Cybel: et on dit : une héroïne, en faisant la liaison ...
Cybel: on dit : un héros, en détachant bien l'article ...
ooz: je m'en vais, à demain
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posté le 31-08-2011 à 19:19:52
Dora Maar chez elle.
Il aura suffit qu'elle soit l'une des égéries de Picasso pour qu'elle entre dans la légende. Photographe, elle le rencontre au café de Flore (haut lieu d'effervescence culturelle dans l'entre deux guerre, et qui avait été le salon de Remy de Gourmont et d'Apollinaire), et s'installe rue des Grands Augustins, dans ce fameux atelier que Picasso tenait de Jean Louis Barrault, où fut conçu Guernica. Dora Maar va photographier toutes les étapes de la gestation de la terrible toile. Participer étroitement à son élaboration, être totalement associée à son histoire.Pourtant, tout photographe qu'elle fut, elle peignait aussi. Picasso l'installe dans un appartement de la rue de Savoie (à quelques mètres à peine des Grands Augustins). Et là, quand elle n'est plus à l'ombre du terrible Minotaure qu'est Picasso, elle peint. Dans le sillage de son amant, et comme une sorte de réplique de ce qu'il fait alors. Même la rudesse des constructions (la hardiesse de leur architecture) ne sont plus celles d'une femme mais comme emportées par ce souffle destructeur que Picasso fait passer sur son entourage.Brassaï, l'ami commun, va aller la dénicher chez elle, pour tenter d'en faire un portrait où elle est toute entière elle-même. Il y aura la cage aux oiseaux qui signe la féminité qui n'aura pas abdiquée. Mais comme elle est altière de port, un sang ardent l'anime, mais elle se réserve, se retrouvant telle qu'en elle-même. C'est dans la photographie qu'elle retrouvera sa véritable nature. Un regard au féminin mais qui n'a pas froid aux yeux, ne tombe pas dans la niaiserie que risque toute qualification de "féminin". Même quand elle célèbre le corps de la femme. Il faudra aller y voir.
Pris au second degré le titrage de l'oeuvre qui évoque un "riant pays" situe bien l'humour propre à Dubuffet qui n'est pas toujours là on l'attend.Fidèle à son principe de traiter à plat l'espace (en somme d'en nier l'illusion qui est celle du théâtre) il accumule des éléments supposés évoquer la légèreté, et qui demandent l'espace aérien. Le ciel plaqué au sol et le sol à la place du ciel, terreux, sombre et lourd comme à l'annonce de l'orage. Dubuffet décode l'ordre du tableau, les principes d'équilibre qui régissent la lecture de la toile, et retrouve la ferveur du collectionneur qui accumule, jusqu'à boucher la surface. Et pourtant, il se dégage de la toile une sorte d'élégance, en contradiction avec les matériaux utilisés. Là aussi il pratique une sorte de détournement de la matière.L'oeil s'égare dans le caractère labyrinthique et des effets de dentelle d'un sol qui fourmille et comme agité par mille vies accumulées, des énergies prêtes à s'élancer. Avec le poids qui pèse d'un espace non défini, nous laissant le soin d'en trouver la nature.
Faire passer dans l'espace de la page toutes les facettes d'une même histoire, ses temps forts : et la charge des cavaliers, et la tension dans un salon (lieu clos) d'un acte souverain.Abordant le thème de l'Histoire, la peinture s'encombre de vastes mises en scène avec force détails pour fixer un moment supposé avoir été. Et qui sera, en effet, et plus fort dans cette transcription peut-être que dans la réalité. C'est cette version là que nous retenons. La mémoire s'accroche à une interprétation du fait, et non au fait lui-même.C'est ainsi que l'on peut fabriquer des héros, faire glisser, peu à peu, un personnage élu pour la chose, dans l'espace bien balisé de la légende. Elle sécrète une abondante iconographie qui reprend inlassablement le même thème, seul va varier la vision que l'on veut en donner.La bande dessinée entre dans la danse. Elle a, pour elle, de créer une dynamique qui devient le moyen d'interpréter un fait. De le dramatiser.Et voici la bataille d'Austerlitz avec ses principaux personnages et la lumière d'ambiance qui fête la victoire qu'incarne ce fait de guerre. On le projette déjà dans la perspective d'exemplaire qu'il va devenir, sur le lieu même et dans l'action.C'est la force de cette technique narrative de pouvoir en un seul dessin (il est vrai multiplié, découpé) donner le fait et son destin dans l'avenir.Mais la réalité de l'Histoire n'est-ce pas aussi un illusion !
Du graffiti dont il reconnaît la forte influence sur son travail, et à la réhabilitation duquel (avec Brassai) il travaille, Dubuffet glisse dans l'écriture négligée du dessin d'enfant. Négligé ? ou fraîcheur dont il cherche à retrouver la force qui va au minima de la pensée, et proche de l'émotion qui supplante les complexités contestables du raisonnement. L'instinct contre le savoir.A l'art de Dubuffet il fallait une écriture qui soit à son égal et dans son sillage, en sympathie de regard. Dubuffet attire facilement les quolibets des gens d'esprit ou qui se croient tels, et déclarent que n'importe qui peut faire de même.Ce qui est relativement vrai, sinon qu'il faut oser.Dans sa lutte contre la culture Dubuffet s'arme de toutes les innocences graphiques possibles.On l'aura vu aller aussi du côté de Gaston Chaissac, chez qui mots et dessins se confondent, s'enchaînent, découlant les uns des autres, sans ordre, sinon celui de l'instinct, la ferveur du moment.Alors la page est ouverte à toutes les audaces, toutes les fantaisies, sans ordre ni logique et en revanche sans marge ni dégagement et comme pressée soit par l'urgence ou une économie qui porte à se demander si la surface que l'on n'occupe pas totalement n'est pas celle d'un renoncement, ou d'une carence d'inspiration.
Méthodiquement de sa belle écriture qui est comme l'ornement de sa pensée Georges Braque "tient" des cahiers de notes, réflexions, propos divers, qui accompagnent l'exercice de la peinture comme quoi celle-ci avance avec la lenteur de la réflexion et comme le fruit de celle-ci."Ce n'est pas assez de faire voir ce qu'on peint, il faut encore le faire toucher".D'où son attrait pour les objets qui sont autour de lui, posés ça et là, soit par le hasard, soit le souci d'organiser des ensembles propres à pousser l'esprit vers des rivages que le quotidien ne lui offre pas. On appelait cela autrefois des "natures mortes" ce qui pousse à bien des contradictions, d'autant qu'il n'était pas rare qu'on pose, côté à côte, un crâne et un fruit.C'était tracer un bien court chemin entre la vie et la mort. Mais un chemin de philosophie à laquelle le regardeur du tableau ne sera pas insensible.On peut imaginer la scène, dans l'atelier Braque, sur un fauteuil, assemble sa pipe, une cruche, la palette posée là pour agencer les choses, et de se dire que c'était un beau motif pour inviter à toucher autant qu'à voir.D'où l'espèce de rudesse du trait, la raideur des choses qui se donnent en spectacle, et le travail de l'artiste aura constitué à donner de l'esprit au trait, une élégance au découpage, et de poser une énigme autant qu'une réflexion profonde sur notre sort devant nous. A nous de la lire
Passant chaque jour sous ces fenêtres je ne peux que penser à Baudelaire qui, dans sa longue errance à travers Paris, habitait là, de Mai à Juillet 1852. Court séjour mais l'empreinte du poète est partout où il est passé.C'est là que, le 10 mai, il écrivait à Antonio Watripon qui mettait au net un "Dictionnaire universel, Panthéon littéraire et encyclopédique illustré" :"Vous me causez, mon cher Watripon, le plus grand embarras. Comment voulez- vous qu'on donne des notes biographiques ? Voulez vous mettre que je suis né à Paris en 1821, que j'ai fait, étant fort jeune, plusieurs voyages dans les mers de l'Inde ? Je ne croit pas qu'on doive mettre ces choses-là.Quant aux ouvrages ! il n'y a guère que des articles.`Baudelaire (Charles-Pierre) a signé Baudelaire Dufaÿs, Pierre Dufaÿs et Charles Dufaÿs. A écrit des articles de critique artistique et littéraire, et des nouvelles dans Le Corsaire-Satan, L'Esprit public, L' Artiste, La Liberté de penser, Le Messager de l'Assemblée, Le Magasin des Familles, La Revue de Paris, l'Illustration.1 - Salon de 1845 chez Labitte.2 - Salon de 1846 chez Michel Lévy3 - La Farandole, roman à 4 sols chez Bry.4 - Une préface aux oeuvres de Pierre Dupont, chez Alex Houssiaux.Et, dans quelques journaux, des poésies d'un accent généralement fort douloureux (arrangez ou supprimez)Edgar Allan Poe, Sa vie et ses oeuvres.Vous pourrez ajouter à cela : Physiologie du rire, qui paraîtra, prochainement, à la Revue de Paris, sans doute, ainsi que Salon des Caricaturistes et Les Limbes, poésies, chez Michel Lévy. Ce ne sera pas un mensonge puisque cela va paraître très prochainement, et sans doute avant le volume biographique.. Mais tout cela me semble bien vaniteux. Arrangez, supprimez, faites ce que vous voulez. Si j'ai oublié quelque chose, tant pis."`Quelques pas, bousculé par des passants hagards, et voici le lieu de ravitaillement, petite "grande surface" fréquentée surtout par des touristes qui découvrent les Grands Boulevards. La poésie, sous toutes ses formes, nous accompagne dans tous les moments de notre vie, et ses fantômes aussi.
Sortis de l'ombre et portant encore en eux leurs maléfices, les mots de Pierre Bettencourt ne sont pas de ceux qui portent le soleil en bandoulière mais quelque chose des miasmes de lointaines contrées mentales et qui ne sauvent les apparences que par l'humour. Un humour grinçant et quelque peu provocateur.Il y a là des échos d'Henri Michaux (que d'ailleurs Bettencourt édita sur sa presse à bras, de même qu'Artaud, Paulhan ou Béalu). Une morale à l'envers, des pays lointains nichés dans les replis du rêve (du cauchemar ?). De cours récits qui ont la précision (l'incision) d'une gravure grimaçante et coléreuse.Ce sont des "fables" à l'envers, l'épilogue qu'on n'attend pas, le virage à angle aigu où l'on perd l'esprit. Et l'esprit qui n'est pas sain. Quel acide a rongé le monde pour qu'il soit aussi désarticulé, ou tout va de biais et de mal.Parfois on tombe sur des détails qui font penser à ces coins de tableaux que l'on découvre en surprise dans les oeuvres de Jérôme Bosch.Oui la vie est un enfer portatif, que l'on porte en bandoulière. Avec les mots.
Du traitement des lettres (exercice fort sage), P.A. Gette est passé au domaine de l'émoi érotique. La jupette qui flotte au vent, la petite culotte blanche entre aperçue, le jeune tendron, entre innocence et perversité. Où situer le regard quand il plane en des territoires aussi ambigus. P.A. Gette frôle toujours l'indécence (attention domaine des mineurs !). Et pourtant son discours entre dans la logique d'une recherche qui se veut encyclopédique, englobe bien des domaines (et pourquoi pas l'herborisation en forêt). Mais domine, passe, circule, apparaît au détour d'un chemin, dans la démarche de l'artiste, la petite fille qu'il cajole et dont il faudrait se méfier. P.A.Gette en fait des séquences d'art.Maintes publications accompagnent cette démarche moins hasardeuse qu'il pourrait paraître, et d'une logique de scientifique qui met le monde en observation, décantation, et notes pour justifier le tout.Si bien qu'il se situe à cette frontière fragile entre art et sociologie, voire pornographie. L'art y trouve son compte, c'est à dire un territoire qu'il est le seul à explorer, et il est bien connu que l'art, aujourd'hui, c'est, avant tout, absorber le monde pour le mieux connaître et le faire mieux comprendre.Alors comprendra qui voudra.
Pourquoi une oeuvre de Braque nous apporte une sorte de satisfaction esthétique paisible et comme détachée de l'effort qu'elle suppose. L'art de Braque c'est de dissimuler le temps de la création pour nous conduire d'emblée sur le résultat.Autant Picasso nous émerveille comme le magicien qui exécute un formidable tour de passe-passe, autant Braque en bon artisan (qu'il est, n'avait-il pas appris à peindre sur des murs de fausses marbrures !) nous émeut devant une oeuvre bien accomplie. Forte en sa forme et riche en sa texture, son contenu. Bien des choses y sont dites, avec la simplicité de l'artisan qui connaît son métier, mais ne tente pas de nous éblouir par sa science. Picasso veut montrer qu'il est habile (il l'est) il s'amuse de nous (il nous bluffe aussi), Braque se montre discret.Alors le résultat nous réconforte. Regardez un Braque et vous vous sentez bien. On l' a accusé de faire de la peinture confortable pour les bourgeois. Il ne flambe pas son talent, il le met au service de discours simples, allant à l'essentiel. C'est le vrai enfant de Cézanne et comme lui rude en son métier, consciencieux, et sa facture est noble en son discours.
A l'égal de son "oeuvre" (il n'aurait pas aimé ce terme) écrite, la production (autre interdit mais comment définir certaines ce ces choses qui échappent à toute classification, ou définition) de Pierre Bettencourt, dans le domaine des arts plastiques, nécessite une révision totale du vocabulaire, et sans doute, un autre regard.Résumons. Il produit (décidément) des livres à petit tirage, d'auteurs qui sont les piles électriques de la pensée contemporaine (ce sera un autre chapitre) mais à côté de ce travail qui cohabite avec l'écriture de ses propres textes, Pierre Bettencourt (sous la bénéfique influence de Dubuffet) aborde l'espace des arts plastiques. Sa technique ? construire des figures à partir de déchets (coquilles d'oeuf par exemple) et inventer un monde sulfureux, narquois, inquiétant.C'est la figuration d'une comédie des enfers revue par Ubu, entre grincement de dents et provocation. Masques qui semblent surgir de quelque civilisation étrange, totems (sans tabous), silhouettes grimaçantes venues des égouts, tout un monde qui s'agite ici, là figé dans un hiératisme de divinité barbare.On le dira primitif mais c'est un peu le dépotoir de tous ceux que l'on ne peut classer. Primitif alors, dans le style, abrupt, à découpe franche et comme taillé à la hache, la colère, encore qu'ici et là, il y a le clin d'oeil imperceptible de celui qui attend votre complicité dans l'accomplissement d'une farce. On peut se balader avec innocence parmi ces figures d'enfer drolatique, on en tire une sorte de joie salubre. Celle de dominer nos terreurs en jouant à se faire peur.
S'inspirant du poème de Baudelaire :Du temps que la Nature en sa verve puissanteConcevait chaque jour des enfants monstrueux,J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante,Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.........Parcourir à loisir ses magnifiques formes ;Ramper sur le versant de ses genoux énormes.....collant si exactement au texteLéonor Fini conçoit de fortes illustrations où le trait s'emporte au rythme des mots, les épouse, tant l'artiste sait donner force à l'image.Peintre, elle l'est au coeur de la vibration des mots. Moins dans l'anecdote que cette part de mystère qu'ils contiennent et ne délivrent que par la magie de la poésie (serait-elle en prose). Aussi Léonor Fini est proche des écrivains, à leur écoute, et sait donner toute la part de théâtralité qu'elle met dans sa vie aux illustrations qu'elle conçoit pour les textes qu'elle aime et valorise par la force de son tempérament lyrique et un rien de perversité qu'elle distille avec élégance.
C'est pas l'intermédiaire de Gianni Bertini que j'avais fait la connaissance de Paul Armand Gette, dans les années 60. Ils étaient voisins dans les environs de la mairie du X° arrondissement, un quartier chanté par Léon Paul Fargue.Gette venait de Lyon avec une formation de scientifique. Il était plus ou moins en rapports avec les tenants de l'Ecole de Nice. Il travaillait alors à partir de ces lettres en bois qui entraient dans la composition des affiches et titrages. De magnifiques blocs sculptés en forme de lettres et qu'il assemblait sans tenir compte de leur fonction d'origine et en les dressant comme des sortes de stèles. En toute logique il aura été amené à expérimenter les recherches graphiques que les dadaïstes avaient si splendidement explorées.Il frôlait là, sur le plan plastique, les travaux des expérimentateurs du langage (autour de Henri Chopin et François Dufrène). C'était le noyau vivace de recherches qui se concrétisèrent autour de la revue OU animée par Henri Chopin.Mais P.A. Gette va évoluer, et aborder d'autres horizons qui sont plutôt de l'ordre de l'érotisme. Nul rapport donc. Mais on y reviendra.
L'abondante iconographie de Katherine Mansfield permet de scruter, année après année, le travail du temps sur les traits de son visage, mais, dans le même temps, souligne l'extraordinaire mobilité des expressions qui passent par tous les stades des émotions. Lire sur un visage c'est déjà avancer dans la connaissance des mots qu'ils tiennent en réserve, comme un grenier ses fruits. On ressemble à son verbe, à la manière de manier le langage, de s'exprimer. Devant un visage on peut pronostiquer de ce qu'il dira, de ce qu'il détient, ses trésors d'émotion qui trouvent les mots pour les dirent.Katherine Mansfiled offre un visage parfois lisse qui est encore celui d'une petite fille. Il y a toujours, jusque dans son style, cette fraîcheur des mots qui disent au plus près du coeur ses élans, son amertume.On la verra, l'âge venant, comme un fruit se rider, mais de belle façon. Ne dit-on pas que les rides disent notre âme !C'est à travers tous les stades de cette évolution qu'une vie s'inscrit. Qui fut de flamme et de cendre, entre la maladie qui tenaille et les élans d'amour qui ressuscitent. Tout un visage porte en lui l'âme et les élans, et l'oeuvre qui en découle.
Le charme de la peinture des ruines c'est qu'elle leur confère une douceur, une innocence qui n'est pourtant pas dans leur vocation première. Adoucie, aux contours du paysage qui l'entoure, lui fait écrin, la Pyramide de Maupertuis devient une aimable étape dans le rythme d'une promenade agreste. Sa décrépitude même la dissout dans son environnement. Elle entre dans la respiration de la forêt, comme une manifestation naturelle. Contrairement aux ruines de Piranèse qui s'avancent, entourées d'une figuration humaine en principe propre à gommer leur caractère morbide mais restent au coeur de l'action, monumentales, grandioses et vaguement inquiétantes, celle-ci s'intègre totalement au paysage comme l'un de ses éléments. Elle n'y prime pas, entre dans une contemplation qui s'appuie sur des références culturelles mais sans donner à celles-ci une primeur quelconque sur la valeur du paysage dans son charme élégiaque. On y devine le doux frémissement des arbres, la nonchalance des promeneurs, le caractère aimablement festif de l'ensemble.La ruine n'est plus qu'une curiosité, quand, dans ses ambitions premières, elle était un jalon dans un itinéraire codé, propre à nourrir l'esprit quand elle ne nourrit plus que le plaisir de la promenade.
C'est Bernard Aubertin qui l'avait amené, ils étaient complices dans un engagement total vers des recherches qui s'éloignaient résolument de la peinture de chevalet. En commun un radicalisme de théoriciens.Piero Manzoni était charmant, petit, volubile, drôle, impertinent et convaincant.En guise des fleurs classiques il avait apporté sur un minuscule bristol (comme une sorte de carte de visite) l'empreinte de son pouce. Longtemps je l'avais placée parmi les livres de la bibliothèque et elle a dû être absorbée par un livre (mais lequel) parce qu'un jour elle n'était plus sur le rayonnage. Depuis Manzoni est devenu célèbre et il est mort maintenant, et brandi par les historiens de l'art comme une figure emblématique de l'avant-garde. Une sorte de relais de Marcel Duchamp dont il est surtout un épigone farouche.Son oeuvre, comme celle d'Yves Klein (qu'il admirait), est resserrée sur quelques principes qui l'enferment dans la redite mais portent en eux un message fort.Elle participe du courant (dans les années 55-60) très important, du monochrome (le bleu pour Klein, le rouge pour Aubertin et le blanc pour Manzoni).Pour ce dernier s'ajoutait, (fort contestée), la mise en conserve de "la merde d'artiste". Geste radical, sans doute suicidaire. Porter la pratique de l'art vers la conservation de ce qui dans le concept de tout homme soucieux de sa dignité, est destiné à disparaître parce qu'il souligne la faiblesse humaine face à l'idéal qu'il se dessine (les dieux ne sont-ils pas de marbre ?), relève soit de la provocation, soit d'une sorte de désespoir existentiel.
Plus que l'atelier classique avec la prééminence du chevalet sur lequel est posée la toile en devenir, mais c'est encore là une vision un peu conventionnelle, l'atelier du peintre d'aujourd'hui s'inscrit moins dans une tradition qu'une adaptation aux modes de travail de celui qui l'organise pour son confort. Il prend place en des lieux parfois insolites, et le goût du gigantisme entraîne alors son implantation dans des espaces industriels qui ne relèvent pas de la vie domestique.En revanche, les siècles passés (en particulier les XVIII° et XIX°), avaient une vision plus aimable, qui tient du salon ou même de la chambre à coucher, et toute la famille assemblée se livre à une activité qui prend prétexte d'un acte de création pour laisser chacun isolé dans sa réflexion, si l'on excepte la petite fille qui, candidement, lit un livre (elle a un peu le rôle qu'ont les angelots qui volent autour du thème central dans les scènes religieuses). L'idée de l'atelier se confond avec une activité familiale de bon aloi, signe tangible d'un certain confort bourgeois où l'on se livre à un passe-temps plus qu'à une nécessité, la création devant relever de ce principe.On y cultive la tempérance. De l'atelier, peut-être, la pièce ainsi désignée se justifie par l'accumulation des références artistiques, concrétisées par des moulages, et l'on est là bien dans l'esprit de l'atelier du XIX° siècle ( même chez les professionnels qui s'entouraient de multiples objets de collection).L'art qu'on y conçoit est fortement intégré à la vie domestique. Il en est une des branches, comme pourrait l'être le jardinage. De l'esprit du Salon le lieu tient aussi son élégance discrète, conviviale et chaleureuse.La pratique de l'art est une facette d'une bonne culture, mais non une force irrépressible où l'on s'engage totalement. C'était le temps béni, des "amateurs".
Ce devait être dans les années 55-60, au Soleil dans la tête, lors d'un vernissage d'une exposition de Gabriel Paris. Il est accompagné d'un petit bonhomme au verbe chantant (et haut) qui est sculpteur. Il travaille alors dans le sillage de Germaine Richier qui construit des personnages à partir de pièces soudées d'une gracilité un peu inquiétante, vibrante d'émotion et de mystère.César (Baldaccini) est alors tout excité par ce qu'il a découvert du côté de Genevilliers : un chantier où l'on compresse les voitures pour en réduire l'encombrement sur les vastes terrains où en entrepose les épaves. La fosse en ciment, les mâchoires gigantesques qui prennent la voiture en tenaille pour en faire de simple paquets de tôle froissée constitue une sorte de spectacle bien à la mesure d'une société dominée par la production industrielle. Une vision agressive qui en dit long sur nos moeurs et nos idéologies.Le geste va devenir "créateur" avec César qui l'adopte et signe des "compressions" dont l'exposition au salon de Mai (alors baromètre de la vie artistique) fait scandale.La formule César est lancée. On aura droit à des compressions de tout objet, de toutes tailles. L'innovation fait industrie. C'est bien le vice de cette formule de création qui veut qu'un artiste s'identifie à travers une formule et l'exploite jusqu'à la banaliser (voir le cas d'Arman).Autant la découverte était primordiale et sans doute décisive dans la formulation poétique de ce qu'allait être le "Nouveau Réalisme" (une critique de la société de consommation), autant son exploitation intensive ne pouvait qu'en affaiblir la portée.En toute logique, après la compression César va pratiquer l'expansion. Une autre aventure. Il faudra y venir, y passer. Le chemin de la création contemporain est d'une grande rigueur intellectuelle. Mais il affine sa mort annoncée.
Selon le développement des rayonnages une bibliothèque implique des rapports différents, et va jusqu'à rythmer la lecture. C'est qu'il faut bien repenser l'attitude de celui qui l'aborde, et selon son architecture, va devoir se trouver un comportement adaptéSelon qu'il l'aborde frontalement, et de plus, doit se percher sur un escabeau pour atteindre l'ouvrage choisi, ou circule à hauteur des volumes comme pour les passer en revue. Ici l'exercice périlleux où le lecteur doit avoir des qualités d'alpiniste, là il invite à la nonchalance. S'ils sont facilement accessibles on sera plus capricieux, folâtrant parmi les titres (observez quelqu'un qui, venant chez vous, discrètement s'approche des rayons et semble chercher à mieux vous connaître en découvrant ce que vous lisez - et ça marche), dans l'intimité on doit parfois se glisser parmi ces multiples choses que l'on a l'habitude d'y disposer, au caprice du temps. Le cheminement est alors plus capricieux, avec des imprévus. Et cet ajout d'objets parmi les livres (avec ou sans rapport avec eux) interdit une approche franche, décidée et brutale. Lire parmi les livres (le luxe suprême) c'est comme consommer sur place des biscuits que l'on vient de prendre dans un rayonnage d'une grande surface. Mal vu, il signe une impatience, un manque de savoir vivre. Un lecteur émiettant sa lecture parmi les livres est un consommateur goulu, ou de picorer ainsi, trahit peut-être une méfiance : ne pas s'engager dans un livre sans avoir pris ses précautions. Le voyage, surtout s'il est long, doit en valoir la peine.
La saison y pousse, les lumières de l'automne déjà effleurent le ciel quand le soleil se couche, et l'odeur des cahiers neufs que l'on va bientôt ouvrir pour la rentrée des classes monte à la tête, chargée de souvenirs. Quel bonheur pour les petits écoliers de Louisfert d'avoir pour instituteur un poète.Rien ne distingue la modeste bâtisse d'une maison voisine, sinon qu'à heures régulières, les cris des enfants à son bord assemblés, la désigne comme l'école du village. En toute mémoire d'adulte il y a, modulés par le temps, des souvenirs de ces écoles "primaires" où l'on découvrait le monde sur les bancs et surtout dans la cour, en affrontant les autres, chacun ayant l'information qui va le valoriser.Le préau est le forum d'un monde qui s'ouvre à de jeunes énergies émaillées de bosses et de plaies, les bagarres succèdent aux confidences, on apprend la vie à grande vitesse.Cadou (portait-il la blouse grise qui était d'usage en son temps), à sa chaire, ouvrant d'une main généreuse de jeunes regards sur les cartes qui identifient les espèces animales. Il devait être féru de sciences naturelles. Je gage qu'il emmenait ses petits élèves, le jeudi, vagabonder en forêt pour découvrir toutes les beautés de la nature qu'il chantait dans ses vers.Il était du propre de l'Instituteur (une institution) de guider ses écoliers dans les chemins si riches de la vie qui s'ouvrait à eux.La demeure du poète autant que l'Ecole (de la République). Les cours terminés, il gravissait l'escalier qui le conduisait à son modeste logis et à sa table, sagement, avec la fidélité qui est celle de la passion, sur des cahiers, il écrivait (de sa belle écriture un rien précieuse) des poèmes clairs comme l'évidence des choses. Des mots simples, simplement assemblés pour dire le monde qu'il avait sous les yeux. Sous le signe de l'amour. Sa compagne Hélène était là, sur le divan, lisant tandis qu'il écrivait ( c'est ce que nous disent les témoins et ceux qui ont conservé la mémoire du couple) Jamais monde poétique ne fut plus fermé sur le quotidien, et rarement plus ouvert au monde, parce qu'il était vu avec le regard de l'amour.
C'est Claudie qui l'a retenue, cette Garden Party et ses autres nouvelles. Sur la couverture une image qui dit tout. La fraîcheur du cadre, une maison bien calée dans la nature sous la protection d'un grand arbre (planté en un autre temps). Et cette femme qui se cherche dans sa nature de femme, et s'embrouille dans les gestes de sa vie, mais pas dans la rectitude de sa pensée. On peut avoir des blessures de l'âme mais la volonté de survivre vous conduit vers des lendemains que d'autres nieraient.Elle l'aura préférée avec son curieux chapeau qui ressemble à un vaste bonnet, et lui donne quelque chose de masculin. Elle a encore ce petite visage parfois buté, d'une petite fille qui a trop aimé les autres pour n'en pas souffrir un peu. Et s'est perdue dans les autres quand seule l'écriture lui permet de se ramasser un peu sur elle-même. Alors les lettres sont comme les envols de ces oiseaux qui migrent vers des horizons meilleurs, des matins plus sereins, un ciel plus vaste encore pour aller jusqu'au bout de ses rêves. Le temps n'a plus le temps pour lui offrir la seule béatitude de la contemplation. Elle doit sauver par les mots ces myriades de pierre précieuses que sont ses émotions. C'est de savoir les dire qu'elle leur donne ce pouvoir de nous atteindre. Elle n'est pas la bavarde qui se confie aveuglement. Au contraire, elle connaît le prix des mots. Elle les soigne comme des plantes rares. Des fleurs à offrir en bouquet bien soigné. Un livre.
Théophile Gautier en famille.Ce petit billet pour M.C. en souvenir de notre voisin.Connu surtout pour "Le Capitaine Fracasse", Théophile Gautier est un écrivain plus riche et plus secret que ne le laisserait supposer un trop grand succès populaire sur un seul livre. C'est l'arbre qui cache la forêt.Ami à la fois de Victor Hugo (il est même , un temps, son voisin Place des Vosges) et de Gérard de Nerval (qu'il a connu sous son vrai nom de Labrunie au lycée Charlemagne), Gautier aura une vie sentimentale très riche et compliquée.Amant, lors de son séjour rue du Doyenné (dans l'intimité de Nerval, Arsène Houssaye, Pétrus Borel, Célestin Nanteuil, Charles Lassailly, Auguste Maquet - le futur collaborateur d'Alexandre Dumas- Camille Rogier), de Cydalise (qui devait mourir peu de temps après), de Victorine, avec laquelle il vivra quelques années rue de Navarin, et d'une certaine Eugénie Fort (dont il aura un fils que l'on retrouvera en 1870 sous-préfet à Pontoise) , et quelques autres, il rencontre la soeur de la ballerine Grisi Carlotta (dont il fut amoureux, et avec laquelle il aura une liaison tourmentée et largement épistolaire), c'est Ernesta."Elle est petite, assez potelée, la figure pleine et ronde, un peu courte, les yeux très beaux avec des prunelles vert de mer et des sourcils noirs en pinceau, le nez manque de noblesse, la bouche est vermeille et s'épanouit assez gracieusement, les bras sont d'un galbe élégant". Elle est cantatrice. et pour elle Gautier écrit pour la scène. Après la rue Navarin et la rue La Grange Battelière, ce sera (en 1857 ) l'installation d'une petite famille, (Judith et Estelle sont leurs filles) dans la maison de Neuilly, 32 rue de Longchamp. Cette vie de famille sera assez brève et bousculée par la vie sentimentale de Gautier qui aura encore des liaisons orageuses ( Marie Mattei, Alice Ozy....). Il en résulte un va-et-vient incessant entre Neuilly et de nouvelles adresses à Paris (rue de Beaune) et Versailles, 3 avenue de Saint Cloud, chez son amie Eugénie Fort (Gautier habitait ainsi assez souvent chez une de ses maîtresses car les séparations ne détruisaient jamais la qualité affective qu'il savait entretenir avec les femmes). Le fringuant don Juan (mais son attitude est plus un engagement réel dans des amours successives qu'un jeu) n'en aura pas moins des relations exceptionnelles avec ses filles : Julie, la préférée, fera une carrière littéraire et sera l'épouse de Catulle-Mendes et Estelle, celle de Emile Bergerat qui sera l'un des plus fidèles et précieux témoins de la vie de Théophile Gautier.
D'emblée, "sous la lampe" nous évoque Léon-Paul Fargue et sa poésie dans ce qu'elle a d'intime, et parce qu'elle s'associe à une lecture confidentielle, presque secrète, plaçant la poésie au niveau de la confidence quand, avec d'autres, elle peut se faire épique et à caractère sociale (comme Aragon, et Eluard dans sa version finale). Sous la lampe, c'est aussi l'image d'une intimité crépusculaire, quand les tâches de la journée terminées on se réfugie sous sa protection pour se livrer à des activités qui ne relèvent plus de la nécessité mais du plaisir, dont justement celui de la lecture.Entre le livre et la lumière (la lampe) se construit un monde qui échappe à la logique, aux pesanteurs du quotidien, et permet à l'esprit de s'échapper, donner la pleine mesure de ses ambitions et accéder au pays des rêves qui lui est fermé quand priment les exigences de la vie pratique.Tout un monde de fantasmagorie se développe, liant le livre à ce rayon de lumière qui perce la nuit et ses terreurs. Des paysages se lèvent, avec leurs parfums, des figures se présentent qui ont toutes les vertus que l'on peut souhaiter quand, dans la réalité, on croit ne rencontrer que la médiocrité, la méchanceté, l'incompréhension, et que les personnages d'une comédie intime effacent la banalité qui est notre pain quotidien. Parce que ce monde d'une réalité banale passe par la métamorphose de l'art, et qu'il devient l'objet d'une rêverie d'un auteur.Paolo Tortonee, dans sa préface aux oeuvres de Théophile Gautier donne une jolie définition de la lecture (en l'occurrence celle de Gautier) : " le lecteur de Gautier est un spectateur, ou plus simplement et plus radicalement un oeil. Sa lecture, un regard. Il se trouve devant les fragments du monde que le texte lui livre, comme un visiteur de musée devant les tableaux."C'est un monde d'illlusions, une autre comédie, souvent modelée à nos envies, elle se développe au rythme de nos humeurs, mais, la lampe éteinte nous rejette dans ce que nous avions cru pouvoir fuir.
Nous n'en connûmes que les ultimes échos, dans les années 60 quand les locaux de l'Académie Julian de la rue du Dragon étaient devenus ceux de l'Académie Met de Penninghen. Beaucoup d'artistes qui allaient se faire connaître par la suite y firent leurs classes.C'était là l'ultime écho de ce qui fut, à la fin du XIX° siècle, l'Académie Julian dans sa splendeur. Elle avait son atelier passage des Panoramas (sur les Grands Boulevards), puis 31 rue du Dragon et 51 rue Vivienne, où les femmes furent admises. C'était, à l'époque, une innovation révolutionnaire. Interdites à l'Ecole des Beaux Arts en raison de la nudité des modèles masculins, les femmes se rabattent sur cet établissement libéral qui voit le pittoresque mélange de filles de bonnes familles complétant là une éducation qui comprenait la maîtrise du dessin, des femmes qui y trouvaient, sans autre ambition, un dérivatif à l'ennui du foyer conjugal, enfin de véritables élèves ayant pour but d'acquérir le savoir qui permettait de revendiquer le statut de professionnel.D'ailleurs ce fut là que débutèrent les Nabis (Bonnard, Vuillard) et des artistes comme Matisse, Duchamp ou Dubuffet y firent leurs classes.Contrairement à l'enseignement rigoureux (et parfois castrateur) de l'Ecole des Beaux-Arts, l'élève était relativement libre quoique les professeurs assuraient conseils et corrections, direction souple vers la révélation de la personnalité de chacun.Peut-on noter, expliquant la diversité des orientations plastiques que l'école Julian ne freinait pas, le passage encore, de Maurice Mazo, Chas Laborde, Edgar Chahine, Fernand Khnopf, Louise Breslau, Elvire Jan, Kupka, Marie Bashkirtseff, Simon Hayter, Roger Chastel, Emile Compard, Dignimont, Fernand Léger, Auguste Chabaud, Louis Valtat. Une diversité qui est bien à la mesure de ce qu'était l'Ecole de Paris, soit le rassemblement d'artistes venus de tous les horizons. Le passage à l'Académie Julian était l'étape indispensable.
DUFY ou l'allégresse.Peu de peintre ont su mieux que Dufy traduire l'allégresse, le bonheur de vivre dans une atmosphère éthérée, gracieuse, féminisée dans un trait dansant, narquois souvent, où règnent la musique et la femme comme figures de proue d'un monde hors de toute contrainte et comme baigné de félicité.D'où ce trait dansant, si proche de l'écriture, de la simple notation, qui retient l'instant dans sa fragilité et sa grâce. Le thème du concert y est privilégié parce que la musique est l'art de ces rapports subtils et fragiles avec l'émotion.La couleur y vient s'inventant des surfaces à animer comme le ferait la lumière qui court dans une pièce, jouant avec les reliefs, les écrasant parfois dans sa force et la chaleur ambiante qu'elle créé.Elle est dansante et comme animée dans ses jeux spontanés et spirituels.
Le soin apporté à l'encadrement joue comme prolongement de la peinture et non simple mise en valeur. Il va connaître une faveur particulière à la fin du XIX° siècle quand la peinture se théâtralise. Chez Franz von Stuck il prend tout son sens et fait par égale avec la toile qui s'inscrit en lui comme un miroir, un effet de perspective dans lequel la figure prend toute son importance. Il dramatise l'action suggérée et même la plus simple des présences.Von Stuck, bien connu pour sa vision complexe de la femme, fatale, énigmatique et bestiale, raffine dans le décor, invente de véritables architectures qui donnent à la figure ainsi encadrée une force, et, paradoxalement, une présence plus forte encore, comme si on la surprenait dans l'ouverture d'une fenêtre. L'effet de surprise s'ajoutant à l'emphase de la mise en scène, toujours très soignée chez l'artiste, et aux nudités subitement dévoilées, et comme prises sur le fait en leur intimité.Il sait combien est plus érotique une figure dans ses rapports avec la vêture, elle même propre à souligner un détail anatomique, suggérer des invites. La somptuosité du vêtement s'ajoutant à son rôle équivoque.Dans tant d'éclat, un étalage d'or, la blancheur de la chair est comme un viol, une déchirure dans ce qui s'annonçait comme la simple parade d'une richesse ostentatoire. On pénètre dans une intimité en si lourd contraste avec son environnement qu'elle devient le sujet de la toile.D'autant que, tant pas sa forme que son éclat, le cadre évoque quelque reliquaire.Un mélange de piété et de profanation.
Eluard était coutumier du fait. Il marquait son adhésion à l'oeuvre d'un peintre en faisant un livre avec lui. Ce pouvait être par l'illustration de ses poèmes, ou le contraire, la rédaction d'un poème à partir d'une illustration. Enfin comme avec André Beaudin, une confrontation de leur démarche respective pour en mesurer les équivalences, les rencontres, les points de convergences et en somme une fraternité d'esprit. "Double d'ombre" répond à cette ambition. Le livre a le charme de ceux que l'on dépose au fond d'une corbeille où l'on aura disposé la laine et les aiguilles en vue d'un écharpe pour le petit ou d'une gilet pour l'aînée. Un recueil de poèmes (et de dessins) vers lequel on se penche comme sur un album de souvenirs. Chaque poème fait écho en nous à un moment de délice dans lequel il entra, discret, confidentiel. C'est son rôle aussi, d'accompagner les petites choses du quotidien, les élans du coeur et de la mémoire. Eluard en ce domaine est unique et cela doit expliquer son succès populaire. Beaudin l'accompagne main dans la main. Au devant de notre plaisir tranquille.
Chardin est hors de l'Histoire, il ne conte que la sienne. Celle d'un homme centré sur l'essentiel et dans le quotidien, le rien, ou ce qui passe pour l'être. Il est le frère de la servante qui vit dans la douce lumière des cuivres bien polis par le soleil, dans la grâce naturelle d'enfants sages qui attendent le repas, dans un foyer que rien ne semble perturber.Il construit tout un monde. De quelques objets posés sur la table, par le hasard ou une science innée des rapports qui s'établissent entre les matières, chacune au plus fort de sa beauté naturelle : le verre, la terre cuite, les fruits de la terre, ces choses qui nous entourent, et dont nous vivons sans toujours en mesurer la richesse fraternelle. Il est au plus près des choses, dans leur intimité rude, grave et digne à la fois. D'une cruche, d'un pain, d'un verre, il fait un monument altier et qui va défier le temps, sa morsure sur les choses, les êtres et les sentiments.Sa force, mais n'est-ce- pas celle de l'art en l'une de ses missions essentielles : signifier l'intemporel.
Le douanier Rousseau élevait des sortes de rideaux végétaux qui étaient en même temps le cadre de quelques chasses assez molles où les fauves pourchassés prenaient des attitudes de trophées avant l'heure : déjà statufiés avant que le coup de lance ou la balle d'un fusil aient blessés leur robe fauve.S'il dressait une forêt, fut-elle magique, Henri Rousseau l'imaginait peuplée d'yeux et de souffle étranges, le danger y flottait comme porté par l'imaginaire que l'on s'en fait quand on l'aborde.Max Ernst est passé par là. La forêt, subitement, s'est mise en transe. Les végétations immobiles chez Rousseau (si proches du simple décor de théâtre pour une pièce de Raymond Roussel) ploient sous une tempête que l'on devine, et la peur qu'elle distille n'a plus de figuration précise. Elle est diffuse, et plutôt incarnée par des jeux de métamorphoses qui voient des feuilles se muer en insecte dont on ignore l'identité, en ont-ils seulement une, et c'est de ne pas en avoir qu'ils constituent une menace.Quand Rousseau peint un lion que l'on devine dans le feuillage. Il a sa tête. Si convenue (car elle sort d'une copie d'un livre de géographie) qu'elle portera plutôt à sourire. Chez Ernst point d'animaux identifiables, connus, mais le souffle de l'animal qui rôde parmi les plantes, sortant d'elles comme une génération en cours, une mutation lente et irrésistible des genres. Un monde de grouillement lent à peine perceptible.Une menace diffuse. Quand le volupté promise par la forêt s'est transformée en piège qui nous absorbe.
C'est bien l'attrait des collages de Max Ernst : ils illustrent une histoire, ou en content eux mêmes ( "Rêves d'une petite fille qui voulut entrer au Carmel", "Une semaine de bonté", "La Femme 100 têtes" ), et, en retour, on pourrait très bien, partant d'eux, inventer une histoire dont ils sont alors la source.Ce fut une habitude assez largement partagée chez les Surréalistes que d'écrire d'après l'illustration qui pourrait en être l'ornement. Soit, renverser le mouvement. C'est l'image qui donne le ton, suscite les mots. (Man Ray et Eluard entre autres l'on fait).C'est dire l'importance accordée au pouvoir de l'image propre à éveiller les sources profondes de l'inconscient, ou d'une mémoire dont des pans entiers sont enfouis dans les profondeurs. Le principe de l'écriture automatique avait la vertu de permettre d'exercer cette pêche que les lois de la logique, de la raison, des pudeurs sociales multiples qui pèsent sur nous, rendent difficile. A moins de s'abandonner à ses instincts, une liberté verbale qui nous dépasse, et toute aventure de l'esprit qui est conduite sous l'emprise de la drogue par exemple.Ce type de collage (à caractère littéraire) a la particularité de susciter les élans de l'esprit qui y trouvent des assises, des repères, des zones d'atterrissage.Prenez des ciseaux, de vieilles images et de la colle et vous recréez des mondes enfouis en vous.
Son double prénom Julie (Juliette)-Justine devait orienter son destin. A elle seule, elle incarnait, par cette dénomination, les deux héroïnes si bien typées de l'univers de Sade : figures du bien bafoué, du crime loué, soit Juliette et Justine. Et sa jeunesse et marquée par sa mise à l'écart du foyer pour ne pas gêner les amours adultères de sa mère.Elle ne fut que galante. Et passionnément aimée. Le panel de ses amants est dominé par la figure du duc d'Aumale (fils du roi Louis-Philippe), à moins qu' on lui préfère Victor Hugo à qui elle demanda un poème pour l'immortaliser. Au père succède le fils, c'est Charles Hugo, qui, à son tour, gagne le lit de la belle infidèle.Elle se produit sur les planches. Non sans un certain talent lui concèdent les contemporains, en général peu indulgents, même avec les femmes dont ils ont obtenus les faveurs.Sa beauté toute de langueur aux couleurs orientales va inspirer un de ses admirateurs, le peintre Chasseriau qui la peindra plusieurs fois et gagnera la célébrité à l'avoir réussi.Bien qu'elle ait pratiqué la même confusion (intéressée) entre amour et argent, elle n'est pas directement confondue avec les "horizontales" qui seront bientôt multiples, lancées dans le monde avec des noms à particules qu'elles vont chercher dans le ruisseau. Il suffit d'attendre une génération.Elle entre bien dans la mythologie des femmes fatales du romantisme. Plus penchées du côté des références de l'Antiquité et de l'Orient, et femmes de harems. Quand la génération suivante, "fin de siècle", noircira l'horizon des alcôves pour en faire l'antre de la damnation et habitée par Satan.Il y a quelque chose de clair, de lumineux, non seulement dans un carnation chaude et emplie de grâce tranquille, une notion du plaisir qui n'est pas encore marquée par le sceau du pêché mais dans un sorte de sérénité ostentatoire à l'avouer et à en faire métier.
Tout comme chez Piranèse, mais dans un esprit de catastrophe et une lumière crépusculaire qui lui est propre, Monsu Desiderio compose des paysages urbains par une accumulation de monuments, une sorte d'échantillonnage, s'appliquant à décrire portes monumentales, hautes colonnes, temples majestueux, pyramides, parmi lesquels se déplace une population qui ne lui donne pas cette vivacité de la vie quotidienne que Piranèse traduit par des scènes champêtres. Une menace semble toujours peser sur des personnages qui semblent être costumés comme pour quelque cérémonie qui se prépare (quand ce n'est pas une catastrophe qui s'annonce et dont on voit d'ailleurs les premiers effets).La manie de l'Antique participe du même engouement que l'on voit sur la scène de l'opéra où le principe de l'anthologie prime pour définir un climat, un lieu, une époque, et offrir toutes les facettes de l'action qui est censée y être conduite. D'où le caractère factice des paysages de Monsu Desiderio, et l'impression donnée que les personnages sont des acteurs. Ceux d'une fiction que la peinture nous annonce. Monsu Desiderio, autant que peintre est un raconteur d'histoires.
Enfant illégitime d'un petit seigneur de province, Apollonie Sabatier (du nom de son père adoptif), qui se faisait appeler Aglaé, vient à Paris faire carrière dans la galanterie. Mais, tenant salon littéraire rue Frochot (alors haut lieu de la vie parisienne entre Pigalle et les Grands Boulevards), elle fut louée, courtisée, adulée, par Maxime du Camp, Gustave Flaubert, Arsène Houssaye, Théophile Gautier, Goncourt, et Clésinger qui en fit le modèle de "La femme piquée par un serpent".Il est dit, mais sans preuve tangible, qu'elle aurait aussi été le modèle de la toile de Courbet "La création du monde" devenue une sorte d'emblème de la peinture érotique.Ses rapports avec Baudelaire sont particulièrement significatifs quant à l'attitude du poète vis à vis des femmes. On sait combien il est attiré (ses poèmes en témoignent) pas les femmes "perdues", soit par leurs moeurs dissolues, soit par l'âge (les petites vieilles dans "Les Fleurs du Mal"), des éclopées, toute femme en perdition morale ou physique. Madame Sabatier (surnommée la "présidente" après une remarque d'Edmond de Goncourt) séduira pourtant Baudelaire en dépit de son "abattage", et il lui envoyait anonymement des poèmes, jusqu'à finir par se déclarer. Ils devinrent amant en 1857 (la nuit du 30 août). L'attitude de Baudelaire est alors significative. L'amour qu'il portait à Madame Sabatier n'était pas charnel. Il l'avait idéalisée. Qu'elle se donne à lui (croyant ainsi le séduire et répondre à ses envolées poétiques) détruit la figure que le poète s'était fait d'elle. Il la refusa et lui tourna dès lors le dos.L'aventure illustre bien la complexité de la mécanique sentimentale chez Baudelaire qui fut attaché (jusqu'au dévouement) à Jeanne Duval, qu'il avait connu dans son flamboiement juvénile et à laquelle il reste dévoué jusque dans sa décrépitude finale (voir l'incroyable portrait de Manet).
La publication des Fleurs du Mal, l'inscription d'une oeuvre aussi dérangeante (dans le contexte de l'époque - 1857) d'un poète se donnant des allures de dandy et passant pour tel, situe Baudelaire à une frontière capitale dans l'évolution de la poésie. Elle n'avait été, jusqu'alors, qu'élégie de circonstance, manipulation des mots à des fins ludiques, alors qu'il annonce une poésie qui sera l'extraction, au plus profond de la conscience, des pulsions de mort qui sous-tendent la vie d'un homme, et dans la lancée foudroyante dont il est le maître (et Nerval la victime), s'engouffre toute la poésie qu'illustrent aussi bien Mallarmé que Verlaine ou Rimbaud. Et comme le note avec pertinence Pierre Jean Jouve: " ... parce qu'il lui était réservé le sort redoutable de découvrir dans l'ordre spirituel, de construire la beauté sur un large et profond théâtre de misère humaine."D'amuseur au bel esprit, de laudateur financé de mécènes lettrés, le poète devenait le prophète des profondeurs de la conscience humaine. Il fallait "passer par ce chemin de sacrifice " (note Pierre Jean Jouve) pour que la poésie fut l'engagement total, radical, par quoi se dessine dans sa totalité une vision qui englobe toutes les vertus du langage.Baudelaire est bien l'enfant d'un romantisme qui avait appris que la poésie est une arme dangereuse pour celui qui l'emploie. L'ange de la mort rode au dessus de ces "têtes folles" de ces cheminements dans les zones jusqu'alors négligées de l'inconscient.
Aux Inde la sculpture qui orne les temples est une invite à la volupté, en Grèce elle est une leçon de virilité.Ici ça grouille de figures qui s'enlacent, se bousculent, se mêlent en d'indécentes combinaisons qui parlent de la jouissance du corps, le Nirvana à portée de caresses, là ce sont des figures altières, dépouillées. Même la nudité y est pudique. C'est celle des guerriers qui s'affrontent "à mains nues", des héros de la mythologie qui sont épris de gloire virile. Un monde d'affrontement, où le corps trouve sa beauté dans sa force, la mesure d'équilibre qu'il incarne. Plus près du stade que de l'alcôve. Les femmes y sont des amazones, prêtes au combat plus qu'à l'amour. D'ailleurs on y salue le guerrier revenant auréolé de sa victoire, et faute d'ennemis on s'affronte dans les limites bien réglées du stade. La performance olympique contre la suavité du harem.La ligne du corps y prend toute son importance qui délie toute l'énergie dont il est comme l'emblème. Ses grâces sont discrètes. L'ornement des temples parle de gloire, même dans les hauteurs de l'Olympe.Est grand celui qui domine, ce qui implique une hiérarchie, un ordre soigneusement élaboré dont le corps dit les différences, situant son rôle, dans une orchestration rigoureuse, harmonieuse. On va vers l'épure, l'essentiel, va-t-on jusqu'à l'âme ?
La vision de la femme à la fin du XIX° siècle est curieusement partagée entre une morbidité qui associe la femme au diable (la tentatrice) et celle de la grâce exquise.Côté morbide, le regard de Baudelaire :"Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,O Beauté ? Ton regard infernal et divin,Verse confusément le bienfait et le crime.........................................................................Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;De tes bijoux, l'Horreur n'est pas le moins charmant,Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement."A quoi répond Henri de Régnier :"....Ses doux seins fleurissaient la grâce de son torseEt la nature souriait avec sa bouche ;Les grands arbres aimaient sa chevelure torseElle était la chair bonne et la volupté douce,Le délice d'aimer et l'ivresse de vivre,Le soleil sur la fleur et le ciel sur la source.Elle a quitté toute la forêt pour le suivre."tableau de Edward Burnes-Jones.
Montagne (sacrée) ou architecture d'un autre temps, qu'un cataclysme aura transformé en cet amoncellement qui gomme ce que fut sa fonction. Peut-être admirable palais au fronton orgueilleux, temple gigantesque pour un culte oublié, falaise gravée par des peuples nomades dont il ne reste rien que ces ultimes signes indéchiffrables. Un tableau de Max Ernst c'est souvent une énigme posée dont il semble que le peintre a les clefs qui nous sont interdites.Il y a du magicien en lui. Et peut-être du voyant. Dire ce que l'on sait, quand le message est terrible, n'est-ce pas jouer un rôle de mauvais augure. On peut attribuer à Max Ernst cette faculté de cadrer dans ses toiles, comme un pan d'une vision qu'il nous fait partager. Il y a quelque chose de cette nostalgie que dispensent les "diapositives" de vacances qu'un ami veut nous montrer, parce qu'il a découvert quelque chose que sans doute nous ne verrons jamais. Il y a de l'explorateur revenu parmi nous et doté de toute une imagerie qu'il rapporte d'un pays lointain. Celui de Max Ernst est imaginaire, encore que nourri de souvenirs. Dans ces paysages lunaires on peut voir un écho de ceux parmi lesquels il vivra au terme de la dernière guerre, dans une Amérique des terres profondes, des accidents géologiques gigantesques qui donnent au paysage une vague idée de ce qu'il pouvait être à la préhistoire.Sa fixité même lui confère un surcroît de mystère.
Il est un type de poésie qui engendre le culte de l'amitié, s'appuie sur une fraternité qui nourrie par ailleurs son contenu même. C'est la cas de l'Ecole de Rochefort avec René Guy Cadou comme figure de proue.La création du Soleil dans la tête (en 1952) coïncidait avec la disparition de ce dernier et l'entreprise concertée pour conserver sa mémoire.A la tâche, Hélène, l'épouse, qui à son tour, révèle par ses écrits une étonnante complicité des mots, cet éclairage si particulier qui faisait tout l'attrait d'un groupe de peintres et poètes (Roger Toulouse. Jédoudez, Jean Rousselot, Michel Manoll, Jean Bouhier, Marcel Béalu ) qui, dans le contexte de l'Occupation et de ses contraintes, avait trouvé dans le langage (la poésie) une survie au désastre ambiant.Hélène, à la mort de son mari, osera publier ses poèmes, ce que par discrétion elle s'était interdit de faire de son vivant. Il s'en dégage une fraîcheur, un rigueur tranquille, une sérénité voulue comme une discipline, comme quoi les mots sont ces radeaux qu'évoque François Xavier Farine, lui aussi bibliothécaire, comme l'était Hélène Cadou, à l'ombre de l'inquiétant Georges Bataille, ce qui ne manque pas de saveur.Avec une modestie exemplaire elle avoue : pour moi, écrire "c'est répondre à René, écrire en poésie c'est continuer de vivre dans notre univers.... par l'écriture je reconstruisais la demeure perdue..... préférant dire le moins pour dire le plus.... écrire un poème c'est découper la vitre, déchirer un carré du ciel."D'où ce ton de fluidité dans la phrase qui ressemble toujours à une confidence.voir le blog porbzine storage.canalblog.com
Pour une fois tenter d'aborder un tableau sans s'enquérir du nom de son auteur, et ne rien savoir de son histoire pour se pencher, vierge de tout à priori, sur le contenu d'une oeuvre qui est si riche qu'on pourrait, à partir d'elle, écrire tout un roman. On a le décor, minutieux et saisi dans cette torpeur qui accompagne la fin d'un bon repas, ou marque le début d'une chaude après midi, quand la maisonnée est tranquille (encore qu'on y voit une servante penchée sur le sol qu'elle nettoie). Le personnage principal ne peut qu'être une femme que l'on voit de dos et à son épinette attachée pour, sans doute, déchiffrer une partition que l'on entre aperçoit.Le son doit en être aigrelet, alors que la pièce, et jusque dans son effet de perspective ample, invite à ce silence qui prédispose au repos ou à la réflexion. C'est le lieu et l'endroit des grandes pensées qu'aucun épreuves d'un quotidien vulgaire ne viendra briser ou polluer. On n'y peut qu'être serein et les spéculations d'un ordre supérieur. Est-ce dans ce genre de cadre que vivait Descartes quand il avait choisi l'exil en pays nordique.Un lieu de rigueur, à la géométrie tranquille et humanisée. Le jeu de la lumière (digne des meilleurs éclairagistes du spectacle) est l'élément vivant, fragile et en mouvement qui vient à la fois animer et glorifier le luxe tranquille qu'il distille.Mais, bien qu'il donne l'impression de tout révéler, le peintre va, dans les lointains de la perspective habilement créée, poser une pointe de mystère. Parce qu'il invente une perspective ouverte, il nous laisse le soin de finir son récit.Peignant la tranquillité d'une après-midi "bourgeoise", ne cache-t-il pas une énigme. Alors l'apparence de bien être, un rien lénifiant, ne serait-elle pas un leurre ?
Si le terme "morbidité" s'applique à toute une production picturale "fin de siècle", sans nul doute Albert von Keller est le plus concerné. Le regard de la psychanalyse (il travaille en étroite collaboration avec ses praticiens) n'est sans doute pas étranger à son goût pour les défaillances humaines, les menaces qui pèsent sur son destin, la figuration d'une féminité qui passe de l'élégance à la dégénérescence. C'est un peintre mondain, fort recherché, particulièrement habile à traduire les atours, tout ce qui souligne la fragilité, l'élégance du corps, on entendrait presque le bruissement doux et sensuel de la soie dont il aime parer ses modèles. Une sensualité dérangée par des ombres, une inquiétude qui vient des profondeurs de la conscience troublent facilement cet étalage volontiers ostentatoire et l'on sent le pinceau du peintre pris d'une soudaine ardeur destructrice, emporté dans les tourments qui brise l'image de perfection qu'il entreprenait de mettre à jour. Il s'en dégage une impression de décadence consentie (sic).Il aurait été aussi attiré par le spiritisme et ses rituels. La beauté source de conflit, peut-être de déchéance, liée à des pratiques qui visent à la nier, la blesser, avec un immense sentiment du péché ? Dans la logique de ses rapports avec l'analyse de l'inconscient qui est une constante de sa démarche
Lettres aux amazones.C'est Valentin qui parle.- Voilà comme je les aime. Effilées et sveltes, on les voit sur de hauts talons filer sur la pavé quand moi, ainsi chaussé, je m'y étalerais. Rapides elles sont, comme si elles allaient à un rendez vous d'amour ( ce qui, dans bien des cas, doit être la réalité) mais je gage qu'elles sont aussi rapides quand elles vont au bureau.C'est qu'il y a l'enfant à déposer à la crèche, les courses à faire, la vie d'une femme d'aujourd'hui n'est pas de tout repos. Il suffit de lire les magazines dont elle se tourne la tête pour savoir qu'en plus elle doit être belle et plaire.Du talon passons à la chaussure elle-même. Remarquons qu'il y a plus de bottillons et autres variantes de bottes pour maintenir la simple chaussure dans le goût forcé de souligner sa féminité.Et parmi les bottes ma préférence va à la cuissarde. Explication esthétique.Enserrée dans le cuir (qui doit être soyeux, bien enveloppant) la jambe prend des allures irréelles, et comme relevant de quelque contrée merveilleuse où l'être humain emprunte aux autres espèces ce qu'elles ont de meilleur. Une agileté, une souplesse, une finesse, que l'espace humaine n'a pas, d'office. Et que d'efforts, de volonté pour y parvenir. Les salles de gymnastique sont pleines de postulants d'une esthétique qui épouse les modes, les modèles, les mythes d'une femme toute en souplesse et en ardeur, et si loin des anges que l'on a toujours représentés dodus et quelque peu niais.Alors ainsi cuissardée la femme qui bat le pavé de son allure ailée entraîne le regard du passant vers quelque rêve que chacun orne à sa façon. Il y a l'expéditif (un rien vulgaire) qui va droit au but, et ouvre déjà le lit (encore qu'il est capable de se contenter du premier fossé), il y a le romantique, qui incarne la femme ainsi chaussée, comme un être à gagner par un processus lent et mystérieux, par une succession d'attentions, d'approches délicates où tous les atouts dont il dispose sont mis à contribution. Le regard de chacun s'égare dans son domaine de prédilection entraînant la femme ainsi passante admirable, comme compagne d'un merveilleux voyage en des jardins de délice. Chacun a sa vision de Cythère. Ce fut un ballet de robes de soies vives de couleurs qui bruissaient doucement au vent marin, ce sera une cavalcade de ces nouvelles amazones, sûr que derrière cette carapace qui semble les isoler tout en les divinisant, des coeurs ne demandent qu'à battre. Le spectateur sera invité à la fête.En se promenant dans le parc de Versailles M.C. qui y fit ses classes buissonnières, invitait ses amis à de longues promenades à bicyclette (on pouvait les louer dans un retrait camouflé derrière le Petit Trianon). Chevauchant un cadre d'acier étincellent elle montrait le chemin. C'était une étrange aventure dans un paysage qui n'avait plus rien de ces rigueurs inspirées par le jardinier Le Notre, et une fois, la nuit surprit les imprudents promeneurs aux abords du Grand Canal. De l'ombre surgissaient des silhouettes gainées de ce cuir luisant qu'affichent les motards. Versailles livré à une armée venue des bandes dessinées.
Quand la peinture devient le débordement (le trop plein) de ce que la main abandonne sur la surface de la toile, entre le journal qui dit tout et le croquis qui note un trait, un détail, insiste sur une rencontre subite avec l'insolite, la vérité d'une forme, d'un visage, d'une expression.Cette spontanéité entraîne un dédain des conventions, des usages. C'est une peinture mal élevée, et c'est pourquoi, faute de trouver mieux, on la considère du même regard que celle des marginaux. Elle est marginale parce qu'elle refuse les conventions, s'expose sans pudeur, propose, dans le même rythme (le même tempo), l'ébauche et une subite précision, une insistance, peut-être le sentiment d'approcher de ce que l'on recherche quand on s'est donné pour mission de confier au droit de regard ce qu'il y a de plus secret en nous, de plus spontané.On mettra avantageusement cette manière d'aborder la forme dans les marges immédiates de l'écriture.C'est une écriture qui va au bout de ce que le mot évoquerait. Elle aura franchi les obstacles autant que les frontières qui se sont dressées entre le mot et ce qu'il décrit (ou suggère). Encore que Macréau soit surtout porté à s'aventurer dans le monde des visages. Toute une foule se presse dans les limites de la toile. Son agitation, sa confusion, et comme au cinéma, quand la caméra parfois s'approche d'une visage et semble l'interroger, (pour un peu on entendrait sa réponse) le trait se fait plus insistant. S'attarde à formuler un trait d'expression, une présence. Macréau lève des fantômes dans l'obscurité de son inconscient.
Lire c'est s'ouvrir à tous les mondes que nous ne pourrons jamais atteindre. Prenons conscience de la lourdeur de notre corps. Les vastes horizons dont il rêve ne sont pas à la mesure de ses muscles (avachis) de ses capacités (limitées) et même du temps imparti à ses caprices et ses besoins.Tout comme les horizons trop lointains, les situations émerveillantes sont des chimères. La vertu des mots va suppléer à ces limites imposées.Alors la lecture devient un rite. Il impose, selon chacun, ses cadres et son déroulement.Ne pas croire que le choix du vêtement sera conforme au contenu du livre. Cette femme dans ses splendides dentelles lit sans doute une histoire d'amour, mais celui qui lira une épopée n'aura pas nécessairement la tenue qu'elle est supposée imposer.L'avide aura à sa portée plusieurs livres dans lesquels il ira piocher des pans de rêve, et quel étonnant mélange que ce désordre va provoquer.Dans la lenteur de la rêverie un seul livre suffira à combler les désirs. On s'attarde sur les mots, c'est ainsi que la poésie trouve son rôle. Formuler l'essence des choses, supposer une approche à la mesure de ce resserrement des mots. On parlera de dégustation. Comme d'un alcool qui transporte le corps dans l'intimité de son âme.
Sur le bord, mais de quel abîme, un visage figé en buste avoue sa blessure. Qu'en eut il été s'il avait été de chair. Mais dans le plâtre (le marbre) dans lequel il semble avoir été taillé le sang coule qui a fait sa tache (celle d'une mort annoncée). L'énigme est dans la présence insolite ici de la sphère fendue, gadget ou pierre philosophique ? et la feuille d'un arbre absent.A quoi s'ajoute le rideau d'un théâtre supposé, car tout ici et faux, et semble relever de quelque fiction qui nous interroge.A la mer lointaine et qui n'est peut-être qu'un mirage le ciel se confond, s'effondre, créant cette unité de ton qui annonce le plein été.Souvenir d'une Grèce qui fut en toute jeunesse studieuse, le pays des mirages et des premières amours, quand l'adolescence se construit entre étreintes furtives et savoir, et que la lecture du grec ancien a du charme quand on a franchi les étapes qui y conduisent. J'avoue y avoir trébuché et d'y perdre mon latin. C'était dans un salon pseudo-égyptien d'un château de contes de fées, et Paris n'était pas loin qui offrait, dans un Louvre encore parqueté à l'ancienne, des jeudis studieux où l'on vénérait la Vénus de Milo avant d'aller boire un chocolat chaud "à la Marquise de Sévigné" dont à l'époque on ne connaissait pas les Lettres si nous était familière la dame à la plume levée comme une enseigne. Elle faisait métier de commenter son quotidien. J'ai perdu la tête de la sagesse (Magritte la dit : "la mémoire") et c'est bien un comble.
Pourquoi faut-il associer l'ouverture d'une librairie avec la pluie. Sinon que, comme les églises et les musées, elle devient un lieu de refuge pour les tristes journées d'un automne qui se glisse sur Paris et enveloppe les consciences. Alors, pénétrer dans une librairie c'est un peu comme si l'on était resté chez soi, après avoir regardé à la fenêtre et jugé qu'un bon livre vaut mieux que l'humidité toujours pénible sur les trottoirs de la ville.Et c'était toujours un bon livre que l'on trouvait à "La maison des amis des livres" où trônait sur une modeste chaise de campagne celle qui fut un peu la marraine de toute la littérature des années 20-40. D'un simple cabinet de lecture elle avait fait un lieu de rencontre de quelques uns des écrivains majeurs de l'époque. De Valéry (qui y fera une lecture de ses poèmes) à Léon-Paul Fargue qui en fut un peu le dieu lare. C'est là qu'André Breton rencontre Phiilippe Soupault et Louis Aragon, les mousquetaires du surréalisme. On y voit aussi, lisant un livre, discutant avec la nonchalance que le lieu excusait : Jules Romain, Ezra Pound, Walter Benjamin, Valery Larbaud, André Gide, Jacques Prévert. Et Joyce venait, quand il rendait visite à son éditrice Sylvia Beach dont la librairie Shakespeare était de l'autre côté de la rue.Adrienne Monnier avait instauré un lieu qui jouait le rôle tenu par les Salons, sinon que le caractère mondain de ces derniers était gommé par la bonhomie du piéton qui a fait une halte. Le bonheur d'une librairie de ce type c'est aussi la rencontre.
La vision de la femme chez Franz Von Stuck est bien plus morbide que celle de son contemporain Klimt (ils ont un an de différence).La sensualité chez Klimt est triomphante, ostentatoire mais comme l'affirmation du triomphe du plaisir alors que chez von Stuck, nourri des pages mythologique et bibliques, la notion du péché prédomine. La femme est attirante mais redoutable. On la classe dans la catégorie des Femmes fatales : "Il multiplie les Eve, incarnation du péché, celle-ci tenant un serpent gigantesque enroulé autour de ses épaules, celle-là, entre ses cuisses, cette autre engagée dans un tête à tête ou plutôt un corps à corps avec un animal dont les dimensions ont dû impressionner des spectateurs comme Fellini s'il faut en croire sa propre surenchère cauchemardesque dans Juliette des esprits." (Bram Dijkstra).Von Stuck créé ainsi des icônes de la perversité qui trouvent leur crédibilité dans la référence à la Bible. Dans un corps à corps monstrueux et fatal la femme se condamne elle-même, et par un pervers glissement des symboles, elle est en même temps, dans une image forte, l'objet du péché et sa victime. Cette ambiguïté von Stuck l'exprime avec une certaine lourdeur iconographique qui s'inscrit dans le cadre d'une société pudibonde qui voulait "imager" le péché, et sa punition.A comparer avec la vision que l'on peut en avoir dans d'autres cultures qui font triompher la chair, et inscrire la femme dans un monde animal bienveillant, dont elle est l'heureuse élue et non la torve complice, condamnée à se confondre bientôt avec lui, comme source de mort.
La Mythologie invente des tragédies domestiques qui se transforment en légendes. Voici, entrant en scène Echo, qui s'acharnait à détourner l'attention de la jalouse Junon, alors que son infidèle époux, Jupiter courtisait ses soeurs les nymphes. Junon, ayant compris le manège, la condamne à ne pouvoir que répéter les derniers mots de son interlocuteur. C'est alors qu'Echo s'éprend du beau Narcisse fils du fleuve Céphise et d'une autre nymphe : Liriopé. Loin d'être flatté par cette attention flatteuse, Narcisse repousse les avances et pour venger sa protégée Vénus condamne Narcisse à n'aimer que son propre visage.En se penchant sur les eaux Narcisse s'enfonce dans une solitude qui menace sa survie. Alors les dieux apitoyés le transforment en fleuve. Il retrouve ainsi la nature dont il était issu. Mais sur la rive, d'où il devait choir dans l'eau, des fleurs poussèrent pour perpétuer sa présence sur terre : ce sont les narcisses.Ovide conte cette histoire chargée de symboles dans "les Métamorphoses".La symbolique de cette histoire entre dans le domaine de la psychanalyse en lui fournissant des clefs pour détecter certaines fixations égocentriques qui entraînent ceux qui en sont victimes vers une impossibilité de communiquer.En duo de malédictions : Echo dépouillée du droit de s'exprimer et Narcisse de s'éprendre d'autrui, constituent l'un des couples dont la Mythologie nous a pourvu pour une meilleure connaissance de notre insertion dans le monde qui nous entoure et des problèmes pour y parvenir.
Lettre aux Amazones 3D'un lieu à l'autre le temps a fait son chemin. Chacun change et le ciel de Rome a des douceurs qu'on ignore à Paris. Surtout quand on va le chercher du côté de ce champ de ruines que Piranèse peuplait de moutons, de chèvres excessivement cornues et de silhouettes cousines de celle que Jacques Callot plante au pied des gibets. On ne s'égare pas, sinon que parmi ces temples en loque, ces colonnes remontées comme pour créer un décor d'opéra, il circule un calendrier qui joue à saute mouton sur le temps, et les figures des figurants (sont-ils figés ?) n'habitent pas leurs habits. Elles sont ce qu'on en fait. Descendues chacune d'une histoire qui leur est propre. Osera-t-on les mêler, provoquer un choc des mots qui recréer le chaos qu'ils ont pour mission d'organiser.On cherche Polia dans la foule. D'abord elle n'aime pas son nom, ce qui risque de l'éloigner d'une histoire qui n'est pas tout à fait la sienne. Est-ce que l'on peut impunément se glisser dans uns histoire qui nous est étrangère. On y serait l'intrus. Qu'on est déjà, souvent, étranger à sa propre histoire.Polia, elle , n'est jamais là où on l'attend. Elle est le mouvement.On la rencontre dans les trains internationaux, traînant des valises à roulettes qui sautillent sur le sol. Les parents sont oubliés. Quelques années sans doute, quand la fillette devient femme, ou presque, et qu'elle exagère vraiment l'idée (précoce) qu'elle s'en fait.Elle s'exagère ce qu'elle veut être, et ne sera jamais tout à fait son rêve Flamboyante de tous ses rêves, et en équilibre sur des talons prématurés vertiginueux quand ils complètent la silhouette d'une femme qui a vécue. Dont on dit, en la voyant, qu'elle est d'expérience, sûre d'elle, sans doute, au lit, trop savante pour être sincère.Il était venu pour l'innocence furtive lue sur un visage, allait-il trouver la formule standard un rien cynique qui accompagne une trop éclatante beauté.Le temps a passé, des incidents de toutes natures ont bousculé l'itinéraire qu'il croyait tracé par le seul élan de l'amour.Comme si, de même qu'une machine pourtant bien pensée pour l'accomplissement des missions qu'on veut lui confier, ne se met en marche qu'avec peine, et la désolation est le prix de bien des cheminements. Surtout si l'amour en est l'enjeu.Rome, se dit-il est la ville de toutes les crapuleries. Il erra dans de sordides quartiers, ceux-là même que fréquentait Messaline quand elle cherchait le plaisir et ne le trouvait que dans l'ignominie des enlacements suspects voire scandaleux.Ce qu'une impératrice égarée par ses sens n'atteint pas, un inconnu, portant les habits d'un autre pays, aura-il le pouvoir de le conjurer. L'innocence souvent ouvre des portes qu'on ne franchi croit-t-on qu'en usant de savants stratagèmes.
La personnalité étrange (bizarre, j'ai dit bizarre) de Raymond Roussel suscite une flopée de publications savantes. Par son caractère énigmatique, et parce qu'elle est codée (?), l'oeuvre de Roussel échappe à toute analyse sensible, pour exiger de son lecteur une attention d'entomologiste scrutant les réactions d'un insecte qu'il retient entre les doigts. A moins qu'il n'invente, pour notre plus grande perplexité, des labyrinthes savants qu'il nous abandonne en pince-sans-rire (prince du rire).D'ordinaire, les commentateurs de Roussel sont très sérieux et poussent l'analyse vers des horizons qui exigent de bonnes lunettes mentales. Son biographe principal, François Caradec, est plutôt versé dans la manie de l'archiviste et il sait admirablement, avec sagacité et un rien d'humour, dresser un personnage, le situer dans son temps ( parmi les surréalistes avec Michel Leiris comme poisson-pilote).Parmi les bizarreries de cet étrange "homme de lettres " (lui y tenait) il y a la commande passée à un obscur peintre basque Henri ZO (qui illustra des textes de Pierre Loti) d'images propres à illustrer son dernier livre "Les Nouvelles Impressions d'Afrique". Pour l'aider il fait pour chaque "image" une description minutieuse, en quelque sorte une description. On a, par les mots, l'image avant que celle-ci est une existence visuelle. Procédé qui à y bien réfléchir est un formidable tremplin pour des expériences littéraires qu'il reste à faire.Ajoutons qu'il avait trouvé cet artiste en passant par une agence de détective.
Multiple en ses réalisations (pour le cinema, le théâtre, l'illustration) Pierre Charbonnier est un peintre "couvert de poètes". C'est d'ailleurs plutôt dans leur compagnie et le jeu des amitiés qu'il va évoluer.On le verra créer les décors de quelques films "historiques" comme "Le Journal d'un curé de campagne" de Robert Bresson puis "d'un condamné à mort s'est échappé". Trouvant dans cet art le sens de l'épure qui va définir son art.Un temps il collabore avec l'architecte Auguste Perret ce qui le conduit à pratiquer la peinture murale. Il passe sans encombre au domaine de l'illustration, d'André Salmon à René Char, dans une complicité étroite avec le monde des mots.L'art de Pierre Charbonnier va évoluer sur ses seuls critères, qui tournent le dos aux modes, à la logique de l'évolution de l'art contemporain. Se faisant une place de choix dans cette catégorie éclectique d'artistes qui manient la figuration non pour dire la réalité mais traduire une vision qui leur est propre et réinventent leur réalité. La sienne dans une sorte de simplicité touchante, qui ne craint pas de frôler les poncifs, sachant les défier.
Mallarmé (de son vivant même) suscita auprès des jeunes qui fréquentent son logis de la rue de Rome une vénération que peu d'écrivains inspirent avec autant de dignité, de ferveur et de fidélité. Au point que chez certains l'admiration créé une sorte de mimétisme. La poésie de Jean Royère, pour n'être pas très connue, procède de la même volonté d'hermétisme. Lui même l'admet "Je déclare que je ne me soucie pas outre mesure du clair génie français. Ma Poésie est obscure comme un lis. Pour moi l'Art est sensible. Or le jugement analytique laisse hors de lui la sensation, le sentiment et l'image qui n'est pas une métaphore."L'étude qu' il consacre à Mallarmé, bien que ne l'ayant pas fréquenté de son vivant, relève du même culte, conforté par la préface de Paul Valery.Curieusement, c'est vers lui que le jeune André Breton s'adresse pour la publication de ses premiers vers ( à la manière de Mallarmé) dans la revue de Royère : La Phalange. C'est encore Royère qui l'adresse à Paul Valery, mettant ainsi le futur créateur du Surréalisme sur la voie d'une poésie exigeante que d'ailleurs Breton abandonnera pour des expériences plus audacieuses et déterminantes pour son devenir.
C'est étonnant comme l'iconographie des héroïnes de l'Histoire est manipulée selon les charges qu'elle véhiculent, et parfois dans une dualité "bien et mal". Le cas de Jeanne d'Arc est le plus connu mais il rallie les tenants d'une notion de patriotisme (qui n'existait pas à son époque mais qu'elle préfigure).L'iconographie de Charlotte Corday, pour n'être pas aussi riche, mérite qu'on s'y arrête, d'autant qu'elle peut être aussi bien considérée comme participant au domaine du crime que de la justice. Encore que les règles de conduite sociale admettent mal que la justice soit rendue par un geste criminel.D'ordinaire, on met Charlotte en scène (SA scène, sans laquelle elle serait restée inconnue), le poignard à la main, ou chu au sol, et son partenaire dans sa baignoire. Mais si l'on considère Marat comme un personnage positif elle est condamnée. Elle le fut. Mais dans ce cheminement vers la condamnation elle prend brusquement une autre allure. Celle de la victime d'une machine infernale.On sait que dans sa prison à la Conciergerie elle avait des contacts avec l'extérieur. C'est ainsi que Häuer fait son portrait.C'était une "fraîche jeune fille"de bonne famille, une petite aristocratie de province nantie de beaucoup d'enfants et de peu de moyens, mais les apparences étaient sauves, et l'énergie une morale de vie. On revendiquait de descendre de Corneille et cela valait tous les blasons hérités de lointains ancêtres.Charlotte victime de la "justice" d'une période de désordre social prend un nouveau visage qui ne relève plus de l'héroïsme mais s'inscrit dans la grande tradition chrétienne de victime désolée et désolante. Offerte à la pitié (piété) du public.Les grilles de sa prison offrent plastiquement l'équivalent de ce que serait une de ces niches qui, dans les églises, offrent les figures de saints à la vénération des foules.Dans son attitude, sa morphologie (et jusque dans la caractère mièvre qui lui est donnée), elle est bien une figure de sainte.
La passion de Lapicque pour la Bretagne le conduit à devenir "un peintre de la mer". En toute logique il ira sur les flots à la recherche de divers sites (ici Venise) dont il va unifier la vision à son regard. Grâce à son écriture toute en circonvolutions il créé une étonnante unité entre le relief rocheux, tourmenté ou la turbulence de la ville (qui est un port ) et l'agitation marine, la houle qui prend des couleurs de menace augmentée par le ciel comme en un effet d'échos.La lisibilité de la peinture passe par l'énergie qu' a mis le peintre à dresser ce qui est par essence mouvements, force irrépressible. Serait-ce l'ambition de la peinture de saisir le fugace, le vécu et jusqu'à l'impression que laisse sur nous ce moment de nature brutale qu'elle traduit dans l'énergie même de son exercice, d'ordinaire plutôt propre à figer ce qu'il montre.C'est que Lapicque est passé par les stades de réflexion, d'expérimentation qui auront totalement transformé les buts et les fonctions de la peinture. Qu'il soit passé de la "non-figuration" à cette imagerie du réel en ses instants d'intensité, dit bien que notre regard familiarisé par les nouveaux médias attend de la peinture qu'elle soit réactive. Ce qui ne nous éloigne pas pour autant de, disons Chardin par exemple.
Le poète en idole.On prétendait que Chirico auteur du portrait (?) de Guillaume Apollinaire avait eu une vision prémonitoire en en faisant une sorte de figure frappée de quelque maléfice (traduit par les lunettes noires ). Le visage atteint par un éclat d'obus sur le Chemin des Dames pendant la guerre, il meurt des suites de ses blessures.La peinture de Chirico, (et c'est ce qui fait son étonnante force), pose des énigmes nous laissant le soin des les déchiffrer.Le Surréalisme l'adopte, voyant en lui l'illustrateur de quelques unes de leurs ambitions plastiques.Mais Apollinaire fut au départ de la démarche de Chirico, ce que sera Cocteau après la guerre (d'ailleurs il illustre des ouvrages de l'un et de l'autre).D'Apollinaire il dira, illustrant une édition de "Calligrammes" : "Pour les lithographies je me suis inspiré de souvenirs qui aboutissent aux années 1913 ou 1914. Je venais de faire la connaissance du poète. Je lisais avidement ses vers où il est question fréquemment de soleils et d'étoiles. En même temps, par un détour de la pensée qui m'est familier et dont le reflet s'exprime souvent dans mes tableaux, je songeais à l'Italie, à ses villes et à ses ruines. Bien vite, pour moi, par une de ces clartés qui, tout à coup, font découvrir à portée de main l'objet auquel on songe, les soleils et les étoiles revenaient sur terre comme de paisibles émigrants. Sans doute s'étaient-ils éteints dans le ciel puisque je les voyais se rallumer à l'entrée des portiques de tant de maisons. Etait-il déraisonnable de ma part de baser sur la fantaisie de mon esprit et sur l'état de mes visions, les lithographies qui allaient voisiner avec les gammes poétiques dont Apollinaire joua en véritable visionnaire".Retour sur le portrait. Chirico adopte le même principe de projeter dans l'évocation du poète son propre univers. Pétrifié dans une sorte d'intemporalité, et comme frappé de mystère.
Ambroise Vollard, l'aristocratie du marché de l'art.
Né "aux îles", Ambroise Vollard (1868- 1939) était venu à Paris pour poursuivre des études de droits, mais la passion de la collection, (de peintures) le conduit tout naturellement à devenir marchand. Il apparaît sur le marché au moment même où deux grandes figures de ce milieu disparaissent ( Théo Van Gogh, le frère de Vincent, et le Père Tanguy) si bien qu'il va faire la liaison entre l'Impressionnisme et les nouveaux mouvements. Il défendra Renoir, Cézanne, Degas et bientôt Picasso et Matisse. Après des débuts difficiles et des prises de contacts multiples il s'installe 34 puis 42 rue Laffitte alors haut lieu du marché de l'art.Il l'inaugure par une exposition Manet, ce qui donne le ton. Manet étant (il suffit de lire Baudelaire) l'initiateur de la "modernité". Par le jeu des rencontres, des recommandations, et un brin de sagacité (il n'en manque pas), Vollard s'introduit dans le monde de l'art à travers ses figures les plus marquantes : Renoir (qui fait son portrait - de même que le feront Cézanne, Picasso), Cézanne, dont l'exposition devait marquer une étape dans sa carrière. Ses contemporains réalisent comment il est novateur, et il commence à devenir une sorte de maître à penser. Vollard se place sous sa protection intellectuelle. Bientôt c'est vers Gauguin que va son intérêt. En élargissant son champ d'action Vollard consolide sa réputation. Il se lance dans l'édition.L'intervention de Mary Cassatt qui connaît les grands collectionneurs américains apporte la touche finale à une irrésistible ascension qui bientôt le place au sommet du monde artistique.Succès qui le conduit à acheter, toujours rue Laffitte près des Grands Boulevards un nouveau local (au 6). Le lieu dispose d'une cave qui va devenir légendaire. Vollard y organise des dîners qui réunissent aussi bien Odilon Redon que Forain ou Degas, mais aussi des artistes de la nouvelle génération : Bonnard, Roussel, et des écrivains, dont Alfred Jarry, ou encore la pétulante Misia Sert qui est devenue la femme d'Edwards. Par un jeu de relais se succèdent Picasso, Matisse, Vlaminck, Derain et même le douanier Rousseau.Comme éditeur son activité est particulièrement heureuse dans ses choix qui vont de Bonnard et Vuillard à Maurice Denis et Renoir. De ces ouvrages, l'un des plus remarquables, et qui est passé à la légende, c'est le Verlaine illustré par Bonnard (Parallèlement). Un livre "clef" dans le domaine de la bibliophilie que confortent en ses principes un Daphnis et Chloé de Longus et Dingo d'Octave Mirbeau (les deux illustrés par Bonnard)Une production qui ne fait que s'étendre, avec pour étapes : Degas (La Maison Tellier de Maupassant), Chagall (Fables de La Fontaine), Rouault (Les Ames mortes de Gogol), Picasso (Le Chef d'oeuvre inconnu de Balzac), Braque (Histoire naturelle de Buffon), Dunoyer de Segonzac (Les Georgiques de Virgile).Ecrivant lui même Vollard publie des souvenirs sur Cézanne, Degas, Renoir et surtout le Père Ubu.La figure de Vollard s'impose comme l'une des plus importantes à la charnière des XIX° et XX° siècles. Il aura su faire du commerce de l'art une activité qui pour être dépendante des contraintes du marché (et des lois du profit), s'impose comme une sorte d'aristocratie qui aura des descendants jusqu'à aujourd'hui.
La gloire de Rodin aidant, on connaît tous les détails de sa vie (compliquée) et de sa manière de travailler. Il faisait poser les duchesses pour faire leur buste (qu'il faisait payer très cher) mais aussi des modèles (souvent des prostituées) leur disant qu'elles vivent leur corps sans pudeur, lui croquant à toute allure les attitudes d'un corps en mouvement. C'est intéressant cette double attitude qui dit bien que l'art se développe (et se trouve) dans la liberté et non dans les contraintes. Quant à sa vision du corps, elle dépasse largement les codes de l'érotisme, même si ses oeuvres sont perçues sous cet angle, réducteur.Rodin voit en la femme qui s'abandonne à ses pulsions, bouge son corps au delà des codes de la pudeur, une version incarnée de la vitalité, dont celle de la nature. Le corps est un paysage dont on explore les moindres aspérités, dont on aborde le relief en ses caprices et ses singularités.C'est la conscience (et l'inconscient analysé par la psychanalyse ) de l'homme marqué par des codes religieux ou sociaux (d'où les interdits), qui connote le corps , ne le lisant pas pour ce qu'il est, mais des rites érotiques qui relèvent d'une vision mentale; d'où le chemin tout tracé pour les perversions.Les religions n'ont fait qu'aggraver cette déviation
D'une longue pratique de l'errance urbaine, qu'ils pratiquaient l'un et l'autre, Jacques Prévert et Brassai étaient faits pour se rencontrer, ne serait-ce que sur un livre, Brassai apportant aux textes de Prévert (si proches de la poésie de la rue) son regard percutant sur le mur, les graffitis, toutes choses qui sont de son monde et qu'il a admirablement photographié.Ce fut un choc, dans l'embourgeoisement de l'édition et le respect de ses traditions, que la parution d'un ouvrage où la recherche de la lisibilité était compromise (dédaignée) au profit d'un effet graphique autant que plastique qui résumait l'esprit de ce qu'il contenait. L'art de la couverture de livre faisait là un grand pas dans l'innovation, l'expression, dans une sorte d'unité fondamentale entre texte et illustration pour autant que s'en était une. Qui résumait tout l'esprit du livre.
Lucas Van Leyden. Antonin Artaud plaçait l'oeuvre "très haut" dans ce palmarès que l'on se fait dans l'intimité de sa conscience et en fonction de ce que l'on attend de l'art.Il voyait l'oeuvre au delà de sa place dans l'histoire de l'art.Elle porte en elle, une force de catastrophe mentale qui traverse l'image, la transcende.Elle est capable "d'émouvoir l'oreille autant que l'oeil". Parce que, selon lui, sa charge émotionnelle est explosive.L'histoire veut que les filles de Loth se soient données à lui. C'est une page sulfureuse de la Bible, comme une sorte de maléfice qui va bouleverser le monde.D'ailleurs Luca de Leyde, en peignant la scène, la cadre dans une lumière d'orage, des mouvements cosmiques insolites, une charge de tension et d'épouvante qui porte le paysage aux excès des mouvements qui l'agitent. Une pluie d'étoile (une pluie de feu) des naufrages, des chutes dues à un tremblement de terre, toute une agitation dans l'espace qui, bizarrement, semble laisser dans une totale indifférence les protagonistes de cette affaire d'adultère qui tourne le dos aux cataclysmes.Rarement la peinture n'a su (voulu) dépasser ses problèmes spécifiques, pour atteindre cette zone mentale où tout se détraque, où le monde est comme saisi de convulsions. Rarement la peinture fut moins innocente dans le maniement de son langage, en insufflant à l'image, aux évocations historiques qu'elle prend en charge, ce sentiment de catastrophe qui atteint le spectateur au coeur de sa conscience comme le ferait une musique qui vrille en votre fors intérieur.
Dans l'étrangeté d'une lumière de catastrophe Albert von Keller ( une vision singulière de la femme !) fustige l'amour en donnant une version outrée, d'un lyrisme morbide, du sacrifice de Salomé. Après l'amour (nous dit le commentaire du tableau) la femme aura coupé la tête de son amant, comme la mante religieuse le dévore.Elle s'éloigne, triomphante, de la couche où l'homme s'est affaissé, vaincu.Cette représentation est très caractéristique d'une vision picturale du XIX° siècle qui, dans le même temps, voit émerger le féminisme revendiquant pour la femme les mêmes droit qu'à l'homme, dans une société qui aborde l'ère industrielle et de nouvelles technologies censées apporter le progrès.Cette vision radicale et cruelle des rapports homme-femme, entretient une délectation morbide qui prospère jusque dans la littérature, où de surcroît intervient la censure religieuse. Si le symbolisme célèbre la femme "nymphe au coeur fidèle" il s'engouffre tout aussi radicalement dans les miasmes des colères, des angoisses de l'homme face au pouvoir de la femme qui fut lié uniquement à sa séduction, et désormais tente de devenir son égale. Ultime combat. La violence sexuelle quand elle entre dans l'espace de sa représentation picturale aujourd'hui relève du sadisme. Elle est moins connotée historiquement parce qu'elle se construit sur des spéculations mentales, (fantasmatiques) qui n'ont pas d'âge, et non sur la condition féminine qui longtemps fut du côté de la victime.
Comme les livres de notre enfance, ce sont les "livres d'Histoire" qui entretiennent le plus cette nostalgie (parfois délicieuse) qui nous gagne quand on tombe sur les illustrations qui font tout leur charme. Celles des livres d'Histoire ont, de surcroît, la vertu de fixer dans l'esprit du jeune lecteur qui y découvre son passé (collectif) des faits que la fantaisie et l'imaginaire de l'illustrateur définissent à jamais. Et c'est bien l'étrangeté du phénomène que, tout comme la Mythologie a puisé dans un fond de vérité pour créer la fabuleuse légende de ses personnages, les faits historiques (que le rendu des mots laisse abstrait) deviennent ce qu'en auront fait les illustrateurs qui les auront interprétés.La réalité ne pourrait exister en tant que telle. Il faut toujours l'interpréter. Et c'est l'interprétation qui perdure.
Epoque guindée dans la respectabilité, l'ère Victorienne n'offrait pas aux peintres de grandes chances d'exprimer les excès de leurs fantasmes féminins. Pourtant certains, comme Frederic Leighton, parviennent à aborder le monde de la femme en sortant des conventions mythologiques qui la figeaient dans les rôles de déesses quand femmes elles voulaient être dans les dimensions charnelles qui faisaient à la fois leur charme et l'enjeu de leurs dérives.Choisissant de les saisir dans les temps morts de leur vie sociale ( dont on ignorera tout) et lorsqu'elles s'abandonnent à leurs instincts, leurs faiblesses, et naturellement dans le temps de repos qui permet de les scruter sans qu'aucune comédie n'interfère, elles sont "au naturel". Encore qu'à sa manière de s'abandonner au sommeil on dénonce son temps, sinon sa classe.Et c'est bien le charme de cette oeuvre si convenable (le peintre sera anobli) qui livre la femme dans son identité encore pudique et les grâces qu'on lui reconnaît, soulignant une sensualité tranquille et paisible. On est loin (en Angleterre) des convulsions érotiques des Viennois (Egon Schiele), sans que l'oeuvre soit pour autant dénuée de toute lascivité.Le jeu des drapés, le rôle prépondérant de la lingerie, ces complices étroits et inventifs de la sensualité féminine, contribuent largement au climat d'abandon du personnage enfermé dans son rêve et pourtant si vivement exposé.
C'est un carnet relié de carton brun, fort usé, d'une soixantaine de pages, qui suivra Apollinaire dans sa vie, depuis sa jeunesse (1898) jusqu'à la fin (16 octobre 1918, soit quelques jours avant sa mort).On y suit l'évolution de l'écriture et, surtout, le caractère fébrile, désordonné, que le poète lui donne. Elle suit l'urgence de la notation, d'où le caractère souvent elliptique de la phrase, sans aucune recherche littéraire et comme jetée pour en conserver la mémoire. La mémoire d'une rencontre souvent. Et il n'est pas tendre, certains s'y trouvent littéralement cloués au pilori de sa hargne, de ses préjugés (il est manifestement anti-sémite). Maurice Magre est "le péteux de Toulouse", il s'en prend à Fernand Gregh (un autre juif) et ses nombreuses aventures féminines , André Salmon "est devenu très tante". Le texte est ainsi émaillé de jugements à l'emporte pièce, du genre de remarque que l'on fait au sortir d'un dîner ou d'une première au théâtre. Mais avec cette drôlerie (un peu lourde) qui fait partie de son caractère (de son charme ?). Michel Décaudin (un des nombreux spécialistes d'Apollinaire) a entrepris de déchiffrer ce curieux document (découvert en 1952) et à côté de sa reproduction d'en donner la transcription pour rendre le texte lisible.Il n'apporte pas grand chose à la connaissance du poète, et, pire, pourrait donner de lui une idée de mesquinerie, de muflerie "vis à vis des dames", et surtout il reste laconique devant les grandes rencontres, les moments pourtant si nombreux, où Apolllinaire fut l'heureux témoin de quelques unes des "grandes heures de l'aventure artistique du XX° siècle, en ses débuts".L'ouvrage est délicat dans son aspect éditorial, il va rejoindre la masse de documents qui entourent la vie d'Apollinaire, comme quoi d'être entré dans la légende suscite un foisonnement de livres qui relèvent plus du fétichisme que d'une approche positive de la littérature.
Si paisible en son aspect actuel le lieu fut, à ses origines, une poignée de ces réserves de chasse que s'octroyaient des nobles arrogants et sans scrupules, grands chasseurs entretenant, dans des "remises", des animaux qui saccageaient les cultures potagères des paysans de l'endroit (quelques minuscules villages).Une concentration de quelques uns des plus grands noms de la France d'alors : Richelieu, Aumont, Créqui, Gesvres, et surtout Orléans, la branche cadette des tenants du trône et qui trouve en celui qui allait s'illustrer sous le nom de Philippe Egalité, et n'était encore que duc de Chartres, un des personnages typés de cette classe dominante, éprise de culture et moteur des idées nouvelles (même celles qui allaient précipiter sa chute à travers la Révolution). Entre salons où l'on refaisait le monde et "folies" discrètes mais somptueuses, sorte de garçonnières campagnardes, allait se développer l'art des jardins anglais. Ainsi allait naître la Folie Monceau.Ne reculant devant aucun sacrifice et assuré d'en pouvoir assumer la réalisation, le jeune seigneur va confier à Carmontelle, et Hubert Robert le soin de créer un lieu à la fois de plaisir et de réflexion. Caractéristique de ces nouveaux jardins : ils célèbrent la philosophie en lui dédiant des temples à la manière antique, et inventent des bosquets galants. C'est, sous les frais ombrages, la rencontre de Watteau et de Jean Jacques Rousseau.Bien plus grand qu'il est aujourd'hui, le parc était déjà parsemé de ces références architecturales qui évoquent la fragilité du temps, la référence du passé, la mélancolie des destins et s'inscrivent dans une iconographie plus ou moins ésotérique (l'influence de la Franc-Maçonnerie y est évidente).Il sera diminué lors des spéculations immobilières qu'entraîne le restructuration de Paris sous la houlette tyrannique d'Haussmann. De nouvelles rues, une architecture en qui s'incarne la respectabilité et l'opulence bourgeoise d'une nouvelle société de nantis, va grignoter sur les espaces de verdure. Ainsi né un quartier qui va bientôt être le terrain de chasse de Marcel Proust, stigmatisant une noblesse écartée du pouvoir mais soucieuse de conserver ses rites et son prestige. Le parc Monceau s'inscrit comme un bijou rare au sein de cette montée de puissance d'une société avide et sans scrupules. Zola en saura quelque chose qui va faire des abords du parc le théâtre de ses plus cruelles analyses sociales au sein de la famille des Rougon-Macquart (on a l'aristocratie de l'argent en lieu de place de celle de l'ancien Régime). Dans "la Curée", c'est l'histoire d'Aristide Rougon (dit Saccard), de sa femme Renée, et du beau fils et amant de celle-ci, Maxime, le trublion cynique.Alors le parc se resserre sur lui-même dans sa dignité pincée, les ruines sont une curiosité pour le promeneur et celui-ci, n'a plus avec l'environnement ce rapport savant et passionnel qui fut celui de sa conception, mais posé, pour un temps de détente, dans une idée de luxe tranquille et vénérable.
C'est un des textes les plus séduisants d'Aragon, hors de toute visée politique, et d'une jeunesse qui fut ardente, enthousiaste, portée à toutes les découvertes : "Le paysan de Paris". Il y a un écho de Restif de la Bretonne là dedans, sinon que Restif est un vrai paysan et que pour Aragon c'est un masque (ou un défi). Outre un "voyage" au parc des Buttes Chaumont , à lui seul, déjà, un petit chef d'oeuvre, le "Passage de l'Opéra". Il n'est plus. Oh ! passant qui franchira le carrefour Richelieu Drouot tu marches sur les traces ce de qu'il fut. Haut lieu de la naissance du Surréalisme, concentré de vie dans ses complexités, ses dérives et ses ivresses. Suivons Aragon : " Toute la faune des imaginations, et leur végétation marine, comme par une chevelure d'ombre se perd et se perpétue dans les zones mal éclairées de l'activité humaine. C'est là qu'apparaissent les grands phares spirituels, voisins par la forme des signes moins purs. La porte du mystère, une défaillance humaine l'ouvre et nous voilà dans les royaumes de l'ombre".Et Aragon d'en souligner le caractère glauque. On est en des zones abyssales où rien de ce qui se déroule à l'air libre ne se trouve non sans être passé par le filtre du mystère. Ce sont des boutiques d'équivoque vocation ou vaines, qu'on ne trouverait nulle par ailleurs. Un mélange de vétusté et d'insolite avec une approche si différente, qui relève de l'errance, de la marche nonchalante mais l'esprit ouvert, rendu curieux, car on est aussi en cabinet de curiosité.Aragon nous propose un véritable inventaire de l'endroit , on est là dans la manie énumérative de Perrec (déjà si précis), mais gagné par l'étrangeté que le lieu impose à toute activité, serait-elle des plus ordinaires. Même Céline (pour la passage Choiseul) fait la même remarque.Le Passage est un monde en soi. S'y plonger c'est s'éloigner du réel quotidien.
Il est souvent du destin des lieux attachés à la vie des créateurs que nous admirons qu'ils deviennent une sorte de boutique des produits dérivés d'une oeuvre qui n'y fut pas toujours élaborée mais ont sans aucun doute participé à sa nature, son esprit et son déroulement.On va vers ces lieux avec l'esprit du pèlerin et en conséquence prêt à acquérir quelques babioles qui nous rappellent le personnage, sont comme des reliques que nous conserveront comme témoignage de notre culte.Le tourisme, les grands monuments, les lieux de culte sont ainsi dominés par une emprise commerciale qui pollue au nom de la diffusion d'un nom, l'entretient d'un souvenir. Kafka n'échappe pas à cette loi du marché d'autant qu'il domine incontestablement la vie culturelle de Prague.On a un sentiment partagé quand les lieux qui sont imprégnés de son souvenir deviennent les supports des "miettes-souvenirs" qu'on y commerce.
La tenue d'un Journal m'a toujours parue suspecte et quelque peu narcissique.Quelle vie, quelle oeuvre mérite une telle attention soutenue, souvent quotidienne, pour ajouter aux mots d'un livre que l'on veut faire, les mots en marge qui tournent autour des questions, les creusent, les contournent, les fuient en fait.Il y a de la complaisance à s'analyser ainsi, user les mots pour polir son portrait mental.Parfois (une exception ?) un Journal permet d'entrer plus lucidement dans l'oeuvre qu'il accompagne. Gide par exemple. Mais Gide est un professionnel des lettres. Un des rares à qui l'on peut pardonner l'usage un peu grotesque du terme : "homme de lettres". Il y a bien sûr les journaux qui sont l'oeuvre elle-même, comme la pathétique et crispante Marie Bashkirtsheff dont l'oeuvre la plus intéressante est son tombeau au cimetière de Passy ou celui, monumental, de Charles Du Bos qui parle moins de lui que de ses lectures, et ses analyses sont d'une rare pénétration.Entrer dans le Journal (3 tomes) de quelqu'un que l'on a connu, dont on a suivi les étapes d'une vie qui fut de raffinement et de culture aiguë est un exercice périlleux parce qu'au lieu de conforter l'idée que l'on s'en fait, elle distille un flou qui étonne et ouvre des horizons que l'on ne soupçonnait pas.C'est Bernard Delvaille qui fut, dans les années 70, une figure en vue de la vie littéraire (il dirigeait chez Seghers la collection Poètes d'aujourd'hui), dont l'homosexualité reconnue, assumée, orientait ses choix de vie qui, à en croire ses confidences, ne lui apportèrent pas le bonheur.Des constantes en revanche qui soulignent bien le caractère délicat d'un tempérament porté à la littérature la plus rare (Valery Larbaud, Paul Morand, les Symbolistes), la musique ( Chopin, Brahms), et une perception particulièrement aiguë des odeurs végétale qui étonne chez ce citadin très "piéton de Paris".Quelques tics, non d'écriture mais de mondain qui semble fasciné par les particules (souvent de fantaisie ou rappelant celles dont on faisait usage dans les romans bourgeois du XIX° siècle), le frôlement des célébrités, une manière, presque naïve de montrer que l'on voyage beaucoup (NewYork - de belles descriptions -, Amsterdam, Vienne, les lacs italiens) comme un personnage de roman de Paul Morand. Moins homme pressé qu'homme avisé qui découvre les poètes baroques dans le train, et l'oeuvre de Taine au bord de l'Hudson.De trop s'apitoyer sur soi-même rend une démarche suspecte. Un Journal trop intime est un exercice qui ressemble à l'édification du socle de la statue que l'on veut laisser pour la postérité. Le Journal de Bernard Delvaille échappe à cette faiblesse. Jusque dans ses défauts il a quelque chose de touchant. On y lit à livre ouvert la vie d'un homme trop sensible pour ne pas tenter de fuir dans la culture.Au final il n'y a pas d'oeuvre mais un aveu émouvant.
L'endroit a perdu de son charme, et le Bateau Lavoir n'est plus, et ce n'est pas le pastiche à location réduite qui s'y dresse aujourd'hui qui remplacera le lieu légendaire. Le cousin qui me sortait de ma pension le jeudi m'y avait amené avec la dévotion du pèlerin. Ce devait être touchant de voir cet homme très frêle et délicat me tenant par la main en me contant l'histoire du Bateau Lavoir. C'était un grand d'Espagne, cadet de famille, loin des splendeurs de ses aînés, reconverti en coiffeur pour vedette du cinéma dans ce Montmartre des années d'Occupation où la Butte était déserte et à l'image de quelque lointaine province et où nous allions, la visite terminée, boire un chocolat chaud place du Tertre. Mon cousin rayonnant y rencontrait toujours quelque riverain (il connaissait tout le monde) et d'évoquer des souvenirs où revenaient comme des refrains les noms d'André Salmon, Van Dongen ou Paul Yaki, (l'historien de la Butte) son grand copain.La Bateau Lavoir, était lié à l'histoire non moins légendaire du Banquet Rousseau. Picasso qui venait d'acquérir chez un brocanteur de la rue des Martyrs la féérique "Yadwrigha" du vieux peintre qu'Apollinaire venait de découvrir, avait décidé d'inviter tous ses amis pour fêter la chose.Ce fut une réunion où se côtoyaient les rapins du coin, des collectionneurs prestigieux (dont Gertrude Stein) des amis déjà "lancés" dans le petit monde de Montmartre : Raoul Dufy, Otho Friesz, Georges Braque, Marie Laurencin (qui était pendue aux bras d'Apollinaire) et André Salmon qui improvisa un de ces poèmes-récits qui firent les beaux-jours de ces années d'intense activité poétique (jusqu'à la première guerre mondiale).
C'était du temps où la ville, bien serrée dans son enceinte, avait les dimensions propres à s'offrir d'un seul coup d'oeil, comme une personne que l'on a en face de soi, dans la franchise de son identité, sans ces ramifications obscures, confuses, inquiétantes, que sont les banlieues qui n'en finissent pas de croître dans le désordre. Une ville que l'on pouvait parcourir à pied, de dimension humaine, et fraternelle, propre à la confidence.Elle se plaçait sous la protection d'un saint, de quelque figure religieuse que l'on y honorait car la ferveur était une vertu civique.Le peintre qui, alors, s'était attaché à faire le portrait de la ville, rendait bien cette idée. Tel Monsu Desiderio qui peint la ville de Metz, dont sont originaires François de Nomé et Didier Barra qui ne font qu'un sous ce nom étrange convenant si bien à la peinture qui sort de cette dualité dont on a tenté de percer les mystères. (Qui fait quoi ? et peu à peu la lumière se fait sur cet atelier des catastrophes et des mystères)Metz, et un calvaire hors les murs, en référence directe à ce que fut le Golgotha sous les murs de Jérusalem. Toutes les villes, en ces temps de profonde piété (XVI° siècle), étaient une version de Jérusalem (Céleste). Rien n'était perdu cependant pour la "couleur locale". Ici dans cette atmosphère propre à l'univers déployé par Monsu Desiderio. Une allure crépusculaire et comme l'annonce de quelque fait tragique.
L'avoir vu sous cet aspect c'est dire la moitié du personnage qu'il était, Max Jacob était double. Ecartelé entre deux natures contradictoires. A Montmartre (dont il était l'une des figures majeures) il était la pitre, le clown, le bout-en-train, oui mais n'était-ce pas pour cacher quelque chose ? Un mal à vivre, cette "difficulté d'être" dont parlait (et se vantait) son ami Jean Cocteau ?Un ami ? Cocteau l'était trop (et trop vite, de tous ceux qui émergeaient dans ce milieu où en se croisant, se défiant, mais s'alliant, les artistes et les poètes façonnaient une sorte de tapisserie qui définissait l'époque, son esprit, sa force d'esprit et de génie), pour ne pas être suspect de quelque calcul promotionnel. Ce dont on ne manque pas de l'accuser. Ami de Max : Jean Cocteau partageait alors ses errances nocturnes, peut-être ses débauches crapuleuses, mais la concurrence était forte et le jeu des influences serré.Ce Max Jacob là avait, mentalement, l'habit d'Arlequin.L'autre, (photo) c'est celui de Saint Benoît sur Loire. A l'ombre du clocher, sous la rigueur matinale de sa nef où il venait jouer les guides. Mais plus lui-même sans doute, dans sa chambre traitée comme une cellule (le complexe du moine).Sa pauvreté l'enfermait dans l'exécution constante, quotidienne, de son oeuvre, entre peinture et poésie, faute de pouvoir se mouvoir dans une société dominée par la consommation. Il arrivera un jour où créer c'est se couper du monde et de ses tentations futiles. On venait à lui comme vers une sorte de gourou.Il distribuait des mentions, éveillait des carrières, menant la sienne avec une volonté qui était celle du pèlerin pieux.La vérité d'un portrait est moins dans sa ressemblance que la manière de le traiter.
Sa notice biographique affirme qu'il peint aujourd'hui ses "éphémères" dans toutes les villes du monde et il a une exposition à la fondation Cartier, ce qui est, aux regards d'une tranche assez large du public des amateurs d'art snobs, une référence.Débutant, dans les années 70, il peignait alors des silhouettes narquoises quoique fantomatiques sur les palissades du "trou des halles" et se manifestait dans des galeries confidentielles de la rive gauche. Mais il était unique alors à aborder cet art du graffiti (ou plutôt de sa descendance) où le spray sert de pinceau.C'est Gérard Zlotykamien.Il aura été l'un des premiers à s'inscrire dans cette nouvelle tendance qui veut que l'art est éphémère et que son lieu d'action, de diffusion, se limite à la rue. Ce qui implique un nouveau contenu, des thèmes appropriés, une certaine gaucherie voulue par la hâte dont procède cette création, interdite par des lois qui protègent nos murs (le fameux "défense d'afficher"), et l'expression de la fébrilité urbaine qui est de leur nature.Un défi aux règles de l'esthétique apprise, pensée, régulée, dont tout l'art moderne, semble-t-il n'a d'autres soucis que de les contester. On entre là de plain-pied dans ce chaudron où fomentent les forces de la contestation artistique amorcée au début du XX° siècle.Ce qui est à la fois une passionnante aventure mais le risque de choir dans toutes les facilités.On accordera à Zlotykamien une authenticité des ambitions en dépit de la pauvreté du répertoire dont le mur peut être le support (si l'on excepte la peinture murale qui est une version liée à l'architecture de la peinture de chevalet, mais pitié pour les murs, nus ils sont souvent si beaux !) . L'humour, une certaine dimension de protestation sociale (que l'on pense à Daumier) et une verve graphique sympathique lui donnent raison et l'affichent dans ce courant en voie d'expansion.L'art né dans la rue et pour elle reconduit, voilà qui accompagne nos errances urbaines. Qu'en aurait dit notre ami Léon-Paul Fargue ?
Autant que les ruines (surtout si l'on assiste à l'instant du drame qui en est la cause) sont l'indice d'un climat de catastrophe, le resserrement de l'espace (son encadrement strict, alors orné et théâtral - mais n'est-ce pas le principe de la scène du théâtre italien) en offre une autre version. Plus insidieuse en menaces, plus décorative parce qu'elle joue sur l'effet spectaculaire. Elle est d'ailleurs l'un des principes fondamentaux du théâtre.Monsu Desiderio annonce, là, des procédés qui se généralisent dans la peinture qui prend en charge une narration, pour en fixer une étape, un plan séquence comme il est dit dans l'univers du cinématographe.On le voit en particulier dans la peinture surréaliste et ses périphéries, de Chirico et Paul Delvaux à Labisse ou Lucien Coutaud. La surcharge décorative, le jeu de l'excès prépare à des actions complexes où l'on peut supposer les enjeux d'importance et celui de la cruauté ou de la mort incontournable. N'est-ce pas Sade qui invente des lieux si fermés qu'inaccessibles comme dans "les 120 journées de Sodome". C'est à l'intérieur de palais somptueux, dans un décor de stucs outrageusement dorés, dans un flamboiement des formes qui additionnent les références, les codes et les indices, que se fomentent les intrigues les plus vicieuses, les supplices les plus raffinés, les destins les plus tragiques.
Qui n'a pas, avec un sentiment confus de piété, disposé au milieu des livres qu'il aime, un objet, un menu dessin, une photographie, quelque chose qui relève d'un lien intime et respectueux (admiratif) avec un personnage qu'il fait entrer dans sa mythologie personnelle.Apollinaire aimait voir son chat errer parmi les livres. C'est la version positive, au présent, des rapports que l'on a avec eux. Des témoins de notre quotidien, des repères, des objets de réconfort aussi, surtout pour meubler de grandes solitudes.L'objet choisi, élevé au rang de fétiche, entretient une liaison (une complicité) dans la durée. Avec un caractère plus grave.Comme si souligner des complicités exigeait cette prise de distance pour en mieux mesurer la force et parce qu'on retrouve l'esprit du musée, qui est d'encadrer l'objet pour lui conférer une force que, dénudé, il n'aurait peut-être pas.C'est aussi une manière de rendre permanent un culte intime. Comme l'icône que l'on accroche sur un mur et qui est une invitation à la prière.D'ailleurs, une bibliothèque ainsi ornée de ces ajouts (souvent des plus humbles) rappelle le principe de ces autels (ou statues) sur lesquels on dispose en manière de dons, des objets qui nous lient avec une force qui nous protège, ici nous sauve du quotidien.
D'ordinaire, les "ruinistes" (peintres de ruines) les montrent dans le climat apaisé qu'elles offrent aux visiteurs qui ne peuvent qu'imaginer le drame qui est passé par là. Piranèse va même jusqu'à en faire le champ d'une activité pastorale, celle-ci ayant autant d'importance que la marque du passé qui en est le cadre. Hubert Robert les traite avec une aimable légèreté qui est bien celle de la société qui le reconnaît et fait sa clientèle. Tout autre est monsieur Desiderio (le duo des peintres de Metz) qui se pose au coeur de l'événement pour en fixer, comme en un flash de photographe, le point fort. Ce ne sont qu'effondrements, nuits tragiques, paniques et frénésie de destruction.La nuit s'y prête mieux. Elle renforce le caractère tragique et insolite de l'accident. Comme pour mieux dire que la chose est hors du temps de la vie quotidienne, mais en cet espace réservé aux actions louches, et au rêve.Les témoins y sont aisément des projections de nous-même. Ces ruines en mouvement ont besoin de témoins, victimes, encore que ces chutes vertigineuses, ces effondrements tragiques semblent les épargner. Il faut "protéger le témoin pour qu'il témoigne".
La rue des Alchimistes, située dans l'enceinte du château, a été voulue, en 1587, par Rodolphe II, amateur de sciences occultes et d'alchimie et qui installe là dans son voisinage pour mieux les surveiller ceux qui prétendent (ou ambitionnent) transformer le plomb en or, ou s'attachent à retrouver la pierre philosophale.C'est Ottla, sa petite soeur, qui trouve pour Franz Kafka une des petites maisons à louer. Maisons miniatures et qui semblent des jouets. Kafka s'en contente d'abord puis s'enchante du lieu. Il le décrit longuement à Félice Bauer quelques temps après son installation et en vante les charmes. C'est là qu'il viendra à bout du "Médecin de campagne" et y rédige "Le Gardien du tombeau" et "La Muraille de Chine".Kafka (on est en 1916) se terre chez lui, n'ayant de contact qu'avec ses deux plus intimes amis, M ax Brod et Oskar Pollak.On marche lentement dans la rue en pente. S. est à l'écoute de cet air léger qui semble flotter, dans le calme total du lieu, (la saison n'est pas celle du tourisme)soudain, un homme vêtu comme un petit fonctionnaire, vient à notre rencontre, il semble vouloir nous adresser la parole. Ni S. ni moi ne parlant le tchèque on s'attend à un dialogue chaotique, fait surtout de gesticulation.De près on découvre un très beau visage, marqué par les ans (ou par la maladie). Il nous dévisage avec insistance, mais sans violence ni agressivité, il murmure, (en anglais), ne vous affolez pas, je suis Kafka, je n'ai jamais quitté ce lieu. Les touristes m'ignorent mais ils se précipitent pour aller voir mes photos et acheter des cartes postales où je suis avec mon chien. Sachez le aussi, tous les lieux sont hantés ainsi, mais les fantômes ne savent pas toujours retrouver leur apparence physique de vivant. Ceux qui y parviennent, ils sont rares, n'en sont pas plus heureux pour autant.C'est alors que j'avouais à S. une aussi étrange rencontre. Celle de Gérard de Neval qui rôde toujours du côté de la rue Notre Dame de Lorrette. Chaque lieu a son fantôme..
Longtemps, bien longtemps avant de vous lire je vous connaissais. Je connaissais les titres de vos livres, et cela me suffisait. J'en aimais le caractère énigmatique (pour moi). Ils nourrissaient mes rêveries. Je pense que le pouvoir des mots passe par le flou de leur définition, et parce qu'ils sont ouverts à tous les possibles.Le lieu de cette découverte progressive, de cette délectation, c'était la bibliothèque dans la maison de mes parents. Une pièce qui méritait cette appellation parce qu'elle était effectivement dédiée aux livres, les murs en étaient couverts, et à l'âge où on lit des contes de fées (j'aimais beaucoup leurs illustrations) l'approche des livres que lisent les "grands" reste timide, ou plutôt capricieuse. On connaît les aveux tardifs de ceux qui, pubères, dénichaient dans la bibliothèque familiale des livres "interdits" ( généralement rangés dans les rayons les plus élevés) dont ils se délectaient sans trop comprendre toujours le contenu. Je me contentais de parcourir les titres, dont me suffisait souvent la formulation qui pouvait avoir des échos profonds en moi. On plonge dans un titre, on s'égare, on a refait le livre qu'il recouvrait.Vous avouerais-je que la lecture de certains livres dont les titres m'avaient éblouis (je ne parle pas, là, des vôtres ) me décevait.C'est peut-être du fait qu'avant de constituer les quelques livres essentiels dont est faite votre oeuvre, parfois un rassemblement de "nouvelles", celles-ci étaient publiées à part et souvent dans des éditions séduisantes d'aspect, avec un caractère confidentiel qui entrait sans doute dans le prestige qui les entourait.Je ne m'éternise pas sur "La Métamorphose", car bien souvent j'ai l'impression que pour un large public votre oeuvre se résume à cette histoire terrifiante. Encore que le titre a de quoi retenir votre attention et susciter une intense curiosité.De fait, je m'étais attardé sur "Le Terrier", "Joséphine la Cantatrice", "Un divertissement", "La muraille de Chine", "Recherche d'un chien", "La Colonie pénitentiaire", "Description d'un combat", "Le gardien du tombeau", "Préparatifs d'une noce à la campagne", "Au bagne", "Un médecin de campagne", "Le soutier", "L'invité des morts".Tentez d'imaginer ce que chacun de ces titres peut éveiller dans l'imaginaire de celui qui les découvre, les scrute, tourne autour comme autour d'une énigme, fait son trou dans l'agencement des mots qui le constituent et sont aussi une manière d'indication pour aller en une direction. C'est un fléchage d''une histoire potentielle. Disons que je m'engageais dans un territoire avec une carte sommaire, et que je devais inventer le paysage que j'y découvrais.Une histoire étrange pour finir. Lucien Coutaud, qui était l'un de vos grands admirateurs, venant passer un week-end chez mes parents se croyait obliger d'apporter un cadeau. C'était une gravure. Ma mère ouvrant le paquet qui la contenait pâlit en la découvrant. Je m'approche : elle représente un enfant se débattant avec un étrange insecte et je suis pris de vertige quand j'y vois mon portrait. C'était une coïncidence Coutaud alors ne me connaissait pas et il annonçait comme surpris qu'on ne l'ait pas compris : - c'est un portrait de Kafka enfant.
Antonin Artaud, évoquant les recherches pour un " théâtre de la cruauté", parle de "l'entrelacs des signes déployés dans l'art du plateau" et fasciné par les danses orientales il les compare à des hiéroglyphes animés. Chaque discipline glisse sur sa voisine, à elle se mêle, s'enrichissant de leurs apports respectifs, bousculant l'ordre établi de leur émergence au niveau du regard. Il en résultera le dessin écrit, cette simultanéité des mots et des figures (ou des signes) qui mobilise la page, l'occupant avec une sorte de frénésie, d'ardeur désespérée, et une singulière autorité comme celle de quelqu'un qui maîtrise admirablement son instrument, ses moyens d'expression.On passe du gribouillage qui se cherche une issue à la figure si intense qu'elle crève la surface du support, s'avance vers nous. Comme une interrogation, une menace, un appel, toute formes d'expressions qui s'y formulent, s'y croisent, animent singulièrement un visage (souvent celui d'un familier).
Ce pont Charles, on le voyait bien comme une image sortie des poèmes syncopés de Blaise Cendrars. (L'Orient Express passe-t-il à Prague ? non, c'est à Vienne, puis Budapest). On y va aujourd'hui par avion et le dépaysement ne se fait qu'au crépuscule quand la couleur s'accorde à la ville, et donne au bouquet de ses clochers une allure de fin de fête. Ce sont les clochers qui nous ramènent à Cendrars, sinon que lui parlait de ceux de Moscou : "j'étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares".Un autre horizon qui n'appelle pas les duos d'amoureux comme Prague en fabrique par charters entiers. Un séjour week-end sur les bords de la Vltava (ou Moldau) chantée par Smetana et Dvorka : 279 euros à l'hôtel Belvédère situé à 6 minutes du centre historique. C'est le tourisme express. Car pullman climatisé et petit déjeuner compris.Nous étions chez l'habitant, quelque part du côté de Nové Mësto. On dit que dans les galeries subsistent ces petits théâtres de marionnettes qui ne sont pas pour les enfants. On y traite de politique, et l'humour en est acide.Un petit groupe de privilégié fut introduit au Monastère de Strahov dans son délire baroque de stucs et de bois doré.Quand les moines n'y sont plus les touristes viennent s'exclamer devant des reliures armoriées, de lourds volumes en latin que personne ne lira plus. C'est dans ce cimetière des mots, devenu décor de rêve, qu'on s'interroge sur l'avenir de la littérature. Dans la ville de Kafka, et qui vit son prestige à son ombre, la question devient capitale.
lAdolescente tourmentée, par le mariage (avec Vallette) Rachilde acquière un statut de bourgeoise. Elle a même son "jour", en son salon, au Mercure de France que son mari dirige et où elle fait la pluie et le beau temps.Libre de son temps, et son temps confortable, elle écrit, elle écrit, elle ne cesse d'écrire. Et voilà une oeuvre abondante, éclectique, qui n'évite pas les facilités qu'entraîne le succès. Et d'aborder les sujets les plus faciles parce que les plus universels. D'amour il est question, sous toutes ses formes. Les plus singulières puisque c'est par la singularité de ses personnages qu'elle avait rencontré l'audience du public, et le ton de scandale qui y conduit.Femme de salon, celui du Mercure, rue de l'Echaudé (c'est ultérieurement que le Mercure s'installe rue de Condé dans ce qui fut l'hôtel de Beaumarchais - un des hôtels !). Rachilde attire à elle le tout Paris des lettres. Les souvenirs qui s'y rattachent sont contradictoires. Léautaud, cinglant, traite la maîtresse de maison de "guignol", en revanche Jules Renard, généralement impitoyable, lui trouve du charme et un grain de pittoresque : " Un corsage flamboyant, colliers au cou et aux bras, colliers d'ambre. Les cheveux coupés à la garçon, et raides, et va comme je te peigne. Toujours des cils comme de longs et gros traits de plume à l'encre de Chine.Alfred Jarry est l'une des figures pittoresques pour qui Rachilde a des trésors d'indulgence. Le livre de souvenirs qu'elle lui consacre et fort décevant. Conformiste, simple ramassis d'anecdotes qui accompagnent dans sa dimension légendaire le singulier auteur d'Ubu. Elle avait pourtant rencontré en lui un personnage à la mesure de ses fantasmes d'adolescente. Ses fictions, en la matière, valaient mieux que cet affrontement avec l'un des plus singuliers auteurs de sa génération.
La bande dessinée apporte sa contribution dans l'imaginaire de l'Histoire qui passe par des actes héroïques, l'action. Elle ne se prête pas à la réflexion, à la synthèse, mais devient efficace dans la visualisation des faits d'armes. On est au coeur de la bataille, et comme le cinématographe elle permet des effets de zoom, des arrêts sur image, toute une syntaxe de l'image qui se substituant aux mots rend plus efficace le détail choisi. Le mot n'est qu'une indication sommaire qui servira de liaison entre les images. En revanche important sera le découpage (et la mise en page) qui correspond à des mouvements de caméra qui va chercher le détail signifiant, l'expression, la valorisation d'un objet.La succession des images, le rythme de leur apparition sur l'écran de la page, va jouer pour l'énergie du récit.On peut y glisser des variations, des digressions sans que cela nuise au rythme donné ce qui dans le monde des mots rend la lecture difficile. On peut avoir d'un seul coup d'oeil, la vue d'ensemble et la succession des détails.Le glissement d'un fait d'Histoire dans l'espace d'ordinaire occupé par des récits de pure invention, transporte la réalité des faits historiques dans le monde du légendaire. Du vrai à l'imaginaire, le chemin est court.
L'illustration de l'Histoire rejoint celle des contes de fées.
Il est du pouvoir de l'Histoire que de faire rêver, transporter le lecteur en des lieux et des temps inaccessibles à la raison.La mise en image y a une importance d'autant plus grande qu'elle ne vise pas à reproduire les faits, mais les évoquer. Au besoin fausser l'objectif pour faire passer la fantaisie de l'imaginaire qui s'accroche à l'anecdote pour lui donner une dimension plus enivrante que celle de la réalité. Charger l'image de désirs parfois confus et qui trouvent leur territoire d'épanchement. C'est en partant de quelques débris, parfois dérisoires, que l'archéologue reconstruit toute une ville, une civilisation. Dans ce cadre remonté d'autorité et de science, il suffit de disposer les personnages d'une action, elle aussi arrangée pour séduire.N'est-il pas significatif que les illustrations des livres d'Hisfoire ressemblent si souvent à celles des contes de fées. Les mêmes peuvent servir à un fait d'arme, et quelque triste histoire d'amour contrariée par des obstacles multiples. Voire la mort. D'ailleurs, c'est elle qui règne ici et là.
Jusque dans sa peinture Dufy conservera cette gracilité du trait, ce caractère dansant qui donne tant de charme au sujet le plus banal. Dufy ne cherche pas à témoigner de son époque, sinon pour en dérouler d'un trait charmeur les fêtes et la futilité avec la grâce d'un reporter mondain.Dessiner, c'est faire aller la main pour capter l'esprit d'un lieu, la qualité sensorielle d'un instant. Il met jusqu'au parfum des fleurs dans le dessin, autant qu'il retient l'éclat de leurs couleurs.Dans une continuité graphique, une cohérence de ton, qui donne quelque chose de monumental autant que de délicat.C'est foisonnant sans être confus, car il décline les richesses du monde, qu'il trouve dans le quotidien, l'instant. Sachant capter l'essentiel dans la dynamique des échanges, des fusions, des élans qui composent la richesse des choses les plus ordinaires, les plus quotidiennes. Rares sont ceux qui, comme lui, ont tenté de célébrer le bonheur d'être
Piéton de Paris, Gérard de Nerval donne, ici et là, et même dans la rythme de ses récits, des souvenirs, des notations, de ses errances urbaines.Dans "La main enchantée" il vante la beauté majestueuse de la Place Royale (des Vosges), et passant à la place Dauphine, il précise : " Il est une autre place dans la ville de Paris qui ne cause pas moins de satisfaction par sa régularité et son ordonnance, et qui est, en triangle, à peu près ce que l'autre est en carré. Elle a été bâtie sous le règne de Henri le Grand, qui la nomma place Dauphine, et l'on admira alors le peu de temps qu'il fallut à ses bâtiments pour couvrir tout le terrain vague de l'île de la Gourdaine. Ce fut un cruel déplaisir que l'envahissement de ce terrain, pour les clercs qui venaient s'y ébattre à grand bruit, et pour les avocats qui venaient y méditer leurs plaidoyers : promenade si verte et si fleurie au sortir de l'infecte cour du Palais."André Breton prend le relais : "Cette place Dauphine est bien l'un des lieux les plus profondément retirés que je connaisse, un des pires terrains vagues qui soient à Paris. Chaque fois que je m'y suis trouvé, j'ai senti m'abandonner peu à peu l'envie d'aller ailleurs" et dans Nadja de conter l'histoire de la fenêtre qui s'allume subitement quand Nadja, comme par jeu, l'annonce, et mise en verve par une légère ivresse, elle déclare que sous la place il y a un souterrain qui prend sa source dans les caves du Palais de justice.Un repas d'amoureux qui prend l'allure d'une séance de voyance.Le lieu est chargé de mémoire. Chardin y accrochait aux arbres ses tableaux dans ce qui était alors une sorte de marché ouvert à tous les vents. Mais plus lourde et menaçante, la violente imprécation de Jacques de Molay, depuis son bûcher, (sur l'ile aux Juifs devenue le charmant square en figure de proue de l'Ile de la Cité), alors que Philippe le Bel, depuis les fenêtre du Palais, contemplait le spectacle.Quant à moi, passant place Dauphine, c'est cette menace, cette flamme dévorante qui m'étreint. Lieu maudit, les repas d'amoureux ne peuvent y être paisibles.
En dépit des libertés qu'il prend avec sa représentation, Alechinsky n'a jamais quitté le monde du réel (réinventé au besoin) trituré par une main ardente à suivre les méandres de l'émotion, du hasard, car elle galvanise le dessin qui éclate, se propulse à une vitesse foudroyante dans l'espace.L'usage du prédelle (venu de la peinture ancienne) permet de développer un récit, comme une série de flash pour épuiser le sujet. Bordure agitée et prolixe, sulfureuse, car le récit s'y embrase à tous les possibles.Le dessin chez Alechinsky est proche du mot, il en vient, il est comme le fruit né du germe qu'est le mot. En si étroite adhésion avec lui que son évolution plastique fidèle aux préceptes de COBRA, ne s'est jamais dissociée d'une étroite collaboration avec les poètes. Illustrateur fécond, plutôt porté vers l'exubérance verbale (si évidente chez les belges, ses compatriotes) ou l'introspection. C'est d'aller au fond de soi-même au coeur de la conscience, que le graphisme tire son dynamisme, ses fêtes et ses excès.
S'il dessine, c'est avec des mots. En pratiquant l'art du calligramme (qu'il n'a pas inventé, il était pratiqué déjà à la Renaissance ) Apollinaire illustre la parfaite liaison qui existe entre le mot et le dessin, cette circulations intérieure, intime, et aventureuse, où le mot se cherche une issue dans le graphisme (ne serait-ce que celui de l'écriture - le même mot, selon qu'il est écrit sera différent), passe le miroir pour se libérer des contraintes d'une définition trop réductrice pour vagabonder dans des terres vierges. Mais ce qui donne aux calligrammes d'Apollinaire cette qualité particulière par quoi le mot frémit sous un nouvel éclairage c'est qu'il se développe sur la page dans le rythme même de son application orthographiée, selon les usages, sur le blanc de la mage, mais doté d'un tout nouveau pouvoir, de nous émouvoir. Ce n'est pas le mot atomisé, bousculé, désintégré comme le voudra Dada (jusque dans la typographie) mais inscrit dans le mouvement de la main qui délie dans une continuité sensible, le mot qui se métamorphose.Ce n'est pas par hasard qu'il a écrit, d'une main tremblante : "tout terriblement". C'est le programme d'une oeuvre poétique. C'est celui d'une vie.
Certains tableaux (et qui ne sont pas nécessairement de "belles peintures" étant surtout des images) impriment en notre mémoire une certaine idée de l'Histoire. Ils offrent une vision qui pour être inventée, et n'avoir que peu de rapport effectif avec le fait relaté, sera celle que nous garderons, méditerons, et ainsi nous nous fabriquons à travers une suite de peintures (généralement "académiques") une Histoire riche et souvent flamboyante où passent, dans la grandiloquence des gestes qui entourent de grands événements, les personnages qui entrent ainsi dans une dimension mythologique.Ce sont les "Icônes de l'Histoire". Un très vieux projet qui finalement restera à l'état de projet. Il en subsistera quelques bribes comme les fragments d'un rêve trop ambitieux pour se réaliser, ou ces débris de manuscrit que l'archéologue retrouve, et à partir desquels il tente de reconstituer une histoire cohérente.Et voici, en première ligne de cette lecture (et de la peinture et de l'Histoire), un tableau parmi les plus saisissants.Il relate l'excommunication de Robert le Pieux (fils de Huges Capet) coupable d'avoir épousé une parente trop proche pour que les interdits religieux relatifs à la consanguinité ne soit pas évoqués.L'ampleur de la salle (celle du trône) l'austérité du décor, la majesté de la sortie de scène du prélat qui aura porté le jugement de l'église sur le roi affaissé dans l'étreinte étroite de la femme responsable de son châtiment, confèrent à l'ensemble un force qui va bien au delà du récit le plus documenté.Un vieux projet encore, à partir de scènes aussi fortement définies par l'image : la prendre comme amorce d'un récit qui reprend tous les détails accumulés, chacun ayant un sens, et redonner vie à une page du passé. Ou plutôt, comment le rêver.
Labisse venait d'illustrer "Le Bain avec Andromède" de Robert Desnos, et celui-ci, en retour, avait consacré au peintre quelques pages non conformistes (au regard de la manière de parler d'art) qui le situaient dans cette frange où, venu des mêmes sources que le surréalisme, il n'avait pas (tout comme Lucien Coutaud dont la démarche est parallèle), adhéré au groupe en recherche de nouveaux venus (il s'en présentera, souvent par opportunisme). Il s'affranchissait de ses principes et de sa politique promotionnelle, pour travailler en solitaire. D'ailleurs la guerre était passée par là et l'unité du surréalisme s'était largement diluée dans des courants qui le revendiquaient mais ne souhaitaient pas se placer sous la houlette d'André Breton.C'était le cas de Labisse qui, pourtant, dans le voisinage des poètes, retrouvait cette complicité qui avait si grandement porté ses fruits.Robert Desnos de préciser : " Il ne s'agira pas de renoncer aux anciennes conquêtes. Je me refuserai, pour ma part, à oublier ces créatures frénétiques aux chevelures emmêlées, aux veines ordonnées en arbustes florissants, ces monstres séduisants qui appellent la caresse et la morsure, ces rois échoués sur des plages vierges, ces arbres battus par les marées, ces oiseaux assemblés dans des volières sans grillage, ces glaces miraculeuses, ces maisons illimitées, cette géographie d'un pays sur lequel plane un ciel pétri d'orages, de simulacres et de prestiges".Même "les Courtisanes" (photo), vues par Labisse, viennent d'un autre monde, avec ses règles, ses codes, ses références, son climat. Même le harem est inquiétant.
Dans l'esprit de Michel Ange, sculpter c'était "aller chercher au coeur de la matière la forme qui y sommeille" .En somme, pratiquer une sorte d'accouchement quand, jaillissante encore empêtrée dans la gangue de la matière qui l'emprisonne, une présence s'annonce, et qui sous le ciseau du sculpteur semble lutter comme pour se débarrasser d'un fardeau. Une figure en devenir. L'informe se mêlant en une voluptueuse harmonie avec la définition ébauchée d'une personnage dont toute la puissance musculaire est déjà affirmée.Il est émouvant de voir une caméra posée en sentinelle et comme dans l'attente du miracle qui voudrait que, se débarrassant de sa charge, l'athlète (un dieu ?) se dresserait victorieux de la matière qui l'enserre.Il y a dans la pratique de la sculpture une attitude primordiale qui voit l'homme vaincre le chaos, et sortir d'une masse informe l'idéalisation d'un homme de perfection. Les sculptures de Michel Ange les plus émouvantes ne sont-elles pas les "Esclaves", et d'avoir ainsi baptisé des figures flamboyantes de beauté, donne à l'oeuvre de Michel Ange sa dimension sacrée.
Alors que son importance historique est considérable, et qu'elle a donné son nom à une pratique sexuelle, Sappho reste un personnage sur lequel plane le doute, et multiples sont les versions de sa vie, sinon qu'elle est très exactement située à Lesbos ce qui du même coup intervient aussi dans la désignation des moeurs des femmes qui aiment les femmes. Son oeuvre même est lapidaire, faite de bribes, d'éléments épars péniblement rassemblés mais le ton est toujours le même, qui la porte à célébrer l'amour au féminin. Avec des accents d'une grande force poétique et un ton lyrique qui aura laissé des traces dans l'oeuvre de Louise Labé (elle aussi portant à de multiples interprétations) et même le Racine de Phèdre.Sa vie est assez chaotique (elle se serait même mariée) mais s'appuie sur l'enseignement qu'elle dispense à des jeunes filles de bonne famille. Véritable vivier dans lequel elle glanait les objets de ses amours. Et c'est d'amour aussi qu'elle serait morte (parfois des historiens évoquent une autre Sappho avec laquelle on établirait une confusion) en se jetant du haut d'une falaise dans la mer.Vision propre à exalter l'imaginaire de ceux qui voient en elle un personnage damné, aux amours contrariées.Ce rapport avec la mer, l'engloutissement fatal dans les eaux, offre une curieuse mine de réflexion à qui verra qu'après avoir été la source de la naissance de Vénus (née d'une goutte de sang d'Ouranos, châtré par son fils Cronos - Saturne), image de la femme idéale, dans la perfection de sa beauté (le culte d'Aphrodite auquel d'ailleurs se vouait Sappho dans son enseignement ), la mer sera le tombeau de celle qui aimait la femme.
C'était fatal. D'être passée du sujet à la matière pour le dire, la peinture s'emparant des instruments sur lesquels elle s'est édifiée, des matériaux qui la nourrissaient devait immanquablement s'en tenir au matériau pour lui-même. A l'état brut, où l'intervention de l'artiste se résume à un agencement , comme une sorte de metteur en scène organise des objets. Encore que la matière (fut-elle à l'état brut) a une force, un contenu symbolique qui ne peut échapper au regard de celui qui tente d'en pénétrer les secrets. On reviendra toujours à Gaston Bachelard qui a épuisé le sujet.Sous le label "arte povere" (parce que le mouvement qui le préconisait venait d'Italie) des artistes s'en prennent aux matériaux les plus pauvres (d'où le titre revendiqué) et composent, agencent, distribuent, orchestrent ce qui autrement n'aurait même pas droit de regard.Une anecdote pour l'illustrer.C'était dans le cadre du Salon Comparaisons (dans les années 70) L'accrochage terminé le service de nettoyage du musée (art moderne de la ville de Paris) passe dans les salles. Un "technicien de surface" remarque un tas de terre, de cendre, quelque chose qui ressemble à des détritus oubliés sur place. Et, consciencieux, de le balayer. Au vernissage, scandale, un artiste (était-ce Mario Merz ?) constate que son oeuvre avait été écartée. Confusion. Oui, des valeurs. On pouvait gloser à loisir sur cette équivoque.Pourtant, de faire usage de matériaux pauvres pouvait se justifier, représenter une attitude artistique défendable. Mais n'était-ce pas aussi avouer qu'on avait fait le tour de l'affaire. Aux origines la matière est élevée au "rang d'oeuvre d'art" sous la main de l'artiste, à terme, c'est la matière qui retrouve son pouvoir.
A en croire Michel Déon qui préface son recueil sur les artistes (Des artistes sans mensonges) Paul Morand ne court pas après la mode. Il lui arrive de la défier. Ses goûts, en art, sont dans la lignée d'une certaine tradition, et il refuse les oukases d'André Breton, maître incontesté de la pensée dominante dans les années 30 où le Surréalisme flamboyait. "Paul Morand a vite imposé sa différence". Mais il n'est pas qu'un témoin. "Amateur d'art, il visite les ateliers, ouvre les cartons de Foujita ou de Pascin, s'attarde, suit la naissance et l'évolution d'une oeuvre depuis ses balbutiements jusqu'à son épanouissement" On est bien loin de "l'homme pressé", modèle de l'intellectuel moderne, qui utilise l'avion, le train, saute les océans, est toujours "sur la brèche". On le voit glaner dans les ateliers de Marie Laurencin, Brancusi, Foujita, Irène Lagut, Jean Hugo, Pascin, Dunoyer de Segonzac, Vuillard, Romaine Brooks., c'est à dire vers des individualités et non des suiveurs d'une Ecole ou les émules d'un groupe.Il y a du flâneur (un comble) chez lui, qui écrit comme l'on raconte. Son regard sur Paris a le charme de ces chroniques qui sont le produit des amoureux de la ville et non des historiens. Sans pour autant ignorer l' Histoire sans quoi la mémoire de la ville n'aurait aucune épaisseur (comme dirait Léon Paul Fargue), un quasi voisin dans la méthode.On le suit encore dans 1900. Il est là au stade des souvenirs, quand enfant, grâce à son père, il côtoyait la meilleure société : celle qui fait l'esprit d'une époque. Et lui n'en manquera pas.
L'idée du suicide, son mythe, traverse, le surréalisme et y laisse quelques héros transportés dans l'espace mythologique par l'accomplissement fatal.En figure de proue Jacques Vaché, parrain de la conversion de Breton encore empêtré dans les respects de la tradition littéraire dans laquelle il ne se sent pas à l'aise (l'influence de Valery par exemple). Mais, surtout, figure emblématique parce qu'il le met en scène, l'annonce et l'accompli avec une froide détermination, comme une oeuvre d'art : Jacques Rigaut `René Crevel le vivant (son père s'est, suicidé) comme une rupture dans le déroulement d'une vie qui fut d'orage et de doute.Philippe Soupault l'aurait évoqué, programmé, officiallsé par une sorte de contrat, et à nouveau évoqué dans " En joue" (pour lequel Félix Labisse a composé deux lithographes (photo). Non accompli, le geste, par sa mise en scène, entre dans la stratégie du surréalisme qui préconise des choix radicaux, des gestes d'éclat, un engagement passionnel qui se veut exemplaire.
Grâce à Jean Louis Barrault, comme Lucien Coutaud, Félix Labisse sera appelé à exécuter de nombreux décors de théâtre (Kafka, Sartre) et sa peinture en conserve la trace, à moins qu'elle le prédispose à cette carrière, tant chaque tableau est une mise en scène, en énigme, d'une situation où la femme domine, souvent elle-même objet de cette ouverture du tableau comme une scène sur laquelle elle triomphe par sa beauté mais, dans le même temps, est soumise à d'étranges cérémonies dont le caractère érotique s'appuie sur des références littéraires, un jeu de masque, de dédoublement qui ose aussi l'humour, la dérision, basculant parfois vers des climats à la Grand Guignol.En voici une qui entre ouvre le rideau. De fait c'est elle qui nous regarde.Comme dans le Balcon de Manet, c'est un jeu de miroir, le regardeur regardé.