie de tir (45° batterie, 38° régiment d'artillerie en campagne) "devant" l'ennemi et le tirage a été achevé le 27 juin 1915. Sans doute Apollinaire est-il en compagnie de quelque malheureuse recrue venue d'Afrique comme en témoigne ces vers si bien balancés :"C'est dans la cagnat en rondins voilés d'osierAuprès des canons gris tournés vers le nordQue je songe au village africainOù l'on dansait où l'on chantait où l'on faisait l'amourEt de long discoursNobles et joyeux..."Un servant de Dakar témoigne de son émoi. Les mots sont encore ici dans l'ordre donné par l'usageMais, dans Case d'Armons, Apollinaire se risque à des inventions graphiques audacieuses, qui épousent curieusement la trajectoire, furieuse et mortelle des bombes qui enflamment le ciel le temps d'un combat. Elles en retrouvent l'élégante calligraphie porteuse et mort, de blessures, de douleurs.Y-a-t-on suffisamment pensé.? Sans toute il était à la pointe des novations typographiques qui reprenaient les audaces d'un Rabelais, d'un Laurence Sterne et qui vont faire les beaux jours de dada, de Pierre Albert Birot. Et Apollinaire, si proche de la peinture, n'a-t-il pas affirmé un jour " et moi aussi je suis peintre". On peut aussi imaginer que la vision de ce feu d'artifice mortel ait pu lui donner le goût de faire danser les mots. La poésie est inscrite dans la affres de la vie. De la mort.
Léon Paul Fargue est de ces poètes qui inspirent des éditions rares, soignées, artisanales, presque secrètes, destinées à quelques admirateurs qui sauront en apprécier toute la beauté tranquille. Un livre de réflexion, de plaisir intime. Il revient à quelques typographes devenus légendaires (GLM, Rougerie, P.A.B. Jacques Haumont) d'en offrir de savoureux exemples. Textes anciens, écrivains des marges ou, justement, ceux-là qui ne sont pas aux premières lignes de l'actualité, de la mode et possèdent ce pouvoir unique de susciter des sortes de culte, d'attirer la passion. Léon-Paul Fargue en était. Piéton de Paris il savait donner à chaque lieu qu'il découvrait, fréquentait (où il entraînait ses amis comme le photographe Brassaï), un forte dose de mystère, de poésie et de tendresse pour l'espace de la mémoire qu'il contenait. Rue de Villejust c'est justement le souvenir de Paul Valery et de la flambante Berthe Morisot. Quelle promenade inouïe. Plus captivante dans les mots, dans les pages d'un livre que dans la réalité. C'est là la magie de la poésie.
Valvins en surpriseLa voiture sursaute dans les trous d'un chemin musardant le long de la Seine. Chevaux et promeneurs en goguette et le soleil en prime. On longe de hautes murailles ourlées de verdure, on y devine des propriétés secrètes, des vies enfouies dans des souvenirs de gloire familiale, peut-être des drames pudiques, on y perçoit des allées mal taillées, en maraude de jardinier négligeant, on y devine des histoires comme on n'en trouve que dans des romans qu'on ne lit plus. Et puis, à l'approche de ce pont qui a des allures d'autoroute, où se découpe une circulation automobile d'un dimanche soir, au retour au bercail après une journée passée en famille et en forêt, surgissant dans l'entassement de maisons modestes, au coude à coude familier, une façade blanche zébrée d'un escalier sans faste mais festonné de plante grimpante et l'affichage que c'est la maison de Mallarmé.Une plaque le précise, on se souvient qu'il avait loué là deux pièces modestes pour se rafraîchir au bord de la Seine (ne dit-on qu'il y faisait usage d'une yole dont la légende a conservé quelques souvenirs d'amis fidèles ?). La maison, par la suite, par les soins de sa fille Geneviève, était devenue une maison de famille puis, le temps faisant son travail, l'intimité du poète était offerte en pâture au curieux. Voici un musée comme on les aime. On y respire l'air de la création, celui du sublime parfois. Ce sera pour une prochaine fois. L'adresse est notée. La Seine coule tranquille aux bords du mince jardin qui sépare de la route (de campagne)..