Lettre à la Marquise de Sévigné.Merci. Grâce à vous j'ai traversé un été délicieux, entre siestes à lecture et ramures pesantes de fruits qu'on tardait à cueillir. Ils ont pourris sur place et des abeilles bourdonnaient d'ardeur dans une lumière éblouissante. Il est bien vrai que la compagnie de vos lettres met le lecteur en joie et c'est bien de l'audace que d'oser se mesurer à vous en ce périlleux exercice où vous êtes toujours la plus grande. La plus aimée. C'était une édition savante, pleine de notes et de variantes. J'aime les notes en marge des livres parce qu'elles sont comme les étiquettes (on dit cartouches) au pied des tableaux. Un moyen de rebondir. C'est moins l'information qui est donnée qui me paraît importante que le ressort qui nous projette justement hors du texte, dans des zones qui l'expliquant nous permettent de vagabonder à notre guise, d'aller fouiner dans les bas-côtés. J'aime musarder dans un texte, les notes sont un incitation à cette lenteur qui nous le fait mieux aimer, nous permet de nous y nicher en y apportant des friandises venues de toutes les directions, de tous ces horizons qu'elles nous ouvrent. Une note, c'est un peu au texte ce que le prédelle est au tableau. Un surcroît de l'histoire, une variante, le grossissement d'un détail. Une autre couleur pour le mieux déguster.Vos lettres découvertes quelques années auparavant, que X.... me lisait à haute voix, faisant miroiter chaque mot comme des éboulis de perles dans le creux de la laine. Car chaque mot a son poids et sa verve. Je les dégustais comme une sucrerie. A petites doses et dans le rythme de journées paresseuses et tendres qui conduisent un été vers son accomplissement : la chute des feuilles.C'est jusqu'au destin de vos lettres qui me fascinait . Ces feuillets donnés en héritage et que j'imaginais noués par des précieux rubans, et qui font l'objet de tractations entre héritiers, et menaces d'autodafé. Des promesses solennelles, des complots mystérieux, et la parution soudaine, modeste mais digne, d'une plaquette (75 pages et titrée "Lettres choisies de madame de Sévigné, à madame de Grignan, sa fille, qui contiennent beaucoup de particularité de l'histoire de Louis XIV").C'était comme la promesse d'une aubaine à venir. Chaque lettre annonce la suivante, la fait désirer. C'est bien le charme de la correspondance que de reconduire toujours, de jour en jour, d'étape en étape, la nature même de leur contenu. Le "à suivre" des romans feuilletons d'Alexandre Dumas, Honoré de Balzac et Eugène Sue ne fait que claironner ce que vous chuchotiez au moment de poser votre signature, cette haute graphie qui grimpe à mesure qu'elle délie les lettres de votre nom et a des allures de figure de tapisserie. Peut-être parce que c'était votre tapisserie à vous. Sans le complexe de Pénélope qui nous aurait privé de tant de plaisir de vous lire.Je n'aime plus guère voyager, et pourtant je vous suivais dans votre pesante berline, de la rue de Thorigny à votre Bretagne lointaine, ou encore, avec son étape fluviale sur le Rhône, en passant par d'aimables forteresses de Bourgogne, vers vos salons ventés de Grignan. Vous voilà châtelaine par procuration, et les manants du village qui dansent une bourrée dont vous vantez les charmes annonçant Jean Jacques Rousseau. Une marquise aux champs, voilà de quoi séduire le Promeneur solitaire.N'ayant jamais atteint Grignan j'ai fait étape à Adhémar qui est le fief de votre gendre. C'est un délicieux village haut perché, aux rues si étroites qu'une voiture automobile ne s'y risque pas, et nous voilà condamnés à la marche à pied, au coeur d'une petite symphonie de ces pierres sèches dont on fait les maisons. Parfois elles ont l'aspect net, et que l'on dirait verni, de l'os. Une maison d'os, y avez-vous pensé, c'est un peu la version morbide de l'aventure de Jonas.La vôtre avait de ces somptuosités bourgeoises que détaille avec délice le minutieux Abraham Bosse qui fut le témoin oculaire de la bonne société de son temps, et sans doute, s'en laissant compter par les Précieuses dont vous avez été, oh bien distraitement, une complice. Rien à voir avec ces horribles bas-bleus fustigés par Flaubert au XIX° siècle, qui tiennent Salon comme on aligne ses soldats au garde-à-vous, et dirigent la conversation.On était chez vous plus léger. Côté homme diablotin et freluquet mais avec esprit, capricieuse et malicieuse pour les dames, et on dessinait son destin amoureux sur des cartes qui déclinaient toutes les fantaisies de la nature. Un étang pour contempler la chute du soleil dans le miroir des eaux, un ruisseau tournoyant pour longer ses rivages en galante compagnie, des bosquets d'utopie pour jouer à cache-cache. Ce qui devait être bien difficile dans les jardins tirés au cordeau des dignes hôtels du côté du Louvre, à l'ombre terrifiante de ce lourd passé de l'Histoire de France. D'autres fantaisies s'y ébattaient avant que la pioche des démolisseurs ne mette bas, comme on défriche une forêt, ces bosquets de chimère où mademoiselle de Scudéry n'attend pas Nerval mais fait miroiter au pauvre Voiture la ruelle de son lit à baldaquin.