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lettres de la campagne

posté le 28-02-2010 à 14:57:24

Garcia-Mulet, la débâcle des mots.

Venue de l'écriture (une familiarité avec la poésie) l'oeuvre picturale de Tonio Garcia-Mulet découle principalement d'un travail sur les mots. Leur donnant un espace qui leur est propre, les lançant dans une aventure spatiale où ils se disloquent, s'émiettent et trouvent un nouvel aspect. Comme s'ils s'échappaient d'une enveloppe (elle y est parfois, et, là, il est voisin de Thérèse Ampe-Jonas qui travaillait directement sur l'enveloppe et son contenu supposé), les mots s'égrènent, s'agglutinent, comme des poussées végétales exposées aux caprices de l'environnement, tremblantes et prêtes à choir. Ils réinventent de nouvelles formes, suggèrent des présences fantomatiques, s'imposent comme le vocabulaire d'un monde hanté. René Char a fortement soutenu ce travail autant séduit par son originalité que la rigueur (et la discipline intellectuelle) dont il est le résultat. Loin de tout choix élargi jusqu'aux prestiges de la mode, enfermé dans son monde, il n'émarge d'aucun mouvement et s'impose dans sa magnifique solitude.
 


 
 
posté le 28-02-2010 à 14:18:50

Ladislas Kijno à l'oeuvre.

Kijno à l'oeuvre.Il faut le voir à l'oeuvre dans le grenier de sa maison bourgeoise de Saint Germain  en Laye, transformé en atelier.  Il travaille dans la passion, une ardeur qui transparaît dans l'oeuvre accomplie au delà d'une gestuelle qui n'est pas étrangère à cette formule contemporaine consistant à donner à l'acte de peindre une dimension physique.Le papier (son support préféré) est au sol, il l'approche, le cerne, le conquière avec une violence qui n'est pas celle de la seule colère (elle n'est pas toujours étrangère) mais un sentiment fort qui est au départ de toute son oeuvre. Créer, pour lui, n'est pas finasser sur les bords, hésiter, revenir, mais foncer sur la forme au point parfois de la  blesser (donner à voir la blessure c'est aussi une manière de dire la société actuelle à laquelle il n'est pas étranger), jouant alors sur le "papier froissé", un de ses repères pour mieux exprimer le climat de passion qui l'inspire.Il fut parrainé par Picasso, Pignon, et débutera dans le voisinage de la délicate et frémissante Germaine Richier (une sorte de Giacometti au féminin).Mais l'appui des poètes entre aussi largement dans son évolution, et d'eux il tire les mots qui font mouche car il pratique une peinture qui vise droit, va au but et ne s'embarrasse pas de remords. D'où une certaine pléthore d'oeuvres, ce qui lui est parfois reproché. Elle s'accompagne d'une rare générosité. On sort rarement de son atelier sans un petit et précieux souvenir de sa main. En cela proche de son contemporain Olivier Debré. Voilà des peintres dans le feu de la vie, suivant ce long fleuve qui n'est pas tranquille. Ne demande-t-on pas à l'art de nous réveiller !
 


 
 
posté le 27-02-2010 à 11:32:40

D.H. Lawrence vu par Catherine Carswell.

Lawrence, le pèlerin solitaire.Comme nombre de ses admiratrices, Catherine Carswell a donné de précieux souvenirs sur D.H.Lawrence, perçant à jour son caractère entier et l'étonnante séduction qu'il exerçait sur son entourage (surtout s'il était féminin). Elle s'attache tout particulièrement au rêve vainement partagé d'une colonie (un phalanstère) d'esprits susceptibles de s'enrichir à leur contact  réciproque et d'un affrontement sensuel et joyeux en dehors des lois d'une société étroite qu'il détestait et a toujours voulu fuir (d'où l'idée du pèlerin, sans toit, allant de maison en maison à la recherche d'un équilibre partagé avec quelques êtres de choix).C'est le "Rananim" , un "rêve agréable mais auquel Lawrence persistait à s'accrocher comme à un projet réalisable".Il projetait d'émigrer sur une île, en compagnie de son épouse Frieda, de l'ami Koteliansky, de Middleton Murry et son épouse Katherine Mansfield."Les événements de 1914-1918 contribuèrent à affermir chez lui cette croyance ferme et simple : la seule chose à faire était de partir ensemble, à plusieurs, vers quelque refuge lointain où naîtrait une ère nouvelle".Précurseur de la grande utopie des années 60, fuyant une civilisation pourrie   craquelée de toutes parts, il rêve d'une ferme "au bout du monde" où la petite colonie choisie se livrerait aux innocents travaux des champs (n'y-a-t-il pas là un écho des rêves rousseauistes ?) et s'aimerait tout naturellement, aucune loi scélérate n'entravant cet élan sain et doucement viril. D'ailleurs il montrera un goût tout particulier (et jamais équivoque ) pour les amitiés masculines. Il aimait la chaleur des ententes et fécondes pour sa propre création.L'échec va le conduire à s'exiler vers Taos, à l'invitation de l'excentrique Mabel Dodge Luhan, sorte de vampire intellectuel où il composera l'admirable "Serpent à plume". Période  étonnante d'une vie qui ne l'est pas moins.
 


 
 
posté le 27-02-2010 à 10:40:20

Jacques Rivière, le modérateur de la NRF.

Jacques Rivière, le juste milieu.Il fallait, à un navire partant en haute mer, un homme qui tint la barre. Après sa création, les grands parrains laissent la tâche à des "secrétaires" qui assurent la permanence, les relations toujours délicates avec les auteurs, et mission non moins ardue, en trouver et ne pas rater ceux qui promettent un bel avenir. Apparaît Jacques Rivière, André Gide ayant reconnu ses capacités à y répondre. Le voilà à la tête de la NRF en 1919, (qu'il avait abordée en 1911 avec l'aval de Gaston Gallimard),  après qu'une guerre apocalyptique ait modifié radicalement la société. Mais comme toute "après-guerre" c'est le règne de l'esprit et l'audace des aventures intellectuelles.Dans le paysage ardent qui voit les "écoles" se suivre et se combattre Jacques Rivière sait  donner à chacun ses chances d'être au sommaire de la prestigieuse revue.Catholique (sous la houlette rude de Paul Claudel), il cultive les amitiés de haute exigence. C'est le fameux "pentagone étoilé" : Proust, Claudel, Gide, Saint John Perse, Mauriac); mais ce fut aussi, avant la guerre, celle d'Alain Fournier (il épouse sa soeur Isabelle).Jacques Rivière, par un mélange de détermination, une curiosité étendue, attire à la NRF tout ce qui compte, de "dada" à ce qui seront les grands classiques de l'époque comme Martin du Gard ou Malraux. Curieux ? Le prouverait sa propre activité d'écrivain où on le voit passer de Baudelaire à Gauguin, de Bach à Ingres, de Wagner à Cézanne. Qui dira mieux en matière d'éclectisme ? Et la modestie du propos (Etudes) ne doit pas cacher l'essentiel. Jacques Rivière va au coeur du problème de la création. Comment comprendre alors l'intensité de son étrange échange épistolaire avec Antonin Artaud, au comble de l'angoisse d'être et de le dire. Jacques Rivière y répond par le ton de la modération.
 


 
 
posté le 26-02-2010 à 11:07:29

Louis-Ferdinand Céline, un Léautaud maudit.

Tant par son mépris de son apparence, sa rudesse d'approche, son égotisme énervé il serait une sorte de frère maudit de Paul Léautaud.  Retiré de la société dans ce qu'elle s'offre comme vernis  pour camoufler sa vilainie naturelle. Méprisant l'hypocrisie, les idées toutes faites, la mauvaise foi. Tout en verve mauvaise, en invectives prophétiques, et si dangereusement "hors des clous".Le modèle du politiquement incorrecte  Ses haines ne sont pas hypocrites si elles sont nocives. Elles le furent dans un contexte historique qui leur donnait un sens bien plus violent quand, dans un moment de calme, elles n'auraient pas porté plus loin que celles d'un Léon Daudet par exemple qu'il faut relire pour en mesurer toute la force et l'intolérance qu'elles exprimaient.Doit-on condamner celui qui  ne pense pas comme il convient et comme le veut la loi qui est le produit du plus grand nombre, son reflet.La pudeur verbale est la maladie des civilisations qui vacillent sur leurs convictions et craignent tout courant étranger à leurs normes. La polémique est un signe de santé morale. Tout argument est plausible s'il n'entraîne pas des déflagrations sociales ou  historiques. Céline, sous l'occupation nazie, était une arme dangereuse, en temps de paix elle n'est que l'expression d'une liberté de pensée qu'il faut respecter, même si on n'y adhère pas.
 


 
 
posté le 26-02-2010 à 10:44:05

Maurice Sachs et ses personnages.

A en croire ceux qui l'approchent (surtout à la fin de sa vie et dans sa période carcérale) Maurice Sachs écrit sans cesse. Et pourtant il n'est pas de ceux qui veulent construire une oeuvre, déballer un monde (Balzac, Zola). Il écrit par une sorte de nécessité maniaque, fébrile et probablement névrotique. Son terreau c'est sa vie (ses "aventures") . Il est alors là dans son registre. Celui de la notation perverse et d'une drôlerie parfois cruelle. Certains (les premiers livres) sont des sagas intimes suivant le cours du temps. Mais n'est pas Saint Simon  qui veut. Ses larges pages de souvenirs font passer devant l'écran de sa jeune mémoire des personnages saisis d'un pinceau acide sans que l'histoire de son temps en soit totalement et dans sa plus vaste étendue, bien perçue. Le monde se réduit au sien, à ses appétits, ses foucades, ses calculs car il y a de l'arrivisme et de l'opportunisme dans le jeu des relations. Ce serait la méthode de Cocteau mais au niveau du ruisseau. Le monde de Cocteau conserve sa dignité.Quand il se targue de constituer une sorte de catalogue des figures qui représentent son époque, il passe naturellement par des pastiches, des caricatures où derrière le patronyme de fantaisie on devine le "tout Paris" des Années folles, drôlement classé en auteurs, peintres, gens du monde, des affaires, avec une prédilection pour le caractère glauque. Ce serait une sorte de catalogue de personnages prêts à entrer dans quelque chose qui ressemblerait à "La Recherche du temps perdu". Mais Sachs n'est pas Proust non plus.
 


 
 
posté le 25-02-2010 à 14:19:01

Un langage visible ?

Intitulé "visible langage" il ne l'est pourtant pas si l'on considère la nécessité de le lire pour le comprendre. La manipulation des lettres (venue du mouvement dada et des futuristes italiens au début du XX° siècle) rend le texte inaudible (ou à lire comme une affiche, dans l'esprit du slogan) et n'ayant plus de raison d'être que par sa simple matérialité. Une masse compacte que l'on affronte comme de très vieux manuscrits d'une civilisation disparue. Si la graphologie est le miroir de l'âme (le sismographe de notre mentalité), l'écriture qui se contient dans son émergence sans obéir aux règles (et nécessités) de la lisibilité, peut traduire bien des choses contradictoires. Une exaspération de la main (comme la peinture gestuelle) ou, au contraire la mise en liberté de celle ci qui vagabonde comme un chien fou sur la page.Signes perdus. Message chiffré, émergence de l'inconscient, tout est permis d'y voir en superposition et comme un signe d'angoisse. Et si les mots perdaient leur sens, devenaient inefficaces. Comme un lent engloutissement , un furieux incendie, un désastre qui gomme une civilisation.
 


 
 
posté le 25-02-2010 à 09:50:24

La lecture selon Fernand Léger.

Les liseuses, plaquées comme les figures médiévales sur les parois des églises,  sont l'expression d'une calme grandeur. Cette dernière, pour n'être pas celle des saints, est celle d'une vie affranchie de toute angoisse et un rien crâne Même l'acte le plus anodin comme la lecture (est-il si anodin que cela ?) se visualise dans un énoncé calme et simplifié par souci de lisibilité. Point de manière pour enrober un geste rendu naturel comme le serait tout acte de la vie quotidienne (on aura rencontré, sous le même regard, des bâtisseurs, des baigneurs, des sportifs, des gens du commun dans leur quotidien).Banalisant la vie Fernand Léger lui donne un aspect de saine franchise, appelant les murs, le gigantisme, pour rejoindre le rythme des façades modernes avec leurs néons, les affiches, cette imagerie qui nous domine et  nous parle de notre réalité.On aura, plus souvent, perçu la lecture "sous la lampe", dans un climat douillet, une souci d'intimité  supposé favorable à sa pratique. Et la féminité y sera volontiers exaltée (Fragonard). Mais la lecture ainsi affichée n'est-elle pas celle qui domine dans un siècle voué à la modernité, la technologie, les forces humaines déployées au nom d'une vertu sociale.
 


 
 
posté le 24-02-2010 à 11:11:50

Bernard Delvaille, un dandy mélancolique.

C'est une bien singulière trajectoire poétique que celle de Bernard Delvaille familier aussi bien des bibliothèques que du macadam. Ici érudit, là piéton rageur à la recherche de sa vérité. Passant de l'un à l'autre, il diversifie ses options poétiques, élargissant son registre depuis les Symbolistes (dont il est un spécialiste reconnu) à la Beat Génération dont le lyrisme le laisse "pantelant".Il venait de Bordeaux (dans les années 50), avec une poignée de poèmes dans la lignée de Laforgue, avec cette culture de la mélancolie qui porte au dandysme qu'il pratiquait avec élégance. Le poème chez lui est le produit de la vie, de ses épreuves, une sorte d'épanchement d'une sensibilité exacerbée et trouvant ses références dans la poésie du XIX° siècle, quand il s'ouvre à la modernité. Ce qui lui évite le passéisme sachant donner un timbre moderne à des thèmes qui y étaient en faveur mais sans héritage. Il balise son parcours par quelques figures emblématiques. On le voit réhabiliter l'oeuvre si novatrice (quoique mince ) de Cravan. Il s'attachera à Valery Larbaud dont l'univers s'accorde si bien avec le sien. 
 


 
 
posté le 21-02-2010 à 16:51:40

La Chambre haute promise à Man Ray.

En passant rue Monsieur le Prince nous avions évoqué Jules Laforgue qui vivait là sous les toits "tout près des étoiles". Man Ray déclarait que cette proximité avec le ciel était favorable à l'inspiration. Pure spéculation pour quelqu'un qui avait vécu au ras de la vie (même mondaine) et logeait au rez- de-chaussée. Mais j'en aimais l'idée et lui avais promis de réunir des poèmes sous le titre La Chambre haute et pour lequel il devait donner un dessin. Projet sans suite, hélas. Et je ne connus des mansardes que celle d'un modeste hôtel de la rue de Vaugirard, et fort peu de temps. Voici venue l'heure de vivre enfin le projet. Un vaste grenier, ouvrant sur un jardin et le frémissement des arbres par une lucarne (qui n'est pas ovale comme celle de Pierre Reverdy, mais ne manque pas de charme). Il va falloir pour tenir les promesses faites à Man Ray, faire crépiter la machine à écrire. En fait, l'ordinateur qui a des mollesses de star fatiguée. Mais les mots s'y inscrirent dans leur relative et furtive vérité. Un rien et ils disparaissent. N'est-ce pas le sort de tout écrit ?
 


 
 
posté le 21-02-2010 à 15:13:37

L'art contemporain à Noyers sur Serein.

C'était dans les années 80. On allait, en groupe, comme pour un pèlerinage, à Noyers sur Serein (près de Tonnerre). Dans une maison  restaurée par ses soins Guillotin, artisan de son état, avait créé un  "centre artistique" avec la collaboration de  Jean Claude Meynioux. On était là au coeur d'une aventure plastique qui rimait avec passion et tournait le dos aux mode, et aux raideurs de la muséographie contemporaine si soucieuse de ne rien rater de ce qui est nouveau, promotionne n'importe quoi et souvent le pire. Dans un climat de fête, un  certain tout Paris des arts (critiques, journalistes de la grande presse, galeristes, amateurs) se serrait les coudes pendant deux jours, entre un concert de jazz donné dans les jardins (Martial Solal, Daniel Humair était la vedette) et des banquets sous les arcades de la place principale au centre de ce minuscule et ravissant village qui somnole au bord du Serein avec ses belles maisons bourgeoises où l'on sentait frémir une vie un peu secrète.C'est là que furent révélées des oeuvres autrement confidentielles comme celles de Jean Clerté ou Tonio Garcia-Mulet, et dans un contexte surréaliste, la légendaire reliure imaginée par Jean Benoit pour un ouvrage d'André Breton.Quelques pas à travers le village, et l'on accédait au musée d'art naïf riche d'une collection agencée par le peintre Yankel. On y voyait aussi des oeuvres de Cartier-Bresson , un enfant du pays.
 


 
 
posté le 19-02-2010 à 11:14:11

La femme selon Lucien Clergue.

Natif d'Arles, il lui est resté fidèle, et l'a doté de son essentiel rendez-vous annuel consacré à la photographie. Devenu une sorte d'officiel ( d'être académicien semble paradoxale avec l'esprit même de son  art), on peut regarder son oeuvre dans une perspective qui l'aura défini. C'est tout d'abord aux rivages des étangs de la Camargue qu'il porte toute son attention. Rivages qui veulent dire cet amoncellement de choses (de détritus) qui parlent de la mort. Dont des cadavres d'animaux.  Une lecture précise et froide (objective) qui le projette vers le domaine de l'eau qui désormais sera son terrain favori. De l'eau, la légende le confirme, est née Vénus. Née de la vague la femme fait corps avec l'élément liquide dont elle a gardé la fluidité, les éclats, la douceur quand elle suit les courbes du corps, valorisant la chair qu'elle exalte.C'est ce mariage intime du nu avec la vague qui devient le  sujet majeur de l'oeuvre de Lucien Clergue, s'attirant l'attention de Picasso, de Cocteau. Pour les poèmes de Paul Eluard il trouve les plus évidents équivalents photographiques.Sans artifices, ni ajouts pittoresques, il célèbre la nudité féminine au naturel, avec l'évidence des premiers jours. C'est un nu des origines. De fait, intemporel, défiant la mort dont il est presque né. Il n'a aucun connotation érotique, ce qui le fait très éloigné de la production habituelle, passant si facilement du nu à l'esprit velouté ou canaille du "charme". Une oeuvre singulière et d'une beauté qui rappelle parfois celle de la statuaire antique.
 


 
 
posté le 18-02-2010 à 14:26:11

Les cathédrales de la culture.

Les cathédrales de la culture.En même temps que se développe une architecture de verre et d'acier  (inspirée des serres) s'organise une nouvelle vie culturelle, plus largement ouverte sur le public et ne craignant pas le gigantisme qui démocratise la création et popularise les artistes. La fin du XIX° siècle voit fleurir un rite social (un peu mondain) qui veut que les arts plastiques trouvent leur meilleur présentation dans des bâtiments qui ne sont pas nécessairement conçus pour eux mais, de fait, accueillent toutes les manifestations où alternent les sciences, les technologies, le commerce.Le Grand Palais, à Paris, va hériter de cette vocation. Il est le cadre de salons très divers (dont, un temps, celui de l'automobile), et de tous les aspects de la culture, de la mode à la littérature, des arts plastiques enfin qui y flamboient dans un aimable déballage qu'annonçaient ces expositions "fin de siècle" où les  réputations se faisaient, et le rite mondain exerçait ses festivités les plus courues.On y allait moins pour voir les oeuvres que s'y "faire voir" et jouer sur la mode, les parures, le brin de snobisme qui accompagne toute manifestation culturelle (même aujourd'hui).Cathédrale en raison de leur taille monumental, et modifiant considérablement le comportement du public face à la création. On y va pour la célébrer, donner des gages de sa propre culture, s'inscrire dans un jeu de codes, de repères, de références qui sont à l'égal de ceux d'une religion.
 


 
 
posté le 18-02-2010 à 10:44:04

L'écriture si tranquille de L.F.Céline.

L'ouverture d'un livre, l'attaque du texte, l'impulsion qui va déterminer le rythme de l'écriture, est un peu une manière de porte (ou de fenêtre) que l'on ouvre sur l'horizon. Quel est son aspect, de quelle matière est-il fait. On découvre ses lignes générales, ses cadences, sa manière d'exister dans l'espace et de déclarer sa nature.Un manuscrit est à la fois le terrain de l'aventure littéraire et la conquête de l'espace qu'il s'est ouvert. Le remplir, oui, mais de quelle manière. C'est là qu'intervient le style. L'écriture est le vêtement du style, sa parure. D'où l'intérêt justement porté aux manuscrits des écrivains et l'assurance des aveux qu'ils nous abandonnent. On se penche sur l'intimité de la création, on peut y lire la joie (dans l'assurance, l'avancée rapide des idées, de leur formulation), ou au contraire, la souffrance (les manuscrits de Flaubert).On le suit quand il musarde (les dessins en marge du texte), on y sent frémir les pulsions de l'inspiration, l'apaisement dans la régularité d'une graphie qui a trouvé son rythme, comme un corps qui marche à la mesure de ses possibilités physiques et "va à son pas",Un manuscrit n 'est pas que le portrait de l'auteur (une simple lettre l'est). C'est plus que cela, l'entrée au plus intime de sa pensée, de la manière de la faire fonctionner, d'y circuler, d'y extraire les pépites par quoi elle s'affirme, s'offre au regard des autres, des lecteurs.Alors on peut s'interroger. Que penser du manuscrit du "Voyage au bout de la nuit". Louis Ferdinand Céline le protestataire est là si tranquille au départ de sa terrible aventure littéraire !
 


 
 
posté le 17-02-2010 à 10:56:42

La Chronique de Maurice Sachs.

D'un livre à l'autre Maurice Sachs décline son quotidien, sa "nature" avec ce qu'elle a de fougueux, de perfide. Il s'analyse volontiers en parlant des autres. Ceux qui sont le miroir de sa propre difficulté d'être qui le conduit à ce désordre du corps et cette brouille de l'âme. La "Chronique joyeuse et scandaleuse" revient sur ses débuts crapuleux. D'étonnants portraits, comme celui d'Abel Hermant, qui fut un auteur à succès à la fin du XIX° siècle et au début du XX", qui "ébrouait sa moustache comme un dindon sa queue, gonflait ses joues et croyait sourire" ou de Jean Cocteau camouflé sous un pseudonyme transparent.. Avouant ses histoires d'alcôve Maurice Sachs n'hésite pas à compromettre ceux qu'il avait entraîné dans ses turpitudes et ses aventures sexuelles. Il règle des comptes au delà d'un présent qu'il vit avec une intensité suicidaire. Homosexuel, n'éprouvant pas de mal à "rendre ses devoir à une femme" il découvre peu à peu sa nature profonde, sans s'en émouvoir outre mesure, et même affirmant sa vérité jusque dans ses excès. 
 


 
 
posté le 16-02-2010 à 16:56:09

Pierre Reverdy, un poète cubiste.

Seul, mais point hautain, parmi les siens (les poètes) Pierre Reverdy fait entendre sa voix. Elle a de l'accent. Elle contient toute la rocaille de ce dur pays d'oc (du côté de Narbonne) qui a si fortement marqué son enfance. Un père viticulteur, une vaste propriété nichée dans les senteurs fortes d'un éternel été. Et les mots pour le dire trouvent leur espace dans la page mais ne l'encombrent pas. Ne la nient pas. Bien au contraire. Sans aller jusqu'à Mallarmé, qui réserve de vastes espaces du blanc de la page pour y poser des mots, comme si le vent avait posé des feuilles sur le sol. Et tout le vent encore qui tournoie autour des mots....Pierre Reverdy joue si bien avec les mots (durs et forts, sonores et précis) qu'il construit une sorte d'architecture visuelle retrouvant celle des peintres ses amis (Braque, Juan Gris) et l'on a pu dire qu'il était le seul poète "cubiste".L'austérité pour compagne, tant dans sa vie (et la pauvreté n'y est pas pour rien), et dans le voeu profond d'accorder la poésie à l'essentiel. Point de lyrisme, ni d'élans comme l'époque les aimait, mais une concision qui renforce la portée des mots choisis, ciselés. Serait-ce une poésie objective ?
 


 
 
posté le 16-02-2010 à 11:30:59

Depuis le Grenier des Goncourt.

D'un grenier l'autre.Lorsqu'il s'achète cette bourgeoise maison du côté d'Auteuil (pour quitter le bruit "infernal" de la rue Saint Georges) Edmond de Goncourt décide de faire, de son grenier, l'antre de l'intelligence (et de la promotion littéraire !).Ses amis, ses relations, s'y retrouvent. De nombreux témoignages permettent d'en retrouver l'atmosphère. Moins idyllique qu'on pourrait l'imaginer. C'est aussi la pire loge de concierge et le laboratoire de toutes les calomnies dont le Paris de l'époque va faire ses délices.Mais, au milieu des livres rares, des bibelots chinés avec goût, passent les silhouettes d'Alphonse Daudet, Huysmans, Octave Mirbeau, les frères Rosny, Gustave Geffroy, Jean Lorrain, Léon Hennique, en fait tous ceux qui vont constituer l'Académie Goncourt chargée d'organiser le prix devenu l'un des événements de la vie littéraire) et cela suffirait à donner du prestige à l'endroit.Rue des Grands Augustins, Picasso fera, de son grenier, l'atelier des années les plus passionnées de sa vie (l'amour de Dora Maar, Guernica,  l'occupation nazie, Eluard, La Main à Plume). On y donnera une de ses pièces (dans l'esprit d'Alfred Jarry), et voici réunis sous l'oeil narquois de Brassaï : Valentine Hugo, Jacques Lacan, Pierre Reverdy, Louise Leiris, Simone de Beauvoir, Jean Paul Sartre, Albert Camus, Jean Aubier, Michel Leiris. Il avait été, avant qu'il l'occupe, un espace où Jean Louis Barrault faisait répéter ses acteurs et Antonin Artaud en était un des fidèles visiteurs.Le grenier est, d'ordinaire, l'espace des émouvantes découvertes que tout enfant, s'il est curieux, peut faire, dans la chaleur de l'été, quand il s'y sera réfugié, et dans des malles oubliées il recompose des vies à sa mesure. C'est ainsi que Bellmer découvrira sa poupée dont il tirera des effets stupéfiants.Gaston Bachelard écrira là de bien belles pages pour nous introduire dans l'essence même du grenier, sans quoi une maison aura perdu son âme.Pierre Reverdy, venu à Paris, chantera le grenier à "La lucarne ovale" où il niche sa pauvreté.  Il se retirera du monde et celui qui s'est réfugié dans un grenier, à sa manière l'aura fuit aussi.
 


 
 
posté le 15-02-2010 à 13:27:37

John Forrester et les écritures antiques.

Ce fut, au début des années 60, l'émergence dans la paysage artistique parisien de John Forrester que je considérais alors comme un événement. Il avait fait une exposition avenue de l'Opéra chez Viviane Vallée, libraire éclairée où régnait le culte de la littérature (sous le nom de Viviane Forrester elle s'imposera bien après comme l'une des biographes les plus avisées de Virginia Woolf).Forrester pratiquait une peinture qui puisait dans le passé ses sources d'inspiration, mais revues et corrigées par la modernité de l'écriture.D'ailleurs "Forrester avait conservé le goût des inscriptions. Elles sont liées au cérémonial qui accompagne la mort, gravées dans la pierre, mais avec le temps rendues illisibles : cadences de lettres au dessin noble simple et grandiose. Le latin serait-il la langue de l'oubli au noms du souvenir ?"C'était une interrogation formulée alors, et qui s'inscrit aujourd'hui dans un courant artistique qui aura perduré pour autant qu'il trouve dans le fait littéraire (ou au moins dans le phénomène de l'écriture) un sens et une source d'inspiration.C'est à la jonction de la peinture et de la littérature que se trouve une solution à tous les problèmes que l'art se pose dérivant souvent vers des provocations sans souci esthétique. Du plaisir de peindre que reste-il ? Alors qu'avec Forrester, en deçà d'une contenu riche et sans doute codé, le plaisir de la peinture n'est pas nié ni gâché par l'exigence du contenu, ambitieux, et qui trouve sa logique, sa continuité, et exerce toujours la fascination nécessaire pour trouver un regard attentif.
 


 
 
posté le 15-02-2010 à 11:10:31

Mario Prassinos parmi les écorchés.

Prassinos parmi Les écorchés.Sous la lumière froide de l'occupation la peinture française a  curieusement évolué vers un style privilégiant les accents vifs, voire une écriture écorchée qui traduisait aussi bien les heures sombres, la faim, la peur, une vision agressive de la réalité la plus banale. On peut feuilleter une anthologie de la peinture qui se faisait alors et y croiser, aussi bien Francis Gruber que Roger Toulouse, et encore Jacques Hériold, Jacques Lagrange, Lucien Coutaud, Le Moal, et le jeune Mario Prassinos qui, dans le même temps va donner des illustrations encore plus marquées par la violence du moment, une sorte de désespérance (Sartre, Queneau).C'est le règne des figures hagardes, des couteaux tendus comme des armes, des lumières blessantes, et jusqu'aux objets qui prennent cette allure pointue. Le temps de la Métamorphose dont Kafka (que l'on découvre alors) avait donné une version hallucinante. Les objets devenaient des bêtes abominables.
 


 
 
posté le 14-02-2010 à 15:08:20

Et voici les Baliseurs.

La peinture a ses  baliseurs.C'était dans les années 76-77, la peinture connaissait une de ces crises qui la font évoluer, et offrent aux jeunes talents le moyen d'affirmer leur spécificité, l'apport de leur nouveauté.Surgissent, dans le paysage conventionnel "les baliseurs"."Aux ardeurs gestuelles qui ont fait les beaux jours de l'après-guerre, à un art de débordement, succède une peinture de la précision, de la retenue, de la rigueur, excluant tout automatisme, toute spontanéité aveugle, tout mouvement irréfléchi. L'image apparaît sertie dans un dessin tenu d'une main qui s'appuie sur la photographie et vise une qualité scientifique. A l'art de l'effet succède l'art du constat."Qui sont-ils les artisans de cet effort vers un art discipliné ? Une exposition ("Les baliseurs", galerie Isabelle Lemaigre-Dubreuil) les avait réuni. Jürgen Ehre, Antonio Garcia-Mulet, Lucio Del Pezzo, Jean Zolkiev, Albin Woehl, Raymond Waydelich, Nicolas Hondrogen, Marc Giai-Miniet.On est là dans l'héritage du dessin d'architecture, et de vues de monuments et de cités antiques, qui connaît alors un véritable regain d'intérêt tant il offre des "visions" idéalisées d'une antiquité reconstituée comme exemple d'ordre social. L'archéologie est aussi la recherche de l'or du temps évoqué par André Breton. Dans la rigueur d'un dessin qui encadre autant qu'il désigne, les baliseurs s'inventent de nouveaux territoires de fiction. Avec des promesses d'émerveillement.
 


 
 
posté le 14-02-2010 à 11:49:42

Revue Topiques, l'art de la débrouille.

On annonçait "Lance Flammes", une anti-revue, elle deviendra "Topiques". Elle était confectionnée par quelques lyonnais déjantés et leurs complices venus d'un peu partout, la solidarité étant forte et brisant les distances, dans les revues de poésie des années 50. Autour d'Henry Collone, on trouvait là :  Lydia Laine, Pierre Larue, Claudie Marion, Raymond Fievet, Philippe Dereux (qui deviendra par la suite un artiste reconnu dans le style "art brut"), avec parfois des contributions complices (de prestige) Caradec, Raymond Queneau, Roger Rabiniaux, Marcel Béalu, Claudine Chonez, Noël Arnaud, Maurice Raphaël, Charles Piquois, Louis Scutenaire.Une nette coloration post surréaliste qui était alors la  note dominante dans un après guerre encore secoué par l'horreur de l'Histoire et le surgissement d'une génération qui revivait ce qu'avait vécue la génération qui donnera "dada" et le surréalisme autour de Breton, Aragon, Soupault . Mais le charme de la revue tenait surtout à la manière dont elle avait été éditée. Sans moyens apparemment et s'en tenant à la ronéo de bureau qui était en ces années encore fort peu techniques, l'instrument le plus courant d'édition de ce type de publication. On y sentait l'encre et la main qui calligraphie le titre de la couverture. Quelque chose de spontané, le ton de l'amateurisme qui est alors le style de la passion. 
 


 
 
posté le 14-02-2010 à 10:48:49

Vita Sakville West à l'heure de Lesbos.

Vita dans l'univers de Lesbos.Une première lecture de la biographie consacrée à Vita Sakville-West m'avait donné l'impression que l'écriture (pourtant abondante) chez cette femme capricieuse, répandue dans le monde et ravageuse des coeurs féminins, n'était qu'un innocent hobby que sa fortune lui permettait d'exercer, assurée de trouver audience dans un milieu où elle régnait par son opulente beauté et le renom de sa lignée. Il faut rendre justice à l'effort que représentait, en fait, la pratique de l'écriture chez une mondaine qui savait sacrifier ses loisirs pour un roman en cours, et même placer celui-ci en ligne de mire de son quotidien, l'écriture étant, pour elle, le moyen de conjurer le mal qui la ronge : n'être pas en mesure d'hériter (parce que femme) du fabuleux domaine familial, le château de Knole où elle passera sa jeunesse et qui sera le cadre privilégié de la fiction de Virginia Woolf dédiée à celle qui avait été sa maîtresse (Orlando).Mais, avec la complicité de son fils qui ouvrira les archives familiales à l'auteur (Victoria Glendinning), l'ouvrage révèle un aspect plus intime de Vita. Sa riche vie sexuelle placée sous le signe de Lesbos, avec l'arrogance que lui permettait sa classe sociale. Y défile une quantité de femmes qui s'illustrent dans les lettres, le journalisme, les mariages blancs, les voyages somptueux. Figures d'un cinéma du coeur et de l'esprit qui ne manque ni de charme, ni de chic.
 


 
 
posté le 12-02-2010 à 14:12:20

Maurice Sachs, dernières heures.

La fin ignominieuse de Maurice Sachs est bien dans l'esprit de sa vie. A en croire Andre du Dognon, qui semble avoir de bonnes informations, Sachs, d'abord pourvoyeur de dénonciations dans l'Allemagne nazie qui s'effondre, est fait prisonnier par ses complices mêmes. Convoyé aux heures sombres de la débâcle il est tué d'un coup de pistolet dans la tempe. Mais, détail horrible, il paraîtrait que son corps aurait été "jeté aux chiens". Ainsi cumule-t-il le destin des prisonniers (François Villon, Sade Jean Genet)) pour outrage aux moeurs ou toute autre atteinte aux lois sociales, et la mort sordide d'un Héliogabale.Dans la vaste mythologie qui entoure les années noires sous le signe sinistre de l'aigle nazie la figure de Maurice Sachs prend un relief singulier. A croire que l'époque se fardait de son mal, de son cynisme pour répondre à la nature profonde qu'il développe déjà dans l'insouciance des Années folles.
 


 
 
posté le 12-02-2010 à 10:27:25

Maurice Sachs au Boeuf sur le toit.

Tout aura été dit sur Maurice Sachs, et en dépit des aspects peu ragoûtants du personnage on est fasciné par son parcours et sa manière si singulière qui  prévoit la chute assurée. Car nul doute que dans son agitation tous azimuts Sachs sentait bien que tout cela finirait mal et en remettait-il dans l'ignominie parce que le destin l'avait frappé comme quelque figure de la mythologie antique condamné, et mené par une force qui le dépasse. Reniant ses ascendances juives, il adopte le nom de sa mère. Homosexuel affranchi, il vagabonde dans un milieu qui s'en targue et pilote les gloires les plus respectables de Gide (à qui il fait la cour) à qui il consacre une étude, à Cocteau (dont il force l'antichambre), faisant la roue au Boeuf sur le toit, et la guerre venue, l'occupation l'ayant frappé en plein fouet, se livrant à des trafics en tous genres. Il faudra y revenir.Les nombreux biographes additionnent les termes censés bien cerner l'étrange personnage : aventurier, escroc, séducteur, jouisseur, voleur, opportuniste, irresponsable, ivrogne, amoral, dilettante, snob, ivrogne, charmeur, cynique, naïf, menteur, hédoniste. Au choix, et selon l'angle privilégié il peut remplir tous les rôles, répondre à toutes les injures.Snob et mondain, le voilà donc au coeur des Années folles et au rythme de ses fêtes, à la pointe des libertés, des affronts, des défis, des provocations. Il découvre, et plus vite que tout autre, plus pleinement, toutes les nouveautés de l'art et des lettres et la liberté des moeurs qui sert de lien à cette orgie de l'esprit :  de l'art nègre au jazz en passant par le cinématographe qui passe entre les mains de Man Ray ou de Cocteau. Au Boeuf sur le toit, cette cathédrale de l'art en marche, il figure aux tables les plus prestigieuses, là où il convient d'être vu. Dans l'intimité affichée de Cocteau, Max Jacob, Picasso, Coco Chanel, Gaston Gallimard, Francis Poulenc, Picabia. On les retrouvera, pour certains, épinglés avec hargne et  non sans humour dans les pages brillantes de "Au temps du Boeuf sur le toit"
 


 
 
posté le 11-02-2010 à 14:11:54

La NRF et son destin.

De toutes les revues attachées à l'histoire littéraire du XX° siècle, la NRF est la plus prestigieuse. Née au début du siècle dans un petit groupe d'amis réunis autour d'André Gide (Henri Ghéon, Jacques Copeau, Jean Schlumberger, Maurice Drouin) elle donne d'emblée le ton : "Ici, la littérature a tous les droits. Rien ne lui est opposable. Ni la religion, ni la politique, ni les moeurs, ni la morale, ni la tradition,  ni la mode. La parole des écrivains y est impunie parce qu'insoumise et irresponsable. Sans prévention d'école ni de parti..." (selon l'histoire de la revue Alban Cerisier).La tonalité protestante cependant va déterminer une ligne de conduite guidée par Jean Schlumberger : purification des moeurs littéraires, bon usage de la langue, autonomie de l'art et renouvellement du roman, qu'illustrera la publication de l'ouvrage de Gide : "La porte étroite".Les directeurs successifs de la revue : Jacques Copeau, Jacques Rivière, Jean Paulhan, Marcel Arland, Georges Lambrichs, Jacques Réda vont infléchir l'esprit de la revue mais sans jamais la faire chavirer dans les excès des combats idéologiques, ni les aspects les plus expérimentaux de la création littéraire. Ce qui la fait absente de certains combats historiques, mais maintient le niveau respectable d'une littérature qui assume sa maturité.Sa survie laborieuse au choeur d'une évolution confuse de la littérature (et de sa fonction sociale), traduit bien l'énorme fossé qui s'est creusé entre le public et l'univers d'une création de qualité et détachée des tares sociales 
 


 
 
posté le 11-02-2010 à 10:37:39

Méryon à la morgue.

D'ordinaire, Méryon voit en plan large, avec une vue vertigineuse sur le ciel, pour y déployer de vastes envolées d'oiseaux. Il offre une vision crépusculaire de Paris, des séquences dramatisées. Le voici s'enfonçant dans les ombres inquiétantes de la morgue qui, installée sur les bords de la Seine, permet l'évacuation quasi clandestine des cadavres. Pensons, au passage, à l'inhumation presque honteuse d'Isabeau de Bavière dont le catafalque posé sur une barque filait le long du fleuve pour échapper à la colère populaire.Méryon s'est placé face à l'Hôtel-Dieu, qui a aujourd'hui disparu, porté, par les soins de Viollet-le-Duc, de l'autre côté de la place, laissant l'espace libre pour y dresser l'orgueilleuse statue d'un Charlemagne impérieux.Quand Méryon le voit, c'est un ensemble de bâtiments vétustes, en partie délabrés, où l'on entasse jusqu'à six les malades dans un seul lit, parfois un agonisant près d'un mort, et un malade pas loin de l'être aussi. Méryon est bien là dans son monde d'horreur muette, impassible et sombre, dans un Paris qui est resté médiéval en nombre de ses endroits et surtout aux abords de la Seine, cette route aquatique complice de tant d'horreur honteuse, et propice aux crimes. Un Paris que réinventera Eugène Sue, qu'esquissa d'une plume ardente Victor Hugo. Et dont Baudelaire s'inspire pour alimenter son spleen. 
 


 
 
posté le 10-02-2010 à 14:17:01

Soupault regarde le douanier Rousseau.

Comme la plupart des surréalistes Philippe Soupault est très attentif au phénomène de la peinture. Mais loin de s'en tenir à ses contemporains ( des frères d'arme) il glane, ici et là, des artistes qui entrent dans sa mythologie personnelle ou répondent aux élans poétiques qu'il exprime dans sa propre langue mais sait reconnaître chez autrui.Eclectique il l'est, tant pour ses options littéraires  (de Labiche à James Joyce), que picturales, et en cela exemplaire. Autant André Breton, en dépit de sa clairvoyance et de son acuité, n'échappe pas toujours à un certaine sectarisme, Soupault (au risque d'irriter justement ses amis) voit plus large et sans préjugés.Cela le mène de Piero della Francesca au douanier Rousseau en passant par William Blake. Pratiquant une approche de la peinture qui ne se donne pas pour argument un style mais un univers personnel dans lequel il se reconnaît.Le cas du douanier Rousseau est particulièrement intéressant parce qu'il met en lumière le caractère à la fois "sauvage" et merveilleux d'un univers qui a trouvé son auditoire par l'intermédiaire des poètes (Jarry, Apollinaire, Fargue) et s'est développé dans une grande solitude qui est le ferment des oeuvres puisant dans le plus profond du subconscient. La curiosité de Philippe Soupault à son égard est celle d'un sourcier : journaliste, éditeur, galeriste, Soupault a été un formidable découvreur de talents.
 


 
 
posté le 10-02-2010 à 11:07:10

Klossowski entre Dieu et Sade.

Frère de Balthus mais, comme lui, ayant, dans l'enfance, connu Rainer Maria Rilke ami de ses parents (et reçu une éducation distinguée), Pierre Klossowski a poursuivi dans l'écriture et le dessin, une étrange démarche marquée par un érotisme infiniment plus ambigu que celui de son frère et dans une facture qui se donne des allures de naïveté impossible à définir comme maladresse ou figure de style.La raideur des personnages, l'espèce de stupéfaction largement partagée par les acteurs d'actions vécues dans des ralentis exquis, confèrent une étrangeté aux scènes dont l'énoncé érotique perd de sa puissance et évidence, pour entrer dans une zone floue, d'évocation et comme somnambulique.Il y a une distinction et une affectation qui dénaturent le récit dessiné (car ce sont semble-t-il comme des scènes arrachées à une narration), et Klossowski s'est aussi évertué à illustrer ses propres textes d'un érotisme froid, déstructuré et marqué par de vagues relents de religiosité.L'effet donné est celui d'une attente ou de vagues rêveries qui se veulent glauques et ne sont que des rituels désuets, comme dans le but de se choquer soi-même. Se provoquer. L'érotisme, avec un livre de Sade dans une main, et dans l'autre un chapelet.
 


 
 
posté le 09-02-2010 à 14:28:42

André Gide et l'art.

La grande bourgeoisie dans laquelle est né André Gide joue la rigueur, et l'art n'y est pas privilégié. Dans les différentes demeures que Gide fréquente enfant (la rue Médicis, Uzes, les châteaux de la famille) nulle peinture et nulle préoccupation qui s'y rattache. C'est dans l'amitié qui le lie au fils de Jean Paul Laurens (lui-même peintre) que Gide découvre un art qui lui était étranger et pour lequel il ne marquera pas un intérêt débordant, en dépit de quelques essais sur des classiques (Poussin par exemple). On est loin de l'engagement de quelques uns de ses contemporains comme Jean Paulhan, André Malraux, et même Paul Claudel. Pourtant, (fait du hasard ?) c'est avec Maurice Denis qu'il publie l'un de ses premiers ouvrages : "Le voyage d'Urien" (une grande réussite de Maurice Denis). Et, d'une manière posthume,  Gallimard publie un gros ouvrage de ses romans illustré par une pléiade  d'artistes ( Dufy, Derain, Van Dongen, Jean Hugo, Pierre Roy, Touchagues, Christian Bérard, Clavé, Dignimont, Mario Prassinos) sans qu'on puisse y déduire un choix de l'auteur lui-même.  Certains portraits (Trémois, Klossowski, Bécat, Dunoyer de Segonzac)) n'ont qu'une valeur documentaire et ne soulignent pas une fréquentation suivie de l'artiste. Cette prise de distance avec la peinture étonne d'autant plus que Gide est, par nature, un esprit curieux, avide de découvertes et fort ouvert sur des univers qui ne sont pas pour autant proches du sien (ses engagement pour Dostoievski,, Simenon, Henri Michaux, Antonin Artaud).
 


 
 
posté le 08-02-2010 à 10:17:24

Gradiva et le blason du corps.

A quoi tient l'élan amoureux. Quoi, dans l'être aimé, aura retenu l'attention, provoqué l'émoi qui entraîne dans sa force les sentiments ? L'histoire de Gradiva (de Wilhelm Jensen) en dit long quand on sait que plus que la beauté de la figure qu'un jeune archéologue découvre sur un bas-relief, c'est son pas (léger presque aérien) qui va déclencher le processus conduisant le héros de ce roman à aller sur le site de Pompéi pour rencontrer un personnage qui aurait vécu lors du fameux drame du 24 août 79. Fiction bien sûr, et chemin détourné pour signifier un amour d'enfance qui aura nourri sa mémoire.Le processus amoureux (analysé par la littérature) conduit à cataloguer les différentes parties du corps à partir desquelles peut naître le désir et l'amour qui le comble. Ce sera le "blason du corps", une célébration de l'anatomie éclatée, dont furent friand les poètes précieux du XVI° siècle. Il me semble qu'un contemporain, (Jean-Clarence Lambert), s'est aussi attaché à ce jeu érotico-poétique.
 


 
 
posté le 07-02-2010 à 14:54:32

André Gide, "homme de lettres".

Les Cahiers de la Petite Dame (Maria Van Rysselberghe, femme du peintre Théo Van Rysselberghe, qui s'est prise de passion pour André Gide,  a suivi avec fidélité l'écrivain jusqu'à sa mort ) consacrés à la vie quotidienne d'André Gide permettent d'entrer en effraction dans le quotidien de cet homme volontiers en posture d'officiel des lettres.  Il s'est fabriqué une gloire interdisant tout repos quand l'opinion réclame constamment son opinion sur toute chose, dotant celle-ci d'une qualité qu'il se doit de respecter et à laquelle il doit répondre pour subsister et conserver son crédit qui est grand.Le voilà épinglé avec attention (un rien de tendresse aussi), suivant chacun de ses gestes, relatant tous ses choix, le mettant toujours en situation centrale parmi tout ce que le monde des lettres de l'époque compte de célébrités, d'écrivains souvent à son égal, contraints d'assumer leur rôle. Y passent, en figures de légende tous ceux dont Gide a la confiance et l'amitié (en particulier Roger Martin du Gard qui est l'un des plus présents) le personnel de la NRF dont Gide avait été l'un de initiateurs, Marc Allegret l'objet de son amour (presque paternel) et naturellement Elizabeth et Catherine la première fille de Maria et la seconde de Gide lui-même.En allant au moindre détail  la Petite Dame démystifie la "grand homme" sans l'avoir voulu. Le Journal ("cahier" est-il précisé) a des allures d'inventaire, et la tournure des rapports de police. Utile sans doute au chercheur qui veut préciser l'un des aspects multiples d'une vie fort active portée sur le travail littéraire dans ses moindres détails. On est au coeur d'une sorte de laboratoire qui enferme le créateur parmi ses manies, ses angoisses de créateur, ses choix et ses options (même en politique) qui vaut surtout pour sa dimension documentaire. De trop savoir sur l'objet de notre admiration gardons nous les raisons de l'admirer ?
 


 
 
posté le 06-02-2010 à 11:22:56

Gradiva en passant par André Breton.

Quand on se promène en forêt on peut espérer surprendre quelque nymphe ou croiser Blanche Neige ; quand on se promène dans un champ de ruines (antiques) on ne peut espérer croiser que quelque fantôme, l'ultime habitant (habitante) d'une ville dont on ne voit plus que le dessin sur le sol avec, çà et là, des colonnes dressées comme des points d'interrogation.Dans l'étonnant "Gravida" Wilhelm Jensen conte l'histoire d'un archéologue qui tombe amoureux d'une figurine admirée sur un bas-relief et qu'll croise dans les ruines de Pompéi. "On apprendra par la suite que la jeune fille aperçue par l'archéologue est une amie d'enfance à qui son sentiment amoureux s'adressait en réalité, via le détour de cette construction fantastique complexe".Gradiva, qui fait l'objet d'une analyse de Freud (la première consacrée à un texte littéraire), attirera l'attention d'André Breton, et on choisira ce nom pour une galerie d'art créée en 1937 rue de Seine (à l'emplacement de l'Académie Duncan) consacrée essentiellement à la "production de la peinture surréaliste". C'est Marcel Duchamp qui en dessinera la porte (en forme de silhouette d'un couple).Nul ne peut ignorer le miracle des rencontres au milieu du seul souvenir d'une citée d'antan, et d'y retrouver les fantômes de ses plus belles habitantes.
 


 
 
posté le 05-02-2010 à 14:07:09

Georges Bru, un hymne à la chair.

A quoi tient l'espèce de fascination que distille un dessin de Georges Bru, sinon à ce qu'il ne dit pas, disant l'avant d'on ne saura jamais quel drame des êtres et de la connaissance de leur corps. Du corps il est constamment question. En toutes situations, mais plutôt dans une grande solitude. Même quand il s'expose en d'improbables présences, il est fermé sur lui-même et comme noué d'angoisse.Il fut, au début de la carrière de l'artiste (dans les années 60), placé sous le signe d'un surréalisme attardé, plus complexe en son développement et plutôt joué comme un jeu d'assemblages d'un bizarre blason. C'est en progressant, en gommant les détails, que Bru atteint la force expressive (l'effet de choc) d'un corps abandonné à son sort, à sa puissante laideur de chair et rien que de chair.On le sait féru de littérature (de la bonne à la populaire) disons de Breton et Mandiargues au roman policier, et cela donne à son travail, si intimiste, une force de concentration qui demande, pour le voir, un soin d'entomologiste. Ne regarde-t-il pas les êtres comme d'étranges (d'inquiétants) animaux. Il tend vers le minuscule, situe le regard à travers les lunettes d'une savante (et sans doute perverse) connaissance de ce que l'intime sécrète d'horreur. Si son dessin et  voluptueux et soyeux (tout les commentateurs le notent), c'est pour mieux nous entraîner vers sa délectable et sadique vision qui ne s'offre aucune respiration. Ne sont-ce pas des scènes arrachées à quelque chambre  tiède et nimbée d'une lumière de nulle part. Chambre de supplice plus que d'amour. Et théâtre de cérémonies secrètes.
 


 
 
posté le 05-02-2010 à 10:33:43

Baudelaire et Méryon.

On ne dira jamais assez combien Baudelaire a su voir les artistes de son temps avec cette manière si particulière, de les aborder ( qui est le propre des poètes quand ils deviennent critiques d'art). Captivé par le travail de Charles Méryon,  il envisage une collaboration. "des rêveries de dix lignes, de vingt ou trente lignes, sur de belles gravures, les rêveries philosophiques d'un flâneur parisien". Il en résultera, mais sans les gravures de Méryon, "Spleen de Paris."Le travail prodigieux du graveur  n'échappe pas à sa sagacité : " Par l'âpreté, la finesse et la certitude de son dessin, M.Méryon rappelle ce qu'il y a de meilleur dans les anciens aquafortistes. Nous avons rarement vu, représentée avec plus de poésie, la solennité naturelle d'une grande capitale. La majesté de la pierre accumulée, les clochers montrant du doigt le ciel, les obélisques de l'industrie vomissant contre le firmament leur coalitions de fumées, les prodigieux échafaudages des monuments en réparation, appliquant sur le corps solide de l'architecture leur architecture à jour d'une beauté arachnéenne et paradoxale, le ciel brumeux, chargé de colère et de rancune, la profondeur des perspectives  augmentée par la pensée des drames qui  y sont contenus, aucun des éléments complexes dont se compose le douloureux et glorieux décor de la civilisation n'y est oublié."Tout y est dit, car Méryon se distingue largement de ses contemporains en offrant un Paris de catastrophe annoncée, d'angoisse diffuse, avec, en insistance, ces envolées d'oiseaux tournoyant dans le ciel, en armées conquérantes et cependant prises de vertige.C'est un Paris crépusculaire. Et si l'ordre des choses, des rites, des usages y est respecté on perçoit l'annonce d'un orage imminent. Venu de quel enfer ? 
 


 
 
posté le 04-02-2010 à 10:30:57

Man Ray descendu de l'Olympe.

Qu'est-ce qui pouvait rapprocher Man Ray de Robert Desnos, au delà d'une complicité au nom du surréalisme, sinon les femmes. L'un et l'autre, l'ont, à leur façon célébrée.En en faisant, dans leur oeuvre, des muses, sorte de figures distancées de la réalité par l'exagération de leur beauté, une mise en situation de défier le temps qui atteint tout être dans sa chair à la dimension du quotidien. Figures d'icônes qui entrent dans la mythologie. Nous en chérissons la découverte qui aide à notre ouverture adolescente sur le monde.Pourtant les témoignages du quotidien révèlent un tout autre aspect de ces relations qui ont pour cadre, des parties de campagne, des fêtes, dans le rythme qui scande la vie de l'homme le plus ordinaire.Ces personnages de mythologie deviennent alors de simples figures de voisins, d'amis, que l'on  surprend grâce au clic-clac indiscret d'un appareil photographique d'amateur, dans les postures qui ne sont pas celles d'un Olympe de fantaisie, mais dans la banalité des plaisirs partagés quand on aura laissé au vestiaire son talent, ses rêves, la posture du créateur qui sait fabriquer des rêves avec les miettes du banal.
 


 
 
posté le 03-02-2010 à 11:00:04

Ruines domestiques.

Dans le contexte illuminant des revues qui, au lendemain de la guerre, tentaient de réveiller l'esprit surréaliste (autour de Scutenaire, Yves Bonnefoy, Max Bucaille, Noël Arnaud, Alechinsky) on avait proposé une lecture nouvelle et originale des ruines (on y vivait au quotidien, elles étaient notre horizon familier). Il avait été question, quelque part, des Poupées de Dixmude (sans doute en Belgique) et, au travers d'une porte, dévalaient, comme une cascade, sur ce qui avait du être un escalier, des gravats dont l'ensemble avait quelque chose de suffoquant, d'insolite. Et d'une certaine beauté. C'était aussi le premier texte d'Alechinsky.Alors que les ruines antiques, nettoyées par le temps, lissées par le vent, les mains des visiteurs, distillent une sorte d'impérieuse grandeur que n'avait peut-être pas le bâtiment en son état normal, et une once de mélancolie délicieuse, les ruines à l'état brut nous agressent. Disent le malheur qui a marqué un lieu. Deviennent le cadre d'une tragédie âpre parce qu'elle est proche de nous. Notre contemporaine.Aux ruines des bâtiments collectifs (le Reichtag à Berlin en 1945), s'associe d'ordinaire une page d'Histoire, alors que la ruine domestique, découverte au hasard d'une promenade, dans le mystère feuillu de la forêt (était-ce une maison de garde chasse),  souligne un drame de famille, devient le trace d'une tragédie qui touche l'homme dans son intimité. photo du blog  :   antlis.blog.lemonde.fr
 


 
 
posté le 02-02-2010 à 14:16:16

Ger Lataster, la peinture vécue.

Hollandais, il hérite à la fois des courants expressionnistes et de Cobra dont Amsterdam fut l'un des centres les plus actifs. Bien que de la génération suivante il en a gardé toute la fougue, le goût d'une gestuelle ardente, imaginative.Ger Lataster a exposé à Paris (dans les années 70) chez Paul Facchetti qui fut une galerie ouverte sur les courants les plus audacieux de l'époque. Lataster était exposé sur des cimaises qui avaient révélées Jackson Pollock. une peintre d'action. Peindre, pour lui, c'est vivre la peinture, combattre avec la matière, explorer ses dessous, valoriser ses élans, exalter ses couleurs. Et toujours gagner de plus vastes espaces. J'ai le souvenir de son atelier d'Amsterdam, avec ses murs en briques roses, et ses baies largement ouvertes sur l'espace. C'était la fête du geste sans complexe qui s'invente ses parcours, ses bouquets ardents de fleurs folles, un remuement (comme dirait Henri Michaux) qui gagne les lointains de la stratosphère, abolissant les distances, les limites, et nous précipitant dans la danse de l'espace, le grouillement interne de la vie de la matière. Ce frémissement intense qui maintient la vie et défie la mort.
 


 
 
posté le 02-02-2010 à 12:07:14

Portique flamboyant.

Inscrivons au fronton d'un nouvel itinéraire dans le foisonnement des rêves, la phrase magique de Gérard de Nerval : " Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu passer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible."Victor Hugo aura dessiné pour nous ce portique qui ne tient à rien de connu mais suppose des architectures tremblantes de crainte devant les gouffres auxquelles elles donnent accès. Car il est tout un appareillage inventé pour sortir de notre quotidien, préparer à de nouvelles contrées où rôdent de redoutables fantômes. L'architecture qui l'annonce est au plus près de cette montée lente et inexorable de menace contre laquelle elle n'offre que la dentelle de ses fragiles érections. Elle défie ses peurs autant qu'elle prépare aux voluptés d'un rêve magnifique. La splendeur des palais n'est-elle pas une manière de conjurer cette crainte, sinon qu'on s'y engouffre à la quête d'improbables souvenirs et d'une mémoire en lambeau.L'architecture suppose les foules, appelle à la fête, à l'émeute. N'est-ce pas dans les salons où la monarchie célébrait ses futiles pouvoirs que la foule a exhibé des têtes sanglantes emmanchées sur des piques ?Mais c'est l'inimaginable qui offre encore plus de menace. Notre peur est à la mesure de nos connaissances, au delà c'est la chute dans l'inconnu. On pourrait y situer les portes de l'Enfer.On partait d'un rêve (d'un appétit de rêve) on débouche sur le cauchemar. Ne sont-ils pas voisins, ou les deux faces d'une même médaille. Selon la phase que l'on contemple on s'émerveille ou l'on s'effraie.
 


 
 
posté le 02-02-2010 à 10:41:48

Man Ray, sur un toit brûlant.

Man Ray sur un toit brûlant.Fanatique du jeu d'échec (il en conçoit de fort beaux) Man Ray aime y jouer avec son ami  Marcel Duchamp. C'est la réunion au sommet. Au sommet du Théâtre des Champs Elysées  où est donné le ballet "Relâche". Ecrit par Picabia, musique d'Eric Satie, avec un entracte cinématographique de René Clair. C'est là qu'intervient Man Ray qui se livre à quelques démonstrations gestuelles, la partie d'échec ayant valeur d'intermède de réflexion dans un festival de fantaisies.Qui perd gagne, et la force au jeu des deux protagonistes permet une satisfaction de victoire alternative. Ils se mettent en situation de danger, de vertige, la partie d'échec si bien nommée participant d'un rituel où tout est symbolique.
 


 
 
posté le 01-02-2010 à 15:24:59

Dans les ruines de Tipasa.

C'était un été brûlant, mêmes les pierres, sous la main, distillaient les feux de l'enfer. On allait se réfugier sous les groupes d'arbres où une eau cristalline s'écoulait d'entre de vieilles pierres et se mourait dans le sable. Des colonnes tronquées, renversées, s'enlisaient dans la végétation affolée et rampante, tandis que la mer, aux termes de l'horizon, frissonnait doucement.On évoquait des légions romaines casernées en l'endroit et festoyant les soirs d'été à la lueur des torches. Le couvre feu nous interdisait des manifestations aussi ostentatoires de notre joie d'être réunis autour d'un festin, avec en fond sonore une musique aigre que nous changions parfois pour des chanson françaises, ou la rage  du jazz qui prenait sous le ciel étoilé des sonorités étranges qui nous allaient au coeur. Mais, bravant la consigne, certains allaient rôder dans les ruines, chassant des animaux de la nuit qui s'y croyaient oubliés, et l'on parlait de rendez-vous galants, eux aussi interdits. Le port du fusil donne du prestige dont il est parfois difficile (et risqué) de tirer profit. (a propos de la guerre d'Algérie).
 


 
 
posté le 01-02-2010 à 11:55:43

Les Passages parisiens comme La Vie mode d'emploi.

Tout comme Perec avait imaginé l'histoire d'un immeuble, en forme de puzzle ("La vie mode d'emploi"), on pourrait pratiquer la même méthode en partant d'un Passage parisien (par exemple le passage Jouffroy ) et reconstituer l'histoire (compacte) de l'ensemble de ses habitants et le rituel du commerce et de la flânerie dont il est le cadre. C'est que la vie y prend une autre dimension qu'au grand air. Il est une rue compressée, mise en boîte, un monde fermé sur lui-même, où le visiteur s'engage comme dans un labyrinthe. N'y aurait-il pas, cachées, des trappes, des soutes où disparaîtraient ceux qui se risquent dans cet univers fermé et qui ne donne, du ciel, qu'un pâle reflet filtré par les vitrages de ses voûtes.Même les sons y prennent un ton particulier, feutré, ou comme frotté à quelque frontière matérialisée par les vitrages des vitrines qui se succèdent, s'additionnent  au rythme de notre marche. Mais marche-t-on dans un Passage ? En tout cas, pas de la même manière que dans la rue. Le pas devient plus mou (serait-ce celui d'un ange ?), il accompagne, ou souligne l'état de demi somnolence  mentale dans lequel il nous entraîne, nous disposant à en mieux apprécier l'esprit et cette espèce de disponibilité dans laquelle il nous met à l'aventure de l'esprit.
 


 
 
posté le 01-02-2010 à 09:55:59

La classe de René Guy Cadou.

Maître d'école, René Guy Cadou s'inscrit dans une tradition (républicaine) où l'art de dispenser le savoir s'accorde à un quotidien largement inscrit dans la vie locale, le rythme des saisons, une certaine simplicité qui va nourrir sa poésie, lui donner son accent si particulier et son charme.Une salle de classe qui est son domaine, dont il est le maître, résume le monde promit aux élèves qui s'alignent en  harmonie et rigueur pour l'aborder, l'appréhender avec ce sens de la poésie que devait lui donner un Cadou maître d'école autant que poète.La vie campagnarde vient là, battre à la porte, aux fenêtres ouvertes l'été sur le parfum des  fleurs qui poussent, sauvages et diverses aux alentours. La familiarité de l'enseignement à sa base, et dans sa diversité, donne la juste mesure de ce qui va être la poésie que Cadou distille au quotidien (écrivant régulièrement, le soir, après la classe). Ce qui témoigne d'une continuité de pensée et une unité de ton entre le travail (le partage du savoir) et la délectation de ce qu'offre le réel vécu avec une intensité qui se refuse tout excès, emphase, et trouve toujours les mots les plus justes pour le dire, le célébrer.Car de même qu'il célèbre le savoir dans sa classe, Cadou célèbre le monde qui l'entoure dans sa poésie.