On ne dira jamais assez combien Baudelaire a su voir les artistes de son temps avec cette manière si particulière, de les aborder ( qui est le propre des poètes quand ils deviennent critiques d'art). Captivé par le travail de Charles Méryon, il envisage une collaboration. "des rêveries de dix lignes, de vingt ou trente lignes, sur de belles gravures, les rêveries philosophiques d'un flâneur parisien". Il en résultera, mais sans les gravures de Méryon, "Spleen de Paris."Le travail prodigieux du graveur n'échappe pas à sa sagacité : " Par l'âpreté, la finesse et la certitude de son dessin, M.Méryon rappelle ce qu'il y a de meilleur dans les anciens aquafortistes. Nous avons rarement vu, représentée avec plus de poésie, la solennité naturelle d'une grande capitale. La majesté de la pierre accumulée, les clochers montrant du doigt le ciel, les obélisques de l'industrie vomissant contre le firmament leur coalitions de fumées, les prodigieux échafaudages des monuments en réparation, appliquant sur le corps solide de l'architecture leur architecture à jour d'une beauté arachnéenne et paradoxale, le ciel brumeux, chargé de colère et de rancune, la profondeur des perspectives augmentée par la pensée des drames qui y sont contenus, aucun des éléments complexes dont se compose le douloureux et glorieux décor de la civilisation n'y est oublié."Tout y est dit, car Méryon se distingue largement de ses contemporains en offrant un Paris de catastrophe annoncée, d'angoisse diffuse, avec, en insistance, ces envolées d'oiseaux tournoyant dans le ciel, en armées conquérantes et cependant prises de vertige.C'est un Paris crépusculaire. Et si l'ordre des choses, des rites, des usages y est respecté on perçoit l'annonce d'un orage imminent. Venu de quel enfer ?