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lettres de la campagne

posté le 31-01-2009 à 15:59:39

Dans les pas d'Apollinaire : le Flaneur des deux rives.

Le flâneur des deux rives.Tout comme Léon Paul Fargue avec "Le piéton de Paris", Apollinaire, avec "Le flâneur des deux rives" a trouvé un titre magique. Les deux ouvrages participent du même principe qui veut qu'écrire c'est aussi cheminer, et que l'errance urbaine entretient un usage des mots qui veut épouser le rythme de la marche, ses saccades, ses arrêts, ses lenteurs, la volupté de s'y couler comme en une eau profonde, car les mots de l'errance disent moins le réel qu'ils n'en scrutent les mystères.Voici l'amorce d'une de ces errances chères à Apollinaire. C'est alors qu'il habitait rue Gros, dans l'intimité de la coquette et capricieuse Marie Laurencin dont l'amour ne pouvait que le pousser à la mélancolie (d'où Le pont Mirabeau).On est rue Berton, sous la maison où Balzac s'épuisait à finir sa "Comédie humaine" une cafetière à portée de main, dans le silence de la nuit. Un mur modeste la dessine, qui est celui de l'hôtel de Lamballe, devenu la clinique où Guy de Maupassant vivait ses derniers cauchemars et Gérard de Nerval s'en inventait.Elle a l'allure tranquille d'une venelle de campagne cette rue Berton qu'Apollinaire chante en amorçant une exploration du Paris qui lui ressemble et nous assemble.
 


 
 
posté le 30-01-2009 à 16:19:10

Cocteau à l'affiche

La mise au ban de Cocteau, par les surréalistes (menée par Philippe Soupault, le plus acharné ennemi du poète), trouve sa raison d'être dans l'éclectisme éperdu de celui qui aborde tous les genres, joue de toutes les techniques, et n'échappe pas à une certaine facilité qui dénature l'esprit et le sens d'une oeuvre qui se place sous le signe de la poésie et en revendique les pouvoirs.Romancier, poète, dramaturge (et de surcroît dessinateur), Cocteau a de quoi éblouir ou irriter parce qu'il fait jouer la facilité de son talent, qu'il court après l'audience, le succès et se situe toujours aux avants-postes de la création.Le voici triomphant au théâtre avec un registre qui va d'une relecture des pièces antiques (leur mise à la ligne moderne, et contemporaine) et des adaptations de ses propres romans. Assurant sa propre promotion, il déploie une aisance graphique qui se joue de toutes les conventions du genre. Se situant à la croisée de l'illustration, et de l'affiche, apportant grâce et brio à l'énoncé d'un titre. Inventant un graphisme ample de développement et n'occupant de l'espace que le plus strict nécessaire.
 


 
 
posté le 30-01-2009 à 12:37:06

Pierre Albert-Birot l'indépendant.

Le début du XX° siècle a été celui d'une grande remise en question de l'espace typographique. Mallarmé était passé par là, et toute une génération va s'engouffrer dans cette expérience qui dynamise la poésie, lui donnant de nouvelles perspectives, la rapprochant de la peinture, et du spectacle. C'est là toute la nouveauté de Pierre Albert Birot à la fois peintre et poète, et éditant lui-même ses poèmes composant des livres de caractère artisanal qui lui permet de prolonger son goût de l'expérience jusque dans la compositions d'un livre.Il les compose et les imprime lui-même, ce qui donne un caractère artisanal (et fort séduisant) à cette production qui se marginalise d'emblée et affirme son indépendance, encore que le surréalisme voulait le "récupérer". Mais fort de son antériorité et de cette liberté qu'il s'était accordé Pierre Albert Birot jouera sa carrière littéraire dans une grande, franche et vitale solitude.
 


 
 
posté le 29-01-2009 à 16:14:46

Un jardin pour Balzac.

Fuyant ses créanciers Balzac trouve dans un quartier encore campagnard une maison où se réfugier. Elle offre l'avantage d'être construite sur une déclivité et offre deux issues dont celle dont use l'écrivain sur la petite rue Berton où il peut s'échapper. Bâtie sur une sorte de plateau, la maison donne par des portes fenêtres sur un jardin de taille modeste mais qui a conservé quelque chose du charme qu'il pouvait avoir alors que Balzac s'y reposait entre deux chapitres de sa Comédie Humaine. Bien plus que la prétentieuse maison qu'il avait conçue pour recevoir la peu amène Hanska dont il s'était entiché (du moins par ce que l'on peut imaginer avec les restes enserrés dans l'hôtel Berryer d'aujourd'hui) la maison de la rue Raynouard offre tous les charmes d'une maison campagnarde en contact direct, immédiat ,avec la nature. D'où ce jardin fait pour la promenade, la rêverie, un léger flirt et pourquoi pas l'imaginaire d'un plus vaste espace offert à la tourbillonnante saga de la Comédie Humaine. Pourtant on ne l'apprécie que dans le silence, une complicité amoureuse. A visiter le dimanche matin. Le temps y est suspendu.
 


 
 
posté le 29-01-2009 à 15:37:15

Le ventre de Balzac.

Le ventre de Balzac.L'homme de la campagne aime à exhiber son ventre, du moins ne le camoufle-t-il pas. Inconscience ou mépris des apparences ? Il promène tranquillement une silhouette disgracieuse et qui dénonce une vie engluée dans sa matérialité, son confort, ses lâchetés. Un ventre dit bien toute la pesanteur du corps dans ses limites et son destin ignoble. Pourtant, l'avantage d'un ventre prononcé est excusé chez ceux qui sortent leur corps de ses pesanteurs en arguant d'un  esprit supérieur, en allant vers le dépassement de ce corps qui les afflige et dont ils méprisent les contraintes. Je vois en Balzac l'exemple parfait de cette victoire de l'esprit sur le corps.Le ventre est aussi lié au corps de Balzac que le manteau à celui de Proust, les chaussons à Anatole France (signe d'une vie recluse et quasi bourgeoise),  ou la chevelure en désordre à celui de Rimbaud. Chaque créateur à son signe distinctif, une manière de revendiquer sa personnalité.  Ce qui n'est pas une raison pour excuser un ventre sans esprit. Tout bedonnant n'est pas Balzac pour autant.
 


 
 
posté le 28-01-2009 à 11:27:02

Le monde de Lautréamont vu par Hélion.

Quand Hélion revisite le monde de Lautréamont.
 


 
 
posté le 28-01-2009 à 11:03:59

cadavre exquis, un jeu d'enfant et des surréalistes.

Quand l'art se confond avec le jeu, lui emprunte ses techniques et y retrouve cette fraîcheur d'expression qui est au coeur de ses ambitions. Le Surréalisme met en valeur le jeu des petits papiers qui donnaient à nos jeudis d'antan ce piquant un rien provocateur où mots et dessins, enchaînés sur une même surface recréaient un monde fou fou fou, où l'incongruité des images révélait des aspects nouveaux, imprévu, de la réalité.L'expression "cadavre exquis" est justement le résultat de cette confrontation abrupte de deux mots que rien ne prédisposait à se côtoyer. On y retrouvait le rêve de Lautréamont faisant se rencontrer, sur une planche à repasser, un parapluie et une machine à coudre.Du mot au dessin le chemin est court, surtout chez les surréalistes et dans le domaine du jeu où ils se rencontrent volontiers, s'affrontent pour bientôt se confondre dans une esthétique commune.
 


 
 
posté le 26-01-2009 à 17:39:07

Un litron pour une toile.

Comme le douanier Rousseau est parce qu'il est "à part", ne se revendique d'aucune école ou d'un mouvement, Utrillo est à considérer dans sa particularité, son originalité et dans la trajectoire d'une vie qui tient intimement à l'oeuvre. Celle-ci dépendant de celle-là. Vie marginalisée par l'alcoolisme, mais celui-ci découlant d'un mal de vivre qui l'avait condamné à devenir a-social. La légende veut que sa mère, Suzanne Valadon, l'enfermait avec un jeu de cartes postales, l'enjoignant de peindre, et selon ce qu'il ferait, de lui accorder le droit de boire. Le litron contre la toile en somme, et pour son plus grand profit car, partant de cartes postales, adoptant leur cadrage conventionnel et leurs sujets pittoresques, Utrillo a créé un véritable univers centré sur Montmartre où il vivra la majeurs partie de son temps et surtout sa jeunesse. Comme le douanier Rousseau, Utrillo ne pouvait séduire tout d'abord que des écrivains qui voyaient dans son oeuvre une ouverture sur une réalité dont la banalité devenait une source d'émotion.
 


 
 
posté le 26-01-2009 à 11:35:17

Arp bonhomme

Il y avait de la bonhomie dans son allure, son comportement. Une rondeur de toute sa personne qu'il faisait glisser parmi ses sculptures avec une certaine lourdeur, une tendresse tranquille dans le regard. Max Paul Fouchet l'accompagnait. L'homme de l'ouverture sur le monde de l'art, commentait les sculptures. C'était deux complices errant dans la forêt de l'imaginaire de celui qui venait de si loin  dans l'histoire de l'art, des remous de dada dont il était un héros et qui, dans le voisinage de l'abstraction, avait bâti une oeuvre toute de tranquillité, de tendresse, et d'une sensualité qui échappait à toute vulgarité. Une belle carrière d'artiste, curieux et fécond qui avait même flirté avec les mots, et si drôlement, si suavement, que mots et forme constituaient un petit univers qui n'était qu'à lui. Et bienfaisant. C'est à dire apportant une certaine joviale sérénité dans un monde d'angoisse par tous les autres exprimée. Serait-il le seul. Ses rêves étaient ceux d'une innocence retrouvée, d'un paradis qui n'était pas loin de la main. Caressez  une hanche de femme, elle est ici, saisie  dans le marbre, à votre disposition, sans provocation. Comme une évidence de la nature.
 


 
 
posté le 25-01-2009 à 15:24:49

Arp au coeur de l'élémentaire.

Il avait joué avec les lettres, comme l'enfant qui construit une maison avec un alphabet  construit dans du bois. Itinéraire de la fantaisie, des trouvailles insolites, et une pointe d'humour pour faire la niche à toutes les théories de l'art qui foisonnent alentours. Alors, passant des mots à la manipulation des formes, il travaille le bois, joyeux menuisier de ses rêves. Il construit des sortes d'énigmes, un vocabulaire où les mots devenus formes sont presque à la ressemblance de ce qu'ils racontent. Proche en somme des idéogrammes, des sigles qui résument le monde, des actions. Sinon que son monde est essentiellement perçu autour du corps bienheureux, épanoui, et d'une cosmogonie simplifiée. Le soleil autour duquel tournent les planètes c'est, avec lui, un nombril tranquille autour duquel tournent les courbes sensuelles des corps. En morceau, mais nullement détruits, saccagés par leur désir d'être au delà de leurs limites, comme chez Bellmer, mais exposés comme des évidences de la nature. Corps-paysages en somme. Avec des danses d'étoiles, des sarabandes de lunes qui élargissent l'horizon. La nature est en lévitation. La dynamique du végétal s'est emparée d'eux. Le corps est une fleur en croissance. La sensualité est à la ressemblance du doux frimât qui fait frémir les chairs et donne de l'esprit au rêve.
 


 
 
posté le 24-01-2009 à 15:39:13

Le jeu graphique d'Arp.

Incitateur des remous "dada" aux frontières de la première guerre mondiale, en étroite liaison avec ceux qui structurent une révolte qui se traduit surtout dans les formes et dans les mots, Jean (ou Hans) Arp poursuit une trajectoire artistique qui n'est qu'occasionnellement dépendante du surréalisme. Agitateur il l'est dans le cercle de Zurich avec en particulier Tristan Tzara pour complice (il illustre ses premiers recueils de poèmes). Le jeu de désagrégation de la typographie qui est l'une des armes de dada, l'exubérance des mots qui s'emparent de la page, cette plage largement ouverte à toutes les expérimentations, annonce un oeuvre graphique qui joue volontiers de l'espace, et détruit la relativité des limites en suggérant  plus grand que montré, inventant des constellations de poche.La typographie en folie annonce une oeuvre pourtant très équilibrée, avec des développements harmonieux, proches du corps qu'ils suggèrent, de la terre dont ils donnent une idéalisation presqu'abstraire. Mais le jeu typographique n'est-il pas, déjà, une abstraction du verbe ?
 


 
 
posté le 24-01-2009 à 15:12:26

Carnet de notes de René Crevel.

Carnet de Notes.Dessiner, pour Crevel, n'est pas s'exprimer en marge des mots, sinon par distraction. Et le dessin n'est pas une finalité, tout au plus une rêverie de la main qui court sur le papier, ramasse des souvenirs, des idées, et recréé quelques petites saynètes où l'on perçoit tout à la fois l'humour de Crevel et le caractère vache de ses remarques. C'est un tendre blessé. Porté à la caricature. Il pourrait transposer les personnages qu'il dresse d'un crayon léger, ondoyant, dans sa prose qui a des coquetteries, des bizarreries volontaires. Elle court depuis le coeur et bât à son rythme. Sa prose colle étroitement à sa vie, sort de son quotidien, vagabonde au gré de ses humeurs. Son dessin c'est un peu son carnet de notes.
 


 
 
posté le 24-01-2009 à 11:41:02

Kiki de Montparnasse, une muse ardente.

Lui (Foujita) est l'une des gloires de Montparnasse, peintre des douceurs féminines, d'un monde de volupté où les parfums de l'Orient se sont mêlés aux traditions de l'art européen. Elle (Kiki) une petite provinciale, montée à Paris qui a le physique charmant d'une marchande de fleurs et l'impudeur d'un modèle dont elle fait d'ailleurs son métier. Elle passe de lits en lits et chacun, qu'elle enchante de sa liberté tranquille, de sa sensualité sans frein et sans regret, s'empresse d'immortaliser ses traits, de donner corps à sa sensualité un rien provocante. Il y aura Man Ray, dont elle partagera la vie et fouettera le goût de la photographie, il y aura Foujita chez qui l'on rencontrera aussi celle qui fut l'égérie de Robert Desnos, la truculente Youki.C'est tout l'esprit libre de Montparnasse, des heures chaudes des Années folles qui souffle à travers ces figures tendres et comme égarées dans leur folle liberté.
 


 
 
posté le 23-01-2009 à 15:55:03

Jacques Vaché dandy.

Quand Jacques Vaché dessine.André Breton ne manque pas de le souligner, et c'est à travers lui qu'on a les seuls renseignements sur la vie et le comportement de l'étrange et fantasque Jacques Vaché qui aura tellement, à son dire, d'importance pour lui.Il écrivait avec nonchalance. Ses lettres (à Breton) dites "Lettres de Guerre" (elles lui sont de fait contemporaines) élégamment rééditées par K dans les années 50, sont accompagnées de croquis qui empruntent leur esthétique aux dessins de mode dont Vaché était très friand. Une volonté d'être impersonnel. Provocateur par le caractère dandy de celui qui s'y affiche. Le dédain peut aussi souligner le désespoir, il en est la pudeur et  l'élégance.
 


 
 
posté le 23-01-2009 à 12:13:59

Maurice Mazo rencontre le Minotaure.

Au coeur du labyrinthe, dans les tréfonds de ses vertigineuses ramifications où le destin de l'imprudent qui s'y est risqué est de se perdre, veille le Minotaure. Bête immonde et violente, prompte à tuer celui qu'il rencontre (c'est la version du Dragon, mais alors que celui-ci veille aux entrées pour les interdire, celui-là se terre dans les profondeurs pour punir la hardiesse de celui qui veut le défier).Source d'inspiration du peintre quand il veut décrire la violence serait-elle celle du désir, page sublimée des phases légendaires de la mythologie qui reste le simple prétexte pour déplier des corps splendides, la femme dans l'immense empire qu'elle exerce sur les esprits et le danger qu'elle incarne quand l'Eglise domine la pensée et les moeurs de la société (voir les version de la Tentation de Saint Antoine).Maurice Mazo qui est volontairement resté en marge des courants revendiquant l'avant-garde, a superbement dressé la scène de violence que le mythe génère.C'est d'avoir voulu échapper aux sources traditionnelles de l'art que celui-ci s'est engagé dans la crise dont il n'est pas encore sorti.
 


 
 
posté le 23-01-2009 à 10:59:04

L'illusion de la modernité : Cendrars-Léger.

Plus qu'en toute autre époque, la complicité entre peintre et poète aura été fertile et inspirée au début du XX° siècle, entre la génération du cubisme et celle du surréalisme. Une adhésion singulièrement efficace des formes aux mots qu'elles exaltent, mettent en scène, dans un dialogue serré, un jeu de ricochets une véritable machine visuelle qui sort le mot de son inertie sur le papier et le projette dans l'espace, le dynamise. Le poème de Blaise Cendars, qui épouse si bien les rythmes de la modernité, retrouve ceux d'un Fernand Léger qui avait découvert le monde de la mécanique et même trouvé" "beau" le canon de 75, cette machine à tuer.La complicité des deux hommes engagés dans une reconnaissance de la modernité et sa définition ne pouvait mieux s'exprimer que dans des livres qui échappent à la banalisation de son usage de pure lecture. Ils conçoivent alors des objets chargés de toute la force de cette vision nouvelle. Illusoire à nos yeux, aujourd'hui. Les limites de cette fascination se fondent dans les nouvelles lois de la vie qui ne survie que par l'économie de cette force alors libérée et d'une fraîcheur exaltante.
 


 
 
posté le 21-01-2009 à 23:40:36

Les yeux de Nadja.

Avec ces yeux là !  Le cinéma nous a fait le coup, Michèle Morgan y gagne une célébrité convenue. Les yeux de Nadja ne sont-ils pas ceux de la quête infernale (celle qui conduit à la folie, et ce sera son cas) ceux qui troublent moins par l'espoir du plaisir qu'ils annoncent, que l'immensité de désolation qui s'y est étalée car ils sont largement ouverts, entraînant ceux qui s'y abandonnent à des errances douloureuses même si l'amour en est le fanion. André Breton s'y montre plus entomologiste un rien cynique, plus observateur qu'allié, fondu dans l'unité d'une fuite en avant, serait-elle fatale. Mais le sachant, et plus que partout ailleurs dans ses livres, soucieux surtout du sort de ce qu'il en tirera pour écrire, il reste en dehors de l'aventure qu'il "décrit". Serait-ce un pas vers la psychanalyse dont se réclament les surréalistes ?  
 


 
 
posté le 21-01-2009 à 23:15:33

Joan Miro chez Pierre Loeb.

Ils sont tous là, comme dans la chanson, et pas corses pour autant. Ce sont les poètes du surréalisme alors que celui-ci est au sommet de son prestige et de son attrait pour de toujours jeunes recrues qui viennent se coaguler au groupe initial (Breton, Soupault, Aragon, Eluard, Max Ernst, Benjamin Péret) Il y a là René Crevel avec sa prose ensanglantée de méchante mémoire ; Roger Vitrac et ses galéjades qui raniment l'esprit d'Alfed Jarry ; Joé Bousquet et sa prose sorties des ténèbres de sa chambre de demi mourant ; André Masson et sa pétulance érotique : Antonin Artaud, un pied parmi eux, un autre dans la culture de sa douleur ; Michel Leiris, sorti des totems nègres pour régler des comptes avec sa propre vie ; Jacques Baron, que l'on compare à Rimbaud en raison de son jeune âge ; Georges Malkine égaré  dans des rôles secondaires au cinéma ; Robert Desnos, piéton de Paris, piéton des rêves ; Jean José Boiffard, qui fit les belles photographies qui ornent le texte de Breton : Nadja ; Max Morise, un second couteau qui mérite mieux que la place qu'on lui donnera ; Marcel Noll qu'on a rencontré dans "Le Paysan de Paris" ; Georges Limbour que l'on dit dans des pays lointains d'où il envoie des signes fraternels ;  Roland Tual égaré dans le commerce d'art. En ai-je oublié. Ils sont tous là, comme dans la chanson. C'est que l'enjeu le vaut. C'est la première exposition du facétieux Joan Miro.  Et dans une galerie qui compte, parce qu'elle est celle de Pierre Loeb, l'un des plus lucides marchands d'art de cette époque. Jouant la carte de l'éclectisme qui est toujours mal vu dans une société qui rationalise jusque au monde de l'art. Franchir la "ligne jaune" de son clan c'est prendre tous les risques. Pierre Loeb savait les prendre. Chez lui on pouvait voir aussi bien Pascin que Picasso, c'est tout dire. 
 


 
 
posté le 21-01-2009 à 23:04:50

Les tableautins d'Aloysius Bertrand.

C'est Breton qui l'écrit : " Dans la nuit de Gaspard, qu'importe s'il faut étendre longtemps la main pour sentir tomber une de ces pluies très fines qui vont donner naissance à une fontaine enchantée". Titre d'honneur et d'accès au cercle raffiné de ceux que le surréalisme reconnaît comme des leurs, ou comme leurs ancêtres. Baudelaire, déjà, avait rendu justice à l'auteur des poèmes en prose dont on dit qu'il s'inspirera. Bertrand cisèle des poèmes comme de précieux bijoux où les mots étranges entrent par effraction et gagnent leur lisibilité dans ce qui ressemble fort à un "tableautin" (on dira un tableau sans prétention, proche de la pochade), saisi sur le vif, et vif de ton°. D'où ses références significatives à Jacques Callot le sublime chroniqueur des guerres et de leurs atrocités, et des atrocités d'un monde qui jongle avec la mort et les démons de la nuit. D'où ce "Gaspard de la nuit" en qui Aloysius Bertrand consigne tout son monde et ses facettes miroitantes. Et rallions le jugement de Huysmans : " ce fantasque Aloysius Bertrand a transféré les procédés de Léonard dans la prose et peint, avec ses oxydes métalliques, des petits tableaux dont les vives couleurs chatoient ainsi que des émaux lucides".N'est-il pas significatif qu'un Max Jacob se réfère à lui, dans l'élaboration du poème en prose à facture "cubiste".      
 


 
 
posté le 21-01-2009 à 12:04:34

Hermine David dans l'intimité de Pascin.

On entre ici dans la fureur (et la douceur) des "années folles", dont le couple Hermine David et Pascin illustre, la fièvre et la nature spécifique. Hors des conventions bourgeoises mais sans l'agressivité du mouvement dada qui conteste l'ordre de la société et bouscule celui des arts. Pascin est l'héritier d'un art qui se colle à la réalité, avec une nette préférence pour la femme dont il exalte le corps (mais qui ne l'a pas fait avant lui). Il est enfant de Renoir et de Toulouse Lautrec : un savant mélange de volupté et de crudité qui dit bien la vérité des rapports entre hommes et femmes.Hermine David sera,  elle, attentive aux mots et prolixe illustrateur de Rainer Marie Rilke à Proust en passant par André Maurois et André Billy, ou encore le secret Tristan Derème. Un éclectisme de bon goût et qui traduit une vive curiosité.A noter comment le trait de Pascin pour croquer sa compagne est tendre et frémissent. Il en dit long sur le profil coquet et coquin, une présence narquoise et tendre à la fois.
 


 
 
posté le 20-01-2009 à 14:21:39

Francis Carco au bar.

Francis Carco soigne son image dans ce Paris des "Années folles", entre petites frappes de Montmartre et nostalgie à la Gérard de Nerval. Plus proche des artistes qui disent le monde dans ses soubresauts et ses fragiles séductions que des mystères de l'inconscient et le merveilleux prôné par le surréalisme. Il milite pour une poésie proche de la chanson, de la fantaisie verbale et au rythme du coeur.Il parie plus pour Utrillo ou Dignimont (qui fait son portrait et illustre ses livres) que pour Miro ou Max Ernst maîtres d'un art d'expérimentation. Il procède d'un héritage (Villon, à qui il rend hommage) et ne préconise pas une avancée audacieuse dans l'espace de la culture. Le poids des sentiments plutôt que celui d'une aventure de l'esprit.J'ai le souvenir d'une édition très usagée d'un recueil de poèmes (est-ce "La Bohème et mon coeur") mais assez richement relié, qui traînait dans la bibliothèque familiale. Certains poèmes étaient annotés, des phrases soulignées, c'est ainsi, nous dit-on, qu'on assimile le mieux un texte. Le rôle du crayon dans l'appui de la mémoire. L'élégance un peu narquoise, un rien voyou, de Carco vissé sur un tabouret de bar, c'est l'image du  poète dans l'errance urbaine qui alimente son oeuvre. Carco y avait-il rendez-vous avec son ami Paul-Jean Toulet, ou le farceur Willy, à moins que ce ne soit avec quelque belle flambeuse de Pigalle dont il connaissait tous les secrets.
 


 
 
posté le 20-01-2009 à 13:45:03

La chambre d'Apollinaire.

Jacqueline, la belle rousse, avait laissé longtemps "à l'état" le petit appartement qu'elle partageait avec Guillaume Apollinaire, boulevard Saint Germain, où le poète mourait alors que, dans la rue, pour fêter la fin de la guerre, la foule criait "à bas Guillaume" (le nom de l'empereur d'Allemagne).Chambre musée, chambre de recueillement, dominée par le monumental portrait du poète par son amie Marie Laurencin. Hommage faisant pendant au portrait guère plus ressemblant du douanier Rousseau. Encore que l'un et l'autre en disent long sur le poète et son aura, l'espèce de grâce si particulière de son verbe et l'étrangeté de ses rapports avec les femmes (marqués par le désenchantement).La chambre, en revanche, dans son ordre tranquille, dit le bonheur domestique, qu'il rencontrera sur la fin de sa vie. L'armoire à glace contient tous ses secrets et, par jeu, réfléchit l'amour de la peinture qui fut aussi de son habitude et de son génie.
 


 
 
posté le 16-01-2009 à 16:52:27

Lautréamont, une main nocturne.

La légende veut que Lautréamont écrivait la nuit. Philippe Soupault, un de ses découvreurs, affirme même qu'il accompagnait la rédaction de ses strophes barbares d'accords plaqués sur un piano, ce qui irritait fort ses voisins. Il y a tout lieu de croire que Laurtréamont était un piéton invétéré, fouineur des incongruités que lui offrait la rue qui était alors le tremplin des formidables métamorphoses opérées par le verbe. L'écriture, cette danse d'encre conduite par la main sur le papier, traduisait-elle cette fougue ? On connaît peu de manuscrits de sa main, sinon des "lettres d'affaires", dans ses rapports avec ses éditeurs. Le territoire des convenances, où la passion s'est probablement contenue pour faire bonne figure. On connaît peu d'écritures qui ne se maîtrisent jamais, n'ont aucune pudeur, comme celle, pathétique, d'Antonin Artaud, dont mêmes les lettres (nombreuses) portent la marque d'une hâte de la pensée, peut-être même de cette fièvre qui le conduira vers la folie.La folie de Lautréamont peut se masquer, porter l'habit de la bienséance qui ne le coupe pas du monde. C'est bien l'un des paradoxes de son comportement qu'il ne fut pas radicalement seul (ce que l'oeuvre pourrait laisser entendre) ni rageur en permanence.
 


 
 
posté le 16-01-2009 à 11:45:38

L'aventure de Sens Plastique.

Sens Plastique.Imprimée par René Rougerie, animée par un petit groupe d'amis et installée au Soleil dans la tête qui en était une sorte de bureau, largement ouvert sur les rencontres, les découvertes, le hasard qui est un facteur de renouvellement constant, la revue vivra une poignée d'années (1959-60) et affiche d'emblée sa volonté de provoquer des confrontations peinture et poésie sans aucun préjugé même si le jeu des amitiés avait infléchit le choix des artistes participant en particulier à l'illustration des couvertures. Une préférence marquée pour les artistes du "nuagisme" (Benrath, Duvillier, Laubiès, Messagier) ne préjuge en rien du contenu qui ne fut pas exclusivement porté à célébrer ce courant alors en pleine extension grâce à l'appui intelligent et inspiré du poète-critique Julien Alvard dont l'exposition "Antagonismes" (au musée des Arts Décoratifs) fut la démonstration de la cohérence de son argumentation et une insertion définitive des artistes qu'il défendait dans le courant de l'Histoire.En regard de la poésie le choix est souvent déterminé par des options proposées à de jeunes poètes qui rendaient ainsi une sorte d'hommage à un aîné.On y trouvera, pêle-mêle : Gaston Puel, Henri Kréa, Ezra Pound, Jean Paulhan, André Pieyre de Mandiargues, Christian Dotremont, Armel Guerne, André Verdet, Jean-François Chabrun, Jean Follain, Jacques Dupin, Ilara Voronca, Georg Trackl, Achille Chavée, Luc Bérimont, Henri Chopin, André Miguel, Edmond Humeau, Jean l'Anselme, Michel Manoll, Jean-Louis Depierris, Pierre Seghers, Pierre Boujut, Philippe Soupault, Michel Seuphor, André Laude, Viviane Forrester, Pierre Bettencourt, Hubert Juin, Noel Arnaud, Caradec, Raoul Hausmann, Paul Chaulot, André du Bouchet, Léo Malet, Jacques Dupin , Bernard Delvaille, Marcel Béalu etc..
 


 
 
posté le 16-01-2009 à 11:01:36

René Rougerie, les mains à poètes.

René Rougerie.Rimbaud évoquait les mains à plume et les mains à charrue. Que n'a-t-il évoqué les mains à poètes. Celles qui travaillent au vif pour donner au poème sa forme lisible, lui donner une architecture graphique. Ces héritiers de Restif de la Bretonne qui, lui, composait directement ses textes sur le pupitre de l'imprimerie en puisant dans la case les caractères à assembler sont rares aujourd'hui. Au début du XX° siècle il y aura le véhément, funambule  Pierre Albert-Birot, et nous vient à l'esprit Guy Levis Mano, l'unique et légendaire ambassadeur de la poésie surréaliste. De sa génération Iliazd, ou encore Jacques Haumont ou François Bernouard (qui avait son atelier dans l'immeuble de la rue des Saints Pères où vivait Remy de Gourmont et où vivra, par la suite Pierre Albert-Birot), et, plus près de nous : Pierre André Benoit (dont le sigle est PAB), Jean Vodaine (le Gaston Chaissac de l'imprimerie) enfin René Rougerie qui est resté fidèle à la région de Limoges et, après Saint Léonard de Noblat s'est installé dans ce ravissant village de Mortemart avec son château en lambeau, ses halles et ses maisons à l'accent médiéval.Il livrait lui-même dans une petite camionnette les ouvrages fraîchement sortis de ses presses à bras. On le voyait régulièrement au Soleil dans la tête où il apportait, comme des  nouvelles fraîches, des textes retrouvés de Joé Bousquet, de Saint Paul Roux ou de ses amis Marcel Béalu, Jean Follain, Jean Rousselot dont il était le fidèle éditeur. Il fut l'artisan de Sens Plastique qui conservait cette "odeur" particulière de l'encre et de l'atelier artisanal, l'édition retrouvant là le charme des anciennes échoppes où se façonnent des oeuvres qui n'ont pas d'âge.
 


 
 
posté le 14-01-2009 à 12:16:15

L'Eté absolu.

La poésie à la guerre.L'oeuvre de Guillaume Apollinaire est fortement marquée par l'épreuve de la guerre (qui d'une certaine manière précipite la mort du poète). Pratiquement toutes les générations jusque dans les années 80 passèrent par cette case où se conditionne l'homme dans la folie meurtrière, l'ennui, la bêtise et une fausse fraternité d'hommes.La guerre d'Algérie a été celle de ma génération. Fausse, complexe, contestée, pleine d'hypocrisie et de sous-entendus. Fraterniser avec le colon c'était cautionner une action que l'on désapprouvait , regarder l'arabe avec  sympathie c'était trahir et dans bien des cas s'attirer l'inimitié des cadres armés.Nous fumes pourtant nombreux, ayant pour mission (ou vocation) d'écrire, de s'engager dans un refus du jeu proposé, et donner le ton de la contestation.Il y aura dans les années 1955-60 de nombreuses publications et revues réunissant des textes vengeurs, des poèmes, des témoignages donnant de cette sale guerre une image moins convenue et rejetée par le pouvoir."Action poétique"  fut de celles qui réunirent bien des poètes engagés dans cette sereine contestation." Nuit de Garde" fut une petite contribution à cette  prise de conscience. Un roman qui ne fut jamais achevé devait amplifier le propos, lui donner corps, sous le prétexte d'une  histoire d'amour ( naturellement entre un appelé du contingent et une jeune arabe). Il ne verra le jour. Enfoui dans l'oubli. Il n'existe que la couverture qui avait été imaginée par le peintre Biaussat. C'était : "L'Eté absolu". En fait un hymne au soleil.
 


 
 
posté le 13-01-2009 à 16:34:29

Retour à Forneret.

Comme quelques autres, plus ou  moins célèbres (mais la chose importe peu), plus ou moins reconnus (c'est plus grave), traversent ces pages, rebondissent de coin en coin dans les recoins de ce cheminement hasardeux, capricieux, qui se veut familier, chaleureux, mais aime aussi s'appuyer sur des références, visiter des territoires de la création, rencontrer des âmes ardentes. Revoici donc Xavier Forneret, découvert grâce à André Breton (ce lumineux découvreur), il y a bien longtemps, et fréquenté avec assiduité, tant l'homme (plus que l'oeuvre peut-être) est attachant dans son désarroi, sa déveine, ses foucades et sa splendide indifférence à la médiocrité qui l'entoureOn avait composé un précieux petit fascicule de ses merveilleuses sentences, décoré par des figurines de Charlotte Reine, c'était sur la presse à bras du Relais, à la Celle sous Montmirail, cet ultime village qui s'est niché au fond de la petite vallée du Petit Morin, au sud de l'Aisne. La verdure y avait ce charme des printemps qui s'attardent comme une jeune fille se fait mal à l'idée de devenir une femme. Après Forneret on s'était essayé à Dominique Fernandez, à Pierre-Albert Birot ( mon poète fétiche) à Claude Bonnefoy qui fut,  lui aussi, un dénicheur de talent.
 


 
 
posté le 13-01-2009 à 15:26:19

Une image du labyrinthe.

Un blog, plus qu'un livre contenu dans son unité matérielle, permet des digressions, des avancées dans l'inconnu, d'autant que la consultation de google lui offre les multiples sollicitations des découvertes que l'on peut y faire. De même que l'écriture est changée (métamorphosée) par l'usage de l'informatique, la construction d'un texte trouve sa liberté, et vient alors à l'esprit l'image fortifiée du labyrinthe. Toute l'excroissance verbale qui s'appuie sur le souvenir du Soleil dans la tête (première mouture du blog) se diversifie, se développe, s'amplifie dans une profusion de directions, de cheminements qui épousent ceux d'un labyrinthe. Peut-être trouvera-t-on un Minotaure au terme de la course (mais y-a-t-il un terme ?) et sans doute l'énergie voulue pour le construire, le conduire, le reconduire, se trouve-t-elle dans l'espoir de mieux connaître celui qui s'agite ainsi au cours des mots, dans leur foisonnement, leur émergence spontanée, leurs suggestions, leur tyrannie. Conduire un chemin d'écriture c'est sans doute se chercher.
 


 
 
posté le 13-01-2009 à 11:30:27

La saison du Minotaure.

La revue "Le Minotaure" fait partie de ces nombreuses publications créées ou investies par le Surréalisme qui y trouve le terrain le mieux adapté à sa démarche polarisée surtout par la littérature et la peinture ( il y aura le cinématographe, avec Bunuel et les expériences de la période héroïque, avec Man Ray).Elle se fait luxueuse pour séduire un public de plus en plus difficile et gagné par l'avant-garde à condition qu'elle se pare des costumes seyants qui sont aussi ceux de la presse de la mode, du luxe, qui va largement puisé dans l'arsenal du surréalisme pour donner un ton original à une production autrement codifiée, sectaire et figée dans la bienséance.Albert Skira et Tériade se mettent à la tâche bien que le climat ambiant ne soit guère favorable. Montée significative des totalitarismes après la crise de 1929 (sans doute liée à elle) et autour du concept de la revue elle-même désaccord profond de ceux devaient en prendre la direction ( Georges Bataille de André Breton). Pourtant, grâce à l'enthousiasme et la ténacité de Skira (qui est bien conscient qu'il est impossible d'isoler l'art de son pendant naturel : la poéie), le projet prend corps. Et naît le Minotaure. La couverture initiale sera conçue par Picasso qui est là en terrain familier. Peu à peu s'agrègent autour de la figure mythologique André Masson, Miro, Dali, Max Ernst, Man Ray, Marcel Duchamp et Magritte qui invente une scénographie non dénuée d'humour (à son habitude).Le thème du Minotaure est central tant il contient d'éléments propres à dynamiser (voire fertiliser) l'élan poétique qui jaillit d'une société en profond bouleversement, crises diverses et passions enfin exprimables, l'avant garde littéraire ayant bousculé les barrières de la bienséance. Les ancêtres revendiqués en apportent la preuve. Ce seront Sade, Lautréamont, Jarry, Rimbaud, des faiseurs de modernité.
 


 
 
posté le 10-01-2009 à 23:05:22

Un cadre de rêverie.

Comme Jean Jacques Rousseau rêvait en se promenant à Ermenonville, tout homme qui entend maîtriser les mots, trouve une source féconde en cheminant parmi les ruines. Elles sont, tout à la fois le témoignage de la grandeur humaine et de sa fragilité. Elles donnent, à ceux qui s'en imprègnent, une dimension philosophique. Une philosophie douce et à la mesure de la sensibilité qui est le meilleurs moyen d'aborder les vastes problèmes dont elle veut se prévaloir. On chemine parmi les ruines comme en sa mémoire, et surtout en celle d'une culture, d'un passé qui nous habite et qu'elle illustre à sa manière. Nonchalante et mélancolique. Suivons Saint Just dans son initiation à la vie sociale. Elle passe par ce voisinage fertilisant, et l'amour qui trouve, dans l'amour des ruines, un de ses cadres les plus significatifs.
 


 
 
posté le 10-01-2009 à 15:47:02

Saint Just, le démon de la pureté.

Saint Just, comme Rimbaud, offre cette figure d'ange derrière laquelle vibrent tous les orages. Ceux d'une âme ardente, d'une fougue suicidaire, d'une ambition qui les écarte de l'ordinaire, les fait uniques. Héros. Figures de légende.Et plus encore que Rimbaud, s'enfonçant dans l'égoïsme d'une vie clouée au sol par ses contraintes, Saint Just s'engouffre dans les remous de l'Histoire pour donner la pleine mesure de son altière ambition : refaire le monde.Rimbaud a bouleversé le verbe, conduit la poésie à ses extrêmes limites, Saint Just a ouvert notre conscience à un monde possible mais qui exige ses martyrs, entraîne ses risques, et la purification de la société passe par le sang donné pour y parvenir.Plus que jamais, en  une époque qui prend conscience de ses tares, comptabilise ses échecs et secoue, comme après un mauvais rêve, sa tête pouilleuse en avouant sa décadence, un Saint Just (qui porte si bien son nom ! )prend rang parmi les prophètes. Mais n'est-il pas, lui-même, victime de ses propres chimères ?Il faut, pour le découvrir dans l'intimité, se promener dans ces paysages souriants, riches et variés entre Blérancourt et Coucy le Château et s'abandonner au charme des ruines de celui-ci. Que d'émouvantes pages d'un Saint Just amoureux dans l'exploration d'une enceinte qui fut guerrière, devenu champ de rêverie propre à l'éclosion des amours adolescentes. Il n'y a pas de meilleur cadre pour rêver qu'une ruine.
 


 
 
posté le 10-01-2009 à 11:56:30

Voyage autour de la chambre.

Le lieu de l'écriture s'organise à partir d'un mode de vie. Celui qui voyage s'accommodera d'une chambre d'hôtel, campeur, explorateur, il sera en adhésion étroite avec la nature (le ciel est son toit), et la légende veut que les romancières anglaises affectionnent l'atmosphère tranquille de leur cuisine. L'écrivain officiel aura son "bureau", lieu sacré, interdit aux curieux, où s'élabore la construction d'une oeuvre hautaine et déjà prête pour les honneurs académiques.Xavier de Maistre avait, au XIX° siècle, écrit un "Voyage autour de ma chambre",   le lieu de l'intimité (du quotidien) devenant matière à écriture. La diversité des espaces choisi dit bien celle des conceptions que l'on a de l'écriture. C'est à la mesure des objets qui l'ornent (y trouvent leur place) que l'on peut mesurer et mieux aborder l'oeuvre écrite qui en sortira. C'est le "laboratoire central" qu'invoquait Max Jacob qui ne connaîtra que des lieux modestes, proches de la cellule du moine (il en avait l'aspect). Comme l'atelier du peintre (qui en dit long sur lui) l'espace de l'écriture est un miroir de l'oeuvre à moins qu'il n'en soit la matière, dans un jeu de va-et-vient, de réciprocité qui reste fascinant. L'usage de l'ordinateur le rend plus fluide, hasardeux (on peut écrire n'importe où et même dans les transports en commun). L'écriture devient un long voyage en dialogue avec la réalité en mouvement.
 


 
 
posté le 09-01-2009 à 12:11:46

Olivier Brice : le roi se meurt.

C'était du temps de ce qu'on avait baptisé " le complexe de Pompéi" (éditions Horay). Une réflexion sur la mémoire, l'espace de la mort, les ruines, l'art comme quête du passé. Le panorama qui en avait été fait allait d'Arman (les accumulations, les destructions) aux Poirier (maquettes de villes détruites, au Centre Pompidou), en passant par Vostell, Le Gac, Waydelich, et où circulait l'oeuvre foisonnante d'Olivier Brice aujourd'hui bien négligée et presque oubliée.Il reconstituait une sorte de fantôme de musée avec des copies de marbres antiques (empruntés aux collections du Louvre) voilés, des images de catastrophes, un univers de désolation. Une oeuvre pleine d'emphase lyrique qui se serait bien prêtée au décor de théâtre si une mort prématurée n'avait stoppé net ses multiples projets.Il ne manque plus à ses compositions hautaines et désolées que le verbe haut du théâtre antique, quelque mélopée clamant les fastes de règnes disparus.
 


 
 
posté le 09-01-2009 à 11:56:39

Les grandes enjambées de Lautréamont.

Kurt Seligmann participe marginalement à l'aventure surréaliste, mais suivra son chemin propre qui le conduit vers l'ésotérisme. Il est de ceux (avec Masson, Miro, Brauner, Dali) qui illustrent, pour Guy Levis Mano, l'édition d'une exceptionnelle qualité des Chants de Maldoror. Et sans doute, plus que tout autre, il sait trouver le ton, sinon le style, pour donner la meilleure idée de la fougue folle du texte, l'emportement verbal qu'il fait passer dans le dessin, d'un baroquisme inouï. Un dessin échevelé, arrogant, avec un rien de panache désespéré.
 


 
 
posté le 08-01-2009 à 14:46:07

Le cercle des poètes disparus.

Rimbaud qui venait de faire une entrée littéraire marquée par le scandale, la provocation, vint seul poser pour le portrait de groupe qu'avait entrepris Fantin Latour dans son atelier du 8 de la rue des Beaux Arts. En dehors de Verlaine qui vivait alors sa passion désordonnée pour le poète venu de Charleville, les autres se liguent contre ce couple infernal et viennent poser ensemble, mais à part, pour mieux marquer leur solidarité. Il y a là Léon Valade, haut fonctionnaire (il traduit Henri Heine en collaboration avec Albert Mérat) ; Edmond d'Hervilly  dessinateur aux Chemins de fer puis dans la presse,  qui aborde de front poésie et romans ("Mesdames les parisiennes", "Les Parisiens bizarres") ; Camille Pelletan, archiviste-paléographe, pratique le journalisme rejoint Clemenceau à "La Justice" ; Elzear Bonnier, avocat, ami des Parnassiens, un des piliers du groupe des "Vilains Bonshommes" ; Emile Blémont, avocat, journaliste et poète à ses heures. Il possède le manuscrit des "Voyelles" de Rimbaud mais choqué par l'attitude de ce dernier prend ses distances ; Jean Aicard, s'est fait connaître par des ouvrages d'un ton délicat et familier : " Jeunes croyances",  "Poèmes de Provence", "Le livre d'Heure de l'amour", auteur également de pièces de théâtre qui connaissent un certain succès : "Pygmalion", "Maurin des Maures". Auteurs distingués dans ces années "fin de siècle", ils sont tombés dans l'oubli. Ils servent ici, mais par un phénomène qui n'était pas prévu, de "faire valoir" au couple Verlaine-Rimbaud, isolés dans leur dialogue de passion et de génie encore méconnu.
 


 
 
posté le 07-01-2009 à 14:33:07

La guinguette d'Arget.

Piéton d'un Paris menacé par la "modernité" incarnée par les grands travaux d'Haussman, Atget, tel un peintre, va sur le motif et enregistre des lambeaux de cette réalité qui participe étroitement à la vie quotidienne. Lieux de travail, de loisirs, de plaisir. Il retient ces petits riens qui font du réel une mine extraordinaire de rêverie. Tout cliché qu'il fixe avec une patiente d'enthomologiste est le tremplin d'une extraordinaire méditation sur la condition humaine. Il se croit (se veut) objectif, il déclenche une formidable lecture mémorielle où chacun recompose son monde, croyant l'avoir vécu à ses côtés. N'est-ce pas le comble d'ainsi créer un  monde qui devient le notre. Ce n'est pourtant que celui de son temps, de cette fin de siècle qui est celui de tous les bouleversements Le voici ciblant la solitude absolue que représente un lieu de plaisir quand celui-ci s'en est allé, sorte de scène vide dont les personnages ont suivis leur destin qui est ailleurs. Van Gogh, maître en la matière a repris le même thème (La guinguette, musée d'Orsay) .
 


 
 
posté le 05-01-2009 à 11:15:21

Lautréamont et le roman noir.

LAUTRÉAMONT.L'héritage des "romans terrifiants".A la suite des histoires frénétiques de l'Angleterre du XVIII° siècle, il y aura le marquis de Sade qui en reprend les recettes en forçant le trait des déviances sexuelles qui accompagnent des récits frôlant la mort, la souffrance, l'horreur et l'angoisse de l'inconnu, (voir par exemple Les 120 journées de Sodome). L'appel au sexe est moins fait pour donner du sel au récit que pour souligner une volonté de provoquer, de solliciter l'attention du lecteur, le conduisant vers une leçon philosophique qui fait son oeuvre bien plus importante qu'une simple débauche sexuelle et sa complaisante illustration. Lautréamont peut revendiquer cet héritage sinon que la vision sexuelle chez lui n'est pas placée sous le signe de la recherche du plaisir mais dans une agression excessive et forcenée du corps. Il est infiniment plus scandaleux et dérangeant que Sade, et ses excès et ses images outrancières infiniment plus fortes et inventées dans un raffinement de l'écriture, une frénésie vertigineuse. Avec, comme chez Sade, une manie de précision mathématique. Ne venait-il pas à Paris pour poursuivre des études avancées dans le domaine scientifique. L'amour des mathématiques l'a conduit à donner à ses textes, jusque dans leur débordement de vocabulaire, une rigueur inquiétante.
 


 
 
posté le 04-01-2009 à 15:40:35

Lautréamont piéton de Paris.

Comme tout apprenti écrivain Isidore Ducasse vient à Paris vers 1867. C'est celui de la fièvre intellectuelle des Grands Boulevards, entre cafés et théâtres, sièges des journaux, et le Madeleine-Bastille qui cahote sur le macadam. Isidore Ducasse s'installe d'abord à l'hôtel 23, rue Notre Dame des Victoires. Le voilà aux marges du quartier qu'il va habiter. Ce sera au  32  de la rue du Faubourg Montmartre, face à l'entrée de ce Passage Verdeau où il aura son éditeur puis au 7 de la même rue, où il meurt le 24 novembre 1870 "dans un Paris affamé et affligé".Le tracé des panoramas joue un rôle important dans sa vie quotidienne, il entretient ces rapports avec une réalité qu'il fait souvent basculer dans le rêve. Par nature, le "passage" parisien est un monde clos, insolite, mystérieux, tenant de l'aquarium et de la serre, retenant dans son intimité des commerces insolites, des lieux de perdition, des boutiques tenant de l'inutile, mais chargées de symboles. On pénètre dans le passage sous un porche qui affiche son identité, comme dans les poèmes de Dante dont Isidore Ducasse reprendra le principe :  toi qui franchit ce seuil, tu pénètres dans un espace dans lequel on t'abandonne à ton sort.Pourtant l'aventure de Maldoror dépasse les frontières et s'empare de la place Vendôme, et se prolonge avec l'affolante aventure de Mervyn jusqu'au dôme du Panthéon. 
 


 
 
posté le 04-01-2009 à 12:57:08

Lautréamont le vampire

La femme n'a pas la part belle dans Les Chants de Maldoror. Et l'image de la cruauté qui en fait la trame, est endossée par l'homme dans sa désolation et comme une arme.On a pu noter qu'Isidore Ducasse dans sa fureur de lecture s'est approché des "romans terrifiants", cette production littéraire anglaise du XVIII° siècle où domine Ann Radlciffe, qu'il n'a pourtant pas épargné. Elle est, dans Les Poésies, le "spectre toqué". Pourtant Ducasse est friand de cette prose bavarde et imagée qui met en scène l'horreur distillée avec une science exacte des effets d'épouvante.On lui trouvera des liens encore plus étroits avec Mathurin (le compère des ténèbres), auteur de Melmoth, plusieurs fois traduit en France, en particulier par Marie de Fos, en 1867,  chez l'éditeur Lacroix à qui il confiera le soin de publier les Chants de Maldoror (qui, en fait, paraîtront en Belgique, au lendemain de sa mort, chez l'associé de Lacroix : Verboeckhoven) et dont le boutique se trouvait à l'angle du Boulevard Montmartre et de la rue Vivienne, dans le périmêtre étroit dans lequel va se dérouler la vie parisienne de Ducasse.Des scènes de vampirisme sont dans la logique des Chants de Maldoror. (Chant I°) d'une force terrible et provocatrice. Les commentateurs de Lautréamont mettent sur le compte de son amour blessé pour Georges Dazet, connu dans sa scolarité, l'énergie dévastatrice des Chants.  Dazet devenu, dans une version ultime : " le poulpe au regard de soie, le rhinolophe les quatre pattes-nageoires de l'ours marin de l'océan Boréal, le crapaud, monarque des étangs et des marécages, l'acarus sarcopte" ,car on entre là dans l'étrange bestiaire de Ducasse, composé à partir de  notations scientifiques outrées par la verve langagière.
 


 
 
posté le 02-01-2009 à 15:27:36

Picabia plus intime.

Ce n'est qu'un dessin. La méthode la plus modeste d'expression, celle qui adhère le plus à l'instant, à la forme (l'idée) que l'on veut retenir. Quand il joue l'audace dans sa peinture, expérimente son devenir (sans le détruire, comme le fait son ami Marcel Duchamp), il sait, dans le dessin, s'attarder à des références, amorçant son oeuvre sous le signe de l'Impressionnisme et ici de Toulouse-Lautrec dont il retrouve le trait "électrique" et une sorte d'humour et d'insolence qui l'armeront pour s'engager dans l'aventure du dadaïsme où il est aux premières lignes.Ce dessin (sans titre, et lequel lui donner, figurant un être hybride, ni homme, ni femme et tenant des deux) m'accompagne dans mes pérégrinations, se noie dans le désordre de livres qu'il voisine si bien tant l'oeuvre de Picabia participe finalement de la littérature et souvent s'en fit la complice.Homme de mots, jouant d'eux, les provoquant pour tirer d'eux une sève nouvelle, une force vierge propre à nous bousculer, nous révéler le monde sous un jour différent, Picabia se risque à la poésie et son dessin devient celui d'un poète, dans la marge des mots ou pour les accompagner, en souligner la verve, une saveur très particulière qui en fait tout le prix.
 


 
 
posté le 02-01-2009 à 15:07:05

Gabrielle Buffet-Picabia en mémoire.

Trouble comme le souvenir. L'image est arrachée à un ouvrage de Gabrielle Buffet-Picabia, qu'elle m'avait offert lors de ma visite dans son atelier de la rue Chateaubriand (?). "Aires abstraites", ce qui était une manière de souligner son appartenance aux mouvements d'avant-garde des années 1910-1914 alors que se créé une véritable révolution des idées et des formes débouchant sur l'abstraction. On y rencontre tous les artisans de cette aventure qui va instaurer un tout nouveau regard. Une aventure qui ne pouvait qu'être patronnée par le bon Guillaume (Guillaume Apollinaire) leur ami (comme il le fut de Sonia et Robert Delaunay chez lesquels il logera, rue de Savoie dans le quartier de Saint Germain des Près). Il en résultera un livre d'A    pollinaire sur "Les Peintres cubistes" cette étape indispensable entre la peinture reçue en héritage et l'abstraction qui en découle tout naturellement, grâce à des artistes comme les Delaunay et Picabia. C'est à partir d'Apollinaire qu'il se créé une véritable et riche  complicité entre peintres et poètes.
 


 
 
posté le 02-01-2009 à 14:46:21

Le rire de Bryen.

Le rire de Bryen.On le repérait de loin, rien qu'à son rire. En cascade,  tonitruant, sarcastique, Inquiétant. Il est du rire ce qu'on en donne à entendre. On s'y profile, s'y définie aussi. Bryen était petit, fragile et qu'on aurait d'un simple geste mis à terre. Ce n'était pas David, il n'y avait pas de Goliath à vaincre, mais celui dans la classe qui est le perturbateur. Il perturbera la peinture et lui donnera la force et la forme de son rire. C'était, dans les années 45-50, alors que Wols donnait les derniers feux de son lyrisme douloureux, et que la voix d'Antonin Artaud dominait la génération "montante", Bryen fédère tous ceux qui, commettent le crime de l'es-peinture réaliste. Ils cassent l'image, pensent que la peinture peut vivre de sa seule énergie et de son épanchement sans modèle, Il fallait le voir peindre avec jubilation.  C'était une sorte de danse devant la toile, pinceau pointé comme l'épée dans le duel. Et tout partait en giclures, taches et ligne affolées, constituant un territoire qui ne devait à rien de convenu, sinon le risque de se répéter, ce à quoi Bryen n'échappe pas toujours. Il peignait moins le monde ambiant, et même l'idée que l'on s'en fait, mais sa propre énergie, ses humeurs. Cela suffit-il. L'Histoire de l'art, et la place qu'elle lui donnera nous le dira.
 


 
 
posté le 02-01-2009 à 14:26:49

Camille Bryen, le diable dada.

Bryen le diable dada.Dans l'effervescence maintenue à Saint Germain des Près par le couple Sartre-Beauvoir, Camille Bryen prolongeait l'esprit dada des années 20. Il venait de Nantes (le pays de Jacques Vaché, l'un des précurseurs du surréalisme), il avait musardé dans les zones de l'avant-garde qui recueillait à la fois l'héritage de Duchamp et la force poétique générée par les marginaux. Il s'intéresse à toute les formes d'expression. On le voit "oublier" dans la forêt des objets insolites. On est là dans l'esprit de l'errance inspirée et la quête du mystère. Il s'en prend à la lettre, veut lui arracher une nouvelle signification, il créé des alphabets nouveaux, grâce à l'utilisation de verres cannelés, aborde le collage. Et tel qu'il se voit se refait une tête à donner le tournis, celui qui le prenait quand, dans la rue, il riait de tout et voyait ce que personne d'autre voyait dans les choses. Ses dessous, la malice qui y était tapie ; c'était un merveilleux compagnon de route.