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lettres de la campagne

posté le 28-02-2011 à 10:21:41

Ben annonce le plaisir.

Il avait fait ses débuts, dans les années 1960, au coeur de l'Ecole de Nice (Arman, Martial Raysse) et se distingue alors par la diffusion (excessive et brouillonne) de maximes, phrases provocatrices, dont il ressortait toutefois qu'elles exprimaient une vérité première, une vision plutôt saine, et gaillarde de l'art plongé dans la vie et le quotidien.Cela plaisait, et Ben deviendra, avec le temps, le pourvoyeur de phrases brèves mais propres à enchanter le consommateur branché. D'artiste d'avant garde il devient complice (?) d'une consommation de luxe, portant ses fameuses phrases sur des objets vendus très chers en des lieux très chics et pour des gens très snobs.Dans la masse de sa "production" on trouve un lumineux "pour le plaisir" qui ne manque pas de sel quoiqu'il soit un peu paradoxal. Enoncer, annoncer, proclamer, imposer, suggérer la pratique du plaisir (ou sa découverte) comme on annonce l'arrivée du train ou la qualité d'une lessive peut donner l'impression que le plaisir est une nécessité publique, offerte à tous comme n'importe quel produit.Il y perd beaucoup de son mystère et de sa qualité première. C'est qu'il se cache dans l'inattendu, qu'il n'est pas un produit de consommation mais une approche intime de l'être avec l'émanation  d'un autre, d'un objet électif, et qu'il se prend dans l'échange complice et non comme une obligation programmée.
 


 
 
posté le 26-02-2011 à 10:23:55

Rancillac en son palais d'enfance.

C'était du temps où il avait son atelier à Bourg-la-Reine et autant que je m'en souvienne, une pièce encombrée par une vaste échelle, à moins que ce soit un escalier de meunier qui montait vers un grenier.On avait songé à faire un  petit film (en 8 Mm) qui ne sera jamais achevé et a été depuis perdu. Rancillac, à l'époque, était en pleine effervescence créatrice et il se cherchait. C'était émouvant de voir cette  frémissante gestation où la part du hasard joue autant que l'audace des entreprises. Il peignait avec tout ce qu'il avait sous la main, comme ces pinces à linge qui, appliquées avec régularité, construisaient un étrange et fascinant palais. J'ai longtemps vécu dans la familiarité de cette composition aussi singulière qu'unique dans son oeuvre, car il n'était pas de ces artistes qui exploitent une trouvaille, un genre, et font commerce de leur invention jusqu'à la saturation (ils sont nombreux aujourd'hui à pratiquer cette politique du confort intellectuel et du clin d'oeil pour se faire reconnaître), et elle m'a suivie dans mes nombreux déménagements comme une sorte de fétiche d'une amitié, peut-être un accord fondamental avec cette manière d'explorer la matière et de rester fidèle à l'idée d'une représentation qui ait ses références dans le monde du visible. Mais la moindre tache n'est-elle pas, elle aussi, à sa manière, un bout du réel réveillé par la pratique de l'art. Que l'on songe à la remarque de Leonard de Vinci par rapport à une certaine tache sur un mur et qui regardée avec insistance nous entraîne dans un monde merveilleux.Je présageais une carrière originale à la lumière de cette vitalité créatrice qui se moquait des risques encourus, qui abordait tous les sujets sans s'y attarder.Le lendemain ce pouvait être un portrait, un paysage presque naïf, des objets quelconques (et même de la sculpture). Viendrait ensuite  la part du geste plus vigoureux, des débordements d'humeur partagés entre la colère et la joie, une sorte de fête de la couleur dans un déchaînement graphique. La part majeure de son oeuvre. Moi je resterai fidèle à ses débuts tout à la fois balbutiants et frénétiques. Images d'une vitalité artistique d'une exceptionnelle saveur.
 


 
 
posté le 25-02-2011 à 22:29:31

Le roi danse.

Le roi se devait d'être flamboyant. Aux origines, le bouclier sur lequel on hisse Huges Capet lors de son élection à Noyon,  suffit à le crédibiliser. Le temps de la bravoure militaire ne suffit plus. Il faut du panache pour se faire reconnaître. Louis XIV le comprend, applique une méthode qui va plonger la royauté dans le luxe qui va la perdre.Splendeur et dynamisme, apparat et sens artistique concourent à la reconnaissance d'un pouvoir qui  se manifeste dans un décor théâtral. Alors le roi danse.Niestzche l'a bien dit :  la danse c'est la vie. Le corps s'y déploie dans ses multiples ressources gestuelles. On danse sa vie.Louis XIV danse son pouvoir, lui donne tout le faste et l'harmonie qui doit l'assurer de se faire reconnaître, d'exister.Ce seront de splendides spectacles à Saint Germain en Laye où la Cour réside alors que Versailles est en chantier, et à Versailles lorsque la Cour enfin s'y installe.L'or y domine, qui est l'image du soleil. Une musique adaptée s'emploie à donner au geste la majesté qu'elle veut imposer. Ce sont les apports de Lully, Marc Antoine Charpentier, Michel de Lalande, Nicolas Campra et cette imposante génération de musiciens, disciplinés aux exigences du rituel voulu par une Cour où tout geste a sa signification, et la danse en parachève la symbolique.Louis XIV danse, c'est la figure d'Apollon, tout le château (de Versailles) et les jardins sont placés sous son signe.
 


 
 
posté le 25-02-2011 à 15:57:00

Unica Zurn, un piège à regards.

Alice a traversé le miroir. Appliquons sa méthode à une oeuvre d'Unica Zurn.C'est, généralement, de l'aquarelle. La matière y est légère, et l'eau y a fait ses nappes frémissantes et moirées de toutes les merveilles qu'elle distribue du bout des doigts, qui sont de fée. Une fée inquiète cependant. Portée à dénicher des animaux insolites dans des paysages (inventés) qui ne le sont pas moins.On y trébuchera sur des aspérités géologiques qui ne sont que de son monde, entre l'espace lunaire et d'étranges labyrinthes de nulle part.L'important n'est pas là. On y rencontre des regards. Tous les regards qui, comme le notre, ce seront attardés. Et, tombé dans le piège, ayant traversé le miroir qu'est l'aquarelle tissée comme un léger voile flottant sous le vent , et le dessin suspendu dans l'espace du papier, nous sommes comme l'insecte piégé et précipité dans son tourbillon.Une peinture n'aurait pas rendue possible un tel phénomène, une telle projection dans l'oeuvre. On se serait embourbé dans la matière, alors que l'apport de l'eau y joue la transparence. Elle est flottante dans l'espace, comme un léger rideau sur lequel vient s'imprimer les rêves du peintre, qui y fait couler des images, des frissons, des sensations perçues dans leur plus infime perception. C'est la mise à jour de ce que l'esprit conçoit sans même le vouloir et qui flotte en nous, en notre mémoire. L'oeil est le canal de cette magie intime et fulgurante.  Pratiquant encore plus fréquemment le dessin, elle lui donne cette curieuse apparence de toile d'araignée et notre plongée s'y fait plus rapide encore. On passe de l'autre côté, là où s'agitent les fantasmes d'une femme fragile. C'est une Alice menacée.
 


 
 
posté le 24-02-2011 à 11:24:24

Le livre ouvert au rêve.

Il y a quelque chose d'enfantin à composer des pages où images et mots se mêlent, s'entrecroisent, se répondent dans un jeu qui épouse la mobilité de l'esprit qui chasse en liberté, et que rien d'une soit disant logique va contraindre. C'est le vent du rêve qui souffle sur la page et sème ses graines, le pollen de l'imaginaire.Enfantin, parce que, justement, l'enfant ne connaît par encore les lois et laisse parler son instinct, ses élans les plus purs, les plus profonds. Des poètes se sont appliqués à conserver cet  esprit  d'enfance, c'est à dire cette fraîcheur des sentiments et des émotions pour composer des albums qui ne relèvent d'aucune discipline, et de celles que l'on enseigne au nom de l'expression. Ce serait, tout au plus, un chemin détourné du collage (on colle aussi des images que l'on vole) et le parcours de l'oeil suit celui du plaisir qui a présidé à la construction de cette géographie des profondeurs de l'âme. Car c'est une âme, délivrée des censures qui se livre en jouant de fantaisie.  Ce ne sont pas des confessions nouées d'angoisse, ni des analyses complexes qui n'intéressent que les analystes et les spécialistes du comportement (oh le recours au psychiatre pour se mieux connaître, quelle illusion !) mais des balades poétiques parce que libérées de tout modèle et de toute contrainte.Les surréalistes qui réhabilitent toutes les méthodes employées pour faire parler la matière et distraire l'esprit, (collage, assemblage, frottage) ont aussi conçu des livres qui s'ouvrent à tous les horizons du rêve. Souvent la femme le domine. Elle est la muse, elle est aussi la vestale de notre feu intérieur.ouvrage de Georges Hugnet.
 


 
 
posté le 23-02-2011 à 11:50:06

La recherche du bonheur avec la du Barry.

En voilà une qui regardait le temps passer, dans son alcôve et objet sexuel d'un souverain qui la couvrait d'or. La recette du bonheur ? On connaît la triste fin de la "comtesse" du Barry, bonne fille mais née pour une ère de plaisir et jetée dans celle de la Terreur.Elle illustre les faiblesses d'une époque qui mettait toute son énergie dans la seule recherche du bonheur, croyant qu'il passait par le luxe et la vanité.Dans le même temps, un citoyen de Genève et de mauvais caractère, inventait une Julie qui incarnait le bonheur simple. Pourquoi ne pas pencher vers celui-là.La bonheur et la volupté au rythme des saisons, dans un accord fort et simple avec la nature, une complicité qui ne repose pas sur l'avoir mais l'être.On quitte le monde de Fragonard (le coquin ) pour celui de Greuze. On y minaude moins qu'on y pleure (de bonheur ?). Philippine comprendra.
 


 
 
posté le 21-02-2011 à 09:42:21

Les Cabinets secrets de Rohan.

Sont-ce de menus plaisirs que ceux de ces aristocrates (et de surcroît prélats) qui vivent en galanterie comme le  premier (ou le dernier) des "roués", ces seigneurs qui nagent en eaux troubles et sont clients de prostituées au besoin, qui se cachent derrière des noms de fantaisie frôlant souvent avec ceux de la noblesse. Petites catins roulées au feu de l'ambition, qui traînassent du côté du Palais Royal, sous ses galeries où beaux seigneurs et filles faciles se croisent en brin de fleurs et mots moqueurs.Le cardinal de Rohan sera l'un d'eux, manipulé par la finaude et vicieuse Jeanne de la Mothe Valois, une vague descendante (de la main gauche) d'Henri II et clamant son appartenance au sang royal pour escroquer, ici ou là, en rôdant dans les cabinets ministériels, de maigres pensions impropres à calmer ses goûts de luxe. Alors elle monte l'opération dite du "Collier de la Reine" qui va durement compromettre Marie Antoinette et passe pour être l'amorce de la Révolution, un de ces scandales qui la préparent.C'est dans les petits cabinets rococos de l'hôtel de Rohan (aujourd'hui Archives Nationales) que le coquet Rohan, en surplis de cardinal, recevait en secret la Mothe Valois qui lui avait tourné la tête. Le dupant, lui faisant croire qu'intime de Marie Antoinette elle obtiendrait la grâce de ce cardinal fort mal aimé par la reine.Une histoire de collier dont il devait assurer le financement, et qu'il voulait offrir pour gagner ses grâces sera, en fait, volé par la Jeanne fort impliqué dans une sombre histoire qui est de celles  qui fonctionnent dans les marges de la " grande Histoire" et lui donnent ce charme un peu pervers du fait-divers.
 


 
 
posté le 20-02-2011 à 10:35:47

Menus Plaisirs dans son décor en bois.

De tradition, et parce que lié au caractère mobile de la Cour qui va de château en château, multipliant, ici et là, les fêtes données en toutes occasions (anniversaires, naissance, mariages, visites d'hôtes de marque,) et pour l'ordinaire qui est lui aussi rythmé par des bals, spectacles, et autres manifestations soulignant la majesté du souverain autour duquel toute cette vie festive s'organise, et avec la complicité d'artistes qui retrouvent là le rôle du décorateur de théâtre, on construit des baraques en bois qui sont l'écrin de décors raffinés et certaines d'entre eux (conçus par Pierre-Adrien Paris), vont resservir dans l'aménagement de la cour de l'Hôtel des Menus Plaisirs de Versailles en 1789 pour l'Assemblée des trois ordres.Etrange destin que celui d'un décor conçu pour des fêtes et qui devient le cadre de quelques unes des plus essentielles décisions sur lesquelles nous vivons encore en donnant l'exemple.Et c'est bien l'étrange sort donné à des décors, conçus pour la fête et ses débordements, qui entrent dans l'apparat voulu par un pouvoir qui se cherche des repères, un cadre digne de lui.
 


 
 
posté le 20-02-2011 à 10:30:27

Les Menus plaisirs servent la Révolution.

Sont menus, les plaisirs, sous divers aspects, et l'ambiguïté de l'expression offre de multiples et savoureuses perspectives. A son origine, et sous sa forme historique, c'est la manière de désigner les réserves de tout le matériel destiné aux festivités de la Cour. La "maison mère" est à Paris, faubourg Poissonnière (entre les rues Bergère et Richier, aujourd'hui le Conservatoire) et les Menus plaisirs, ont un autre dépôt  à Versailles. C'est là que se tint la première assemblée née de la Révolution.Hâtivement préparée dans la fièvre en 1789, elle accueille les prémices d'une France nouvelle où s'affrontent les trois ordres de l'époque : aristocratie, clergé, tiers Etats, les futurs forces de la Nation.Le terme de menus plaisirs perd son sens initial, l'Histoire se charge de lui donner un sens qui n'était pas prévu aux origines, jouant la futilité, le jeu, le plaisir, toutes choses qu'une révolution ne met pas en première ligne de ses motivations.Avant de trouver les divers aspects du plaisir (fussent-ils menus) il faut avoir les coudées franches, la liberté de penser, d'agir qui n'est pas donnée à tous, et qu'il faut conquérir.Assistons au spectacle, dans la salle improvisée pour mettre le roi en scène et que déjà les signes de sa chute marquent, en frappant le luxe de son apparat d'une sorte de faisceau de vive lumière comme la foudre. Celle-là même qu'invoquait Marat (et Robespierre après lui) : une révolution c'est comme un orage. Il y a des victimes. Les Menus plaisirs n'avaient pas prévu cette mise en scène
 


 
 
posté le 19-02-2011 à 10:57:16

Les châteaux de la subversion.

Les châteaux de la subversion.Ils sont décoiffés (décapités ?) livrés aux vents mauvais. Ils expirent dans la douleur des chutes de pierres, des agressions des végétations sauvages, et le vandalisme quotidien des visiteurs clandestins. A suivre l'exemple de Sade qui en fait le décor de ses "120 Journées", en voici un, dans le vertige des montagnes, inexpugnable, retiré de la société, refermé sur lui-même et cadre de toutes les abominations, les écarts, les supplices, un autre ordre, qui est celui du vice et de la mort. D'ailleurs, Sade s'inspirant des romans gothiques (romans dit "terrifiants") fort à la mode dans l'Angleterre du XVIII° siècle, n'avait pas oublié qu'il y avait toujours des cachots profonds où croupissaient d'innocentes victimes (souvent de douces jeunes filles arrachées à leur famille et sous la tutelle d'un oncle pernicieux et hors la loi).Et Gilles de Rais (auquel Sade ne manque pas aussi de se référer) est maître en son (ses) château où il entraîne de pauvres gamins volés à leurs parents et livrés à des rites sexuels où la mort et le sang accompagnent la recherche du plaisir.Ce sont les châteaux de la subversion. Construits par des seigneurs avides et agressifs, ils sont aussi le repaire de leurs rapines, quand terrorisant une contrée ils y font la loi et s'y retirent protégés par de puissantes murailles, de hautes tours, tout un arsenal guerrier qui ne parle que de violence et de mort.C'est parce qu'il est en retrait de la vie du village qu'il domine, et interdit au manant, que le château suggère toute une vie qui n'est plus celle de l'homme ordinaire mais marquée par quelque orgueilleuse ambition de domination, de pouvoir.Il est l'antre du secret.
 


 
 
posté le 18-02-2011 à 22:01:18

Des mots pour le plaisir.

Peut-être le charme des vieux papiers, ceux qui craquent quand on les touche, qui ont l'odeur de leur enfermement dans une malle, au grenier, à la cave (on est dans l'univers de Bachelard), c'est aussi qu'ils nous surprennent.  Et l'on se penche sur eux pour deviner leur nature, déchiffrer les mots qui s'y pressent. Et là commence l'aventure d'une lecture rêveuse. Rêveuse parce qu'en déchiffrant on se prend à deviner ce qui entoure, explique cette présence des mots. Une errance mentale qui est comme le frisson sur la peau sous la caresse. L'esprit (comme le corps dans le plaisir) ouvert à toutes les surprises.Des mots captés comme papillon dans le filet du chasseur. Ecrire n'est-ce pas assembler le chatoiement de ces mots pour faire une phrase, exprimer une pensée, une émotion.Le charme des mots qui vagabondent, inventent des histoires, creusent des sillons dans la banalité du quotidien, et quand ils sont inspirés, cisèlent des pensées qui nous captent, nous troublent, nous grandissent. La poésie c'est la maîtrise parfaite de cette folle envolée des mots qui nous encerclent, donnent sens à notre vie.
 


 
 
posté le 18-02-2011 à 11:30:56

Maurice Henry et le Grand Jeu.

De ses débuts au coeur du groupe du "Grand Jeu", et parce que l'humour est aussi (et surtout) une arme contre l'angoisse existentielle, et la banalité du quotidien (il s'emploie à le "déminer"), Maurice Henry va s'emparer de la peinture comme d'une arme. Il élimine les problèmes plastiques qui sévissent autour de lui, et ne s'avise pas de s'imposer comme peintre, sachant que pour lui la peinture est un moyen et non une fin.Il s'adonne avec une vélocité de ton dans le dessin d'humour, il offrira une étonnante galerie de portraits des écrivains de sa génération et sa peinture ne sera qu'une mise en image d'énigmes, de jeux de mots, comme une signalisation poétique. N'est-ce-pas aussi, finalement, l'objectif de Magritte.Il n'invente pas une nouvelle formulation picturale, n'expérimente pas ses possibilités au niveau de la matière, mais en use comme d'un médium simplifié à l'extrême dans l'unique souci de lisibilité immédiate. On rejoint le principe de l'idéogramme dont il se plaît pourtant à falsifier l'énoncé comme en un jeu de guignol qui ne montre que l'évidence des faits, cachant la mécanique qui l'anime.
 


 
 
posté le 17-02-2011 à 21:19:34

Liane de Pougy sous le signe de Sapho.

Comme la plupart de ses semblables (les courtisanes "fin de siècle") Liane de Pougy, (née Anne Marie Chassaigne et un temps très cours madame Henri Poupe) se donne un nom à consonance nobiliaire (comme Emilienne d'Alençon, Valtesse de la Bigne) avant de devenir une véritable princesse en épousant le prince Ghika. L'essentiel de sa vie (et la raison de sa gloire) fut sa carrière de danseuse. La scène donnant alors accès à de brillantes relations du type de celles qu'elle entretient en jouant le rôle de courtisane. L'une (avec la Belle Otero) des plus recherchées par des fils de famille, des aristocrates noceurs qui se ruinent dans son alcôve. Sur fond de galanterie tarifée (et chère) elle illustre non sans panache l'esprit et les moeurs de cette "fin de siècle" qui cherche le bonheur dans le tohu-bohu d'une époque qui avait perdue ses repères, les valeurs positives sur lesquelles se construit une société. C'était, désordonnée, l'émergence de la modernité, de l'industrialisation, et du moteur financier (le " enrichissez vous" donné comme maxime de vie). L'argent entrant dans la sillage de l'amour et celui-ci victime des attraits de l'apparence.Elevée jeune dans une institution religieuse, elle va finir ses jours dans un climat de repentance (en 1950), non sans avolr aussi tâté de l'écriture ("L'Insaisisable", dédié à Jean Lorrain, "La Mauvaise part", "Mes Cahiers bleus" - dans le voisinage de Max Jacob-)  surtout pour raconter ses expériences saphiques (en particulier avec l'excentrique Nathalie Barney, pivot stratégique de la vie des lesbiennes de l'époque).
 


 
 
posté le 17-02-2011 à 14:49:14

Laurence Sterne campagnard.

Dans une de ses lettres il en vante le charme : " dorée par le soleil sur le flanc d'une colline romantique". Voilà Laurence Sterne campagnard. C'est la politique de "une chaumière et un coeur". Entre le rêve et la réalité l'écart se creuse.Longtemps abandonnée, en voie de dépréciation, la maison (presbytère) exige de profonds remaniements. Sterne s'y emploie, avec une énergie de néophyte. Il veut jouer au gentleman-farmer. Il agrandira son jardin, procédera à des plantations d'arbres fruitiers, il achète même une ferme et s'engage dans de périlleuses exploitations qui ne sont pas de sa compétence. Voilà le clergyman homme des champs  avant que d'être écrivain. Mais, chez lui, va naître des aléas de la vie, le besoin d'écrire, et son oeuvre totalement dépendre de son quotidien, de sa mémoire. Son activité, un peu désordonnée, victime de son inexpérience, lui attire l'animosité de son voisinage. Son ménage ne marche pas fort également, encore que Elizabeth Lumley se soit avec dévouement, donnée toute entière aux travaux des champs. Elle a la responsabilité des "oies et de la laiterie". C'est progressivement que le couple se distant et qu'un Sterne nouveau apparaît, volage et "coureur de jupons". Deux filles naîtront dans ce cadre champêtre,  dont une seule, Lidya, survivra (elle sera la destinataire de l'autobiographie écrite par Sterne sans vocation d'être publiée, et qui en dit long sur son tempérament, son essor, sa mentalité, sa nature profonde).Certains commentateurs pensent que ce sont ses avatars  d'artisan de la terre qui le conduiront à l'écriture. En somme, au risque de contredire Rimbaud, "main à plume vaut main à charrue".Mais sans cette expérience campagnarde, et d'autant plus que Sterne appuie son oeuvre sur sa vie personnelle, le ton de Tristram Shandy n'aurait pas  atteint cette vérité, cette force de suggestion, et cette  verve née du quotidien jusque dans ses épreuves et ses douleurs. photo flickr
 


 
 
posté le 17-02-2011 à 12:12:43

James Pichette et le jazz.

C'était dans le sombre (et très bourgeois) appartement de la Place de la République (à Paris) alors que nous préparions l'ouvrage sur James Pichette, le frère du poète Henri Pichette. Dans le grand silence de la réflexion autour de la maquette du livre à venir, Henri passait telle une ombre, sans mot dire (maudire !) et James soulignait l'étrangeté de la situation qui voulait que sa gloire fût dépendante de celle d'Henri qui l'avait entraîné dans la formidable aventure de sa carrière poétique qui le plaçait comme le plus singulier parmi ceux qui surgirent au lendemain de la guerre. Le parrainage d'Artaud en ayant amplifié le prestige.Et James dans cette dualité qui pouvait aussi lui faire ombre ?Il s'en tirera avec tous les honneurs de sa propre énergie, se situant dans l'aventure picturale qui revendiquait la primauté du signe, de l'abstraction retrouvant les vertus de l'écriture, en était une manière de développement.C'était le règne des grands : Hartung, Soulages, Schneider, Mathieu, et tout un mouvement d'ardente création qui s'appuyait assez volontiers sur la poésie, ou en soulignait les forces profondes. D'où les collaborations fréquentes entre peintre et poète qui va marquer, après celle du surréalisme, la génération des années 50.A quoi s'ajoute, pour James Pichette, la fraternité de son travail de peintre avec le jazz. Ce fut l'aventure de l'exposition "L'âge du jazz" (au musée Galliera et à celui de la Ville de Paris) qui allait souligner l'étroite collaboration et le jeu d'influence de  la musique sur la peinture, qui d'ailleurs n'était pas nouvelle. Ne voyait-on pas dans l'exposition Mondrian, Delaunay, Miro, Henri Nouveau, Picabia, Fernand Léger ,Comme son ami Jean Berthier, James Pichette aimait aussi peindre en public, au coeur d'un orchestre de jazz. La fusion était totale, la peinture était un "instrument" jouant de toute la magie de sa puissance d'évocation.
 


 
 
posté le 16-02-2011 à 19:37:40

Laurence Sterne vagabonde à Paris.

Dans l'enclos du Temple (à Paris) le prince de Conti mène grande vie, partagée entre les raffinements des sens et ceux de l'esprit. On y tient Salon, et le tout Paris qui pense s'y presse. C'est une étape que ne pouvait négliger Laurence Sterne lors de son voyage en 1762. On est alors à la mode de l'anglomanie. Tout homme d'esprit s'y livre avec une avidité qui dynamise les rapports entretenus entre ducs-hobereaux venus d'outre-Manche et ministres aux marges de leurs fonctions, qui se mêlent volontiers à la société.Laurence Sterne plaît, aussi bien aux femmes, par sa grâce galante, qu'aux hommes par son esprit de répartie. On le rencontre aussi chez madame Geoffrin, ou chez la délicieuse Julie de Lespinasse, en compagnie du comte de Choiseul, d'Holbach. Il assiste aux spectacles, va applaudir la Clairon. On est là dans l'univers du peintre Watteau, et plus encore dans celui de Fragonard, entre alcôves secrètes et badinages au jardin. Diderot est de ses compagnons de virées galantes et de vagabondages intellectuels. D'ailleurs Laurece Sterne apparaît dans "Jacques le Fataliste". Les deux hommes sont faits pour s'entendre; même disposition d'esprit à l'aventure intellectuelle, même curiosité, même effronterie qui est un moteur de progrès dans une société qui prépare sa révolution et se délecte des derniers feux d'une époque condamnée, le sachant sans doute, prévoyant des jours de plus grande humanité.On fête aussi en lui un auteur à succès. Sans doute lu avec distraction mais sa réputation l'emporte et il s'en délecte avec l'humour qui est le sien. Sa souplesse d'esprit le conduit à profiter de toutes les rencontres, quelles qu'elles soient, aussi bien celle de la duchesse que de la fille d'auberge. Dans "le Voyage Sentimental" on aura la même disposition d'esprit à la gourmandise des rencontres, et le savoir faire d'en tirer le meilleur parti.A travers les nombreuses lettres qu'il adresse avec régularité aux siens on retrouve sa jovialité permanente, son esprit prompt, son enthousiasme,  son insatiable curiosité.
 


 
 
posté le 15-02-2011 à 15:21:43

Laurence Sterne et son père.

Loin de l'image du "commandeur" qui domine Kafka enfant, et la lettre au père qui s'en suit, celle que Laurence Sterne donne (dans une intime autobiographie destinée à sa fille Lydia) de son aimable père une image cocasse et sympathique, propre à annoncer l'esprit que développe son oeuvre principale Tristram Shandy.Le personnage s'inscrit dans une généalogie plutôt flatteuse avec en figure ancestrale un archevêque (d'York) dont la descendance s'illustre par des positions sociales pleines de gravité et de noblesse, assorties d'alliances matrimoniales, de celles qui fondent les grandes dynasties bourgeoises.Hors, dans cette aventure familiale, Roger Sterne fait tâche. C'est le vilain petit canard. Contrairement aux autres membres de la famille bien installés dans la société, entre hauts dignitaires ecclésiastiques et riches commerçants, il se lance dans une carrière militaire qui est une caricature du genre. Ballotté de garnisons en champs de bataille, il ne parvient même pas à gravir les échelons qui conduisent aux grades élevés. Il finira sans gloire à la Jamaïque où les remous de l'Histoire l'avait conduit.Laurence naîtra dans ce tourbillon (24 novembre 1713).  Il s'ouvre au monde dans ce tintamarre, au son des fifres et des tambours et le spectacle des uniformes chamarrés.Tout ce monde de fumeur de pipes et de bavards oisifs en conquête vaine de gloire, va mûrir en lui pour surgir, avec une drôlerie qui lui est naturelle, dans les aventure de Tristram Shandy, avec ce goût de l'absurde, cette verve qui va se muer en galanterie. Et l'homme Sterne se profile enfin, après des études elles aussi un peu chahutées, et semble-t-il sans éclat, pasteur et galant tout à la fois, plus galant que pasteur, encore que l'époque avait inventé aussi les abbés de cours, les petits marquis et la verve des Salons qu'il fréquentera avec aisance, une espièglerie qui entre pour beaucoup dans le charme qu'il exerce, en particulier sur les femmes dont il appréciait la présence et l'audience, car c'était un aimable et beau parleur.
 


 
 
posté le 14-02-2011 à 09:59:48

L'Antiquité reconstituée

Dans le sillage de Piranèse ou à son égal on se plaît à imaginer l'Antiquité telle qu'elle pouvait être à partir de quelques lambeaux archéologiques. L'Ecole des Beaux Arts (section architecture) se plaît au genre et l'on a, en cartons, d'étonnantes reconstitutions de ce que pouvaient être des palais, des temples, des villes entières. On est alors plutôt dans l'esprit du décor, dont celui de l'Opéra qui a largement puisé dans ce registre.Mais une ville antique (et pas seulement dans notre imagination) pouvait être ce déploiement splendide de bâtiments aux fonctions nobles (religieuses) comme si alors la vie prenait une dimension supérieure en regard des cultes et de l'idée qu'une société se faisait de la grandeur.On est devenu plus pragmatique, et l'architecture semble répondre plutôt à des fonctions purement utilitaires, voire domestiques.Quand l'architecte rêve d'une ville, elle est saccagée par ses occupants. Voir les différentes tentatives qui ont été entreprises dans les banlieues. De quoi décourager la plume de l'inventeur de rêve, l'utopiste, et comme si l'homme contemporain était incapable (indigne ?) de vivre dans un cadre qui l'élève, l'entraîne vers les zones supérieures (!) de la pensée.Le rêve reste sur le papier. Qu'il soit d'aujourd'hui ou l'écho d'un hier qui avait des ailes.
 


 
 
posté le 13-02-2011 à 10:31:30

Maurice Henry avant Christo.

Toute la carrière de Christo s'est faite sur le principe de l'enveloppement d'objets, puis de monuments (le Reichstag à Berlin, le Pont Neuf à Paris). La spéculation qui entoure aujourd'hui la création artistique aura largement développé des concepts plus ou moins plausibles autour d'un geste qui, pour être simple, entraîne des conséquences parfois étonnantes.La démarche de Christo s'inscrivait logiquement dans la dynamique du Nouveau Réalisme instauré (et théorisé) par Pierre Restany. De surcroît elle entrait, majestueuse, dans la géographie nouvelle de l'art expérimental qui prône le simple choix d'objet (pour les rendre "signifiants") et toutes les manipulations susceptibles de lui donner un sens. Plus naïvement, quelques artistes militant dans les rangs du surréalisme (quelle armée !) procèdent à l'enveloppement d'objets sans y voir autre chose d'un clin d'oeil malicieux, une facétie, voire la création d'une énigme. D'ailleurs Man Ray enveloppant une machine à coudre (objet cher à Lautréamont) désigne cet objet comme "l'énigme de Lautréamont"). Maurice Henry qui fait métier de l'humour qu'il pratiquera surtout dans le dessin (d'une étonnante vélocité de ton) se joue au besoin de l'objet pour lui donner un sens nouveau (ou insolite) d'où un  violon enveloppé, de ses bandelettes comme un blessé, ou un mort selon l'ancienne Egypte. C'est sous le signe de l'humour qu'est né ce geste artistique, il est devenu un instrument de réflexion philosophique. Penser en souriant, quelle aubaine !
 


 
 
posté le 12-02-2011 à 23:02:16

Jean Cocteau et l'étoile du berger.

Qu'on le veuille ou non, et souvent avec un rien d'irritation, car il a trop joué le jeu du poète que l'on sort de sa tanière pour l'exhiber en public, (et que de soirées mondaines, vaines et indignes de sa mission), Jean Cocteau fascine. Etonne plutôt. En cela il répond à l'injonction de Diagihlev qui lui aurait dit - Etonne moi. C'est réussi, mais au prix de quelles compromissions, adhésions à des causes sans poids, des alliances avec des gens sans valeurs,  et une exploitation de son talent qui le détruit. Son dessin, si pertinent quand il le veut (et surtout dans les sujets érotiques), perd tout son sel, sa verve, sa vélocité, quand il l'étale sur de grandes surfaces pour complaire à quelques vaniteuses ambitions. Voulait-il concurrencer son ami Picasso ?On lui reproche la diversité de ses talents (un touche-à-tout) mais quelle facilité pour en tirer toujours une facette de sa mythologie personnelle.C'est en éliminant beaucoup dans sa large "production" que l'on tire le meilleur. D'où, par exemple, des "morceaux choisis". C'est dans la retenue que souvent un artiste donne le meilleur de lui-même. On dirait que par une propension à se faire reconnaître (mais en raison de quel complexe), Cocteau intervient sur tous les terrains de la création, jouant sur tous les tableaux, jusqu'aux pires. Si bien qu'on l'exploite sans vergogne.Il s'est créé autour de lui (et dans son souvenir) une sorte de culte un peu surfait ralliant jusqu'à des amateurs qui reconnaissent moins son oeuvre qu'une certaine idée que l'on se fait du personnage.A une époque où se sera substitué, peu à peu, à l'oeuvre, son créateur (le propre de la dynamique de l'art actuel), il est curieux de voir un poète qui ne l'avait pas lucidement cherché s'y trouver en position d'exemple. Une caricature du rôle joué par l'artiste aujourd'hui. Sa signature se suffit à elle-même. Celle de Cocteau, résumée en un JEAN triomphant, pointé d'une étoile, devient comme l'étoile du berger, le signal de maintes vocations.
 


 
 
posté le 12-02-2011 à 09:45:01

L'art d'écrire.

L'acte d'écrire suppose tout un cérémonial. Jusque dans l'urgence qui veut que le scripteur se contente d'un modeste carnet sur lequel il consigne, à vif, une impression.Pourtant, écrire suppose quelques aménagements dont chacun tire le meilleur résultat pour la bonne marche de son travail.Les plus cérémonieux se constituent un bureau qui devient une sorte de laboratoire (le laboratoire central invoqué par Max Jacob) où ils procèdent à l'organisation de leur travail, depuis le position debout adoptée par Victor Hugo (pour écrire ses épopées) à la cellule monastique de Max Jacob qui mêle l'exercice de la peinture (si proche de l'écriture) à la rédaction de ses nombreuses lettres quotidiennes. Et comment ne pas évoquer le cas d'Antonin Artaud, tirant de ses poches ces modestes cahiers d'écolier sur lesquels avec une rage divinatoire il jette dans une graphie désordonnée ses pensées, ses rages et sa chute mentale.A quoi s'ajoute, pour les privilégiés qui peuvent s'organiser dans une sorte de confort bourgeois (tout le monde ne peut écrire "Un saison en enfer" dans une grange et l'odeur du foin au coeur de l'été), le choix du support papier. Alors intervient ce qui relève d'une manie. Celle de Colette n'écrivant que sur du papier bleu.Je gage que l'allure du verbe qu'on y déroule s'accorde à son support. Pour un langage de verroterie :  le papier de diverses couleurs, comme une fête des mots.
 


 
 
posté le 11-02-2011 à 10:33:37

Thomas de Quincey et la psychanalyse.

D'emblée il faut l'admettre : il n'est pas à sa place. Thomas de Quincey restait pour le public l'auteur des "Confession d'un mangeur d'opium", et l'amoureux de la petite vagabonde qui traverse l'ouvrage. Il est pourtant un prodigue (presque graphomane) auteur de multiples publications relevant de divers sujets (philosophie, légendes, critiques littéraires). Après une enfance misérable il s'installe dans le voisinage des poètes qu'il admire (Coleridge, Wordsworth) et de retour à Londres collabore à de nombreuses revues.Provocateur, il publie "L'assassinat considéré comme l'un des beaux-arts". A se demander pourtant si son ouvrage le plus important n'est pas son Autobiographie à laquelle il travaillera pendant  une quarantaine d'années, au fil de sa vie mouvementée.Le résultat : une prose d'une nouveauté inouïe, un récit labyrinthique.La pensée de Quincey, précisait Baudelaire qui l'admirait, est naturellement en spirale. Sa prose échappe à toute rigueur, cette perspective linéaire qui conduit le récit vers sa finalité. Il s'étend  en cours de route sur des sujets qui sont insérés dans le déroulement, musardant dans sa prose comme un promeneur emporté par une histoire que jalonnent de multiples incidentes. Une prose rêveuse, avec la logique du rêve (le rêve a sa logique: c'est errer comme dans un labyrinthe) à quoi s'ajoute des petits bijoux qui s'enchaînent dans un verbe plein de nuances, de trouvailles, de références venues de tous les horizons. Jeux de métaphores, considérations morales ou philosophiques, tout entre dans le déploiement du texte porteur comme autant de chatoiements sur la trame d'un tissu.C'est une version du soleil noir de la mélancolie (précédent Gérard de Nerval).Se déverse alors une prose d'une incroyable vélocité, mêlant les métaphores, scrutant les abîmes intérieurs.  Ne sont-ce pas les prémisses de la psychanalyse ?
 


 
 
posté le 10-02-2011 à 16:16:42

A la recherche du temps perdu.

Le temps n'est rien qu'une machine à fabriquer de la mémoire. A preuve, les rapports si subtils, et si personnels, que l'on entretient avec les photos qui concernent notre propre passé. Voire, on peut étendre cette considération à l'attrait que peut exercer sur nous l'évocation d'une période dont nous fûmes les témoins et dont on aura oublié bien des épisodes. On se penche (le terme a bien son sens) sur le passé. Image d'attente, où l'on scrute un lieu, un événement, comme un objet. D'après lui on se situe dans sa propre aventure, dans la dynamique de son propre destin.Vivrions nous aussi bien le présent sans cette lecture, car on a autant besoin de mémoire que d'espoir. Et lorsque celui-ci aura disparu on se rabattra sur le passé.Cette recherche s'étend jusqu'à la recherche (souvent frénétique) de nos antécédents, comme si la mémoire de nos ancêtres entrait dans le corps social que nous revendiquons. Serions- nous, radicalement, les enfants de ceux qui firent le  noyau d'une famille, d'une dynastie et d'autant plus armés pour affronter l'avenir que nous aurions une bonne connaissance de ce patrimoine.Pratiquement toute la littérature s'appuie sur des souvenirs d'enfance, toute énergie s'arme de la présence (ou de l'absence) de ce passé familiale. D'où, en cas d'absence, cette folle énergie pour sortir, mieux armé, et comme initiateur d'une chaîne de destins futurs. Jeu d'équilibre.Passé intime (parfois inavouable) passé familial (dont on tirer parti et vanité) alimentent notre propre trajectoire.
 


 
 
posté le 10-02-2011 à 10:53:02

Marcel Duchamp et le fétichisme.

Une grande part de l'attrait que peut exercer sur nous une oeuvre d'art relève du fétichisme. La première conséquence tient au culte de la signature qui authentifie une oeuvre et lui donne son statut en fonction de la célébrité qu'elle illustre.La politique de bien des collectionneurs fonctionne sur la réputation des signatures et parfois au détriment de la qualité de ce qu'elles affichent.Tout un système marchand fonctionne sur ce prestige qui est relatif, souvent provisoire, et culbute les oeuvres dans un tourbillon financier qui n'a rien à voir avec leur qualité intrinsèque.Au terme d'une évolution qui aura vu le renoncement progressif aux critères traditionnels de la création artistique, aura inventé de nouveaux médias, de nouvelles techniques, l'oeuvre d'art acquière son statut par la seule détermination de celui qui la signe. Marcel Duchamp a ouvert là une voie périlleuse.En toute logique, même réduite à sa plus simple expression, une "oeuvre d'art" devient l'objet d'un "culte" qui n'est plus celui de la qualité (du savoir) mais du code qu'elle impose et que l'amateur s'efforce de décrypter.On voit ainsi progresser un nouveau rapport entre l'amateur et l'oeuvre d'art qui échappe à tous les critères jusqu'alors respectés, mais conduit le regard (et l'admiration) vers un objet chargé, par convention, d'un prestige qui n'a de sens que dans le contexte artistique où on le place.Le même porte-bouteille acheté au BHV n'aura de "valeur", de prestige, que dans l'aura du musée qui le présente.
 


 
 
posté le 09-02-2011 à 11:34:58

Chez Lise Deharme.

Curieusement,  les "intérieurs" de certains écrivains qui ressemblent alors à ceux des collectionneurs, ont quelque chose de suranné, tant l'accumulation y trahit plutôt le côté maniaque de celui qui l'aménage, mais il rejoint, par un effet inattendu, celui de la cocotte, dont les visées sont pourtant bien différentes.Ici, chez le créateur, c'est l'envie compulsive de créer son propre univers, là chez la professionnelle de l'amour, c'est le besoin d'étaler sa richesse de même qu'elle se couvrira de bijoux pour "paraître".La bizarrerie est un effet de style chez la seconde, une preuve de culture chez la première, la pratique en étant plutôt réservée aux femmes, encore qu'il arrive que l'homme sans rien perdre de sa virilité y fasse, lui aussi, assaut de singularité, de préciosité.Lise Deharme aura été une figure singulière de  la vie littéraire des années de l'entre deux guerres. Amie (voire plus) des surréalistes elle actionne par sa personnalité troublante, le processus créateur de certains d'entre eux, dont André Breton, et c'est d'un gant oublié par elle à la Centrale surréaliste qu'est né cet objet fétiche dont les surréalistes sont si friands.
 


 
 
posté le 09-02-2011 à 11:03:43

Piero Manzoni, l'art fétiche ?

Il avait la rondeur qui suppose la jovialité, un humour caustique et une chaleur humaine que la rigueur de ses concepts artistiques ne laissent pas deviner.Du temps de Sens Plastique on le voyait souvent, participant avec discrétion à nos petites réunions amicales à Pierrefitte. Un jour il apporta, sur un bristol, l'empreinte de son pouce. Quelque chose qui tenait de la pratique policière mais prenait, avec lui, une forme de discrète allusion à la carte de visite que l'on déposait autrefois dans les antichambres (voir Proust), lui donnant le pouvoir de signifier un passage.Sa carrière s'est faite dans la fulgurance des modes et des options esthétiques qui, dans les années 60, se multipliaient, se croisaient, tissant un formidable tissu d'idées fortes propres à modifier grandement le rôle de l'art dans la société.Son rôle n'y est pas mince, même s'il reste relativement discret. De toutes manières il a pour cadre l'Italie de l'époque où la vitalité des revues, des galeries dépassait largement ce que l'on faisait à Paris.Sans doute, son point de départ a été la pensée et l'action d'Yves Klein (dit Yves) dont Restany a coordonné l'action (sa peinture sur un un nu féminin n'est qu'une réplique de ce qu'avait fait Yves Klein dans un cérémonial qui mettait la nudité en fonction d'être "le pinceau" d'une aventure picturale). Mais, en Italie, Piero Manzoni a joué le rôle de catalyseur, de précurseur, dans l'évolution de l'Arte Povere qui a balayé toute une génération et orienté l'art vers le simple choix d'objets ordinaires (écho à l'action de Marcel Duchamp) et la culture des matériaux pauvres (d'où le titre donné au mouvement).Manzoni, sur des bases théoriques qui vont connaître leur développement, et l'illustration de leurs limites, va cependant donner une dimension plus intériorisée à ce rapport qui semble si évident, et naturel, avec la réalité.L'exposition d'excréments humains a suscité railleries et scepticisme (au premier degré). Sans doute le pas était franchi qui dépasse l'usage de l'art à des fins esthétiques pour pénétrer dans le domaine de la sociologie, et  par étapes, de la psychanalyse.A quoi on peut ajouter une dimension qui est courante dans les arts primitifs (mais avec une connotation religieuse), quand l'art devient fétiche.Au lieu de créer un objet fétiche (entrant parfois dans une pratique rituelle), Manzoni propose des objets (ou des matières) qui soulignent la part inconsciente mais irrémédiable de la nature humaine. Une prise de conscience de notre réalité jusque dans ce qu'elle peut avoir de dérisoire, voire de repoussant.
 


 
 
posté le 08-02-2011 à 16:51:34

Miro-Eluard, la danse des mots.

En quoi l'art contemporain, surtout quand il est "activé" par la   complicité de la poésie, se distingue-t-il fondamentalement de  celui qui, juste le précède et revendique lui aussi ce rapprochement avec les mots. Soit pour les compléter, dialoguer avec eux, exalter leurs forces cachées.La liberté d'écriture, la vivacité de ton, l'audace dans la conquête de l'espace en constituent quelques uns des traits qui l'annoncent, l'imposent et lui donnent cette vitalité que suivra une remise en question radicale de ses effets.Comme si, à l'énergie qui commence avec le futurisme, brûle de tous ses feux avec le surréalisme et émerge, tout naturellement, sur le rôle prépondérant de l'écriture, elle-même devenue signe d'art (Olivier Debré en fera une théorie tout en optant pour d'autres figures de style), on ne pouvait que revenir à la culture de l'objet pour lui-même. Miro, venu de la plus exacte représentation des choses du réel ("La ferme"), va s'élancer avec plus d'enthousiasme que de réflexion (la mise en pratique d'une théorie), dans l'exploration du geste réduit à sa plus simple expression. Frôlant même, parfois, la brutalité et la suavité de l'art brut (sans culture que celle d'un rapport très personnel, et souvent obsessionnel, avec des fantasmes particuliers). encore que Miro détient la particularité d'une sorte d'élégance naturelle à économiser ses effets tout en donnant tout son sens au trait dans son premier jet.Sensible, plus que tout autre, à cette approche "sans filet" de la surface du papier que lui même occupe avec le pouvoir des mots (il aime les calligraphier), Paul Eluard ne pouvait qu'être amené à collaborer avec lui. Ce sont alors des pages d'une étonnante fraîcheur où règne l'esprit de la lettre dans ses rythmes de danse, sa joyeuse conquête. Même les personnages qui, d'occasion, y naissent, furtivement, ont cette allure narquoise et d'une théâtralité qui tient de la culture de guignol. Alfred Jarry n'est pas loin.
 


 
 
posté le 08-02-2011 à 10:32:25

Cendrars au mur.

Sans doute le mur est-il celui de la Prison de la Santé. Blaise Cendrars, à la fin de sa vie, habitait à son ombre (rue Jean Dolent). L'homme est saisi dans son quotidien, à l'heure de la promenade. Avec les éléments propres à sa silhouette familière : le béret, le manteau jeté sur les épaules.Un portrait en dit long sur son modèle. Voici l'homme des grands espaces, des aventures au delà des mers, d'un quotidien brûlant, transformé en piéton de Paris à l'instant d'un temps d'arrêt, peut-être de réflexion. La rudesse du mur est le seul décor qu'il s'est choisi (à moins que ce soit le photographe à l'attente du meilleur moment) et le vide de la rue où passent de vagues silhouettes anonymes.Cendrars aura été le poète de la fuite, du rythme frénétique de la modernité, le chantre d'un monde nouveau, avec ses contemporains Apollinaire, Fernand Léger, Robert et Sonia Delaunay, Picabia. Au terme d'une vie agitée, l'homme devient ce piéton en symbiose avec la ville dans ses stances les plus farouches, les plus immobiles. Le choix du mur de la prison de la Santé n'est pas futile ni innocent. Il porte en lui toute une sagesse, une pensée intériorisée qui s'est alimentée de toutes les expériences humaines, des plus fabuleuses rencontres, que le sort du prisonnier ne résume pas mais illustre, la caricaturant. 
 


 
 
posté le 06-02-2011 à 14:09:50

Georges Hugnet au coeur du livre.

Au soir de leur vie ils éprouvent tous (ne ferait-on pas la même chose ?) le besoin de consigner leurs souvenirs. Ceux qui, dans leur jeunesse, se rallièrent, au surréalisme (ce qui devait être une aventure existante) ne manquent pas d'en retenir les étapes, les phases d'un choix de vie qui, souvent, se confondait avec la création. Georges Hugnet est de ceux-là. Sans doute il n'est pas des surréalistes majeurs, et son oeuvre  ne s'impose pas comme essentielle. Pourtant, il figure en bonne place dans l'Histoire du surréalisme ( voir Maurice Nadeau). Souvent signataire des tracs véhéments que le groupe éditait et qui participaient largement à leur réputation. Pourtant, par nature, l'homme est moins celui d'un combat que d'une vision artisanale de l'art. J'ai souvenir d'être allé le voir dans un appartement du Montparnasse dont il était un fidèle (ce devait être du côté de la rue de la Gaité). Du temps de sa vie de "combat" il partageait avec Jeanne Bucher le petit hôtel particulier, où cette dernière avait sa galerie (et quelle galerie, on en reparlera) à l'étage, lui au rez- de- chaussée.J'ai souvenir d'un petit jardin, mal entretenu, qui séparait cette petite enclave d'allure provinciale, du boulevard (Montparnasse) presque au croisement de la rue de Vaugirard.Georges Hugnet était libraire-éditeur-relieur, c'est à dire au coeur de la vie matérielle du livre, à son approche la plus sensible, la plus décisive pour en faire une oeuvre d'art. Ce qui sera le cas avec lui.Son oeuvre poétique est jalonnée par des rencontres, des collaborations devenues mythiques.Pour son premier recueil c'est Max Jacob qui l'illustre. Suivront: "Enfance" illustré par Miro, "Onan" (Dali), "La septième face du dé" ( Marcel Duchamp), "La Hampe de l'imaginaire (Oscar Dominguez), "La chevelure" (Tanguy), "Une écriture lisible" (Kurt Seligman), Oeillades ciselées en branche (Hans Bellmer), "Non Vouloir" (Miro),  "Au dépens des mots" (Valentine Hugo), "La Femme facile" (Henri Goetz et Christine Boumeester), "Non vouloir" (Picasso),  "La sphère de sable" (Arp), "La nappe du Catalan" (Cocteau), "Les revenants futurs" (Picasso), "L'aventure dada" (Man Ray) (qui est déjà un livre de souvenirs) . Et ce ne sont là que quelques exemples tirés d'une bibliographie impressionnante.Homme du livre il est aussi collagiste, peintre à ses heures.
 


 
 
posté le 05-02-2011 à 22:44:36

Dubuffet exalte la matière.

C'était toujours un petit bouleversement intérieur, une secousse dans l'oeil, un plaisir aussi rare et délicieux que la découverte d'un nouveau plat. Car il y a quelque chose qui procède du plaisir de la matière chez Dubuffet (bien plus que chez Fautrier) dans la recherche de sa diversité. Comme l'enfant qui découvre la réalité des choses, les palpe, les malaxe. Dubuffet entre dans le monde de la matière (Fautrier la "tartine") et s'extasie de ses prodigieux effets. Alors, maîtrisant la chose, il  peut y aller de son petit couplet populiste, précurseur en cela de cette mouvance poétique qui s'adresse aux "gens de peu". Il replace l'homme au coeur de son univers du commun, ayant compris (et fait comprendre) qu'il y a aussi du merveilleux dans le banal. -Regardez comme cette terre est savoureuse, chatoyante, elle porte en elle le souvenir de sa prodigieuse aventure. Après tout, nous y venons bien tard sur cette terre, elle a connu maintes épreuves, maintes métamorphoses, elle se donne à nous moins dans son innocence que son expérience. Il faut la gagner.Alors on griffe, on balafre, on tempête, on agresse comme dans une histoire d'amour impossible. Et l'on aborde cette forme d'humour qui est celle du désespoir qui se transforme en rire, en grimace, en provocation.Dubuffet a jeté une bombe dans la tempérance qui était le propre de l'art français (comme Picasso mais moins en interrogeant l'histoire de l'art que la réalité elle-même, brute, immédiate).Par inclinaison intellectuelle et sa logique, Dubuffet ira du côté de l'art de naïfs. Non pas ceux qui dessinent de travers parce qu'ils ne savent pas dessiner, mais ceux qui s'inventent des mondes rien que pour eux. Où ils s'enlisent, se perdent, s'émerveillent. 
 


 
 
posté le 05-02-2011 à 10:45:02

La vraie Alice.

De son nom (Alice Liddell) Charles Lutwidge  Dodgson n'a gardé que le prénom, changeant le sien pour entrer dans le monde de la poésie qui efface (excuse) toutes les "audaces" comme, par exemple, photographier une très jeune fille (mais déjà femme dans l'attitude) sans passer pour quelque pervers. Lewis Carroll excuse ce qui chez tout autre aurait conduit à des problèmes généralement traités devant les tribunaux. Ajoutera-t-on que Charles Dodgson est certainement mort vierge, toute la force de son désir s'étant muée en art, en poésie.C'est bien à la fois l'ambiguïté et la force poétique de son entreprise  qui échappe aux normes (donc aux lois) et s'immisce dans un univers autrement interdit. Son oeuvre s'appuie sur l'enfance et à elle s'adresse. Ne la lit-on pas par effraction, ou pour retrouver une fraîcheur partout ailleurs interdire, avec de surcroît une dose d'humour qui est de tous les âges.  Donnant une dimension universelle à son oeuvre et transformant son personnage en icône : celle de la fantaisie, d'une quête qui est au coeur de toute adolescence.
 


 
 
posté le 04-02-2011 à 15:21:27

La Révolution Surréaliste, un explosif.

Il en était du prestige du surréalisme lors de son émergence , dans les années 20, que bien des jeunes de cette génération qui émerge après la grande guerre s'y rallie dans le désordre de leur enthousiasme, et la foi en un avenir perçu au delà de l'enfer vécu par leurs aînés. Phénomène historiquement classique, à une génération sacrifiée succède celle qui va donner le ton de l'avenir. Sous les signes croisés de la fête et de la révolte.Fête du corps, libération des moeurs, audace des attitudes, et mise en place de nouvelles "valeurs" celles dont ils héritaient s'étant discréditées dans l'enfer de la guerre.Le surréalisme vient à point, piloté par des intellectuels (André Breton, Philippe Soupault, Louis Aragon), qui avaient vécus l'Histoire dans ses marges (ils en revenaient), mais frappés, et déterminés à changer le cap, les règles et les références.Le surréalisme est un point de ralliement.  Outre les manifestations diverses qui le placent dans une société en ébullition, des publications en balisent les données culturelles, créatrices. Tous les arts sont concernés. Une revue, qui est un instrument de combat, se doit d'être largement ouverte à ceux qui s'engagent dans le sillage d'une pensée qu'André Breton coordonne, définissant ses territoires, collationnant ses modèles.La Révolution  surréaliste se présente comme une revue scientifique (sobriété de la mise en page, rigueur de la maquette) et pourtant c'est un explosif.La société y est revue à la ferveur d'une liberté de l'esprit, une audace imaginative, une reprise en main de la littérature (et de la peinture) selon des principes nouveaux, qui visent à puiser dans l'inconscient, lever les corps aux forces de l'esprit libéré de toutes contraintes.
 


 
 
posté le 03-02-2011 à 21:15:30

Max Ernst chasse le Snark.

Lewis Caroll a quarante ans, il se promène sur la plage, un vers lui vient à l'esprit. En remontant le cours des mots (des rimes) il construit une histoire. Voici un personnage qui a oublié sur le rivage "quarante deux malles marquées à son nom". Le comble, c'est qu'il a aussi oublié son nom. On l'aura compris allusion est faire ici à la perte de son identité. C'est surtout l'histoire d'une quêteCette manière de construire un texte en s'appuyant sur un bout de phrase (égarée),  de celui-ci, peut faire penser à Raymond Roussel qui meuble ses poèmes en les articulant sur des rimes. L'histoire vient d'elle-même.Lewis Carroll est, lui aussi, fasciné par la mécanique des mots (leurs sous entendus) et va construire son récit sur la trame des mots. C'est l'histoire de la chasse (donnée dans le titre) d'un animal étrange, le Snark  . Une bande de personnages improbables (un garçon d'étage, un banquier, un marchand de bonnets, un courtier, un boulanger) s'embarque sur un navire pour aller à la recherche d'un animal dont on ne sait rien (le snark) qui s'avère n'être qu'un vulgaire "boojum". Mais comme l'aurait affirmé Nietzsche : "le but c'est le chemin". Ulysse en est le modèle, la chasse au Snark, une version loufoque, où Lewis Carroll multiplie les mots insensés, les formules insolites, les jeux de mots sans doute codés (on parlera d'une inspiration du jeu d'échec, ce qui est à la fois l'histoire de la trame du texte et contient le mot échec qui clôt l'aventure). Ne pas ignorer que Lewis Carroll, quand il est Charles Lutdwige Dogson,  est professeur de mathématiquesPerte d'identité ici, échec final là, le poème serait la recherche du bonheur. N'en sacrifie-t-il pas d'emblée l'existence en plongeant dans l'abîme de l'absurde. Le cheminement ne menant à rien, qu'une méprise, comme l'oubli va gommer l'existence d'un personnage.André Breton dans sa recherche des ancêtres du surréalisme ne pouvait ignorer cette entreprise aussi étrange que parfaite en sa construction. Comme ces mécaniques absurdes qu'inventait Alfred Jarry ou que va visualiser le sculpteur Tinguely. Dans la foulée, Max Ernst ne pouvait rater l'occasion de faire jouer son humour dévastateur, ses folies imaginatives. Il en fut un illustrateur inspiré.
 


 
 
posté le 02-02-2011 à 11:24:03

Delacroix au Luxembourg.

Venait-il entre deux séances de peinture à l'église Saint Sulpice  (dont on perçoit la silhouette au terme de la rue Servandoni), quittant le Combat de Jacob avec l'Ange pour musarder dans les allées où le bourgeois du quartier se donne des airs de provincial, alors que la rumeur de Paris encercle les joueurs d'échecs qui ignorent le temps quand le temps le permet. Le jardin du Luxembourg tient du square de quartier, avec ses habitués. Gide, en sa jeunesse, portant cape et chapeau à bord plat, y cherchait son Nathanaël, ou les jeunes pervers des Faux-monnayeurs tout en draguant les jeunes éphèbes de l'Ecole Alsacienne. Delacroix donc, secret, tout entier dans son sujet, non sans noter le rythme des saisons qui fait  vibrer le jardin comme un être vivant. On le voit des salles du Palais (la bilbliothèque) où il travaille à une tempétueuse décoration. Peut-être transporte-il avec lui, jusque dans ses pérégrinations champêtres, ses rêves d'Orient et de splendeurs mythologiques. Il se sera arrêté, un moment, au bord d'une allée, et donné du relief à ses rêves. Sinon qu'un autre (le sculpteur Dalou) se sera empressé de leur offrir  une réalité un peu affolée, bien étrangère aux promeneurs d'aujourd'hui qui regardent ce groupe échevelé comme une simple borne, sans toujours savoir quel en est le thème. Des gamins s'en servent comme point de ralliement, jetant en vrac leurs cartables dans les fourrés, et  qui vont, à quelques pas de là, improviser (bien que ce soit interdit), une partie de foot-ball dont ils inventent les règles. Ce sont toujours des rêves qui se fondent dans le bronze et s'offrent aux caprices des pigeons.
 


 
 
posté le 01-02-2011 à 10:05:10

Montaigne en sa tour.

De le découvrir dans les manuels scolaires nous impose une certaine idée qui sera longue à s'effacer. Devant la tour de son château, et parce que l'on évoque la fameuse "chambre" dont le plafond est orné de maximes philosophiques, on imagine Montaigne en sédentaire. Châtelain d'une lointaine province, partagé entre la gestion de son domaine et l'écriture de son "journal" aux heures de repos.Un amateur en somme. Dont le génie fut d'ouvrir le monde des mots aux sensations les plus intimes, à moins que ce ne soit le contraire. Trouver les mots qui cernent les plus infimes sensations et, surtout, leur donner un sens, un ordre, une application au quotidien. Et puis on découvre peu à peu qu'il fut au contraire un grand voyageur. Du coup notre vision de son écriture change radicalement. Ecrivait-il à l'auberge. Ecartant les mets et les vaisselles de la table, il faisait une place pour ses cahiers et dans la vacarme ambiant il poussait toujours plus loin l'aventure des mots, à moins que ce fut à cheval, dans le  rythme de la marche. Ce qui ne correspond guère à son style si élégant et apaisé. Alors le mystère demeure.Comment concilier l'action et l'écriture, et ici l'écriture et le mouvement.C'était rassurant de l'imaginer dans sa tour, contemplant l'étendue des champs qui l'entouraient, et sur le papier faire éclore les élans de sa pensée. On imagine une vie paisible, toute entière tournée vers l'excellence de chaque instant, une culture de l'esprit qui passe par  le silence ( sinon la musique au matin pour la qualité de l'éveil !).