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lettres de la campagne

posté le 30-06-2011 à 15:17:25

Alfred Jarry et son cycle.

A son habitude Francis Bacon aura fait le portrait d'un ami (en situation). Comme c'est moins la ressemblance immédiate (celle qui donne une identité) qu'une approche par la peinture des rapports entretenus par le peintre avec son modèle, on peut lui substituer une toute autre figure, en conformité avec la mise en scène qui devient le sujet du tableau.Un cycliste donc, dans une vision vertigineuse et un jeu de diagonale qui le fait "dégringoler" sur la toile, comme un flash qui retient les prémices d'un accident.Il serait tentant d'identifier le personnage (si étroitement lié  à son cycle) avec Alfred Jarry dont on connaît la passion qu'exerçait sur lui la bicyclette qui entre en fanfare dans son oeuvre et qu'il pratiquait  avec application. Son portrait en cycliste (du côté de Corbeil) est sans doute l'image la plus connue qui donne un juste idée du personnage entre humour et sérieux dérisoire. La bicyclette est plus un instrument qui prolonge le corps, décuple ses pouvoirs, et une certaine connotation érotique n'est pas exclue (qui reste allusive).
 


 
 
posté le 28-06-2011 à 10:32:59

Le cérémonial du martyr.

Toute mise à mort, si elle est publique, implique un cérémonial compliqué à forte charge symbolique. Sous l'ancien régime les supplices place de Grève (Hôtel de ville de Paris) attiraient d'immenses foules et des chroniqueurs malicieux (graveleux !) affirment que les attouchements érotiques y étaient monnaie courante.  Et que de femmes se firent engrosser en palpitant aux horreurs qu'on leur donnait en spectacle (écartèlement, supplice de la roue, bûcher, le catalogue est aussi riche que cruel).La mythologie catholique a largement exploité la mise à mort (selon des procédés finement étudiés pour amplifier la souffrance) et offert aux foules de multiples visions de martyr.Celui-ci, procède d'un calcul presque scientifique qui met à mal le corps dans son intégrité, l'expose à des instruments qui le charcutent et font appel au besoin au feu qui gomme tout. On explore le corps avant de le réduire à néant (en cendre).Lorsque la peinture s'empare du sujet (commandité par l'Eglise) pour exalter des souffrances physiques qui sont le prix à payer pour des convictions refusées par le pouvoir, elle s'applique à mettre en scène (non sans emphase) le cérémonial.Bizarrement, les tortionnaires, sont souvent nus (et beaux), comme une sorte de dénonciation (fort ambigue) d'une virilité qui ne peut qu'être du côté du diable.La technique de la souffrance (que l'Eglise catholique n'a pas hésité à utiliser durant l'Inquisition) fait écho à celle du Christ mis en croix, sinon que lui, rayonnant, n'échappe pas toujours à des complaisances esthétiques. La piété passe par les chemins raboteux de l'érotisme.
 


 
 
posté le 27-06-2011 à 10:52:52

Jean Hugo sur scène.

Vivre sous l'ombre (trop prestigieuse) d'un ancêtre comme Victor Hugo en figerait bien d'autres dans l'inertie créatrice. Jean Hugo en revanche assume très bien (et sans arrogance) cette redoutable filiation.Sans vouloir se mesurer à son arrière grand père il oeuvre pour son compte et dans un domaine (la peinture) où il a trouvé son registre, et son style.Un mélange de fausse naïveté et de bonhomie qui confère un charme très particulier (unique) à une oeuvre qui n'a pas cherché les chemins audacieux (mais ne sont-ils pas aussi faciles) de l'avant-garde. Restant fidèle à un traitement de la réalité en lui donnant tout le poids (et la couleur) d'une sensibilité portée à la douceur, à une personnalisation des sujets abordés (souvent des paysages légèrement anecdotiques). L'éditeur Pierre André Benoit (PAB) avait bien compris tout le parti qu'il pouvait en tirer dans l'illustration, surtout pour de minuscules livres qui ont quelque chose de confidentiel.Comme beaucoup de peintres Jean Hugo a aussi abordé le décor de théâtre, sachant s'adapter aux lois du genre, donnant un souffle à la mise en place sur scène d'éléments qui relèvent de l'imaginaire.
 


 
 
posté le 26-06-2011 à 14:54:38

Bellmer et sa poupée.

La mécanique du corps.Comme figure emblématique de cette analyse du corps (aux confins du crime et de la souffrance) la "Poupée" de Bellmer active cette manipulation qui, on l'aura déjà noté, est celle de l'enfant qui martyrise avec cette prétendue innocence qu'on lui attribue, les jouets censés lui donner une image tangible du monde qui l'attend.Curiosité un peu trouble, sadisme latent, la poupée est décortiquée, remontée de fantaisie, et comme dans le souci de dépasser les lois de l'anatomie qui organise le développement du corps.S'en prendre à lui, le déformer, c'est, autant qu'un geste inconsciemment sadique, la recherche d'une anatomie différente, l'accès à une condition qui nous est interdite.Qu'elle passe par la souffrance  rejoint (et explique) la place privilégiée du martyr dans la mythologie religieuse qui donne à celui qui souffre dans sa chair d'accéder  à la béatitude éternelle. C'est une sorte de passage initiatique.Insatisfait de l'anatomie qui nous est allouée on ira inventer des corps "d'ailleurs" niant la beauté du corps tel qui nous est donné et ne craignant pas l'incongruité, l'étrangeté dérangeante. Le passage dans l'espace de la laideur. Notre regard s'est acclimaté à ce qui lui est donné (corps, paysage) ce n'est pas sans risque qu'il s'en échappe. A quoi s'ajoute le retour à l'unité originelle dont nous ne sommes plus que des lambeaux désoeuvrés. L'union amoureuse des corps va dans le sens de cette quête, elle interdit toute autre métamorphose.
 


 
 
posté le 26-06-2011 à 12:35:26

L'énigme d'Isidore Ducasse.

Bien avant Christo qui a conduit toute sa carrière artistique sur le principe de l'enveloppement (le développant sur de vastes volumes : le Pont Neuf à Paris) Man Ray en fait usage (d'exception) pour illustrer le souvenir d'Isidore Ducasse "comte" de Lautréamont.Une pratique pour un sujet, et dans une sorte de cohérence, tant le destin de Lautréamont inspire un grand nombre de questionnements.L'énigme est au coeur de sa vie (si courte). La véhémence inspirée de sa prose (poétique), l'ignorance à peu près totale de sa manière de vivre, si en revanche on a pu situer géographiquement son territoire de déambulation dans Paris. Du Palais Royal (rue Vivienne) aux Grands Boulevards, via la Bourse. Voisin de mon quotidien il fait parti (et les interrogations qu'il suscite) de ma vie jusque dans ses aspects les plus pragmatiques (pour aller faire mes courses je passe devant l'immeuble où il est mort).Les traits de légende qui l'entourent (toute ignorance de la réalité d'une vie est compensée par la multiplication de faits inventés) fabriquent un personnage fascinant (ambigu). Comment cet adolescent tourmenté vivait-il dans le Paris "fin de siècle", pratiquement ignoré des cercles culturels, cultivant une solitude qui a quelque chose d'exemplaire.L'oeuvre de Man Ray illustre admirablement cette énigme.
 


 
 
posté le 24-06-2011 à 15:31:13

De Mallarmé à Dada.

"La poésie est l'expression, par le langage humain, ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l'existence"" ajoutant :  elle est une tâche spirituelle. C'est Mallarmé qui avance ses pions, lui qui prenait tous les risques d'une toute nouvelle manière de manier les mots.Une vision de la poésie excluant sa pratique familière, au raz du réel, même s'il s'y ajoute les gracieuses déclinaisons des rimes. Ou l'étalage des sentiments. La poésie exprime moins les sentiments qu'une connaissance, ou, plutôt, une mise en abîme de la connaissance pour atteindre le coeur certain, souvent inviolé, du sens des choses.D'où l'économie des moyens et la restriction des mots, les choisissant assez denses (forts) pour servir de vecteur à cette connaissance.Démarche qui conduit Mallarmé à situer au plus fort de sa signification le mot dans la page, jouant des blancs qui l'entourent, sur lequel il s'impose à l'extrême pointe, comme un bloc de cristal, la minéralisation qui l'isole autant qu'elle le charge de sens.Au déroulement systématique imposé par l'application des règles classiques (l'alexandrin par exemple) on préfère la mise en scène (?) du mot.Les dadaïstes, d'une certaine manière, vont hériter de ce principe, sinon qu'ils le font sur le ton de la dérision, pour provoquer le mot, quitte à déformer son sens, le précipiter dans l'absurde. Dépouillé à l'extrême, le mot devient celui d'une agression visuelle. Et, perdant peu à peu son sens, il devient un pur élément graphique. Parfois gratuit. La leçon de Mallarmé a été complètement pervertie.
 


 
 
posté le 24-06-2011 à 09:41:09

Verlaine chez lui.

"Chez moi, c'est un marchand de vins. Il y a écrit sur une lanterne : Hôtel.  Entrez par la boutique. On vous mènera dans ma cellule qui est un rez-de-chaussée. La rue Moreau donne dans celle de Charenton, à deux pas des Quinze-Vingts. La cour c'est une impasse à droite de la rue Moreau, tout près d'une voûte du chemin de fer de Vincennes." Verlaine décrivant son domicile (à René Ghil) ouvre les portes à tous les observateurs (nombreux) qui viendront le visiter dans ce qui était un infâme taudis.De nombreuses descriptions nous en sont donnéesGustave Kahn : " C'était, cour Saint-François, presque cour des Miracles. Sous le tonnerre intermittent du chemin de fer de Vincennes, à côté des boutiques aux devantures à plein cintre, une petite impasse ; un chantier de bois appuyait contre le viaduc de longs madriers et des échaudages savants de poutres équarries décorait l'horizon d'une petite boutique de marchand vin où je trouvais Verlaine uniment placé devant un verre ; il m'en offrit la rime, car sa plaisanterie était demeurée banvillesque...."Et E.Raynaud, dans "La mêlée symboliste", d'y aller de son avis : " Sans parquet, sans carrelage, sur la terre battue et boueuse, dans un cabinet sombre que le corridor séparait seul du marchand de vins, près d'une cour encombrée de hardes, de ferrailles et d'une barricade de voitures à bras... où c'était du matin au soir, et du soir au matin, dans ce malencontreux cul-de-sac, un piétinement continuel, une tempête de rumeurs et de cris, de chants, d'appels, d'aboiements, de rires et de disputes"Dans ce climat éprouvant, dans un concert d'amitiés partagées avec toute une génération d'admirateurs, Verlaine composait les poèmes les plus délicats, les plus subtils, au plus près d'une sensibilité toujours en éveil, comme un frisson de douceur et de mélancolie autour d'un destin malheureux.
 


 
 
posté le 24-06-2011 à 09:35:44

Le Nouveau Roman chez Bernard Palissy.

Elle est la survivance, de ce qui fut la rue Taranne ( Diderot n'y avait-il pas un logis ?) aujourd'hui coincée et presque oubliée entre le tracé rectiligne de la rue de Rennes et le couloir pittoresque de la rue du Dragon, sauvée du carnage urbanistique du "fabuleux" baron Haussmann. Révélant, à petites doses et comme à regret, ses façades de maisons chargées d'âge. C'est la rue Bernard Palissy.Et là, au 7, le siège des éditions de Minuit. La légende du quartier veut que ce fut, en d'autres temps, un bordel de bon aloi. C'était, dans les années 60, une usine à penser, à créer et il devait en sortir, bon à l'usage, le Nouveau Roman. Ce fut une révolution, alors qu'on pataugeait dans les miasmes de l'existentialisme qui mettait un pas dans l'Université et que les plumes au chômage cherchaient de nouveaux chemins où s'engager. Une écriture au plus près des choses. Incarnée dans les choses décrites et il faut bien le dire, il y avait quelque chose de séduisant dans ce grossissement du détail pour nous mettre l'oeil à la place de la pensée sur la réalité. Le cubisme, en peinture, avait, au début de XX° siècle, tenté cette approche scrupuleuse, obsessionnelle, de la chose à palper, pénétrer pour montrer la densité du monde. Des mots au plus précis de leur définition. On se glissait comme dans un long travelling  dans ce monde clinquant, scintillant.photo : le groupe du Nouveau Roman : Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Robert Pinget, Claude Ollier, Claude Simon,
 


 
 
posté le 24-06-2011 à 09:31:35

Maurice Raphaël, un marginal.

Eric Losfeld a été, dans les années 50, le plus audacieux et le plus jovial des éditeurs qui se lançaient dans l'aventure en pratiquant une "politique" éditoriale qui défiait tous les principes adoptés dans son milieu. Moins soucieux de rentabilité qu'obéissant à ses pulsions culturelles. Il osait ressortir des textes oubliés, négligés, aller dans les chemins tortueux de l'insolite.Marqué comme l'était l'époque par le prestige historique du surréalisme, il s'était rapproché d'André Breton et avec son aval, il éditait des textes que celui-ci cautionnait et se félicitait de voir sortir de l'oubli.Explorateur de la littérature, Eric Losfeld s'attachait aussi à des singularités ou des auteurs marginaux. C'est ainsi qu'il édite Maurice Raphaël, un curieux personnage qui traînait avec lui une odeur de souffre (un peu comme Maurice Sachs) on le disait compromis pendant l'Occupation et mêlé à des bandes de voyous qui avaient largement profité des circonstances. Une légende ? Elle collait à la peau de Maurice Raphaël qui se révélait un écrivain singulier, hors norme que Breton un moment voulait "soutenir". Quelques livres de son cru ne connaissant aucun succès Maurice Raphaël se donne de nouvelles identités et écrit des "séries noires" sous le nom d'Ange Bastiani et quelques livres (guides) qui se spécialisaient dans les marges (lieux coquins). Cette double (multiples) face le marginalise radicalement, il est aujourd'hui relégué dans les curiosités littéraires.
 


 
 
posté le 23-06-2011 à 09:49:49

Van Gogh peint la nuit.

Sans doute est-ce une légende (mais sa vie hors norme y invite) on dit que pour peindre la nuit Van Gogh plantait des bougies allumées sur les larges bords d'un chapeau. On imagine le tableau ! De fait, à la lumière des étoiles il pouvait très bien entreprendre ce vaste paysage qui donne à voir l'immensité du ciel en son ardeur nocturne. Faire passer dans la peinture (cette forme statique de l'image) la vibrante et crépitante agitation silencieuse des espaces comme en une fête qui au lieu d'écraser le spectateur l'entraîne dans ses folies. N'est-ce pas la séduction du feu d'artifice (deux mots magiques) qui entraîne le regard :  exercice de lévitation.L'homme veut dépasser son corps, la lourdeur de sa chair, il fait passer par l'esprit, l'imagination, le délire (la folie ?), cette fuite d'une insupportable contrainte, cette prison ambulante dans laquelle il est condamné à traverser sa vie.D'où la touche nerveuse, crépitante, brutale parfois, de Van Gogh, cette manière de malmener la toile, la combattre (jusqu'à se tuer).La peinture n'est pas ornementale avec lui, ni complaisante, elle est un combat avec lui-même, et l'idée assez folle de vouloir se dépasser.N'est-on pas, dans ce paysage de nuit, sous la voûte étoilée, comme dans l'antichambre d'un autre monde. Qui n'a pas, une nuit d'été, ressenti cette ivresse des mutations de son corps, allant chercher (mais si loin) un autre destin.
 


 
 
posté le 21-06-2011 à 10:07:18

Ode à la lingerie.

On doit trouver dans les savoureuses (et rêveuses) pages de Bachelard une évocation des rapports intimes et secrets avec le linge. Plus encore chez la femme puisqu'un partage arbitraire des rôles joués par chacun dans la vie sociale leur a attribué la gérance des objets de la maison. Les merveilleux films de Bergman mettent en scène ces ballets féminins du traitement du linge.Combien de romans qui s'appuient sur des souvenirs d'enfance, évoquent le charme prenant des odeurs d'une armoire réservée au linge de maison et le soin amoureux apporté à leur entretien. Sans oublier l'importance qu'il avait dans la dotation des filles à marier en d'autres temps.Mais le linge qui accompagne les rites (dont ceux de la fête) de la famille, repas, noces, devient aussi linceul au moment de la mort.Il entoure la naissance, enferme le corps au terme de sa vie. Comme une ultime peau de protection, comme il fut le réceptacle de l'apparition d'un corps encore englué dans les matières de la gestation à la naissance. Dans les campagnes, et dans la tradition des fêtes de village ou de famille, on se servait des draps  comme nappe pour les banquets. Ici au rythme de la fête, un autre moment dans la solennité de la mort.Il est au plus près du corps, complice, épousant sa gestuelle amoureuse, alors qu'au temps de la mort, il désigne la rigidité qui l'afflige et le fixe à jamais.Il est aussi notre portrait  (le linceul de Turin offrant, dit-on, le visage imprimé du Christ descendu de la croix).Dans les années 60, l'artiste grec Nikos invitait ses amis à se placer derrière un drap tendu comme un écran et une forte lumière soulignait la silhouette qu'il captait ainsi dans un flash photographique. Prenant un angle radicalement différent, l'artiste portugaise Lourdès Castro, projetait la silhouette de ses modèles sur un écran de tissu et la soulignait d'un trait sobre et doux qui sortait un portrait furtif.
 


 
 
posté le 19-06-2011 à 16:10:33

Topographie parisienne de Modiano

"Au premier étage d'un immeuble nous avons remarqué deux grandes fenêtres éclairées. Nous nous sommes assis sur un banc, en face,  et nous ne pouvons nous empêcher de regarder ces fenêtres. C'était la lampe à abat-jour rouge, tout au fond qui répandant cette lumière sourde....- On devrait sonner à la porte m'a dit Louki, je suis sûre que quelqu'un nous attend".Qu'on se souvienne : la petite lumière perçue par Nadja, place Dauphine où l'avait entraînée Breton. Car Louki c'est une autre Nadja, errant dans Paris pour finalement s'y suicider.Partrick Modiano dans  "Dans le café de la jeunesse perdue", propose un itinéraire, celui de Louki personnage énigmatique, attachant, pathétique, dont on voit peu à peu se former l'écart qui l'exclue de la réalité qu'elle aura affronté sous ses phases les plus marginales, dans un Pigalle dont nous est donné avec une précision d'huissier la déclinaison des rues qui vont de la place Clichy à la Place Blanche. En sus de la topographie de Pigalle, Modiano esquisse une théorie passionnante sur les zones neutres (ces trous d'ombre dans la texture de la ville, où rien n'aura présidé à la topographie abandonnée à l'oubli comme les trous noirs dans la stratosphère). Dans une écriture volontairement tenue, sobre, qui prend les personnages par la main et nous les rend extraordinairement présents.Louki au centre d'une intrigue donnée à plusieurs voix qui se croisent, attrapent tous les détails car il y a un côté roman policier dans ce portrait d'un groupe d'intellectuels des années Saint Germain des Près (Adamov, Maurice Raphael).Et Louki , rendue sublime par son mystère.
 


 
 
posté le 19-06-2011 à 14:23:02

Un duo Verlaine-Mallarmé.

Est-ce Mallarmé, peinant au fond d'une province (Besançon) où il parvient si mal à apprendre la langue anglaise à des morveux chahuteurs qui lui donnent la migraine, qui rêve (lettre à Cazalis) d'une large allée dans un parc de fiction et  menant vers un bassin où trône comme une fleur gigantesque, un jet d'eau. Tout est là, déjà dans la rancoeur et l'exigence du poète qui ne parvient pas à trouver le temps et l'esprit dégagé de la gangue du quotidien, pour ciseler les plus beaux mots du poème. C'est l'époque où il commence à dialoguer (par lettres alors) avec un Verlaine jeune marié et vivant avec ardeur sa condition d'époux amoureux, avant que l'impertinent (et affolant) Rimbaud ne vienne perturber le ménage.D'un côté un Mallarmé pauvre, se battant avec le temps, de l'autre un Verlaine pas encore pilier de bistros et jeune débutant brillant, fêté par ses pairs et rencontrant la "crème" de la poésie chez l'éditeur Alphonse Lemerre passage Choiseul.Etrange entrée en scène où l'avantage est chez celui qui sera, bientôt, la victime de ses propres errements, pitoyable clochard, quand l'autre, dans la modestie de son petit appartement de la rue de Rome, deviendra une sorte de mage de la poésie, un maître que l'on vient voir (et vénérer) avec la ferveur qui va créer des liens entre les artisans d'une poésie en devenir, sceller une génération en sa force et sa grandeur.L'allée magnifique sera cette oeuvre exigeante tracée droite vers la perfection qui se confond avec le jaillissement d'un nouveau sens donné aux mots.
 


 
 
posté le 17-06-2011 à 22:26:30

La "Paysanne pervertie"

Elle est "L'ingénue libertine", mais pour paraphraser Restif de la Bretonne ("le Paysan perverti"), on dira que Colette est l'image de la paysanne pervertie, figure emblématique du milieu saphique "fin de siècle". En l'extrayant de son milieu naturel où elle était une petite fille effrontée mais douée d'une faculté exceptionnelle à saisir les forces savoureuses de la réalité, la coeur vibrant des choses, Willy la propulse dans un Paris vicié de l'intérieur, entre arrivisme et débauche canaille, paillette et désordre de l'âme.Willy exploite son "innocence" naturelle, ses dons précoces à "dire les choses de la vie", mais la distorsion du couple, et un penchant naturel de Colette à quêter des sensations fortes et inédites, la conduisent au spectacle (elle devient danseuse) et aux liaisons sulfureuses avec les amazones de Sapho (Nathalie Barey). Elle y trace son chemin mondain et sexuel qui lui construit une sorte de légende. Et loin de l'écarter d'une audience étendue  ou de l'enfermer dans les zones équivoques de la débauche ("Le pur et l'impur") son parcours la pare d'une sorte de prestige sulfureux où se joue encore la part candide de sa nature, et le naturel de ses instincts qui alimentent son oeuvre. Mariée à un aristocrate elle devient une figure socialement assimilée à la vie intellectuelle et mondaine. Elle devient Colette, dont le nom curieusement semble se résumer à un prénom quand il est réellement son nom "civil". Future académicienne, elle incarne un nouvel aspect de la littérature française qui affiche résolument un regard au féminin, sans avoir pour autant milité pour le féminisme (ce sera le rôle de Simon de Beauvoir).
 


 
 
posté le 17-06-2011 à 09:35:11

Danger : l'art Informel.

Le passage progressif d'un art de représentation à un art d'expression a, paradoxalement, réduit le champ d'investigation du créateur alors que l'on croyait, militant pour son développement, qu'il repoussait les limites des sujets. De fait, c'est un art sans sujet, sinon soi-même, une approche souvent frénétique de ses propres élans, de ses colères, de ses angoisses qui ne trouvent pas des images mais des errances graphiques, une projection de la matière dans un désordre qui est bien celui d'une âme tourmentée, d'une sensibilité à vif.La peinture informelle est la cousine de la psychanalyse. Elle est la recherche dans les profondeurs de la conscience et trouve, pour un retenir les accents, les rythmes et les élans, cette agitation qui met à mal la matière, libère le dessin, comme une boussole affolée.La peinture qui s'appuie sur les aspects référencés du monde extérieur a autant de sujets que la réalité en propose, ainsi que les événements dont elle est le cadre. Toute la peinture, jusqu'alors avait vécue sur cet élan, à quoi s'ajoute l'illustration des mythes, des croyances, des vénérations qui alimentent la peinture religieuse ou historique.Réduit à l'informel l'art tourne autour de lui-même, s'épuise de ses limites et débouche sur la confusion des sentiments qui est au coeur de la condition humaine. Il ouvre aussi la porte à toutes les facilités, les dérives, les provocations et les supercheries. A terme, s'y donnant sans mesure, et comme pris de vertige, il rejoint les remous premiers de la création, le magma des origines.Mettant à bas tout l'effort conduit de siècle en siècle pour trouver une écriture qui dise l'homme dans ses dimensions et ses folies. Une écriture qui tend à la clarté.
 


 
 
posté le 16-06-2011 à 12:54:39

Le vain tribun.

On l'aura dit (par exemple Alain Robbe-Grillet dans sa remarquable autobiographie) "toute parole est fasciste" L'homme qui parle conduit le bal, domine la foule (voir le tribun). Il fait passer le message. Porteur d'une force qui parfois le dépasse (le terrasse) et dont il ne parvient à se guérir qu'en la semant, l'émiettant, car tout discours (surtout s'il sème la tempête) perd de sa force s'il se diffuse, gagne du terrain mais perd de sa raison d'être, d'où les conséquences désastreuses qui en découlent. On ne véhicule qu'une pensée déformée, grossie (grossière) schématique et vaine.En face (regardez le, sombre et méditatif) voici l'homme du silence. On en fait des statues, et c'est du silence qu'elles tiennent leur prestige. Plus grand encore que d'être plongé dans le temps, dans l'épaisseur du temps qui a posé là, sur des formes qui furent humaines, la peau de la légende. On l'abandonnera aux promeneurs distraits qui vaquent dans les allées des parcs et qui seraient bien étonnés si, brusquement tous ces fantômes de pierre prenaient la parole.
 


 
 
posté le 16-06-2011 à 09:41:11

Alphonse Chave et ses trésors.

C'était un rite, et nul (qui s'intéressait à l'art où y jouait sa partition) qui "descendait" dans le midi n'aurait manquait l'étape à Vence à la galerie d'Alphonse Chave.Un pittoresque personnage que ce Chave qui avait fait des études d'art, acheté une droguerie et comme le père Tanguy à Paris, du temps des Impressionnistes, échangeait la marchandise contre des oeuvres d'art. Par tempérament c'est vers les arts naïfs, bruts et singuliers que Chave portait son attention.En face de la droguerie il ouvre bientôt une galerie, celle qui devient légendaire, et où  Max Ernst ou Dubuffet ne dédaignent pas d'exposer dans le voisinage fraternel avec des oeuvres de ces postiers à la retraite, jardiniers, épiciers ou tout ce qui relève du rêve après le quotidien, la recherche d'un plaisir solitaire de s'exprimer.Se constituant une collection unique en son genre, l'idée lui vient d'en faire une sorte d'ensemble qui était son "portrait mental".Je me souviens des airs de mystère, entre l'air faussement benoît d'un abbé et l'once de sourire qui soulignait le farceur, qu'il prenait pour nous entraîner dans la "réserve" où il avait entassé ses trésors.  Ils firent l'objet d'une grande exposition à l'ELAC à Lyion (en 1981).Près de 150 pièces qui relevaient de la sculpture, de l'assemblage, du collage, et la peinture mise à toutes les sauces de l'imaginaire. Car, peu soucieux de suivre les modes, de s'interroger sur le sens à donner à l'art, ou sur les moyens d'y parvenir, chacun y allait de sa petite musique. Quel orchestre !Voici Philippe Dereux et ses folies d'épluchures, Bru et ses furtives apparitions corporelles, Avril (photo) ses montages maniaques et drôlatiques, Kopac, Malaval, Luce Norc (bien oubliée, qu'ils étaient beaux ses dessins en toile d'araignée) Fred Deux et sa morphologie d'enfer, Eppelé (autres fantômes), d'Acher aux singulières métamorphoses, Bauchant (un seigneur dans ce monde), Ribemont Dessaignes (qui fut toujours peintre et poète et figure légendaire de Dada). On passe du masque au totem, dans un débauche de matériaux,, de couleurs d'invention, de folie.Il faut cultiver sa folie.
 


 
 
posté le 15-06-2011 à 14:51:24

Degas à la Nouvelle Athènes.

La brièveté, la force d'une photographie. Degas l'a peint au Café de la Nouvelle Athènes, à Pigalle, qu'il fréquentait assidûment ainsi que ses amis. C'est l'heure incertaine des vagues à l'âme, deux de ses amis posent pour fixer ce genre de drame intime dont le café est souvent le cadre.On l'associe d'ordinaire à l'intensité de la vie sociale, les vastes mouvements qui le traversent, un va-et-vient qui est celui de la rue venue se réfugier là où parfaire une rencontre, obéir au rite parfois quotidien de l'apéritif.Pourtant, dans le même temps, le café est le refuge de toutes les solitudes. On s'y installe sur le trône de sa fidélité à une certaine banquette en moleskine qui devient le territoire de toutes ses rêveries, de ses délires intimes. C'est le soliloque de l'ivrogne, l'épopée vaine et pathétique de regrets étalés dans un débit hoquetant et déclamatoire.Qu'une femme en soit l'héroïne change le jeu, On est dans un registre plus discret, mais non moins poignant.Elle est droite encore, consciente de son indignité et soucieuse de sauver les apparences. Elle ignore son voisin ( à moins que ce soit celui-ci qui préfère la laisser dans son rôle) et pourtant, on devine qu'ils sont venus ensemble. Ce voisinage à une seule table souligne leur familiarité. Contrariée par la plongée lente et irrévocable de celle qui, dans la boisson ( la fée verte ?), va retrouver le vaste territoire de ses regrets, d'un passé que le filtre de l'alcool lui ouvre avec cette précision que l'on dit être celle des agonies où l'on voit défiler sa vie à grande vitesse, comme pour en rattraper des bribes.Son regard est vide, absent, à moins que si fortement retourné sur elle-même dans les profondeurs de sa mémoire, qu'il s'est absenté pour nous, nous ignore.Les fumées de l'alcool ont cette vertu de nous emporter dans des territoires que, lucide, nous ne saurions explorer, c'est la clef de tous les artifices, de toutes les chutes possible. Et le prix en est le regret, qui, lui seul, peint le visage comme un masque.
 


 
 
posté le 13-06-2011 à 16:16:56

La Promenade de Lautréamont.

Il aimait la rue de Rivoli et son ballet nocturne où des silhouettes  entr'aperçues se glissent entre les lourdes arcades avec des allures de poissons qui flottent dans des eaux troubles d'une nuit océane. Le jardin des Tuileries et ses lourdes algues s'est calé dans sa masse sombre, encore qu'on la devine toute bruissante de souffles et de furtifs déplacements.Il ne s'y risque guère, craignant l'assaut des bêtes qui somnolent dans les bosquets. Il le sait, en plein jour, figées dans le bronze verdâtre, offrant leur dos rond aux enfants qui s'y vautrent comme sur quelque fabuleuse montagne miniature. Le lion et le rhinocéros qui veillent aux entrées du jardin, discrètement, la nuit, se lèvent, quittent leur socle de pilier, s'étirent silencieusement, et se mêlent aux promeneurs égarés qui font parfois les frais de leur curiosité et de leur imprudence.Trouvez-vous, une nuit, face à la rue de Castiglione, à travers les grilles vous devriez les voir sur la terrasse, à cette heure déserte. Le hasard, la chance, votre ténacité, vous feront témoin. Soyez sûr alors qu'ils gambadent sur le sol tendre du jardin, y laissant la marque de leurs lourdes pattes. On on a vu aller jusqu'à la Seine, se faufilant parmi les rares voitures qui empruntent à cette heure tardive la voie de berge.Animaux de bronze, ils bornent comme pour une parade pittoresque, les longues marches usées, où Louis XVI, fuyant son palais en furie, et venant chercher abri au Manège, butât là, tant de fatigue qu'envahi par une rêverie étrange qui l'assaillait. Il voyait déjà, comme une ombre divinatoire, sa tête brandie par une main vigoureuse et peu soucieuse de l'étiquette, protégée dans son forfait par la tornade des tambours battant avec énergie et une double rangée de cavaliers qui tentaient de maintenir leurs chevaux anormalement énervés. Au loin, indistincte, confuse, mais mouvante, une foule hilare, stupéfaite, assistait là à un spectacle inouï. Le massacre de ses idoles.Quand les idoles sont mortelles on est perdu, mais on ne le sait pas.Il fut, en quelques sortes, agressé par l'image de lui-même, et du sang qui dégoulinait de cette poche absurde, là où la décollation avait libéré le flux d'ardeur qui l'habitait, tout ce sang sacré. Il en frissonna et perdit l'équilibre. Il faillit s'effondrer sur ces marches où, aujourd'hui, des enfants traînent, effondrés de fatigue, leur tricycle pour regagner leur appartement confortable de la rue de Rivoli où un valet de pied stylé, ouvrant cérémonieusement  la porte, demande si "monsieur a passé une  bonne après-midi"Les animaux donc, qu'on aura par chance ou hasard, mais à ses risques et périls, croisés dans la nuit, venus sous les allées du jardin, vont entrer dans l'espace alerté de toutes parts par les menaces de Maldoror.Une légende veut que, le jour où l'on érigea les deux statues dues au sculpteur Auguste Cain, qui représentent respectivement "Le Lion et la Lionne se disputant un sanglier, et "Rhinocéros attaqué par les tigres" on constata la disparition à part égale d'un couple de lion, d'un sanglier, de trois tigres et d'un Rhinocéros du jardin des Plantes. Des recherches furent immédiatement entreprises qui n'apportèrent aucun résultat. L'effroi fut grand dans la population que la presse mis en garde. Des témoignages commencèrent à affluer, de noctambules, et  l'on nota  quelques disparitions mystérieuses de jeunes vierges.Un témoin déclarant avoir croisé le couple de lion benoîtement couché aux pieds de l'art de triomphe du Carrousel et s'attardant à quelques câlineries silencieuses.Le Rhinocéros fut aperçu sous les arcades de la rue de Rivoli. Le témoin oculaire l'aura remarqué d'assez loin, marchant tranquillement dans la galerie. Le temps mis pour être totalement convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un mirage mais d'une réalité aussi étrange que désagréable et périlleuse, le promeneur s'approchant de l'animal, de constater, contrairement à toute logique, que c'est ce dernier qui semblait manifester quelque effroi.D'ailleurs il abandonna sa promenade, traversa la rue, regagnât le jardin pour se coucher sur le socle où on peut le voir aujourd'hui. Vert du bronze dans lequel l'artiste l'a coulé
 


 
 
posté le 13-06-2011 à 09:34:12

Faire d'un livre un paysage.

Histoire d'un livre.Un itinéraire émietté pour parcourir l'intérieur d'un livre (en devenir) comme une sorte de "feuille de route" pour le bien conduire jusqu'à sa forme définitive, offerte au lecteur, comme une femme amoureuse à l'homme qu'elle aime.Faire, de son livre, un paysage.Transporter dans le livre le paysage que l'on aura choisi pour une éventuelle action (si le livre conte une action ; s'il s'en dispense out le paysage). Et si c'est le paysage qui conduit l'action, la détermine, la nourrissant de sa substance profonde, car plutôt que de le "décrire" il faut en transposer les forces secrètes, l'ardeur qu'il fait passer dans celui qui le contemple, s'en imprègne, se fond en lui, alors il ne faut pas hésiter à s'attarder sur des détails, leur donner le relief que l'on perçoit lorsqu'on l'aborde et s'en enchante. Faire passer dans les mots cette vibration intense qui, parcourant le corps, lui donne raison de son plaisir..Avant que de faire de l'acte de peindre le but de la peinture, celle-ci architecturait autrefois jusqu'à des continents entiers ou bien se plaisait à étaler dans l'espace des gestes, des actes, des présences qui traduisaient la vie intense en ses divers et multiples aspects.On pourrait, d'un paysage peint, faire une fiction. Ce Rubens, riche de détails, et pourtant si proche du quotidien, contient des rapports encore secrets entre les personnages. C'est aux mots d'en scruter le sens, d'en imaginer les parcours.Au point que le lecteur ou le regardeur du tableau s'introduit en lui en un mouvement naturel de fusion car vivre c'est ressentir, adhérer.  On entrera dans le livre pour se nicher dans une fiction qui nous détache de notre réalité présente, pour nous projeter dans l'univers qu'il a distingué, c'est un peu la traversée du miroir. En tout lecteur il y a une Alice.
 


 
 
posté le 12-06-2011 à 21:57:18

La halte au reposoir.

Dans ses promenades il métamorphose des points de passage en reposoirs sentimentaux, en mémorial.Cela venait de l'enfance, des jeux qui tenaient de la culture scout, cette manière aimable et ludique de découvrir des lieux, de les marquer, d'y créer des itinéraires dont le principe consistait à en suivre le déroulement selon des codes donnés comme les cartes du trésor inventées par Edgar Poe.C'était, lors des errances campagnardes qui marquaient les vacances, des lieux de rendez-vous secrets et des premiers émois sentimentaux.Les bourgeois chics qui sortaient de leurs châteaux ancestraux (il y en avait beaucoup dans la région, et des abbayes désaffectées à la Révolution achetées à vil prix par des ancêtres entrepreneur de maçonnerie quand les descendants jouaient au seigneur du village) tuaient leur ennui dominical en créant des rallyes bien utiles pour marier les filles cadettes.Arrêt dans le mouvement (arrêt sur image). C'est d'ordinaire une modeste construction à vocation religieuse, devant laquelle lors des processions de la Fête Dieu, le cortège précédé des bannières richement brodées portées par les jeunes coqs du village qui se prenaient les pieds dans leur soutane, marquait un temps de repos qui permettait aux vaillants pèlerins de sexe mâle, de se soulager dans les fossés herbeux.Le rite se dissolvait peu à peu dans l'étendue des champs subitement désertés par les corbeaux. Et c'est presque piteux que le cortège réduit à ses célébrants d'Eglise rentraient tout l'attirail défraîchi dans la sacristie.Reposoir abandonné à la folie des herbes qui l'assaillent, l'entraînent dans leurs divagations saisonnières. A moins que quelques vieilles du village viennent, tout en y déposant des fleurs, se tenir à l'ombre du plein après-midi pour dire du mal de leurs voisines. Souvent un reposoir est construit sur une source et devient une fontaine, l'heureuse surprise sur le chemin. En y joignant les mains pour recueillir l'eau, l'amant offre une coupe fraîche à celle qui l'accompagne. Les grands gestes symboliques naissent des choses les plus ordinaires, les plus évidentes. De l'ordre donné à la nature.Dans ses promenades il avait décidé de vouer chaque reposoir (et bientôt les bornes, poteaux d'angle, ou vagues totems rustiques) aux figures de sa mythologie personnelle. Redonnant sens à ces marques de l'homme pieux en inventant de nouveaux cultes. Un territoire à leur mesure.
 


 
 
posté le 11-06-2011 à 11:53:52

Le piéton entravé.

Par nature il aime l'espace, les vents forts, les paysages tourmentés où courir à perdre haleine. il aime le mouvement, les rencontres, la liberté.Passé de la campagne à Paris, il n'avait rien perdu de ses passions pédestres. Le paysage seul était différent, sa manière de l'absorber aussi. Il fut, par nécessité, guide (bilingue), on le voyait à l'avant des hauts bus estampillés Germany ou Great Britain, comme à l'avant d'un navire, et avec de grands gestes tenter de faire partager sa passion pour Paris à des touristes en général plus préoccupés de régler leur appareil photographique que de s'instruire à bon compte (mais il est vrai de façon sommaire)Un jour, comme à un décret ministériel auquel on ne peut échapper, la sentence médicale lui interdisait de trop marcher en raison de problème de santé qui allait l'écarter et de son métier et de sa passion.De guide il deviendra savant, étudiant son Paris sur documents, maison par maison, reconstituant l'histoire longue et passionnée de la ville en ses multiples vies croisées.Il ne lui restait plus qu'à imaginer ces vies dispersées, inventer des rencontres, des fusions, en somme refaire l'histoire des familles. Balzac derrière le rideau surveille l'opération.
 


 
 
posté le 10-06-2011 à 16:52:32

Lucien Coutaud encadre.

Lucien Coutaud ou le cadre de l'énigme.Familier du théâtre, des règles de la mise en scène et du décor qu'il pratique abondamment pour Jean Louis Barrault, Lucien Coutaud adopte d'ordinaire le même principe du cadre fermé pour les actions, présences, énigmes qu'il met en scène en tant que peintre (et dessinateur) Ce qui donne au contenu (toujours très codé) une force, une présence particulièrement efficace.Il fait apparaître ou plutôt compose (invente) des personnages que l'on dirait montés comme des mécaniques qui tiennent du monde végétal et animal (comme Lautréamont il explore le monde des insectes). Insectes qui ont quelque chose de rude, de coupant, acéré, comme le sont ceux du monde de la chaleur (il est nîmois). Un monde qui crépite et agresse. Figures agencées pour se regrouper, s'assembler, se confronter en d'étranges rituels qui tiennent de la société secrète et de l'attente (comme chez Chirico).
 


 
 
posté le 10-06-2011 à 14:24:20

Lautréamont a un visage

Longtemps, comme celui de Sade, le portrait de Lautréamont était inconnu, jusqu'au jour (année 1976) où Jean Jacques Lefrère  le découvre et lui donne enfin corps. On y rencontre un collégien poussé en graine, à l'air tranquille et non sans noblesse de maintien.Devant la béance, l'imagination s'empare du personnage et lui invente des traits. Félix  Vallotton en fait un contemporain, (fin de siècle) chevelu pour faire artiste et qui s'installe dans la galerie des célébrités de l'époque quand Rémy de Gourmont rassemblait des "masques". L'intervention de Dali est infiniment plus troublante. Emergeant de l'ombre c'est une figure presque irréelle, glabre et tenant plus de l'ange que de l'humain encore qu'une ombre de nulle part passe sur des traits mous et plutôt gracieux, lui donnant quelque chose d'inquiétant. Ange peut-être mais du mal !.Un détail intrigue : cet oeil largement ouvert, interrogatif, tandis que l'autre à demi fermé semble déjà mangé par le sommeil ou l'engloutissement dans une zone qui n'est plus de ce monde. Interrogatif, il est aussi celui de la surprise, d'un état qui n'est pas celui de l'action mais du rêve.  Dans quel cauchemar s'est-il égaré ?
 


 
 
posté le 10-06-2011 à 11:49:10

Degas dramaturge.

Classé parmi les impressionnistes, parce qu'il exposait avec eux, Degas ne pratique pas le paysage qui est au coeur de leur préoccupations. C'est qu'il est essentiellement urbain et par le spectacle de la ville fasciné, traduisant la vie de la rue, des petites gens, du monde dont il est un témoin narquois parfois cinglant.Le Viol est une de ses toiles les plus singulières, et contrairement à toute logique qui veut que l'impressionnisme évite le "récit peint" elle est une véritable page anecdotique que l'on dirait arrachée à l'oeuvre de Guy de Maupassant. Ou encore de ce théâtre réaliste qui fustige les moeurs bourgeoises. Un éclairage qui dramatise la scène, des attitudes tranchées, excessives, tant  dans l'expression de la désolation que du désarroi (non dénué de morgue, c'est encore la loi du mâle)Degas s'y montre un extraordinaire metteur en scène, dans l'économie des moyens, l'efficacité de l'éclairage, l'intensité d'une atmosphère étouffante et aux limites du drame.Pourtant, rien ne dit qu'il dénonce le viol, montrant la scène dans une sorte d'objectivité froide, de simple constat. Détaché de son sujet du moment qu'il a trouvé la note la plus juste pour nous en imposer l'implacable désolation. En en faisant une sorte d'icône qui résume tous les aspects du problème.
 


 
 
posté le 09-06-2011 à 14:29:57

La Carte du Tendre du Métro.

C'était un jeu largement partagé quand, pensionnaires, on nous lâchait  dans Paris (c'était le jeudi à l'époque). Par petits groupes, selon nos affinités, nous confions aux plans lumineux du métropolitain, qui indiquaient les itinéraires à suivre, le soin de nous offrir des destinations dont nous ne savions rien. D'un doigt aveugle on appuyait sur une touche et un itinéraire s'offrait à nous que nous suivions scrupuleusement. J'ai découvert bien longtemps après, les propositions des situationnistes qui visitaient des villes en faisant usage du plan d'une autre.`Eux choisissaient l'absurde, le désordre de l'orientation, nous, nous nous confions simplement au hasard, lui accordant la grâce de nous conduire là où quelque chose de miraculeux nous attendait. On connaissait notre André Breton par coeur.Je conseille aux couples amoureux en panne d'idées pour corser une promenade d'adopter ce principe qui a la mérite d'offrir la surprise qui est au coeur de toute quête amoureuse. J'avais envisagé, sans parvenir à le réaliser (paresse, incompétence ?) de créer une sorte de version moderne (urbaine) du "Songe de Poliphile" en s'appuyant sur ce jeu. Mais comment ne pas penser à "la Carte du Tendre", cette géographie du plaisir et de l'amour où l'on invente un paysage en mesure de la favoriser, peut-être de l'expliquer.Alors on peut toujours rêver : Concorde nous conduit à la sérénité, Plaisance à la séduction, Monceau en de tendres jardins, Bonne Nouvelle chez moi.
 


 
 
posté le 09-06-2011 à 09:20:20

Olivier Brice met Rome à Paris.

Olivier Brice a revisité la statuaire des musées, donné un sens nouveau à des oeuvres qui sont des références culturelles et de sa pratique de la mode  il a tiré l'élégance de ses drapés qui enveloppent des figures antiques.Il trouve sa juste place ici dans le climat du Sentier, voué à la diffusion du "fashion" donnant à la plus modeste (et ingrate) place du quartier l'allure héroïque d'une place romaine.
 


 
 
posté le 09-06-2011 à 09:09:43

Léonor Fini se déguise.

On la rencontrait dans l'escalier sombre et solennel du 11 rue Payenne où habitait également André Pierre de Mandiargues. Un voisinage pour entrer dans la légende et évoluant dans le même monde entre raffinement et culture perverse.A quelques années de là, en un second temps, il aura suffit de traverser la rue et de son nouvel appartement Mandiargues à vue directement sur l'entrée principale du musée Carnavalet. De ses fenêtres on aperçoit les deux figures ailées qui encadrent le porche ; Léonor Fini, elle, est face au parc (à l'intérieur, contre un mur aveugle est dressée une statue de divinité marine (?) dont le drapé épouse la forme du corps)L'escalier qui conduit chez elle annonce déjà son appartement grâce  à l'odeur âcre des chats qui y font la loi. Entre les chevalets et les meubles anciens chargés de  bibelots et d'étranges choses, Lénor Fini évolue avec la même ondulation câline que ses félins. Féline elle-même avec son visage mangé par des yeux immenses et scrutateurs. Même chez elle, dans l'intimité, elle aime se parer de vêtements bizarres rapportés de ses lointains voyages. Se déguisant aussi pour un plaisir égoïste. Le déguisement est l'art suprême du corps. Il lui invente de nouvelles natures, d'impossibles mesures de folie, le projette dans ses rêves les plus secrets. Quand le vêtement du quotidien (imposé par des règles sociales, des conventions, des usages), est l'ombre de celui qui le porte, le déguisement devient l'expression de soi, la revanche sur la banalité imposée.Qui n'aura vu Max Ernst figure sortie d'un conte germanique, et en folle de quelque culte secret Lénor Fini capable de faire d'un simple pancho le manteau d'une déesse des tropiques, ne peut comprendre que se déguiser est un art.
 


 
 
posté le 08-06-2011 à 15:11:11

La calamité des origines.

"Coït et sommeil réalisent le même but régressif : retour à l'existence intra-utérine et, au delà, à l'existence aquatique primitive." (Max Chaleil).Vénus est née de la mer. On la voit surgir, triomphante des ondes qui caressent ses pieds alors qu'elle s'avance, comme marchant sur les eaux, vers ceux qui l'attendent. Mais, c'est, là, une vision aimable de la naissance qui connaît ses tourments, ses drames, ses pulsions tourmentées. Toute naissance est un drame virtuel, et menacé. L'être à venir surgit dans le chaos des entrailles, et dans les cris.Parfois c'est un monstre qui s'annonce. La création n'est pas une affaire de tout repos. L'harmonie de la terre n'est qu'une élimination progressive de tous les déchets qui encombraient sa naissance. Comme l'être humain est le résultat d'une lente décantation de ses origines frustes et brutalesL'art n'est-il pas justement d'épurer du superflus ce qui devient sous la main  de l'esprit et du coeur une forme qui tend à la perfection.Le coït (à l'instar du sommeil) est un état de vertige dans lequel on trouve le délice de s'oublier. Pour atteindre cette zone pleine de mystère d'où, nous le savons, nous sommes venus. Mourir n'est pas nécessairement la retrouver. On se donne l'illusion d'y parvenir. Mais pourquoi le ciel est-il une ascension, et l'enfer une chute ?
 


 
 
posté le 08-06-2011 à 09:51:35

Duranty dans ses livres.

S'il est vraiment, comme le veut la légende (fort contestée) fils bâtard de Mérimée Edmond Duranty donnerait une explication à l'étrange mélancolie qui l'habite et le pessimisme de sa vision du monde. On le dira secret, assez éloigné des agitations de la vie encore qu'il monte au créneau pour défendre la peinture qu'il aime, et en premier lieu Courbet pour lequel il ira jusqu'à créer une revue, collaborant avec Champfleury engagé dans la même optique artistique. Pourtant, son amitié pour Manet (qu'il connaîtra avec Zola), le conduit vers l'art le plus vivant de l'époque : l'impressionnisme. Le voilà aux côtés de ceux qui bataillent pour se faire reconnaître, lui même, en critique d'art prenant leur parti. Degas, quand il le peint, le voit dans son cabinet, enserré par les livres et comme isolé par eux de la réalité. Tout homme de mots qu'il fut, il était proche de la vie, Pourtant il est bon de s'arrêter à ce regard porté par le peintre, donnant aux livres la puissance, la force obstruante d'un mur qui isole. Ce qui serait en contradiction avec sa réelle mission qui est d'ouvrir au monde. A moins que, en découvreur des forces données à une peinture qui sort de ses liaisons fâcheuses avec la tradition, Degas fasse usage des livres moins dans leur signification symbolique que formelle. Pour enserrer son modèle dans une architecture qui souligne le caractère enfermé de l'auteur. Ou faire contraste avec la gestuelle ample de l'écrivain et le tombeau qu'il se créé de trop s'y livrer. Mais on peut  alors se demander vers quel horizon se porte son regard.
 


 
 
posté le 07-06-2011 à 10:12:30

Le progrès en art : un danger ?

Chaque génération d'artiste depuis les origines de la peinture a tenté d'améliorer la maîtrise de sa technique. Aller au plus près de la réalité que l'on voulait saisir. (Et au XIX° siècle Ernest Meissonier triomphe. C'est le règne des "pompiers")Puis on a voulu s'exprimer, privilégier la manière de la montrer, n'en faire plus qu'un prétexte, s'imposer par rapport au sujet lui-même, jouer avec,  enfin pour "se dire" à travers lui. Et cela au moment même où la maîtrise de la technique picturale était à son état le plus parfait. Impossible d'aller plus loin. C'est le duel peinture-pompier impressionnisme.Mais, tandis que le peinture exacte représentation était arrivée à son but, la photographie s'impose. Le peintre traditionnel (dont le souci esthétique peut être mineur et de toute manière vient en second plan) n'a plus qu'à ranger ses pinceaux.Alors vagabonde la peinture comme instrument d'expression. Surenchère permanente pour favoriser l'ego  et conduire, en toute logique, à l'idée que le simple chois suffit. Duchamp sort son porte-bouteille.On aura suivi le cycle (historique) comme une notion de progrès. Serait-il si difficile (comme dans les techniques) de faire machine arrière. Ou par provocation ou encore parce que certains peintres ne voient pas la nécessité de s'engager dans une course folle vers un soit-disant progrès qui entraîne la mort de son art.Comme la pensée écologique peut être tentée de freiner les progrès techniques, sources de bien des problèmes d'aujourd'hui, irait-on vers une pensée artistique dégagée de toute référence historique et d'abandonner la peinture à ses fantaisies, le chacun pour soi, selon son tempérament, car l'art ne serait plus une affaire de culture mais d'instinct, de connaissance mais de passion intime.C'est le règne de "l'art brut".
 


 
 
posté le 06-06-2011 à 11:38:30

La recherche d'un visage.

Il est né d'un rêve. Dans l'espace qu'il va devoir conquérir ses pas sont hésitants, sa silhouette se glisse dans le buisson des choses et des gens comme un regret. Celui de la perte.Lorsque Balzac reçoit la première "lettre de l'étrangère" il ne se doute pas qu'elle va considérablement modifier son destin et qu'à terme une histoire d'amour va en naître, croître, le dévorer. Il se met à l'aimer sans connaître son visage (et ce n'est guère un médiocre médaillon qui va le combler), jusqu'à la rencontre réelle des  corps qui est à la fois l'aboutissement de cet amour, et la frontière de son histoire charnelle. Epistolaire, elle a tout l'attrait d'une intimité comme murmurée au creux du lit, quand elle l'est au creux de la page. De là à préférer la page au lit !Voici, sur l'écran, des mots qui glissent (comme ces poissons décoratifs que l'on admire dans un aquarium). Sinon qu'ils prennent sens en leur assemblage, que mis en chaîne ils l'enchaînent dans une histoire qui va croître en lui, mais sans que jamais une figure la domine. Frustré de ce manque il va broder les mots sur des images empruntées ici et là, au hasard.Enfant, déjà puissamment  porté par le goût de l'évasion de lui-même, de sa prison de chair (c'était un enfant gâté, protégé, aimé), il découpait dans les catalogues des grands magasins des figures choisies pour leur beauté, leur charme, leur singularité, et composait des couples, agençait des histoires, s'élevait par le biais de ces figurines jusqu'aux cimes des rêves. Pourquoi s'est -il ensuite passionné pour la mythologie (greco-latine), sinon qu'elle illustre toutes les situations que propose la vie. Une vie par procuration.Les histoires qu'il composait finissaient toujours dans la cheminée familiale. Histoires de papier.Les mots qui glissent sur l'écran et le nourrissent tant, vont-ils s'engloutir dans une panne d'électricité, une défaillance de son ordinateur.  C'est le drame de la perte.
 


 
 
posté le 05-06-2011 à 17:14:44

César Moro l'esprit d'enfance.

Il ne faut pas attendre d'un dessin de poète (et plus encore d'une peinture) qu'il ait la cohérence architecturale que lui donnerait un peintre qui domine mieux son instrument d'expression. C'est que le dessin de poète est un débordement des mots de son registre habituel, une aventure sans boussole dans une terre inconnue et dont le prestige est grand de cette ignorance. L'aventure à l'absolu et par voie de conséquence une aptitude à découvrir, inventer, ce qui reste au domaine réservé et si fugitif, de l'enfance. On vante dans le dessin d'enfant (et de fou, tout aussi décalé de la réalité) qui ne connaît pas encore le monde, mais le découvre, et un crayon à la main avec une superbe ignorance des lois qui nous ligotent à des préjugés, des oukas, des pudeurs dont il n'a rien à faire et dont d'ailleurs il ne connaît ni l'usage ni la force de dissuasion de se montrer en son entier, en sa nature profonde.Et c'est tout le charme qu'aura su garder un César Moro peignant d'instinct et dans l'instant. Pour s'émerveiller, se conter des choses secrètes, s'inventer des mystères, et se promener sur la feuille de papier avec cette désinvolture qui frise la provocation mais engendre de minuscules miracles.  Ne dit- on pas que le génie de Klee tenait dans cette préservation de sa faculté à s'émerveiller ( vouloir peindre le chant de l'oiseau !)César Moro est de cette famille qui débusque les petites choses qui font les grands mystères, indocile aux enseignements  il fabrique son théâtre d'émotions.
 


 
 
posté le 05-06-2011 à 17:02:19

Bomarzo, le jardin des supplices.

Mandiargues m'en avait parlé, un livre il en fera. Plus que tout autre le jardin de BOMARZO devait le séduire par l'étonnante invention perverse des figures qu'il mettait en scène. On est là dans les pages les plus cruelles des légendes mythologiques qui déclinent les atrocités accompagnant le cycle de la vie et de la mort, l'évolution du monde, ses métamorphoses et la célébration de la violence (de la cruauté) comme moteur de la dynamique de la vie.Se promener dans un jardin suppose des rapports de sérénité avec la nature, alors que là elle vous interpelle, vous provoque, vous entraîne dans des délires fantasmatiques. Se perdre dans un jardin n'est-ce pas la réponse au drame d'avoir perdu "le paradis".
 


 
 
posté le 05-06-2011 à 12:29:55

Les frères Limbourg, reporters.

Ils sont tous là, les familiers, cousins, clients, fripons, déguisés en courtisans, le corps trop pansu, faisant craquer les coutures de trop beaux habits qui portent hommage au seigneur et signe leur puissance chèrement acquise, férocement gardée. Les animaux sont de la fête, on leur jette les restes qui nourriraient des hordes de manants tenus à distance.Au pied de la cheminée de son château (à Mehun sur Yevre ?) le fastueux duc de Berry, oncle du roi fou, étale ses richesses. On vante son faste et son bon goût dont de demander aux frères Limbourg d'immortaliser la scène. Ce sont des reporters, mais moins soucieux de la véracité de ce qu'ils montrent que de son effet pour éblouir le curieux, souligner le poids des puissances qui l'écrasent et contre lesquels  il ne peut rien. Arme de propagande ?  Déjà.Sinon que l'art y a sa part et c'est lui qui gagne au final. On ne regarde plus l'image pour ce qu'elle est censée relater, mais comme la plus achevée, la plus racée des compositions où finesse du dessin, luxe des détails, harmonie suprême des couleurs, composent ce qu'il faut bien qualifier de chef-d'oeuvre
 


 
 
posté le 05-06-2011 à 10:10:00

Pourquoi écrivez-vous ?

Les Surréalistes avaient posé la question à une bonne centaine de l'élite littéraire perçue dans son sens le plus large et privilégiant ceux qu'ils méprisaient, un peu par moquerie, surtout par provocation. Mais n'en n'est-ce pas une, fondamentalement. Et qui peut répondre avec la plus évidente honnêteté à une question qui est aussi bizarre que perfide.Savoir pourquoi on écrit c'est déjà rendre possible qu'on ne le fasse plus. L'ignorant, on poursuit sa tâche, celle ci était justement le moteur de la question.Avec son humour vachard et un peu facile, Willy avait pu déclarer : " Si l'Agriculture manque de bras la Littérature ne manque pas de pieds"  Et c'est sur cette lancée discourtoise qu'il peut distinguer quelques belles réponses à un questionnaire , de cet acabit qui fut lancé dans les années 1890 aux écrivains de toutes catégories et de divers talents.L'humour est souvent au rendez-vous. Jean Ajalbert (bien oublié) avoue qu'il "se le demande" ; Max Jacob, avec sa mine de moine facétieux fait jouer l'humilité "Pour mieux écrire" affirme-t-il non sans ouvrir une voie intéressante au problème ; Pierre Mille qui avait alors la gloire développe une idée qui est un aveu "parce que je n'ai réussi dans aucune profession, même inavouable" ; et d'autres, plus naïvement, tombant dans le panneau tendu : "parce que j'ai ça dans la peau" affirme Eugène Montfort et Marcelle Tinayre sortant les cors :" parce que c'est ma vocation, comme un pommier porte ses pommes".Toujours d'actualité la question pourrait être posée aux fabricants de best-seller d'aujourd'hui. Combien avoueront que c'est pour conforter leur compte en banque ?
 


 
 
posté le 04-06-2011 à 18:26:10

Le choc des images chez Victor Hugo.

C'est souvent l'illustrateur qui situe (il le résume) le climat d'une oeuvre et lui donne sa dimension définitive au regard du lecteur. La lecture enfantine peut s'appuyer sur l'image quand le mots ne sont plus que leur amorce.En dépit de la force suggestive qu'ils prennent dans la poésie et la prose de Victor Hugo, ses mots gagneront d'autant plus de réalité  que l'image les poussera vers le regard dans un déchaînement gestuel et un rythme à son égal et qu'elle saura donner sens à l'impossible, attirer le fantastique dans le registre du possible, du plausible, à portée de main. Ce n'est pas une imagerie faite pour sertir la prose dans une zone de respectabilité, de grandeur qui l'éloignerait de la vraisemblance. Le fantastique chez Hugo est né dans une réalité soufflée par la force élémentaire, des phénomènes qui entrent dans notre quotidien, et s'il le faut dans une débauche de détails qui métamorphosent la réalité. Ainsi le gothique exalté dans "Notre Dame de Paris" atteint les limites de la vraisemblance architecturale, comme seul l'imaginaire peut doter la réalité de formes plus flatteuses et trouvant dans l'excès la force qui entraîne une plus forte mémorisation du sujet.Quand le sujet est la force marine, c'est le rythme qui l'emporte et bouscule l'image sans la déformer, ni lui faire perdre ses attaches avec la réalité. A l'exemple de l'auteur qu'ils illustrent, les artisans de l'image d'accompagnement de Hugo ne reculent pas devant l'excès, le déclamatoire, forçant l'attention plus que soucieuse de la flatter. Déjà on pouvait parler du choc des images.
 


 
 
posté le 04-06-2011 à 11:51:42

Quarante-huit heures à Lariboisière

Il se présente noblement. Large façade avec, aux deux extrémités, des retours à angle droit, le tout relié par une colonnade recouvrant une galerie (souvent utilisée dans des séries de télévision, la manne pour programmer des restaurations ici et là nécessaires). C'est la vision qu'avait, de l'hôpital, le XIX° siècle qui découvrait la médecine sociale et le progrès pour lutter contre la mort.L'Hôpital Lariboisière est planté dans ses terres dans le voisinage immédiat des voies ferroviaires de la Gare du Nord. La nuit, quand tout est calme alentours, on entend mieux le bruit métalliques des trains en partance et les annonces des lointaines destinations.Aux arrières de cette architecture qui fait illusion,  est installé le service des urgences. La noble pierre de prestige est ici remplacée par la brique semblable à celle qui ceinture Paris par ses logements à loyers modérés, implantés sur le parcours des anciennes fortification de monsieur Thiers par la politique socialisante des années 30. Une brique terreuse, que l'on dirait plus lourde que celle, lumineuse, dont on fait les murets décoratifs des villas balnéaires. Là s'engouffre à grand bruit l'ambulance qui amène un Valentin mal en point et repêché de justesse alors qu'il s'enlisait dans sa propre poitrine écrasée de douleurs.Le service des urgences est installé dans une sorte de long couloir dont chaque côté est segmenté en des sortes de petites cellules isolées par un semblant de porte légère, coulissante, à la mode japonaise, le seul élément un peu plaisant dans un climat de gémissement et de fébrilité formulée dans toutes les langues.Valentin, sortant de son hypnose sensorielle, découvre ses voisins. Un vieillard si silencieux, recroquevillé sur lui-même, qu'on le dirait  presque mort, et  par un effet de contraste digne du meilleur metteur en scène, dans la cellule adjacente un lascar portant beau un torse nu qu'il a sculpté des muscles du lutteur de foire et vitupérant, apostrophant de si énergique manière que des infirmiers appelés en secours le maîtrisent sur son brancard avec de larges lanières (on est passé d'un hôpital à un asile psychiatrique). Voisine, une petite dame couronnée de cheveux blancs avec des coquetteries de bleu qui passe en vagues douces comme un troupeau de nuages. Elle a le calme dans l'attente de celle qui aura connue les queues interminables pendant la guerre pour acheter sa part d'alimentation avec tickets de rationnement. Puis un gamin hilare qui danse sur son brancard et doit confondre hôpital et stade de sport. Un autre (comme la nature est variée) tout en pleurs et que famille et infirmières attroupées s'efforcent de calmer.Valentin dénombre dans les lointaines d'autres présences plus difficilement identifiables, mais vers lesquelles se dirige en procession quelques éminents personnages du service. J'ai nommé le médecin et son associée (une femme future docteresse). Arrivé à la hauteur de Valentin, ce dernier peut l'examiner avec toute l'intense curiosité qu'il lui inspire. Sa blouse blanche largement ouverte sur son costume civile (c'est le privilège des chefs que de ne pas montrer l'exemple quand le personnel doit porter la blouse serrée au corps) révèle une excentricité vestimentaire qui doit en dire long sur le personnage. Il exhibe un frétillant noeud papillon d'un rouge éclatant sur une chemise, à carreaux noirs et blancs d'un curieux effet. Dans un visage avenant, d'une rondeur rassurante, deux grands yeux rieurs qui ont la particularité de s'animer en suivant un large cercle à l'intérieur de l'orbite si bien que c'est le blanc de l'oeil qui proémine subitement, offrant une insolite interrogation. Voit-il son interlocuteur ou se parle-t-il à lui-même. Décrivant dans un langage clair et direct son diagnostic. Celui de Valentin n'est pas du meilleur cru. Et d'apprendre qu'on va le retenir (comme un mauvais élève à la sortie du cours) pour des examens plus poussés. Et de là, voituré jusqu'à une autre salle sortie tout droit d'un concours d'architecture des années 30, dans un grand déploiement de courbes et de lignes droites qui s'emmêlent et ne savent plus où s'arrêter. On a pourtant contenu le tout dans une vaste salle demi circulaire qui tient plus de la salle des vente avec son haut comptoir central derrière lequel s'agite toute une troupe d'infirmières affairées sur des écrans d'ordinateur plus nombreux que les malades.Là aussi, dans un souci d'économie de place, un agencement léger sur le pourtour de la salle, sa partie incurvée qui aligne les patients. A quoi s'ajoute pour créer un semblant d'intimité, de très légers paravents sur roulette (un tissu blanc tendu sur un cadre de métal)  que l'on  dispose devant chaque lit pour l'isoler.La place voisine de Valentin fut longtemps sans occupant, et tard dans la soirée, dans un doux chuintement de roues caoutchoutée, un brancard livre un ultime patient. Qui se trouve être une femme que l'on dispose avec soin dans le champ visuel de Valentin qui n'en demandait pas tant. Pourtant le personnage ne manquait ni d'attrait, ni d'originalité, surtout dans ce contexte hospitalier.Assise, fière, sur sa couche, c'était une femme à la peau d'ébène, au port altier, le torse saisi dans une extravagante veste tricotée avec un souci évident de faire jouer le maximum de couleurs. Quelque chose comme la parure d'un royauté lointaine (à moins qu'elle ne se soit échappée des pays lointains imaginés par Rimbaud).Le regard intense de cette patiente insolite se portait ostensiblement vers Valentinqui en fut presque gêné, quoique à la fois flatté et intrigué. Mais d'une main précautionneuse, un infirmier roula délicatement un paravent qui isolera la belle alors que, Valentin en avait acquit l'illusion, quelque chose devait les lier qui releverait d'une belle rencontre. Valentin, assez volontiers porté à la dérision, surtout de lui-même, nota quand même l'incongruité de l'incident. Une simple feuille de paravent vous coupe d'un avenir virtuel.La nuit venue tout change, et les bruits s'adoucissent quand des ronflements incongrus brisent ce qui pouvait devenir une harmonie.Débarrassés de leurs contraintes les infirmières se regroupent autour d'un café et se livrent à d'innocents jeux de tendresse gestuelle tandis que la gente masculine s'agite autour des ordinateurs livrés aux recherches des jeux les plus incongrus.On sent la ville frémir derrière les hauts vitrages, une rumeur de voyages et des sifflements annonçant de prompts départs.A terme d'un périple nonchalant Valentin se retrouve, au petit matin, rendu à ses liberté d'homme ayant recouvré ses forces naturelles. Franchissant le seuil du service des urgences il croise, fier sur son brancard, cigarette à la  bouche, et hurlant des mots sans suite, un magnifique clochard recouvert d'une couverture de survie, dont le jaune d'or répondait comme dans un dialogue amorcé pour une belle journée avec le soleil levant. Le malheur entrait à l'Hôpital sur l'air de la dérision.
 


 
 
posté le 04-06-2011 à 11:47:20

Un duo Chagall-Cendrars.

Ce sont deux crèves-la-faim, lui le poète, entre deux trains, Blaise Cendrars, l'autre le peintre Chagall installé à la Ruche, cet étonnant phalanstère planté au sud de Paris, sans confort, mais où des artistes venus de tous les horizons ont installé leur atelier. Chagall est l'un d'eux.La misère, c'est à dire manger quand on le peut, vivre de rien (sinon d'alcool) mais dans la fièvre de la création. Chagall n'a jamais été aussi inspiré, brillant, sublime que dans ces années de vache-maigre mais de riches amitiés comme celle d'un Cendrars guère mieux loti et à la merci des rencontres qui lui fournissent commandes, soutiens et admiration.On aura fait la légende de Montparnasse avec cette "faune" qui progresse dans la rencontre fécondante de la poésie et de la peinture. La misère, mais une formidable liberté d'aller au plus profond  de soi-même pour jeter sur la toile de fabuleuses images qui brassent le flot ardent de la mémoire, la culture de l'émotion  saisie comme un papillon dans le filet des couleurs.Cendrars est aux côtés du peintre, l'oeil largement ouvert et le coeur à l'unisson car de telles alliances se font dans la culture du sentiment. Une complicité qui est celle des amoureux. L'amour inspire de belles choses. Mieux que la pensée.
 


 
 
posté le 03-06-2011 à 14:42:20

Le livre est un sexe de femme aimée.

Elle avait l'air d'une étudiante, elle en avait l'âge. Au fond de la librairie, au milieu des piles de livres à recouvrir du fin papier cristal qui leur donnerait droit de circuler en meilleure apparence que celle, défraîchie, marque de leur âge et de l'oubli d'où on les avait tirés, elle oeuvrait dans un silence quasi religieux. Des habitués (ces étudiants attardés qui traînent autour du boulevard Saint Michel) tournoyaient autour d'elle, nullement pour la tirer de son ouvrage ou lui conter fleurette, mais pour, avant qu'il ne soit mis en circulation, repérer quelque livre convoité. Par elle passaient des pièces recherchées, autant que le menu fretin des éditions courantes. A sa manière d'approcher le livre à couvrir, même sans voir celui-ci, on pouvait déduire dans quelle catégorie il était raisonnable de le placer.Rompant le rythme, cassant la cadence, il lui arrivait de retenir un ouvrage et comme tout véritable amateur, de le palper, le sentir, l'ayant ouvert d'y plonger le nez, s'attarder en une sorte de rêverie comme pour s'imprégner de sa saveur, son odeur, sa mémoire ( tout livre d'occasion a une mémoire ) et d'atteindre à une sorte d'intime et secrète jouissance. On songeait aussi, en la voyant, à ces femmes à qui on offre un bouquet de fleurs et qui y plongent un nez ardent pour tirer toute la saveur de leur parfum, ou encore à ces hommes très amoureux qui nichent leur tête dans l'entrejambe de la femme aimée, pour trouver au contact de leur sexe toute l'odeur de la mer, trouver la source ultime. Tout amateur du livre en tant qu'objet comprendra cette attitude qui peut paraître insolite, voire grotesque, à celui qui ne connaît que le livre de consommation courante.  L'amour du livre a une dimension sensuelle qui donne à la lecture un attrait supplémentaire, et sa séduction passe par sa matière même, le soin que l'on aura apporté à sa confection. L'emballeuse de livre de la rue Saint André des Arts, (reconnaîtra celui qui veut) avait des rapports amoureux avec lui. S'en contenterait-elle longtemps  ou cherchait-elle, dans les livres, son destin de femme à aimer ?